Une nuit mémorable… d'une bien étrange manière | Yssabel

Calimehtarus de la Première Ennéade de Bàrkios de l'An XIX du Onzième Cycle,
Quartier des Lanternes Rouges, Thaar, Itri'Vaan. Plusieurs heures avant l'aube.

Les Lanternes Rouges… Eiriztraena détestait cet endroit plus que le reste de la capitale vaanie. Il était louche de jour comme de nuit, et surtout, bien trop imprévisible. Elle ne savait jamais sur quel genre d'énergumène elle pouvait rencontrer dans cet endroit abandonné à la démence. Mais, force était d'admettre qu'elle y trouvait souvent des choses qu'elle ne trouvait pas ailleurs. Des composants alchimiques spécifiques, des armes plus ou moins conventionnelles, et toute sorte de chose qu'il valait mieux ne pas vendre au vu et au su de tous. L'eldéenne prenait soin d'equiver tous les individus louches : les alcooliques, les coupes-jarrets et malfrats en tout genre. Mieux valait ne pas se trop côtoyer ces gens, qui, généralement, l'évitaient en retour.

Eiriztraena arpentait toujours le Quartier Rouge vêtue de noir et de rouge, ses protections de cuirs cachées par une cape noire. Pour éviter les mauvaises surprises, elle emportait toujours une épée et sa dague, et autres armes plus ou moins facile à dissimuler. Elle avait attaché ses cheveux avec sa dernière arme : son pic à cheveux. Comme les Drows étaient légions en Itri'Vaan, elle n'avait pas nécessairement besoin de dissimuler son visage, d'autant plus qu'elle n'était pas très connue ici-bas. Ses yeux pourpres malveillants et méfiants ne cessaient d'épier chacun des passants alors que ses bottes se salissaient un peu plus dans les rues sales de ce quartier glauque.

Même s'il était des plus détestables, nombres des agents de la Doth'ka détaché à Thaar venaient jusqu'ici pour diverses raisons. Pour ainsi dire, elle y cachait certains espions, et, parfois, y entretenaient certains contacts étrangers au Puy, la plupart du temps grâce une ou plusieurs bourses de monnaie. C'est l'un d'eux qu'elle était venue retrouver cette nuit, lui qui y avait une échoppe tout aussi louche que ce quartier. Tout agent pouvait s'y pointer pour obtenir un renseignement ou un objet, moyennant paiement la plupart du temps. Il était parfois gourmand, mais c'était le prix à payer pour un bon contact.

Pourtant, lorsqu'elle arriva enfin à destination, Eiriztraena comprit de suite que quelque chose n'allait pas. Alors qu'elle s'apprêtait à crocheter la serrure pour s'infiltrer discrètement, elle remarqua que la porte était déjà ouverte, et qu'une bougie éclairait faiblement la pièce. Portant sa main immédiatement à la garde de son épée, elle poussa la porte de son autre main, qui s'ouvrit dans un léger grincement. Elle entra pas à pas, prête à dégainer, refermant la porte derrière elle. Le spectacle macabre qui s'offrait à elle ne faisait que confirmer le fait que quelqu'un l'avait devancé. À ses pieds, une mare de sang inondait le sol, et elle vit le cadavre de son contact gisant au sol. Le peignoir en tissu qu'il portait s'était ouvert et ne couvrait plus que ses bras, le reste du vêtement baignant dans le liquide rougeâtre jonchant le sol. Le bougre ne s'était vraisemblablement pas attendu à recevoir de la visite, et encore moins à se faire attaquer cette nuit. Il avait pourtant tenté de se défendre, à en croire le couteau dont il avait réussi à s'emparer, en vain. Sans attendre, la drow, à l'aide de la bougie, qui avait probablement servi à éclairer le marchand avant de mourir, chercha sa caisse et son livre de comptes, qu'elle retrouva assez rapidement dans son établissement, somme toute bien rangé. Rien n'avait l'air d'avoir disparu des étagères, seules quelques objets s'étaient écroulés après l'esquisse de la bagarre qui eut lieu ici. Eiriztraena en conclut qu'il ne s'agissait pas d'un cambriolage : ils étaient venus pour le tuer, lui. Elle s'accroupit près de son cadavre, examina ses yeux, passa l'index sur la mare de sang avant de le goûter du bout de la langue. Il n'est pas mort depuis longtemps, supposa-t-elle, pour ne pas dire il y a quelques heures, tout au plus.

Derrière le comptoir, au fond de la pièce, la Drow remarqua une porte, quelque peu dissimulée par de fins rideaux colorés. Un étroit couloir la menait à la réserve de l'échoppe, remplie de diverses babioles dont elle se fichait actuellement, et à un escalier, au bout duquel se dressait probablement sa chambre. Eiriztraena grimpa les marches une à une d'un pas discret, la main toujours prête à dégainer, et entrouvrit la porte close d'un geste lent et prudent. Elle se faufila à l'intérieur tel un félin, cette fois-ci sans refermer derrière elle. Cette chambre n'avait rien d'extraordinaire. Elle était sobrement meublée d'un lit, d'une armoire, de tables de chevets de chaque côté du lit, et de quelques étagères. Eiriztraena examina rapidement l'armoire et les étagères, mais il n'y avait rien d'autres que des vêtements, des livres, et deux-trois babioles sans aucune valeur. Malgré l'argent qu'il pouvait recevoir, le bougre vivait simplement. D'un autre côté, le luxe n'avait pas sa place dans un quartier pareil.

La Drow aurait certainement déjà quitté la pièce si elle n'avait pas aperçu cette femme allongée sur le lit. Seule sa tête et ses bras dépassaient de la couette qui recouvrait le reste de son corps, supposément nu, ou en sous-vêtements si Eiriz' en croyait la robe posée en chiffon au bout du lit. Elle avait le cheveu blanc et les oreilles pointues des drows, mais son teint était plus clair, comparable à celui des Zurthans. Probablement une bâtarde doeben, pensa la Prima Sanguis Eldéenne, grimaçant de dégoût. Elle ne l'avait jamais vu, les quelques fois où elle était déjà venue, donc elle n'était probablement pas la veuve du défunt. À part si quelque chose clochait, elle n'était probablement pas de la famille, puisque l'homme n'était qu'un vulgaire humain. Enfin, si elle était un quelconque partenaire commercial du marchand, son assassin aurait pris la peine de la tuer, elle aussi. Or, elle dormait là, sans que personne ne se soit préoccupé d'elle… jusqu'à l'arrivée d'Eiriztraena. Cette dernière posa la bougie sur la table de chevet, tira sa dague et, réveilla la femme en lui attrapant l'épaule pour la retourner vers elle, d'un geste brusque et violent. Elle porta immédiatement la main à sa bouche pour l'empêcher de hurler, lui enjoignant de se taire en posant son index sur sa bouche. La Drow agita sa dague comme menace au premier mouvement ou au premier cri de la vaanie.

« Qui es-tu donc, toi ? » l'interrogea-t-elle, évitant précotionneusement d'utiliser la langue d'Elda pour qu'elle ne sache pas qu'elle en était originaire. Ou du moins brouiller les pistes. Eiriztraena retira la main qui baillonait la vaanie, et s'éloigna suffisamment pour qu'elle comprenne qu'elle ne fauchera pas sa vie sans une bonne raison. De la tête, elle désigna la place vacante dans un sourire narquois, presque maléfique. « Qu'as-tu donc fait de ton compagnon ? » demanda-t-elle alors, la voix tout aussi moqueuse et malveillante que sa mine.

Pour une fois que je peux dormir dans un vrai lit, j'en profite un peu. Et j'avoue que je suis bien là... Le matelas est confortable. L'oreiller moelleux à souhait. La couette bien chaude. La nuit dernière n'était pas extraordinaire mais au moins j'ai pris mon pied pour une fois. Je sais que le jour est levé mais il n'y a jamais de clients aussitôt alors je prends le temps de me reposer un peu et je suis prête à donner un peu de ma personne pour ça quand mon client se réveillera avec une superbe femme nue dans son lit et qu'il sera pris d'une envie nouvelle.

Je suis tellement bien que je ne me rends même pas compte que la place à coté de moi est vide. Ni que quelqu'un entre discrètement dans la pièce. Alors dire que je suis surprise quand on me retourne violemment en me saisissant douloureusement par l'épaule est un euphémisme et la noiraude a bien fait de me bâillonner parce que, oui, j'ai poussé un cri qui s'est retrouvé étouffé sous ses doigts. En revanche, la vision de la dague m'enjoint à ne pas recommencer...
Lorsque la drow recule, je me redresse en prenant appui sur mes mains derrière moi, et peu m'importe ma nudité en partie affichée. J'ai bien d'autres préoccupations en tête à cet instant précis et je n'ai pas à rougir de mon corps qui est plus qu'agréable à regarder.

-La femme de chambre. J'accompagne ma réponse d'une sorte de mimique pour faire comprendre à la fois mon agacement face à ce réveil brutal et cet interrogatoire, et à la fois que je ne suis absolument pas sérieuse en disant ça. Qui voulez-vous que je sois ?! J'ai une tête à coucher avec un type comme ça bénévolement ?

Oui, j'ai un certain orgueil quant à mon apparence mais nombre de mes clients me répète qu'il ne pensait pas pouvoir trouver une femme comme moi un jour. Alors mon orgueil est assez bien placé, non ?

Son air malveillant ne m'effraie pas vraiment. C'est mon client qu'elle cherche. Moi je n'étais là que pour lui donner du bon temps. Je ne sais rien d'autre et, s'il traîne dans des affaires louches, ça n'est certainement pas à moi qu'il le dirait.
A la seconde question de la doebenne, je regarde l'endroit où est censé dormir mon gars mais il n'est pas là. Je passe rapidement mes yeux d'or de son côté de la pièce et sur la porte -des fois qu'il serait en train d'arriver ou de partir- mais n'y trouve évidemment personne. Je reviens donc sur la folle furieuse avec son couteau.

-Pas la moindre idée. Et à partir du moment où la passe a été payée d'avance, ce qu'il fait de son temps, je m'en moque comme de mes premières sandales.

Si jamais c'est une voleuse ou qu'elle veut voir mon client pour une dette, elle comprendra donc que je n'ai pas l'argent de ma course ici. Il a réglé la note à André directement pour commander ma visite ici la nuit dernière. Je ne peux donc pas l'aider à récupérer ce qu'il lui doit peut-être.

C'est qu'elle avait du répondant celle-là… pour une bâtarde fauchée, tout du moins. Dans cette même situation, nombreux sont les gens de son rang qui auraient imploré Eiriztraena de leur laisser la vie sauve. Elle ne devait pas avoir grand chose à perdre pour s'adresser ainsi à quelqu'un qui pouvait la tuer aussi aisément. Ou alors elle avait du cran. Peut-être les deux, d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas cela qui ferait perdre son sourire à la drow, bien au contraire. Comme quoi, même les impurs pouvaient la surprendre, mais si c'était relativement rare.

« Si tu savais ce dont les gens peuvent être capables pour tirer leur coup. » rétorqua la Sombre, sans retenir un sourire grimaçant de dégoût. Peut-être était-ce la Puysarde qui parlait, elle qui avait suffisamment vécu pour pouvoir l'affirmer aussi facilement. Était-ce réellement nécessaire d'être éternel pour le savoir ? « L'argent, ce n'est qu'un moyen parmi tant d'autres. »

Au moins, Eiriztraena savait désormais à qui elle avait affaire. Elle ne savait même pas pourquoi elle n'avait pas pensé à cette éventualité. Trop évidente, peut-être ? Après tous, ce n'est pas les catins qui manquaient, dans ce quartier dément. Combien en avait-elle croisé lorsqu'elle était venue jusqu'ici ? Il y en avait même qui le faisait au détour d'une étroite ruelle, c'est dire. Mais cela n'aidait pas vraiment la Drow. Cette prostituée pouvait être la cause du décès de son contact, comme elle pouvait être là de manière totalement fortuite. Elle pouvait être une excellente comédienne comme elle pouvait être honnête. Ce serait tout de même étrange de dormir dans un lit en ayant parfaitement conscience qu'un homme, un étage plus bas, venait de se faire tuer. Si le Guet l'apprenait, crétins et corrompus comme le sont ses membres, il la désignerait d'office comme la meurtrière pour gagner du temps. Cette femme le savait autant qu'Eiriztraena. Elle fréquentait l'Itri'Vaan depuis suffisamment longtemps pour savoir comment Thaar fonctionnait. C'était ce qui poussait cette dernière à la penser à peu près innocente.

« C'est regrettable. Ses secrets t'auraient certainement rapportés plus que son pénis. » lança la noiraude, toujours souriante, qui rengaina sa dague. Cette affirmation était pourtant vraie malgré son ton sarcastique, si tant est qu'il aurait voulu les partager avec quelqu'un, ce qui était une autre difficulté. « Enfin… c'est trop tard maintenant, puisqu'il est mort. »

La prostituée n'éprouvait sans doute pas plus de tristesse que la drow qui la menaçait. Aucune de ces deux femmes n'étaient attachées à ce bonhomme qui n'était qu'un contact pour l'une, et un client pour l'autre. Cette dernière passera très probablement la prochaine nuit avec quelqu'un d'autre qui paiera la même somme. La Doth'ka que représentait la Drow, même si sa nouvelle amie l'ignorait, savait toujours remplacer ses espions et ses taupes, mais elle veillait soigneusement à punir ceux qui les supprimaient, notamment pour s'assurer que personne ne puisse remonter jusqu'à elle. Et Eiriztraena avait devant elle quelqu'un qui aurait pu l'aider à retrouver l'assassin de son client. Dommage qu'elle ait le sommeil lourd.

« Enfin, quand je dis qu'il est mort, c'est qu'il est mort juste là, en bas. » s'empressa-t-elle d'ajouter, désignant de l'index la porte de la chambre, derrière elle. « Et, tu l'auras compris, il est mort juste après votre sauterie. » conclut-elle en écartant les bras d'un air faussement désolé, les sourcils haussés lui donnant une mine espiègle. « T'es une petite chanceuse, toi, tu sais. Si l'assassin était passé à l'action dans cette chambre, tu aurais probablement chuté tout aussi brutalement du septième ciel. »

La drow laissa échapper un ricanement sournois après cette dernière affirmation, comme si elle espérait réellement susciter la gêne, de la prostituée. La gêne ou autre chose, qui sait. De la peur ? Du degoût ? Peu importe. Cela n'aurait vraisemblablement aucun effet. Cette femme avait l'air plus solide que la moyenne vaanie. Puis, en l'état, Eiriztraena avait certainement autre chose à faire que d'effrayer une prostituée.

« J'imagine que tu vas me chanter le couplet du “je n'ai rien vu ni rien entendu” ? Pas même un type louche avec qui il aurait parlé avant de te sauter, une dispute, un client insistant, une livraison douteuse ? Je sais bien que l'amour rend aveugle, mais tout de même… »

La voyant ranger son arme, je comprends qu'elle ne me fera finalement rien. Elle cherchait mon client, il n'est pas avec moi et elle me croit quand je lui dis que je ne sais pas où il est et que je m'en fous totalement. Alors, restant dans le lit, je me redresse pour attraper ma robe en boule sur la couverture et je la ramène vers moi d'un geste rapide, un peu agacé. J'ai à peine le temps de reposer mes fesses qu'elle m'annonce de but en blanc que le type est mort. Loin de m'arracher une larme, ça m'irrite encore plus et je lâche un jurons. C'est le troisième client régulier que je perds en moins d'un mois. Alors oui, ce n'est pas rare qu'il y ait des morts que je connais dans un quartier pareil et que certains nous permettent de vivre mais là, ça fait beaucoup en peu de temps.

-Ce qu'il aurait eu d'autres à vendre ne me concerne pas. Mon maître ne se séparera jamais de moi même pour tout l'or du monde et il se refuse à tremper dans des affaires louches. Tout ce qui m'intéressait chez lui, c'était l'argent qu'il déboursait pour lui faire tourner la tête et qui me permettait de manger tous les jours. Et aussi la perspective de passer une nuit dans un lit correct de temps en temps.

Oui, c'est très pragmatique de ma part, mais dans ma situation je n'ai pas vraiment la possibilité de faire preuve de sentiments.
Pendant que je parle, je cherche le sens de ma robe. Il l'a pratiquement mise à l'envers en écartant les bretelles pour mettre mes épaules puis ma seins à jour. Et comme le jupon est fendu de partout pour montrer mes jambes et même un peu de mes fesses, des pans de tissus se sont mélangés dans tous les sens et je peine à la remettre correctement. Mon agacement n'aide certainement pas à la tâche non plus...
Pendant ce temps, la drow continue à parler, m'apprenant que le cadavre est juste en bas. Je grimace à l'idée d'avoir dormi pas loin de lui et de devoir passer à côté pour sortir d'ici mais je ne vais pas avoir le choix. Le reste de son discours ne m'atteint pas vraiment.

-C'est censé me faire peur ? J'ai compris depuis que j'ai atterri dans ce quartier pourri que je pourrais finir en dommage collatéral. J'ai pas grand chose à y perdre. Peut-être que chez Tyra, j'aurais enfin la paix au moins.

Je ne souhaite pas la mort, loin de là, mais quand sa propre vie ne vous appartient pas, difficile de ne pas s'être préparé à la perdre un jour. Il suffit d'un rien... Surtout dans les lanternes rouges.
La doebenne finit par m'interroger. Elle veut donc retrouver celui qui a fait ça ? Elle doit avoir ses raisons j'imagine et je ne vais pas chercher à comprendre. Tout ce que je veux, c'est m'en aller. Dans un soupir, j'arrête finalement de me débattre avec ma robe et je lève le nez pour réfléchir. Lorsqu'elle parle d'amour, j'étire un sourire bien malgré moi. J'apprécie le trait d'humour.

-Eh bien... J'ai croisé un type qui est sorti l'air mécontent et pourtant avec un sourire malsain sur la figure. Un peu comme le vôtre tout à l'heure. Je lui fais remarquer afin qu'elle visualise de quel genre d'expression je veux parler. Je n'y ai pas prêté vraiment attention, ce n'était pas mes affaires. Mais Angus était en colère et inquiet en même temps. Quand il m'a vue, il a dit qu'il avait bien besoin que je lui fasse oublier "tout ça". Ce que je n'ai pas manqué de faire.

J'adresse à la sombre une mine amusée mais également emprunte d'un peu d'orgueil. Je suis douée dans mon travail, j'ai été éduquée pour ça et pour y prendre du plaisir moi aussi. On est loin des palaces dans lesquels j'ai pu exercer autrefois mais j'essaie de me satisfaire de ce que j'ai. Je reporte enfin mon attention sur ma robe et, un ajustement plus tard, je me lève pour l'enfiler, sans la moindre honte de montrer toute ma plastique à la drow, et ce jusqu'à la toison blanche qui masque mon entre-cuisse. Tandis que je serre le ruban qui me permet de cintrer ma robe juste sous ma poitrine, je me tourne vers elle.

-Vous avez vu s'il y a une porte arrière ? Je ne voudrais pas qu'on me voit sortir d'ici juste avant qu'on découvre le cadavre.

Son “maître” ? C'est qu'elle était une esclave, alors… aussi étonnant que cela puisse paraître. Ce n'était pas un détail sur lequel Eiriztraena avait cherché à s'éterniser, même si cela expliquait pourquoi elle n'avait qu'une robe banale et pas même une bague au doigt ou un collier au cou. Normalement, les esclaves s'écrasaient devant n'importe qui pour n'importe quel raison, probablement par simple habitude afin d'échapper aux châtiments. Mais cette catin avait beaucoup de répondant pour une femme qui n'était pas maîtresse de sa propre vie. Il y a des coups de fouet qui se perdaient, par moment.

La drow regarda la vaanie se débattre avec sa robe, les bras croisés et le sourire aux lèvres comme si elle regardait une pièce de théâtre comique. Mais quel genre de femme essayait de mettre une robe tout en étant à moitié allongée dans un lit ? Eiriztraena ne saurait dire si elle espérait qu'elle parvienne à l'enfiler ou non, pour peu que cela changerait quelque chose. Étant donné le peu qu'il avait l'air de couvrir, ce “vêtement” ne portait pas très bien son nom. En tout cas, ce n'est pas une eldéenne parfaitement éduquée en la matière qui verrait la différence. Qu'importe. Cela l'amusait de la voir se débattre. Elle l'était beaucoup moins en entendant le nom de “Tyra”. Mauvais Panthéon, très chère. Mais la puysarde demeura silencieuse, ne voulant pas lui donner un indice sur ses origines. Elle n'était jamais trop prudente.

« Hmmm… c'est donc pour ça que tu n'as pas peur de mourir. » commenta Eiriztraena en plissant les yeux et en se frottant le menton, pensive. « Mais, tu sais, dans un quartier “pourri” comme tu dis, il y a certainement pire à craindre que la mort. »

Les Lanternes Rouges n'avaient rien d'un quartier chaleureux, et c'est une agente de la Doth'ka de plus d'un demi-cycle qui parlait là. Mais cette fille devait probablement l'avoir côtoyé pour ne pas ciller devant quelqu'un armé d'un couteau. Comme quoi, même chez les impurs, Kiel veillait au loin. Eiriztraena était trop habituée à lire la terreur dans les yeux des vaanis à la moindre menace qu'elle ne s'encombrait jamais d'un plan machiavélique pour effrayer qui que ce soit. Les plus courageux, les plus déments ou les plus téméraires n'étaient pas impressionnés, mais elle n'était jamais tombée dessus jusqu'à maintenant.

Eiriztraena exécuta exactement le sourire auquel l'esclave fit référence, telle une enfant ravie d'avoir l'opportunité de répéter sa plaisanterie. Elle n'aurait d'ailleurs pas pensé que ses sarcasmes arracheraient le sourire de l'esclave. Pourtant, si elle prenait ses aises, c'est bien parce qu'elle le laissait faire. Elle devait bien admettre que jouer les dures ne feraient que rameuter le quartier, ce dont elle se passerait bien. La sombre demeura perplexe devant la réponse de la prostituée. “Angus” comme elle l'appelait, n'était pourtant pas le nom qu'il utilisait avec la Doth'ka, nom que la membre de cette dernière n'avait pas mentionné. Sa mort n'avait possiblement aucun lien avec cela. Possiblement n'étant pas assez pour la rassurer.

« Je crois que tu as mieux remplie ta mission que tu n'aurais pu l'espérer, vu l'état dans lequel je l'ai retrouvé. » commenta Eiriz', à la fois amusée et désabusée. Angus n'aurait-il pas pu fuir plutôt que de copuler alors qu'il se savait en danger ? Et puis, qui avait-il bien pu irriter au point qu'il se fasse tuer le jour-même de son méfait ? « Tu te souviens de la tête de ce type ? C'était un drow, un humain, un elfe ? À quoi il ressemblait ? Comment il s'habillait ? »

Si elle avait été en mesure de voir son visage, elle devait être en mesure de dire à quoi il ressemblait, même si cela ne l'assurait pas de pouvoir remonter sa piste aisément. La Drow pourrait certainement trouver d'autres indices dans son échoppe, selon le litige qui l'opposait avec son assassin, bien qu'il vaudrait mieux que les deux femmes ne traînent pas ici trop longtemps. L'aube était encore loin, mais n'importe qui pouvait rappliquer à n'importe quel moment. C'est certainement pour cette raison que l'esclave décida de se lever, quitte à dévoiler à la Drow sa nudité sans la moindre once pudeur, pour enfin enfiler sa robe. Eiriztraena la regardait d'un air amusé : le spectacle prenait fin.

« Vu ce qu'il vend, il a probablement une entrée secrète au cas où le Guet ou un concurrent lui chercherait des noises. » répondit Eiriztraena, une fois la prostituée prête à partir. Elle jeta un coup d'œil rapide dans chaque recoin de la chambre. Ce n'était probablement pas ici qu'elle trouverait une porte cachée. « Prévoir une porte de sortie, c'est la base dans ce genre d'activité. Mais, j'espère pour toi que tu n'as pas peur des égouts et autre endroit du genre, parce que c'est probablement la seule chose échappatoire possible, dans ce quartier. »

Eiriztraena n'omit pas de teindre son avertissement d'une certaine ironie. Si elle n'avait pas peur de mourir, elle ne devrait pas avoir peur de se salir, même si elle devait prendre soin de son apparence vue sa profession. Les hommes préféraient les femmes propres, pour la plupart d'entre eux. La Sombre prit les devants, la main sur le pommeau de son épée, et quitta la chambre talonnée par sa nouvelle copine impure, l'emmenant vers la réserve de l'échoppe. Elle ne s'était pas arrêtée longuement ici, plus préoccupée pour chercher un indice sur le meurtrier que pour le reste, d'autant plus que l'assassin n'était venu que pour le tuer.

« C'est probablement ici qu'il a prévu une sortie secrète. Une trappe, une porte dérobée… Je vais retourner à l'entrée pour vérifier que je n'ai rien manqué. » dit Eiriz' en s'éloignant, alors qu'elle s'apprêtait à quitter la pièce, elle se retourna en lui adressant un clin d'œil. « Sers-toi si tu veux, mais traînes pas trop. »

Elle essaie de me faire peur mais elle n'y arrivera pas. Je sais bien tout ce qu'il peut m'arriver ici mais si je devais m'en montrer effrayée, je serais morte d'un ulcère géant depuis longtemps. Je suis peut-être belle et gracieuse mais je n'ai pas le tempérament des nobles dames de Péninsule, douces et fragiles. Pour survivre, il me faut du répondant, ne pas m'attarder sur de petites anicroches pour me relever et aller de l'avant. Sinon cela ferait des années que je serais en train de me morfondre alors que je suis partie de très haut pour tomber bien bas... Parce qu'Angus avait les moyens de me louer pour une nuit entière chez lui mais, le reste du temps, je minaude dans une rue pour me faire trousser en plein air dans celle d'à côté...

J'accueille la remarque de la drow sur mes bons soins comme un compliment et en tire une certaine fierté. Si elle était un homme, je lui aurais bien proposé une démonstration une fois sorti d'ici mais les femmes ne m'intéressent pas. J'ai déjà fait des choses avec mais les sensations sont différentes et il leur manque ce qui me plaît le plus dans les ébats : un pénis.
Désormais vêtue d'une robe des plus affriolantes qui laisse apercevoir le galbe de part et d'autre de mes seins ainsi qu'une bonne partie de mes longues jambes, j'essaie de réfléchir à sa question sur le type que j'ai croisé en arrivant. Je le fais sérieusement car je ne suis pas contre l'idée qu'elle s'occupe de celui qui a refroidi un de mes clients les plus fidèles. J'ai un manque à gagner dans cette affaire...

-Un humain. Trente-cinq ans, je dirais. Les cheveux longs attachés en queue de cheval. Blond doré. Un peu plus petit que moi. Il portait un veston en cuir sur une chemise noire, un peu ouvert sur le devant. Je ne crois pas avoir vu d'arme mais je l'ai juste croisé dans l'ouverture de la porte... S'il en avait une, elle ne devait pas être bien grande.

Une fois de plus, la drow me parle comme si j'allais m'effaroucher à l'idée de marcher dans la crasse. Elle n'a pas vue les rues dans lesquelles je travaille d'habitude. Là où je suis, il n'y a pas d'égouts pour évacuer les saletés des gens du coin... Les allées elles-mêmes sont des égouts à mes yeux. Alors je me contente de lui répondre d'un silence, les mains sur les hanches, haussant légèrement les sourcils l'air de dire : tu me prends pour qui ?
J'attrape mes sandales et je la suis en bas. Quand nous arrivons au bout du couloir, l'odeur de sang agresse mes narines et je porte le dos de ma main à mon nez. Le cadavre est là... C'est étrange de le voir mort alors qu'il y a deux heures encore il était bien vivant entre mes cuisses. Mais je ne verserai pas une larme car je ne suis pas triste et je n'ai pas non plus la nausée... Ce n'est pas le premier mort que je vois. Néanmoins, je suis bien contente d'entrer dans la remise pour remplacer ce parfum morbide par celui de la poussière et du renfermé...

Je hausse les épaules. Prendre quelque chose ? Pour en faire quoi ? Je viens de lui dire que cela ne me rapporterai rien, personnellement. La seule chose que je peux attendre de la vie de manière raisonnable, c'est que mon prochain maître soit plus riche que l'actuel et me ramène dans un quartier plus agréable. Contrairement à d'autres de mes semblables, je ne m'imagine pas libre un jour. C'est trop utopique à mes yeux et je préfère éviter d'être déçue. Alors, si tôt que la drow s'en va, je me mets mes sandale et part à la recherche de l'issue de secours, c'est ma priorité. Je commence par chercher une trappe au sol. Il n'y a pas un tapis donc c'est assez facile de voir qu'il n'y à rien. Je m'attarde sur la lucarne mais elle est trop haute, trop petite et scellée... Alors je cherche la porte dérobée. J'observe les murs attentivement derrière toutes les caisses et les breloques des étagères. Je fais une première fois le tour mais ne trouve rien. Ce n'est sans doute pas une ouverture banale... Il faut que je cherche quelque chose de plus discret. Les murs sont en terre. Tout est uniforme, je dois trouver la faille dans ce décor...
Je fais un second tour, et puis, observant le mur d'en face, quelque chose l'intrigue. Pourquoi y a-t-il deux poutres verticales au beau milieu ? Les seules autres endroits où il y en a dans toute la bâtisse, ce sont dans les angles et... pour les portes !! Je m'avance alors d'un pas rapide. L'étagère installée devant fait justement la dimension pile de cet encadrement. Je la détaille, je tire un peu... Elle est fixée au mur... qui vient avec !!

-J'ai trouvé !

Je suppose que la drow veut sortir aussi discrètement que moi. Elle ne m'a pas tuée... Alors certes, elle pourra sans doute le faire après que je l'ai aidée à retrouver ce type mais à quoi ça lui servirait d'attendre ? Je lui ai déjà dit ce que je savais. Et elle n'a pas cherché à me faire du mal pour me soutirer ces informations. Cela m'incline à lui accorder un soupçon de confiance, ne serait-ce que le temps de sortir d'ici.
Je continue à tirer la lourde étagère vers moi pour dégager un passage suffisant. Puis je regroupe les cheveux et les noue entre eux. J'aurais de toute façon besoin d'un bon bain après ça mais autant ne pas ramasser toute la saleté de cet endroit avec moi...

L'homme que l'esclave décrivait n'était potentiellement pas le meurtrier, mais au moins son commanditaire, sinon un complice plus ou moins lié. Eiriztraena devrait se contenter de cela, sauf si la prostituée lui mentait, mais cela ne lui rapporterait rien, d'autant plus que sa vie pourrait en dépendre. Cela ne valait pas la peine de la sacrifier pour si peu. Quoi qu'il en soit, cette description, plutôt précise au demeurant, ne lui évoquait rien. Il avait l'air d'être un brigand tout ce qu'il y a de plus banal ici-bas. Les humains étaient tous petits par rapport aux elfes, ce qu'était sa camarade d'une nuit, au moins à moitié, ce qui justifiait qu'il puisse être plus petit qu'elle. Ces informations la mèneraient partout, et donc nul part.

Pendant qu'elle laissait cette femme dont elle ne connaissait pas le nom fouiller la réserve, Eiriztraena inspecta l'échoppe pour des raisons plus “personnelles”. Elle éplucha ses documents, tels que son livre de comptes et quelques lettres qui traînaient un peu partout, espérant trouver qui avait décidé de le tuer. L'argent n'était pas le problème, puisque sa caisse n'avait pas été pillée. La Sombre trouva quelques lettres de menaces, qui ont possiblement précédé les visites des hommes de main, mais elles n'étaient évidemment pas signées. Elles semblaient exiger quelque chose d'Angus, sans aucune précision. Cela pouvait être n'importe quoi, mais suffisamment précieux pour qu'il en paie le prix fort de sa vie après avoir été harcelé, et également pour qu'il ne pense pas son assassin capable de passer à l'action et le tuer. La Drow poursuivit ses fouilles minutieuses de la salle, ne trouvant définitivement aucun indice sur le meurtrier de son contact. Les murs étaient grevés de cachettes là et là, mais ne contenaient que peu de choses d'intéressants. Eiriztraena n'y trouva que quelques objets précieux et personnels du commerçant, quelques documents économiques en tout genre, ainsi que des échanges très subtils avec des contacts de tout horizon pour camoufler des activités louches. Elle ne put se contenter que de papiers contenant des adresses ou des noms susceptibles de l'aider, et les conserva, mais tout ceci demeurait bien mince. Lorsque l'esclave trouva une sortie dans la réserve, Eiriztraena opéra un dernier tour de la salle et rejoignit sa nouvelle amie, après avoir vérifié qu'elle n'avait pas foulée la mare de sang.

« Intéressant. » se contenta-t-elle de dire une fois dans la réserve. Cette esclave prostituée était plutôt débrouillarde et futée, Eiriz' devait bien l'admettre. Avec le même profil, nombreuses seraient pouponnes et insupportables à souhait… bien plus qu'elle qui n'avait qu'une petite langue bien pendue et un peu d'ironie, en tout cas. « Tu n'as pas peur des rats non plus, j'imagine ? » lui demanda la Drow, non sans un sourire, alors que l'esclave se faufilait dans le tunnel secret.

Eiriztraena referma la porte de la réserve avant de suivre la vaanie dans le tunnel, dont elle referma également la porte dérobée. Elle avait gardé la bougie sur son chandelier qu'elle avait trouvée par simple réflexe, même si cela camouflait sûrement ses origines puysardes auprès de l'esclave qui n'en avait probablement cure. Elle n'était même pas sûre que les Doebens puissent voir dans le noir comme les Puysards le pouvaient. Ce ne serait que justice envers les impurs que cela soit impossible pour eux, mais les dieux sont parfois malicieux. Cette lumière pouvait donc s'avérer inutile.

Ce tunnel était assez étroit, puisque les deux femmes ne pouvaient avancer côte-à-côte. Ceci étant, il était assez haut, puisqu'Eiriz', du haut de son mètre quatre-vingt six, pouvait se tenir debout sans toucher le plafond. Certaines poutres supportaient des torchières, bien qu'aucune ne flambait pour éclairer ce tunnel, qui n'offrait qu'un seul chemin. Encore une chance, l'esprit d'Eiriztraena vrillerait à l'idée de devoir affronter un nouveau casse-tête. Elle mena donc la marche à travers ce passage dont elle ne connaissait pas l'issue, mais qui était désormais leur seule porte de sortie.

« Au fait. Le type que tu m'as décrit, tu ne l'avais jamais vu auparavant ? » demanda-t-elle, rompant le silence dans ce tunnel dans lequel sa voix résonnait faiblement. « Ni avec l'une de tes copines, avec un autre client, ou même avec ton maître ? » Toute information pouvait lui être utile, et c'est une question qu'elle n'avait pas pensé à lui poser. Qui sait, un détail lui reviendrait peut-être à l'esprit. « Lui, ou même quelqu'un lui ressemblant ou arborant un détail similaire ? »

J'étire un sourire narquois à la drow qui me raille une fois de plus avant de disparaître dans le passage secret. Non, je n'ai pas peur des rats. Je n'ai jamais été malade, pas un rhume ni un herpès de toute ma carrière, alors ce n'est pas aujourd'hui que ça va commencer. Ce ne sont que des souris aussi grosses que moches, ça ne va pas me tuer. Seulement, une fois dans le noir, je suis bien contente de voir que ma... camarade... a pensé à prendre une chandelle sinon j'étais bonne pour y aller à tâtons. Du coup, je me plaque contre le mur de ce tunnel étroit pour la laisser passer devant. Entre la lumière et son arme, il vaut mieux qu'elle prenne la tête.

Alors que nous avançons en terrain inconnu, la sombre m'interroge encore. Elle n'avait pas fini ? Je réfléchis néanmoins, autant au visage de ce gars qu'à sa tenue. J'y cherche un détail que je pourrais retrouver dans ma mémoire.

-Se souvenir des noms et des visages, ça fait partie de mon travail. Si je l'avais déjà vu, je saurais te dire où et peut-être même comment il s'appelle. Mais lui, il ne me dit rien. Sa tenue non plus. C'la dit, je peux me renseigner.

Finalement, le tunnel se poursuit mais une porte se présente à nous sur le mur à notre gauche et nous serions idiots de ne pas la tenter. Cependant, à peine la drow essaie de la pousser qu'elle semble bloquée par quelque chose. Et pendant que nous marquons cette courte pause, j'arrive enfin à réfléchir un peu plus calmement.

-Il s'attendait probablement à ce que je me fasse arrêter à sa place et personne n'aurait cru à mon innocence même si je n'aurais eu aucun intérêt à ce qu'un de mes meilleurs clients meurt. Mais personne ne saura que j'étais là et j'ai vu son visage. Si c'est lui qui a tué Angus, il va s'en prendre à moi pour s'assurer que je me taise. Et j'ai un physique nettement moins commun que le sien. Il m'aura trouvée avant que je le trouve. Je n'ai pas peur de mourir mais je préfère autant l'éviter quand c'est possible.

Un coup de dague est vite arrivé, surtout dans ce quartier. Dans cette ville. Dans ce pays... Je pourrais ne plus respirer demain, je le sais, mais là, j'ai une issue de secours. Elle se tient devant moi et ce n'est pas cette fichue porte...

-Si tu assurais mes arrières, tu aurais ton gars et moi la vie sauve. Ça me semble un bon compromis, non ?

Le tunnel s'avéra plus long que la Drow ne l'aurait pensé. Long et monotone, d'ailleurs. La plupart des brigands de ce bas-monde s'organisait une ville sous terre, ou au moins un réseau finement pensé pour pouvoir se mouvoir dans toute la ville sans être vu ou entendu. En l'occurence, le tunnel d'Angus n'était connecté à aucun réseau. Il n'était qu'une simple échappatoire discrète prévue pour contrer le Guet ou n'importe quel concurrent. Nul doute qu'une fois dehors, il aurait su trouver un refuge dans lequel se faire oublier. Un commerçant comme celui-là avait forcément des contacts prêts à l'aider.

Eiriztraena avait le regard rivé devant elle, comme si elle s'attendait à tout moment à une embuscade. Elle ne se préoccupait pas trop de la situation de la vaanie qui la talonnait et à qui elle posait ses questions, d'autant plus que le fait qu'elle n'ait jamais vu le potentiel assassin de son client auparavant ne l'arrangeait pas vraiment. Au moins, les deux femmes avaient un point commun professionnel : ne jamais oublier un nom ou un visage faisait partie de leur travail… très certainement pour des raisons différentes. La seule fois durant laquelle la Drow regarda par dessus ses épaules, elle remarqua qu'effectivement, l'esclave n'avait pas particulièrement peur de vagabonder au milieu des rats et des cafards. Et pourtant, elle ne portait que de vulgaires sandales.

Pensive, Eiriz' ne savait pas vraiment si l'esclave pouvait réellement “se renseigner”. Elle garda donc le silence jusqu'à ce qu'elles trouvent une première porte, bien que le tunnel ne semblait s'arrêter là. Mais, en réalité, celle-ci était bloquée de l'autre côté. Aucune visière ne semblait laisser penser qu'un gardien se trouvait derrière pour vérifier qui frappait avant de vouloir entrer. Les deux femmes étaient donc condamnées à continuer dans ce tunnel. Pourtant, lorsque la vaanie fit part de ses refléxions, Eiriztraena se retourna complètement vers elle pour l'écouter.

« Le Guet ne s'encombre jamais d'une enquête quand ils ont le parfait suspect devant eux. » acquiesça-t-elle, ses yeux rouges vifs ne se détournant pas des yeux dorés de son interlocutrice. Elle avait raison sur toute la ligne. L'assassin saura que le Guet n'aura aucun suspect, et il devra rapidement réagir. La drow ne put retenir un sourire dévoilant toutes ses dents sur son visage noir lorsqu'elle l'entendit évoquer à nouveau sa volonté de vivre et son absence de crainte de la mort. « En plus, s'il a un peu de jugeote, il aura deviné à ta tenue ce que tu étais venue faire là. » souligna-t-elle en la scrutant de la tête aux pieds.

Eiriztraena plissa les yeux d'un air malicieux devant la proposition de la vaanie. En temps normal, elle se serait demandée où était le piège, mais ce n'est pas un esclave qui pouvait se permettre de pareilles embûches. Elle n'avait, d'ailleurs, pas vérifié si elle était réellement une esclave, et ne voyait aucune marque sur ses jambes ou ses bras. Mais, comme elle était utilisée pour sa plastique, il était probable que sa marque soit cachée pour ne pas l'enlaidir. De plus, il fallait éviter les sensations désagréables pour un homme en chaleur qui laisse traîner ses mains, sa bouche et parfois même son entre-jambe un peu partout sur le corps d'une femme. De ce qu'Eiriz savait, seuls les eldéens appréciaient ce genre de scarifications sur le corps, et ce n'est probablement pas eux qui couchaient avec elle.

« Une prostituée qui a besoin d'une garde du corps, qui l'eût cru. » la taquina finalement la drow, après quelques secondes d'hésitation. De toute manière, si cette esclave lui tendait un piège, elle saurait comment la châtier, et elle pourrait alors lui prouver qu'il y a pire que la mort dans ce bas monde. « Enfin… en soi, je n'ai pas beaucoup d'autres solutions. »

Faute d'informations et de pistes solides, Eiriztraena devait se rendre à l'évidence : retrouver l'assassin lui prendrait un temps fou si elle agissait seule. Elle avait devant elle le parfait appât, même si la drow devra se dégoter un moyen de se cacher, afin de ne pas s'éloigner. Il valait mieux qu'elle puisse garder un œil sur sa nouvelle amie jusqu'à ce qu'elle soit hors de danger. Elle ne savait pas encore comment procéder, mais, pour l'heure, ce n'est pas ce qui importait, pour le moment.

« Sortons de là, et nous verrons plus tard pour la suite. » conclut Eiriz' avant de tourner les talons et reprendre la marche à travers le tunnel.

Oui, cet homme, qui qu'il soit, aura tôt fait de me trouver. Mon métier est facile à deviner et mon apparence est hors norme. Une catin à la peau marron, aux cheveux blancs et aux yeux d'or... Il suffit de poser quelques questions aux bonnes personnes et il obtient le nom de mon maître en plus du mien et du quartier où je prospecte habituellement. Durant les deux prochaines nuits, tous mes clients seront suspects... Il ne lui faudra pas plus de temps pour me trouver. Alors oui, j'ai besoin d'elle si je veux sauver ma peau parce qu'il ne se contentera pas d'une promesse de ma part. Cependant, je prends la taquinerie de la sombre avec humour, une main posée sur la hanche et un sourire en coin.

-Tu plaisantes mais j'en ai eu un. A l'époque où je travaillais pour les gens fortunés d'Uldal'Rhiz. J'étais vêtue de soie et parée de bijoux. Rien à voir avec cette guenille qui me couvre à peine et qui menace de s'envoler au moindre coup de vent. Dis-je, sincère et amusée en même temps.

Elle comprendra peut-être pourquoi je parlais de quartier pourri tout à l'heure. Ce n'est pas dans ce bouge que j'ai grandi. Même en étant esclave, j'ai été habituée à une autre vie que celle-là. Cependant, ma condition fait que je suis aussi accoutumée à la fatalité. Je ne suis pas maîtresse de ma propre vie alors je fais avec ce qui vient... tout en essayant de garder la tête haute : Ce n'est pas parce que je ne m'appartiens pas que je dois perdre toute fierté.

Quelques dizaines de mètres plus loin, une nouvelle porte se présente. Cette fois, elle bouge avant de se retrouver bloquer par quelques cagettes de légumes empilées. En dehors de ça, tout à l'air calme dans la pièce alors je l'aide à pousser pour tenter de dégager le passage. Nous y parvenons et nous retrouvons dans un garde-manger et tous ses aliments frais parfument la pièce. On se croirait presque au marché, c'est agréable. L'endroit a deux issues officielles dont une qui sert probablement d'accès pour les livraisons et qui donne donc directement sur la rue arrière mais elle est fermée par un cadenas.

-Tu saurais t'en débarrasser ? Je demande en montrant l'objet de mes inquiétudes.

Je chuchote car cet endroit semble visiblement utilisé. Ce n'est peut-être qu'une taverne et pas une auberge mais, dans les deux cas, le propriétaire habite sans doute sur place pour une question de gain de temps. Ces gens-là se couchent tard pour se lever aux aurores...

-C'est soit ça, soit on traverse le bâtiment en priant pour ne croiser personne et pour que la clef de l'entrée soit à portée de main. Je marque une pause. Ou on retente notre chance dans le tunnel...

C'est aussi s'exposer au risque de ne pas trouver de sortie avant un moment ou qu'elle soit de nouveau bloquée mais c'est une possibilité qu'il ne faut pas écarter si jamais nous nous retrouvons coincées avec cette sortie-ci... Même si je n'ai pas forcément l'air convaincue mais ma camarade est plus habituée que moi à ce genre de situations donc elle sera meilleure juge.

Le passage secret s'étendait toujours plus loin ; les deux femmes parcourent de nombreux mètres avant de trouver une nouvelle et dernière issue. Il s'agissait d'un trou dans un mur comblé par des caisses de légumes. En se frayant un passage, Eiriztraena comprit rapidement que cette pièce était un garde-manger, probablement celui d'une auberge. Quelques charcuteries étaient suspendues depuis le plafond, et d'autres cagettes de fruits et légumes étaient dispersées dans cette pièce. Bien entendu, un passage secret dans une telle pièce était des plus logiques : il était loin du public indiscret, même s'il n'était pas le mieux caché du monde. La pièce est grevée de deux portes : l'une menant au reste du bâtiment, l'autre vers la rue. Dans un cas comme dans l'autre, la Sombre ne savait pas s'il y avait des gardes autour ou même dans le bâtiment.

L'aube n'était probablement plus si lointaine, désormais. L'heure était déjà tardive lorsqu'Eiriztraena était venue voir son contact, et elle avait passé un certain temps à fouiller son échoppe, à interroger la vaanie qui l'accompagnait, et pour finalement l'escorter dans un long tunnel. À travers les interstices de la porte non-verrouillée, la drow ne voyait aucune lumière s'échapper, mais le cadenas n'était évidemment pas un problème pour une agente secrète formée à s'infiltrer absolument partout.

« Pour qui tu me prends ? Hein ? » rétorqua-t-elle, également à mi-voix, à l'esclave vaanie qui lui avait demandé si elle pouvait déverrouiller le cadenas. « Pour une vulgaire brigande ? Tu me brises le cœur. » rajouta-t-elle avec ironie, dans une fausse moue de tristesse.

Eiriz' donna le chandelier à l'esclave prostituée et s'empara de ses outils de crochetage dont elle se serait servie un peu plus tôt, si la porte de l'échoppe d'Angus n'était pas déjà ouverte à son arrivée. Elle posa un genou à terre, et infiltra ses crochets dans la serrure. Au bout de quelques mouvements lestes pour trouver la faille du mécanisme, elle parvint sans difficulté à déverrouiller le cadenas des plus banals. La Drow entrouvrit très doucement la porte, vérifiant qu'aucun garde ne surveillait le passage, ou même qu'il n'y avait pas trop de riverains. Fort heureusement, les rues étaient encore désertes. Prudemment, elle ouvrit la porte pour passer la tête, sans pour autant trouver qui que ce soit du regard. Aucune lumière ne jaillissait des fenêtres ; le quartier était encore pris dans sa torpeur. Plus tôt les deux femmes rejoindraient la rue, plus tôt elles pourraient s'assurer de ne pas passer pour des évadés de prison ou des témoins malencontreux d'un meurtre.

« Il n'y a personne, on peut y aller. » fit Eiriz', se retournant vers la vaanie, lui ouvrant le passage pour qu'elle sorte la première. La drow la suivit, refermant la porte derrière elle, bien que le propriétaire des lieux se doutera bien que son cadenas a été forcé. Sauf s'il est assez étourdi pour penser qu'il avait oublié de verrouiller sa porte arrière. « Bon, ça va. Il n'est pas aussi tard que je ne le croyais. Mais tout de même… » dit-elle une fois dehors, les yeux vers le ciel.

Cela signifiait qu'elles avaient encore un peu de temps avant la levée du soleil mais qu'il vaudrait mieux se presser. À en croire l'architecture du coin, elles n'avaient pas quitté les Lanternes Rouges. Les rues étroites et les façades des bâtiments étaient miteuses, sales, et l'atmosphère était de celles que l'on voulait fuir à tout jamais. À cette heure-là, même les brigands et les personnes louches en tout genre ne traînaient plus dans les rues, et Eiriz' ainsi que sa nouvelle amie feraient mieux d'en faire de même, d'autant plus que cette dernière avait un maître à satisfaire.

« J'imagine que tu travailles aussi dans un bordel où tu peux te reposer ? Ou quelque chose du genre. » demanda-t-elle, en se retournant vers la vaanie. Elle étira un sourire grimaçant, comme si elle craignait la suite des évènements. « Je risque d'avoir besoin d'une chambre si tu veux que je garde un œil sur toi. »

J'étire un sourire amusé à la réponse de la sombre. Finalement, elle ne me paraît plus aussi hautaine et rêche de tout à l'heure. Je l'aime bien. J'entre d'ailleurs dans son petit jeu avant d'entreprendre de remettre les caisses en place le temps qu'elle s'occupe de ce cadenas.

-Ow... Tu m'en vois désolée. Tu veux un bisou sur le front ?

J'ai adopté un faux air contrit avant de me montrer amusée par notre échange. Je n'attends aucune réponse de sa part, cela fait partie de la plaisanterie évidemment. J'ai à peine de temps de dissimuler le passage secret que la drow met le nez dehors pour s'assurer que la voie est libre. Je file à l'extérieur dès qu'elle me donne le signal et nous nous éloignons pour ensuite marcher comme si de rien n'était. Mine de rien, je suis bien contente de voir le ciel, même si la nuit d'automne est à la fois fraîche et humide et que je suis pratiquement nue et en sandale. M'enfin...
A la requête de la doebenne, je suis bien obligée de lui donner quelques informations supplémentaires sur moi. Elle va pouvoir constater à quel point ma déchéance a été grande et brutale. Il n'y a aucune gêne ni honte dans mon attitude ou ma voix, je reste sur le même ton que tout à l'heure. Je ne peux rien changer à ma situation et je ne suis pas du genre à m'apitoyer. En revanche, j'ai une solution à lui proposer.

-Hum... Je me repose... dans une cave, sous la maison de mon maître. Et je travaille dans la rue. Il a perdu sa maison close il y a une douzaine d'années, il se fait vieux et fait n'importe quoi. Et plus les années passent, pire c'est. Néanmoins, je travaille au pied d'une auberge avec laquelle mon propriétaire a un accord. Si un client veut une chambre, on l'emmène à l'intérieur. Mais plus de la moitié n'ont pas les moyens et on se sert d'une rue adjacente. De toute façon, pour la qualité de leur prestation, ça ne mérite pas plus...

J'aime le sexe quand il est bien fait. Autrement dit, mon travail me plaît plus ou moins en fonction de mes clients. Alors autant dire que je ne cache ni ma frustration ni ma lassitude de devoir me contenter d'ouvrir les cuisses pour tous ces mous de la saucisse que l'alcool a rendu impuissants depuis longtemps.

-Tu dois pouvoir prendre une chambre qui donne à la fois sur la façade où je fais le planton et une des deux ruelles où je peux m'isoler. J'ai quelques habitués qui viennent souvent, pour les autres, on peut convenir d'un signe si je ne les connais pas et un en particulier si j'ai un sérieux doute. De toute façon, j'imagine qu'un assassin ne me ferait pas monter dans une chambre, il aurait plus facile de s'en prendre à moi dans la ruelle pour disparaître en passant par l'arrière du bâtiment.

Je suis très détachée en disant tout ça. Je sais bien que je suis en train d'évoquer mon propre meurtre mais cela fait partie des aléas de la vie, particulièrement pour quelqu'un dans ma position. Et puis, elle est là pour veiller sur moi, non ? Tout en marchant, je la guide vers ladite auberge. De toute façon, pour l'instant je ne risque rien. Il faut d'abord que le cadavre soit trouvé par un client matinal puis que le Guet vienne puis que le type comprenne que j'étais déjà partie avant qu'ils n'arrivent... Je ne suis pas encore menacée.

-Au fait. Si jamais j'ai des ennuis, comment je suis censé t'appeler ? Je doute que tu apprécies que je te siffle.

Je plisse les yeux d'un air sarcastique. Nous échangeons, nous échafaudons un plan, voire nous sympathisons depuis tout à l'heure, mais je ne saurais pas comment la héler si d'aventure j'avais besoin d'attirer son attention. J'imagine qu'elle ne me donnera pas son vrai nom mais peu importe du moment qu'elle y répond.

Eiriztraena ne put masquer sa surprise, ou au moins son incompréhension, en écoutant le récit de la prostituée qui lui racontait ses journées de travail. Normalement, les femmes les plus exotiques, les plus rares, et donc souvent les plus belles, étaient extrêmement prisées des établissements huppés, qui en profitaient pour vendre leur corps à prix d'or aux hommes riches ayant certains fantasmes à réaliser. Il était normalement encore plus facile de s'en saisir lorsque ces femmes étaient des esclaves. Or, là, la Sombre avait affaire à une prostituée contrainte de se trémousser au milieu des vulgaires câtins laides et malades. La société humaine était définitivement inférieure.

« Tu es sûre que ce n'est pas parce que tu n'es pas assez farouche et féline ? » la taquina Eiriz' sur la qualité des prestations, comme elle disait. Bien entendu, la vaanie pourrait saisir l'ironie. Dans un quartier comme celui-ci, les hommes venaient juste tirer leur coup et repartaient. Ce n'est pas aux Lanternes Rouges que l'on pouvait laisser libre court à ses fantaisies, bien malheureusement. Donc elle n'était pas réellement surprise d'entendre que la vaanie ne prenait pas son pied. « J'espère au moins que cette auberge est confortable. »

Un espoir plutôt mince, vraisemblablement. Quoique si certains avaient les moyens de payer la pute mais pas la chambre, c'est qu'elle pouvait être assez confortable pour exiger un tarif plus ou moins élevé. Dans tous les cas, il était préférable qu'Eiriztraena se trouve un endroit duquel elle pourrait surveiller l'esclave vaanie à distance. Et s'accorder sur un signal pour qu'elle prévienne la drow était nécessaire, parce qu'elle devra réagir vite lorsque l'assassin s'isolera avec sa cible. Cette dernière était en sécurité pour les deux prochains jours, à peu près. Cela laissait du temps à l'agente secrète de tâter le terrain, évaluer les échappatoires, ou encore trouver la position la plus adaptée pour guetter les mouvements de la prostituée, et surtout voir comment son travail se déroulait. Ces informations lui seront très utiles le moment venu.

« C'est vrai que vu l'état des ruelles, il peut être facile de tuer et cacher un cadavre, mais il suffit d'un potentiel témoin occulaire pour qu'il se désiste. Un brigand, une autre catin, ou même un trafiquant. » répondit Eiriz' aux hypothèses émises par sa compagne de promenade. L'assassin méthodique qu'elle était avait trop tendance à penser que tout assassin l'était, mais éviter les témoins était, tout de même, une règle de base. « Un signe, oui, mais il faudra mieux un signe visuel, et quelque chose qui n'alertera pas le client. »

Un sifflement, un fredonnement ou même une chanson pouvait effectivement troubler un homme juste venu copuler avec une prostituée. Et, dans ce même cas de figure, l'assassin qui venait la tuer se douterait encore plus que quelque chose clochait. D'autant plus qu'elle devrait le formuler d'une voix assez forte pour que sa garde du corps l'entende. Ainsi, il fallait un signe discret, mais pas trop pour que la Drow puisse le voir de là où elle sera positionnée. Pendant leur marche, elle se mit donc à réfléchir à quelque chose qui pourrait clairement l'aiguiller, être simple à retenir, et surtout facile à réaliser. Et, la vaanie n'avait pas tort de penser à un moyen de l'appeler à l'aide au cas où les choses s'envenimeraient d'une quelconque manière imprévue.

« Tu ne fais pas confiance en mon jugement, alors ? » la railla pourtant Eiriz', ne retenant pas un sourire, cette fois-ci. Décidément, cette vaanie se méfiait bien trop de sa protectrice de quelques jours. Ne craignait-elle pas de blesser l'égo de la drow ? « Mais, si tu te sens en danger, un cri suffira, mais tu peux aviser selon la situation. En revanche, j'ai peut-être une idée de code qui peut marcher. » ajouta-t-elle, les yeux plissés sur sa robe si peu habillée, évaluant le vêtement alors qu'elle l'avait déjà fait lorsqu'elle l'avait enfilée. « Tu m'as dit que tu auras trois types de clients prochainement, à peu près : les habitués, les inconnus, et notre copain. Comme je t'aurai en vue quand ils viendront te voir, je pense qu'ils ne verront rien si tu t'amuses avec ta robe. Soit avec les bretelles, soit avec les rubans. Par exemple, si tu vois un habitué, tu peux retirer les deux bretelles ; si tu vois un inconnu mais que tu ne penses pas que ce soit l'assassin, tu peux en retirer qu'une seule ; et si tu vois notre homme, ou si tu penses que c'est lui, tu peux garder les deux. Tu vois ? Quelque chose comme ça, quoi… »

Les pans de sa robe multicolore pouvaient également permettre de jouer sur un code couleur, mais ce serait certainement moins discret. Mais, comme elle ne cessait de se vanter d'être un excellent coup, elle devait très probablement être une bonne séductrice. Nul doute, alors, qu'elle pouvait jouer de ses charmes pour que le type en face n'y voit que du feu, si elle était si douée que ça. C'était évidemment pour cela que la Drow avait proposé de ne pas le faire avec l'homme qui viendrait pour la tuer : il n'y verrait pas que du feu, et ne serait donc pas séduit, puisqu'il ne viendrait pas pour le sexe. En tout cas, les choses seraient éminemment plus faciles pour les deux si l'homme qui viendra la voir est le même que celui qu'elle avait vu avant la mort d'Angus. Mais, le meurtrier est peut-être plus malin, et pourra préférer envoyer un de ses copains pour faire le sale boulot, si tant est que ce soit possible pour lui.

« Tiens, je pense à ça. Tu n'as pas de clients qui te proposent de venir chez eux ? » demanda finalement Eiriztraena, qui repensait au fait qu'elle était chez son client, cette nuit-là. Du moins jusqu'à ce que quelqu'un la trouve et la réveille pour s'enfuir avec. « Dans ce cas là aussi, il vaudra mieux que je te suive, j'imagine. » et qu'elle prévoit donc de quoi la prendre en filature, si besoin est. Mais elle n'avait pas besoin de connaître tous les détails des compétences de la Garde Silencieuse de la Doth'ka.

Je fais une grimace à la drow alors qu'elle me cherche en sous-entendant que le problème de virilité de mes clients viendrait de moi. Evidemment, je n'en crois pas un mot. Ces types sont d'un tel savoir vivre qu'ils bavent presque en me voyant. Ils n'auraient sans doute jamais pensé avoir un jour la chance de baiser une femme comme moi alors ils en profitent et donnent tout ce qu'ils ont en croyant que cela me plaît mais ils sont bien loin du compte... Ce sont de vrais manches...

-Tout dépend ton niveau d'exigence. Ce sont les Lanternes rouges, je te rappelle.

J'ai connu tellement mieux... Ne serait-ce que le bordel d'André, avant qu'il ne le vende bêtement. L'auberge devant laquelle je travaille est propre et les meubles tiennent debout. Mon maître s'est au moins assuré que l'on ne risquait pas de se faire mordre par un rat en faisant notre travail... Ce sont les seules qualités que l'on puisse lui trouver.
La doebenne réagit différemment de ce que je pensais à ma dernière question. Il y a visiblement une méprise alors je la corrige sur un ton toujours aussi léger.

-Je doute pas de ton efficacité, je te demande ton nom, nigaude. Même un faux, je m'en fiche mais tout est préférable à "hey, toi, avec tes larmes acérées". Et pour t'éviter d'avoir à m'appeler "la catin", moi c'est Yssabel.

Je n'ai aucun intérêt à lui donner un faux nom, d'autant qu'il lui serait facile de trouver le vrai. Suivant ses capacités à remonter les informations, elle pourrait même retrouver le surnom que j'avais à Uldal'Rhiz il y a vingt ans et qui ne m'a pas suivi jusqu'à Thaar. Il faut dire que ma clientèle actuelle se moque bien de savoir comment je m'appelle, alors que ferais-je d'un pseudonyme ?... Ici, il n'y a pas de séduction ni le moindre jeu. Quelques baisers, un sein dévoilé, un jupon écarté, quelques coups de bassin et c'est terminé. Alors quel intérêt de pouvoir m'appeler ?
La question de la sombre me laisse songeuse car elle est loin d'être idiote.

-Ça peut arriver, il faut juste qu'il se mette d'accord avec mon maître avant. Il passe plusieurs fois par jour pour qu'on ne reste pas avec notre recette dans les poches et la mettre à l'abri. Et maintenant que tu le dis... Il a tout intérêt à procéder comme ça pour être discret... Il n'aura qu'à faire croire que je ne suis jamais arrivée après m'avoir fait disparaître.

Là, je ne plaisante plus. Même s'il est vrai que ma nouvelle amie peut parfaitement me laisser tomber au moment où une lame se poserait sur ma gorge dans la ruelle, c'est encore plus probable dans la maison d'un autre. L'essentiel pour elle, c'est de trouver son homme. Si j'entre dans la bâtisse mais n'en ressors jamais, elle aura sa réponse. Pourquoi prendre la peine de me sauver ? Elle n'a aucun intérêt à prendre ce risque pour moi. Et la vie ne m'a pas appris à faire confiance aussi facilement. Après tout, je ne connais pas cette femme.
Dans une rue délabrée, au sol mal entretenu que la moindre pluie rend boueux, au milieu des relents de vomi et autres fluides corporels, un bâtiment semble se détacher des autres. Une lanterne est allumée, comme si elle avait brûlée toute la nuit pour attirer l'attention des badauds en quête d'un refuse.

-C'est là. Je dois rentrer, dormir quelques heures. Je reprends du service en début de soirée. Mets un mouchoir à ta fenêtre pour que je sache où me poster pour que tu me vois. Et si je dois me rendre directement chez un client, je viendrai t'avertir.

Juste avant qu'elle ne s'en aille, je la retiens. Par le nom qu'elle m'aura donné ou par un simple "Attends" si elle a refusé de m'en donner un.

-Sans parler de compétences, qu'est-ce qui me dit que tu ne le laisseras pas me tuer pour profiter de ce bref instant où il se croira à l'abri de toute menace pour t'en prendre à lui ? Dans ce monde, on n'a jamais rien sans contre-partie et je n'ai pas vraiment de valeur à tes yeux. Comment je peux m'assurer que tu m'aideras, même dans la maison de ce type ?

Il y a bien un prix que je dois pouvoir payer. Ne serait-ce qu'en lui rendant des services. Je ne suis peut-être qu'une esclave mais mon métier peut lui servir. Si je lui suis utile, alors elle aura de bonnes raisons de vouloir me garder en vie. Dans le cas contraire, je serais dépendante de son humeur du moment. Dans tous las cas, je n'ai pas d'autres choix que de tenter ma chance avec elle car cet homme me tuera dès qu'il m'aura trouvée mais si je peux mettre toutes les chances de mon côté pour sauver ma peau...
Comme je le lui ai dit, je n'ai pas peur de la mort mais si je peux l'éviter...

Un nom… Quelle notion farfelue pour une agente secrète qui a appris à s'en séparer dès que cela s'avérait nécessaire. Bien entendu, Eiriztraena n'avait pas abandonné son nom pour autant. Elle lui était encore utile au sein des Renseignements, mais aussi au sein de sa propre famille puisqu'il n'était pas d'une moindre importance à ses yeux. Dès lors qu'elle sortait des quartiers de la Doth'ka, elle n'était quasimment plus Eiriztraena. Elle n'était qu'une ombre sans nom chargée de tuer sa cible, elle n'avait donc pas besoin de s'encombrer d'un nom, même un faux. Lorsqu'elle devait collaborer, même avec un puysard, elle n'avait pas nécessairement besoin d'en donner un. Et il était hors de question de donner son vrai nom à qui que ce soit. Finalement, connaître le prénom d'Yssabel, pour peu qu'il soit le vrai, brisait l'exotisme qu'elle dégageait malgré tout. Comme quoi, des fois, il valait mieux s'en passer.

« Si tu tiens tant à ça, tu peux m'appeler Liya. » répondit-t-elle, se demandant s'il avait une once de crédibilité. Tant pis, cela valait mieux que rien, et il fallait bien qu'elle lui donne de quoi se satisfaire. « Mais, tu sais, les noms affectueux c'est pas mal aussi. Tu sais les trucs du genre “ma douce”, “ma jolie”, “mon amie”… »

Eiriz' ne retint pas un rictus, tant parce qu'elle était ironique que parce qu'elle expérimenterait bien ce genre de surnoms entre elles. Juste pour voir ce que ça donne. Cela changerait des faux noms improvisés, d'autant plus que la Sombre serait bien capable d'oublier rapidement celui qu'elle venait de lui donner. Il était plus facile d'endosser un nom lorsque l'on endossait un rôle, comme c'était le cas quand un agent était déployé sous couverture. En l'occurrence, ce n'était pas vraiment le cas.

« Exactement. Après, cela lui coûtera de l'argent, sauf s'il pinaillera pour le récupérer. Et je ne sais pas s'il a cet argent à perdre ou non. » supposa la Drow, face à la réfléxion d'Yssabel qui n'était pas dénuée de logique. « Nous verrons bien. Il vaudra mieux que nous ne soyons pas prises de court. »

C'était le problème lorsque l'on ne savait pas à qui on avait affaire, entre une bande de brutes idiotes ou un gang riche et puissant, pour peu que ce type faisait partie d'un groupe. Si jamais la vaanie devait rejoindre une adresse précise, il n'était pas impossible que ce soit dans un coupe-gorge aussi bien organisé que puissant. Après tout, quitte à commander une prostituée, autant l'amener à l'endroit le plus sûr possible. Le type s'était viandé une fois, il ne comptait certainement pas récidiver.

Finalement, les deux femmes arrivèrent chez Yssabel, ou tout du moins à l'endroit dans lequel elle vivait. Chez son maître en définitive. Un taudis au milieu des taudis, dans un quartier sale, délabré, abandonné à la démence, à l'instar de tant d'autres endroit de l'Itri'Vaan. Eiriz' ne s'était pas attendu à mieux pour une esclave des Lanternes Rouges, de toute façon. Comment ne pas ressentir l'envie d'en finir avec la vie à force de vivre dans un endroit aussi détestable ? Force était d'admettre qu'Yssabel était bien plus résiliente qu'elle pouvait en avoir l'air.

« Ça me laisse une journée pour me préparer alors. Très bien. Je mettrai surement plusieurs mouchoirs, car je prendrai probablement une chambre aux étages. Si jamais il vient en personne, il vaudra mieux qu'il ne suspecte aucune menace. »

Une journée, cela pourrait s'avérer trop court selon la puissance des ennemis. Malgré tout, Eiriztraena préférait jouer la prudence. Si l'ennemi était réactif, il y avait des chances pour qu'elle soit en danger dès demain. Et elle était son meilleur moyen d'attraper les assassins d'Angus, et ainsi donc toucher du doigt un semblant de vengeance car ce contact lui était sacrément utile. Alors qu'elle s'apprêta à s'en aller, Eiriz' fut retenue par son amie. C'est qu'elle voulait une garantie, en plus ? Décidément, elle avait du cran pour une esclave. Elle n'était même pas libre de signer un contrat, et voilà qu'elle réclamait un semblant d'égalité vis-à-vis d'Eiriztraena.

« Et la confiance, alors ? C'est là tout le crédit que tu accordes à ta meilleure amie ? » chouina la drow, un sourire à la fois triste et amusé se dessinant sur son visage. Elle fit une légère moue capricieuse, comme si elle était blessée par ses paroles. « Mais, tu m'as l'air trop maligne pour que je t'affabule de vaines promesses. Alors, je ne m'abaisserai pas à ce niveau. » admit-elle, reprenant son sérieux. « Quoi qu'il en soit, que tu n'aies pas de réelle valeur ne me donne pas plus de raisons de te laisser mourir. Et, s'il t'amène chez lui, ce n'est pas toi qui perturbera le sentiment de sécurité qu'il ressentira, morte ou vive. Mais, si tu veux, je pourrais te donner un surin facile à cacher dans les vêtements ou même dans les cheveux pour te défendre. Je ne peux pas t'offrir plus satisfaisant, malheureusement. »

Là, j'avoue qu'elle m'a prise de court... Elle veut que je l'appelle... "mon amie" ? Elle l'entend au sens propre ou c'est seulement une façon de parler ? Et puis, qui sait d'où elle vient et ce que cette expression peut bien vouloir dire pour elle. Dans le doute, je préfère ne pas le prendre trop au sérieux, du moins pour le moment.

A ma demande de garantie, offrant même de me rendre utile à ses yeux, la sombre réagit d'une façon qui, cette fois, laisse planer un doute. Je sais qu'elle dit ça sur le ton de la plaisanterie mais j'ai l'impression de l'avoir légèrement vexée quand même, non ? Elle ne peut pas me reprocher de ne pas lui faire aveuglément confiance. Elle-même n'a-t-elle pas encore un semblant d'incertitudes me concernant ? Nous évoluons dans des sphères très différentes, cependant nous avons un moins commun : nous n'accordons pas notre confiance au premier venu. Il faut la gagner, durement. Moi-même, je ne la donne qu'à celles qui sont dans la même galère que moi, à moins qu'elles n'appartiennent à un autre qui a des vues sur le territoire de mon maître... Là, c'est chacun pour soi.

La réponse de la doebenne me laisse perplexe et hésitante. Là où j'aurais pensé que ma vie n'aurait pas la moindre importance pour elle, elle tourne la chose totalement différemment. C'est ma mort qui n'a aucun intérêt à ses yeux... Je reste silencieuse un petit moment, la regardant comme si je cherchais à sonder ses véritables pensées, moins méfiante mais pas encore véritablement convaincue. Je suis bien placée pour savoir qu'entre les mots et les actes, il y a un monde et il est parfois immense... Même si, d'habitude, le sujet tourne plutôt autour des performances d'un étalon qui se vante avant de me décevoir.

-Nous verrons ça alors. A plus tard.

Je m'éloigne, mais dans une toute autre direction. Je ne vis pas à l'auberge, mon maître à une maison. Elle est toute petite et la cave dans laquelle je loge avec mes comparse sent le renfermé et la poussière mais au moins j'y suis à l'abri. Pour l'instant, cet homme ignore que je ne suis plus dans le lit d'Angus et que le Guet va partir à la recherche du responsable de sa mort. Donc je ne crains rien. A partir de demain, ce sera une autre paire de manche...

~~~~~~~~~~~

Le soir venu, alors que la nuit tombe, on frappe à la porte de la chambre de la drow. Elle ne s'ouvrira non pas sur l'exotique prostituée mais sur une jeune humaine faiblement vêtue qui écarquillera de grands yeux en voyant la peau noire et les yeux rouges de la personne qui se tient de l'autre côté.

-Vous êtes... l'amie d'Yssa ? Je veux dire, Yssabel ?

Je lui ai donné les indications pour la trouver en lui parlant des mouchoirs et de la façon de l'aborder mais je n'en ai pas dit plus que le strict nécessaire. Alors, forcément, elle est surprise de découvrir celle que je lui ai demandé d'aller voir pour moi.

-Elle m'a dit de vous faire savoir qu'elle ne sera pas là ce soir. Elle doit passer la nuit chez un client. Un qu'elle ne connaît pas. Et... Elle m'a demandé de préciser que l'adresse qu'il a laissé est bizarre : Place des Corbeaux. Y'a pas de numéro, pas de description de maison, rien... Je sais pas pourquoi elle voulait que je vous le dise mais voilà... C'est fait.

Je l'ai choisie pour porter le message parce que je savais qu'elle le ferait sans poser de questions, même si elles lui brûlent les lèvres. Elle rend service sans problème mais elle ne se mêle pas des affaires des affaires des autres. Et si je ne lui ai pas expliqué ma relation avec la doebenne, c'est pour la protéger...

Eiriztraena passa la nuit dans sa planque habituelle, qu'elle quitta la matinée même pour préparer la suite des évènements. Elle retourna à la fameuse auberge devant laquelle travaillait Yssabel, y paya une chambre et accrocha à sa fenêtre plusieurs mouchoirs rouges. La pièce se trouvait au deuxième étage du bâtiment, duquel la Drow avait une belle vue sur les rues adjacentes, et donc sur celles où travaillait la vaanie. Elle profita de son temps libre avant la tombée de la nuit pour préparer ses affaires et son équipement. Une fois prête, elle se mit à guetter la rue, trouvant le moyen de s'occuper en aiguisant son épée ou sa dague, ou encore à plier les vêtements qu'elle comptait enfiler selon la situation nécessaire pour agir. Ce n'est pas comme si elle avait grand chose à faire en attendant la nuit.

Une fois le soir venu, Eiriz' se concentra sur la surveillance de la ruelle, mais fut interrompue par un visiteur tapant à sa porte. Elle fut surprise alors de trouver une pauvre et misérable humaine, probablement une câtin étant donnée sa tenue. À sa question, elle comprit qu'elle était au moins une connaissance, au plus une amie d'Yssabel, qui l'avait envoyé là. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle n'avait pas trop pris d'avance pour rejoindre la zone de rendez-vous, la fameuse Place des Corbeaux.

« C'est fait. Tu peux retourner à tes occupations. » la congédia la Drow, qui referma la porte pour rapidement se préparer à partir.

La Place des Corbeaux n'était pas très loin, et c'était un endroit plus ou moins connu des locaux et de ceux qui venaient souvent jusqu'ici. C'était un coupe-gorge comme un autre, mais il était probable qu'Yssabel ait préféré prévenir Eiriz' parce qu'elle n'avait pas d'adresse précise. Il était donc probable qu'un homme aille à sa rencontre une fois qu'il l'apercevra, et qu'il l'amène à une bâtisse inconnue, et potentiellement louche. Soit pour l'exécuter, soit pour pouvoir la sauter en toute intimité. Il serait tout de même étonnant que le type agisse aussi tôt. Même pas un jour complet ne s'était écoulé depuis la mort d'Angus. Il savait donc qu'un témoin était vivant, et que le Guet ne l'avait pas trouvé, mais n'était-il pas trop tôt pour savoir qui c'était et comment le retrouver ? À moins qu'il soit suffisamment puissant et qu'il ait assez de contacts pour ce faire ? Peu importe. La Drow devait faire vite.

Cette fois-ci, elle se vêtit d'habits simples et sobres, optant pour des couleurs variés sans pour autant attirer le regard. Elle cercla sa ceinture soutenant son cimeterre, attacha une saccoche de couteaux de lancer à son tibia droit, et dissimula sa dague dans sa botte gauche, recouvrant le tout d'une longue cape. Eiriztraena se couvrit le visage à l'aide d'une cheiche puis sortit d'un pas rapide. Elle ne voulait pas prendre plus de retard. Maintenant qu'elle n'avait pas forcément l'allure d'une assassin en pleine traque, elle pouvait plus aisément sillonner les rues pour rallier le point de rendez-vous.
Une fois sur place, elle localisa sans peine Yssabel, reconnaissable tant par son physique que par sa tenue. Elle était encore seule, et attendait visiblement que quelqu'un ne vienne la chercher. Eiriztraena se tint à bonne distance d'elle, la guettant autant que le reste de la zone à la recherche d'un moindre type suspect. Il était malheureusement trop tard pour s'approcher et lui poser quelques questions, et encore moins s'accorder sur un signe. Mais la place était bondée, alors elle devra attendre qu'un homme approche la prostituée.

Eiriztraena profitait des passants pour passer inaperçue et de l'une et des autres. Si jamais Yssabel rencontrait un homme qui semblait lui vouloir du mal, il était probable qu'elle ressente le danger. Malheureusement, les deux femmes ne s'étaient pas revues, et Eiriz' n'avait donc pas pu lui donner une arme dissimulable pour se défendre. Quoi qu'il en soit, sans le code qu'elles avaient mises au point ensemble, la Drow ne pouvait savoir si c'était un véritable client ou l'assassin d'Angus qui se pointerait. Elle sera donc obligée de la suivre jusqu'au bout, quitte à tomber sur elle en pleine action avec lui et constater qu'il voulait simplement tirer son coup.

C'est après peu de temps qu'Eiriztraena vit un homme s'approcher d'Yssabel, et elle se concentra immédiatement sur lui.

J'attends là depuis bien vingt minutes maintenant. Je n'étais pas en avance pourtant. En même temps, ça m'arrange, j'ai besoin d'être sûre que mon "amie" a le temps d'arriver. Je la cherche du regard autant que mon potentiel client mais j'imagine qu'elle a l'art et la manière de se cacher donc c'est sans doute vain de ma part... Je l'ai peut-être fait appeler pour rien mais je préfère autant en être sûre. Si ce type a une connaissance au sein du Guet, il peut avoir été averti très rapidement du fait que j'avais déjà mis les voiles avant l'arrivée des autorités.

Sans avoir la moindre assurance que la doebenne est bien là, je ne montre pourtant aucun signe d'inquiétude et je reste détendue. Je ne dois pas éveiller les soupçons de mon client si jamais c'est le type de chez Angus. Finalement, quelqu'un m'aborde. Je le détaille d'un air intéressé alors qu'en réalité je lui cherche un trait commun avec l'autre gars. Mais je fais visiblement fausse route.

-Bonsoir. Est-ce que vous êtes... disponible ?

Difficile de ne pas comprendre quel est mon métier. Même si j'ai droit à une cape de laine pour poireauter dehors cette fois, on voit très bien la tenue affriolante que je porte. Un large décolleté, mon ventre parfaitement plat à l'air, la jupe fendue des deux côtés jusqu'aux hanches... Alors, évidemment, il sait parfaitement à qui il a affaire.

-Malheureusement non, je suis prise ce soir.

Je vois rapidement son air un peu déçu et j'avoue que je trouverai ça dommage de passer à côté... Il est jeune, plutôt bel homme, le regard doux...

-Mais... Je vois déjà la lueur apparaître dans ses yeux tandis que j'écarte une de mes bretelles, d'après le code vaguement évoqué avec mon amie, la veille. Je suis libre demain soir. Il suffit d'en toucher deux mots à André Delmar, rue des trois pignons, et de réserver Yssabel.
-Yssabel... Répète-t-il, comme pour mieux le retenir ou... le savourer.

Je me suis approchée de lui avec doigté et félinité. Il est réactif... Il ne doit pas faire souvent appel à des prostituées et c'est très bien... Il y a des chances qu'il soit attentionné et cherche à me plaire. C'est plutôt rare dans un coin pareil. Nous échangeons encore quelques mots puis il s'en va. Je le suis du regard, juste pour lui prouver mon intérêt alors qu'il se retourne en chemin. Une fois qu'il a disparu, je remets ma bretelle en place. Si je survis à cette soirée, j'aurais de quoi me consoler demain au moins.
La place se vide de plus en plus, les travailleurs auront bientôt fini de rentrer chez eux et sont bien trop harassés pour ressortir faire la fête après. Et alors qu'il n'y a presque plus personne, une autre silhouette m'approche. Je me tourne de manière à lui faire face alors qu'il avance droit sur moi. J'esquisse un sourire, l'attendant dans une posture à la fois aguicheuse et impatiente alors qu'il m'a faite languir.

-Bonsoir. J'opte pour une voix suave en attendant de savoir à qui j'ai affaire.
-Te donne pas cette peine.
-Pardon ?

Je reste polie. C'est censé être un client qui a payé pour une nuit complète.

-Tu me remets pas ?

Il fait tomber sa capuche et je dois lutter de toute mes forces pour ne pas montrer que mon sang se glace l'espace d'une brève seconde en retrouvant ces traits que j'ai entraperçu la veille.

-Tu me dis vaguement quelque chose, mais sans plus.
-Pas d'ça avec moi. Tu m'as croisé chez ton dernier client.

Je fais mine de réfléchir, l'air toujours détendue.

-Han, oui. Il a été difficile à détendre après la journée qu'il a eu. Dommage qu'il ait déjà payé, j'aurais pu lui demander plus pour les talents que j'ai dû déployer.
-Ouais, t'as sacrément bien réussi d'ailleurs. C'est à peine s'il avait refermé sa robe de chambre quand on l'a fumé.
-Angus est mort ?...

Je joue la surprise mais pas la peine te faire celle qui est choquée. Il se doute bien que j'en ai connu d'autres.

-Fais pas celle qui savait pas. T'étais à poil dans son lit alors qu'il se vidait encore de son sang. Je t'ai vue. T'as pas pu partir sans être passé à côté de son cadavre.

Bon, là, ça sert plus à rien de jouer les naïves, ni de minauder... J'aurais essayé au moins. D'ailleurs, il m'attrape par le bras à m'en faire mal avant de m'entraîner avec lui.

-Je t'aurais laissée tranquille, si tu m'avais pas vue juste après que je me sois pris la tête avec...

Immobile devant l'étal d'un marchand présent dans la zone, Eiriztraena surveillait du coin de l'œil cet homme qui s'était approché d'Yssabel. Il ne semblait pas menaçant, et elle-même n'avait pas l'air de le craindre. À moins qu'elle soit une excellente comédienne… ce qui n'était pas impossible, au final. Ils s'échangèrent plusieurs mots avant que la prostituée ne fasse glisser une des bretelles de sa robe sur son bras. Il s'agissait du code qu'Eiriz' avait proposée la veille pour qu'elle soit informée du type à qui elle avait à faire et donc se préparer en conséquence. Mais elle garda tout de même un œil sur ce client inconnu, jusqu'à ce qu'il s'éloigne d'Yssabel. Après tout, l'assassin d'Angus pouvait toujours envoyer un sbire faire le sale boulot à sa place.

Le temps passe mais aucune trace de celui qui avait, tout de même, donné rendez-vous à la prostituée qui poirautait là depuis un long moment, maintenant. De plus, la place se faisait moins bondée, et la Drow avait plus de mal à se dissimuler conventionnellement parmi les passants, bien que trop de gens étaient encore présents pour qu'elle utilise sa magie sans être vue. Mais, la distance qu'elle maintenait entre elle et Yssabel lui permettait surement de n'éveiller aucun soupçon vis-à-vis des brutes qui s'en prendront à elle, à un moment ou à un autre.
Finalement, un autre homme se pointa vers la prostituée qui n'avait pas bougé de là depuis tout à l'heure. Ce garçon était différent en beaucoup de points de celui qui l'avait quitté à un peu plus tôt… pour ne pas dire quasiment tous. À ses manières de s'adresse à elle, il ne semblait pas vouloir lui faire du bien, ni jouer à des jeux plutôt coquins, alors qu'Yssabel s'efforçait de rester dans son rôle. Eiriztraena remarqua d'ailleurs qu'elle n'enleva aucune de ses bretelles, et elle comprit encore plus rapidement qu'il était l'homme qu'elles cherchaient lorsqu'il l'empoigna par le bras, non sans une certaine violence. Il ne se souciait même pas des quelques témoins, et Yssabel restait silencieuse, probablement parce qu'il l'abattrait sur le champ si elle hurlait.

Eiriztraena les suivit de loin, préférant attendre un moment, et surtout un lieu plus opportun pour attaquer le type. Il y avait encore trop de gens dans les rues pour se permettre un combat au vu de tous, d'autant plus qu'Yssabel était une femme facile à retrouver vu son physique peu banal. De toute manière, le bandit comptait très sûrement l'emmener dans un endroit discret afin de la tuer et faire disparaître son cadavre très facilement. Sinon, il l'aurait attaqué sans crier gare… ce que ne pouvait pas non plus faire Eiriz' dans cette situation. La vaanie, elle, n'essayait pas vraiment de se débattre. Après tout, quelqu'un veillait sur elle, du moins elle l'espérait, et puis, cela ne ferait que forcer son ravisseur à l'abattre sans attendre pour détaler.

La filature s'étendit sur quelques ruelles, parfois sombres et étroites, parfois plus larges et éclairées, jusqu'à ce que le bonhomme amena sa captive dans une maison mitoyenne de plusieurs autres, comme souvent dans ce quartier. Pourtant, celle-ci ne semblait pas être le pire des taudis, bien qu'elle n'avait rien de luxueuse. La Drow prit le temps de l'examiner, de loin dans un premier temps. Elle préférait attendre, au cas où le type s'assurerait de ne pas avoir été suivi en jetant un œil par ses fenêtres. Elle opéra un tour complet de la zone pour trouver un endroit duquel elle pourrait s'infiltrer à l'intérieur sans éveiller les soupçons ni alerter le propriétaire des lieux. Mais, Eiriz' n'avait peut-être pas beaucoup de temps, car elle ne savait pas ce qu'il avait prévu de faire à Yssabel. Elle devait passer à l'action rapidement.

Il me fait mal... Parce qu'il me serre trop fort. Parce qu'il me tire avec lui. Parce que, si je manque de perdre l'équilibre à cause de sa façon de me trimbaler, il me rattrape avec cette seule prise sur moi. Et pendant tout ce temps, j'évite de regarder derrière nous... Je n'ai pas vue la sombre sur la place, je ne sais absolument pas si elle est là, si elle veille, si elle nous suit... Et quand notre destination se précise alors que l'on approche de la porte de cette maison, je lutte contre une furieuse envie de la chercher du regard. Il doit absolument croire que je suis seule...

Je le suis peut-être d'ailleurs.

L'homme me projette à l'intérieur, me poussant par sa prise sur mon bras qu'il lâche enfin. Mais c'est pour mieux atterrir dans les bras d'un autre, plus grand, qui me prend par les épaules pour m'éloigner légèrement de son buste sur lequel j'ai été envoyée. Il m'observe d'un œil appréciateur, ne manquant pas de remarquer mon large décolleté.

-Jolie. Puis il se tourne vers son comparse qui, déjà, a refermé la porte à double tour et regarde par la fenêtre la plus proche. T'es sûr qu'on est obligé de la tuer ? On pourrait la garder et s'amuser avec. Je suis sûre qu'elle préfèrerait. Qu'est-ce que t'en dis, ma belle ?
-Tu n'as pas idée...

Evidemment que je préfèrerais. Restée enfermée dans une pièce et être visitée régulièrement pour quelques heures de plaisir ou bien finir dans un caniveau, la gorge ouverte... Mon choix serait vite fait, andouille. Malgré le contexte, j'essaie de lui faire un regard charmeur, histoire de lui faire croire qu'il me plaît beaucoup. En tout cas, j'ai connu plus laid que ça, c'est clair...

-Elle finira par réussir à se tirer un jour et, là, on sera bien dans la merde.
-Tu ferais ça ? Me demande-t-il d'un air incrédule.
-Ça dépend.
-De quoi ?
-De si j'ai de bonnes raisons de rester.

Je descends mon regard sur son buste puis sur son entrejambe, histoire qu'il comprenne le message. Il ricane doucement.

-J'la monte à l'étage, le temps que tu t'assures que t'as pas été suivi. On avisera après.

Déjà, il passe une main caressante dans mon dos et m'attire vers une porte qui donne sur un couloir dans lequel je devine un escalier. Celui qui m'a embarquée commence à protester mais les deux hommes échangent un regard que je ne peux pas voir et il se tait. J'ai conscience que le plan final n'a sans doute pas changé. J'essaie juste de gagner du temps... En espérant que mon "amie" le mette à profit.

La maison s'élevait sur un étage, mais elle n'était pas bien grande. Eiriztraena pouvait certainement escalader certaines parties de la façade pour entrer par une fenêtre, pour celles qui étaient assez grandes, bien qu'elle manquait cruellement d'informations pour ce qui s'y trouvait à l'intérieur. Elle ne savait pas où serait enfermée Yssabel, ni combien de gredins se cachaient à l'intérieur de ce taudis, et encore moins s'ils désireraient lui passer dessus avant de l'abattre, ce qui serait pourtant un précieux gain de temps. Eiriz' pourrait sûrement compter sur l'instinct de survie de la vaanie pour y arriver. Après tout, elle avait beau faire la maligne, elle semblait attachée à sa vie, même si cela ne manquait pas d'un certain paradoxe. En général, les esclaves étaient parmi ceux qui ne voulaient pas vivre, car la mort offrait certainement de plus douces perspectives qu'une servitude dont on ne verrait potentiellement jamais la fin.

Passées ses refléxions qui n'avaient pas lieu d'être en l'état, la Drow aperçut une lucarne sur le toit. Finalement, sa porte d'entrée n'était pas si compliquée à trouver… dans l'espoir qu'elle ne conduisait pas à une salle remplie de brigands armés, mais plutôt à un grenier poussérieux, comme c'était si souvent le cas dans une maison. Telle une araignée, Eiriztraena trouva appui sur ce mur irrégulier de mauvaise qualité et commença à l'escalader, s'aidant des corniches des fenêtres et des plantes grimpantes qui jonchaient le mur. Une fois agrippée à la corniche du vasistas du toit, elle se hissa juste assez pour que ces yeux dépassent et puissent voir ce qui se tramait à l'intérieur et, une fois qu'elle comprit que la pièce était aussi vide que délaissée, la Drow s'infiltra dans ce qui ressemblait à un débarras, en ouvrant la fenêtre qu'il suffisait de soulever.
Des meubles cabossés ou usés étaient poussérieux et se mélangeaient avec toute sorte de choses liées au sol par des toiles d'araignées dans ce grenier abandonné dans lequel l'atmosphère suffoquait. Eiriz' fit un dernier tour mais ne trouva rien de bien utile. Elle se faufila dans tout ce fatras sale pour atteindre une trappe tout aussi putride que le reste. Elle l'entrouvrit simplement au départ, remarquant qu'aucune échelle ne lui permettrait de descendre. La Drow passa la tête dans l'ouverture pour examiner les alentours, et comprit que la trappe se trouvait à l'extrémité d'un couloir, tandis qu'à l'opposé se situait l'escalier menant au rez-de-chaussée de la maison. Entre ces deux positions, plusieurs pièces étaient closes par des portes en bois, mais personne ne patrouillait ou n'en gardait les entrées.

Par simple acquis de prudence, Eiriztraena s'empara de son pic à cheveu, qui lui servait autant à tuer qu'à incanter, puis, avec l'agilité d'un félin, se glissa à l'intérieur de la trappe, qui se referma derrière elle sans claquer, et atterrit sur ses deux jambes fléchies et l'une de ses mains sur le sol de l'étage du dessous. Pour ne pas faire grincer le parquet, la Sombre se mouvait d'un pas lent et prudent dans ce couloir, les oreilles dressées à l'écoute du moindre bruit pouvant lui indiquer où se trouvait Yssabel. C'est alors qu'elle entendit des voix s'échapper d'une des salles, celle qui se trouvait être la plus proche des escaliers, bien qu'étouffées par les murs. La plus prédominante était celle d'un homme, mais elle se mélangeait à celle d'une femme, bien qu'il était difficile de la distinguer, et donc de s'assurer qu'il s'agissait bien d'Yssabel. Mais Eiriz' ne tergiversa pas, et tapa à la porte de la salle en question. S'ils s'agissaient de deux bandits partenaires de l'autre, elle les tuerait sans hésiter.

« Vas-y, c'est bon, entre ! »

Empoignant plus fortement son pic, Eiriztraena ouvrit la porte et se rua sur le gaillard, qui, d'ailleurs, n'était pas celui qui avait amené Yssabel jusqu'ici. Confiant, ce bonhomme n'avait pas pris la peine de s'assurer qu'il s'agissait bien de son partenaire qui était entré dans la salle, et fut bien surpris de se faire attraper par la gorge par une drow qui n'avait rien à faire là. Sans lui laisser la moindre chance de se débattre, Eiriz' planta son pic dans sa carotide à trois reprises, avant de le laisser s'effondrer sur le sol, le sang jaillissant de sa gorge étranglant sa voix et ses cris. Après qu'il rendit son souffle à Teiweon, pour peu que celle-ci accepte un aussi faible personnage dans son Royaume, Eiriztraena referma la porte derrière elle et la verrouilla.

« Ça va ? Je ne t'ai pas trop manquée, j'espère ? » fit-elle à Yssabel d'une voix railleuse alors qu'elle lui dénoua son bandeau des yeux, bien qu'elle aurait sûrement préféré ne pas voir ce cadavre gisant sur une mare de sang, comme le fut Angus la veille. « Oh, hé ! Pas la peine de faire l'étonnée ou de me remercier. Bon, j'admets que si tu étais une risible connasse comme toutes les autres, je t'aurais sûrement laissé crever. D'ailleurs, il est où ton client, parce que c'est pas lui, là. »

Le gardien était toujours le sous-fifre ou le subordonné, donc Eiriztraena ne craignait pas d'avoir éliminé une source majeure d'informations, bien au contraire. Et puis, si jamais ils respectaient une certaine forme d'égalité, alors aucun n'aurait plus d'informations que l'autre. Donc, finalement, la Drow n'avait pas commise d'erreur en tuant celui-là. Maintenant qu'elle avait sécurisé Yssabel, elle avait l'avantage sur l'autre, à condition qu'ils ne soient pas plusieurs, ce qu'Yssabel n'avait pas pu confirmer ou infirmer. D'un autre côté, à quoi bon mobiliser une armée pour attraper une catin ? Ce n'était pas prévu qu'elle se soit trouvé un garde du corps attitré, après tout.

« Bon, j'vais m'occuper de lui, où qu'il soit. Toi, déguerpis de là. Je me débrouillerai si jamais la cavalerie rapplique et, de toute façon… j'imagine que ce n'est pas le genre de spectacles que tu apprécies, si ? »

Ma situation est plus que tendue... Je sais parfaitement que je ne quitterai pas cette maison vivante. Pourtant, je dois faire croire à cet homme que j'ai gobé sa proposition. Je dois lui faire croire que je suis persuadée que ma vie dépend de la prestation que je vais lui fournir là, tout de suite. Il pourrait bien se contenter de m'étouffer ou de m'étrangler une fois terminé afin que je meurs sans bruit et sans tâcher les draps mais ma dernière chance est ici... à le distraire et à gagner du temps. Ce que je fais avec dévotion. Cela son bon plaisir, je lui ai "montré la marchandise", retirant ma cape et ma robe lentement et avec charme. Je sais déjà qu'il me désire, je le vois à la forme de son pantalon. Je continue à jouer le jeu, de plus près. Je parade, je m'approche, je me frotte à lui, je l'allume comme aucune femme avant moi n'a jamais dû le faire. Je sens ses mains sur ma taille tandis que mon bassin danse contre le sien, moi nue, lui encore totalement habillé. Je sens son souffle brûlant dans mon cou. Je le sens se pencher pour venir goûter ma peau de ses lèvres. Si ma vie n'en dépendait pas, ses manières pourraient me plaire... Mais cette petite voix dans ma tête m'empêche -à raison- de me plonger totalement dans ces préliminaires.

On toque à la porte que je le sais en train de sourire alors qu'il me souffle quelques mots à l'oreille.

-On dirait que tu vas devoir mettre les bouchées doubles. Dit-il, persuadé que son compagnon veut se joindre à nous.

Et si, au contraire, il voulait l'arrêter pour en finir maintenant ? J'ai peut-être assez chauffé celui-là pour qu'il parvienne à le convaincre de me laisser aller jusqu'au bout... Mais avant que j'ai eu le temps de le savoir, la situation change du tout au tout. Les soupirs de désir de l'homme sont remplacés par des bruits étranges tandis que je sens un liquide chaud se répandre sur mon épaule. Les cheveux et le corps souillés de sang, je me détache subitement de mon amant et me retourne par réflexe et dans un élan de peur soudaine. La vision est horrible tandis que le pic s'enfonce une troisième et dernière fois dans la gorge du type mais elle s'arrête bien vite alors qu'il s'écroule définitivement. Je décroche alors mon regard d'or du cadavre et le relève pour retrouver la sombre qui me taquine déjà.
Dans un soupir aussi fort que bref, mes épaules s'affaissent. D'accord, ce n'était pas joli à voir et j'ai eu peur que ce soit moi qui finisse refroidie mais je constate que je suis toujours en vie et que mon amie a tenu parole. Je n'ai pas le luxe des jeunes filles de bonne famille de me montrer choquée plus de quelques instants alors je me reprends bien vite. Je ne suis pas encore totalement sortie d'affaire. D'autant qu'il va être difficile pour moi de passer inaperçue avec le sang qui recouvre une bonne partie de mes cheveux et de mon corps.

-J'imagine que je dois prendre ça pour un compliment.

Je suis nue et, pourtant, mon premier réflexe n'est pas de m'habiller. En fait, je reste plantée là, à répondre à la doebenne tandis qu'un homme achève de se vider de son sang à ses pieds. Et puis, de toute façon, je ne vais pas enfile ma robe vu l'état dans lequel je suis...

-Non, c'est pas lui. Celui-là attendait ici qu'il rentre avec moi. Il l'a laissé au rez-de-chaussée avec pour consigne de s'assurer que je n'avais pas été suivi, je lui faisais juste passer le temps. Je n'ai vu personne d'autre mais on a filé droit ici, alors...

Je ne peux pas lui garantir qu'ils ne soient que deux dans tout le bâtiment, même si c'est une possibilité. Dans tous les cas, je ne peux plus vraiment l'aider. Mes compétences s'arrêtent au plaisir charnel. Pour le reste, je sais seulement par quel bout on tient une dague... Alors je ne risque pas d'insister pour rester, je serais une gêne plus qu'autre chose pour elle.

-Effectivement. Je préfère voir les traits des hommes se déformer pour d'autres raisons qu'en rendant leur dernier souffle.

Et puis, je trouve ça plus plaisant de sentir un homme à la merci de mes attentions qu'à celles de mon amie... Ma victoire à moi est plus douce. Mais alors que j'achève ma propre petite réplique amusée, un bruit bien connu se fait entendre... C'est le doux son de gouttes d'eau s'écrasant sur le carreau. J'esquisse alors un sourire.

-Et on dirait que j'ai trouvé comment passer inaperçu dans la rue.

Mon pêcher mignon... Bon, je préfère faire ça en été, quand la pluie apaise la chaleur d'une journée harassante, pas quand le froid de l'hiver commence à mordre. Mais bon, je ferais avec. Il doit bien y avoir une ruelle discrète derrière la maison où profiter de l'averse à l'abri des regards. Je rassemble alors mes affaires d'une main, celle qui ne risque pas de tâcher le tissu.

-Il doit bien y avoir une porte qui donne sur l'arrière. Je me redresse et toise la drow avec une assurance retrouvée. Il faut que je me dépêche avant que ça ne sèche. Je te laisse descendre la première. Sans être un païm, je serais sans doute moins discrète que toi.

C'est dit sur le ton du sarcasme mais ce n'est pas faux. Si je descendais d'abord, je risquerai d'attirer l'attention du gars avant qu'elle ne soit prête à lui tomber dessus. Je ne voudrais pas mourir maintenant, surtout aussi bêtement...

« Tu dois être une romantique, au fond. »

D'un autre côté, pas besoin de l'être pour constater que le type qui gisait là n'était pas mort de la plus douce des manières, pour peu que cela existait. Ce qui importait, c'est que le travail soit fait, et bien fait. Eiriz' s'était montré discrète, précise, et n'avait laissé aucune chance à ce type d'échapper à son funeste destin. En prime, elle avait sauvé Yssabel, même si cela ne lui rapportait rien de plus, en l'état. Peut-être aura-t-elle l'occasion de lui revaloir cela, un jour ou l'autre. Toute récompense n'était pas nécessairement monétaire ou foncière.

Appuyée contre la porte verrouillée de la chambre, la Sombre ne put s'empêcher de passer le regard vers la fenêtre lorsque les gouttes d'eau de pluie s'abattirent sur l'unique vitre de la chambre. Un bon moyen de nettoyer le sang qui avait éclaboussé certaines parties du corps de la vaanie et de la drow (bien qu'il ne partira pas de suite), et de ne pas laisser de trace sur le sol des rues. Pour les vêtements, c'était néanmoins une toute autre affaire s'ils étaient tâchés, car le sang faisait partie de ces saletés tenaces sur le tissu. L'elfe noire dressait ses oreilles pour guetter le couloir pendant qu'Yssabel ramassait ses affaires. Il valait mieux ne pas laisser à l'autre type le temps de remonter et de remarquer que quelqu'un s'était introduit chez lui.

« Ouais, il y a une porte à l'arrière, si tu veux. Je l'ai vue quand j'ai fait le tour de la barraque pour savoir par où entrer. »

Eiriztraena aurait pu crocheter la serrure de cette porte, pour peu qu'elle était verrouillée, mais, comme elle ne savait pas s'il y avait un garde de l'autre côté, elle s'était ravisée. Tout cela aurait été bien inutile si un garde l'aurait entendu triturer le verrou pendant qu'il mangeait ou qu'il s'occupait. Cela s'était avéré bien plus prudent et plus efficace de s'introduire par le haut de la maison, notamment par son grenier desaffecté. Quoi qu'il en soit, si jamais il ne reste qu'un bandit, Yssabel pouvait bien sortir par où elle voulait, puisque ledit bandit sera occupé par quelqu'un d'autre qui lui mènera la vie dure. D'ailleurs, ce quelqu'un déverrouilla la porte de la chambre, puis posa la main sur la poignée de la porte.

« Reste sur les escaliers, le temps que je le localise. Dès que t'entendras du bruit, tu pourras y aller. Ne traînes pas trop dans le coin quand même. »

La Sombre ne laissa même pas à la vaanie le temps de formuler une réponse. Elle entrouvrit la porte, passant la tête pour guetter le couloir vide de part et d'autre. Elle sortit alors de la pièce, son arme parfaitement féminine toujours en main. Discrètement, elle s'approcha de l'escalier, et le descendit prudemment. Les marches l'emmenèrent vers une pièce qui ressemblait à un salon, dans lequel menait également la porte d'entrée de la maison. Les plus démunis n'ayant pas les moyens ni la place pour avoir un vestibule, ils préféraient optimiser le peu de place qu'ils possédaient. Elle reconnut l'homme qui avait emmené Yssabel à l'autre bout de la pièce, près d'une fenêtre, guettant l'extérieur désormais pluvieux, comme s'il attendait quelqu'un. Tel un fauve en chasse, Eiriztraena s'approcha de lui, et, une fois suffisamment proche de lui, se rua sur lui, plantant son pic à cheveux dans sa cuisse, et l'empoignant par la gorge pour étouffer ses cris. Elle l'envoya bouler contre le mur, tirant son cimeterre pour mieux prendre l'ascendant sur son adversaire. Elle ne put s'empêcher de jeter un œil derrière elle, pour s'assurer qu'Yssabel en profitait pour détaler et, une fois que la Drow fut certaine d'être seule avec sa proie, se retourna vers celui qui avait osé massacrer l'un de ses contacts.

Je me contente d'un hochement de tête pour acquiescer aux consignes de la sombre et lui emboîte le pas sans même un dernier regard au cadavre. Je suis déjà passée à autre chose. Je la suis, me faisant aussi discrète que possible. L'avantage actuellement, c'est qu'au moins je ne produis pas même le bruit d'un froissement de tissu. Et pour cause, la robe et ma cape sont dans une de mes mains et mes sandales dans l'autre. Je reste en haut de l'escalier et je tends l'oreille. Les secondes qui s'écoulent sont bien longues, le temps que mon amie trouve mon ravisseur et se mette en position pour l'attaquer. Mais j'ai la patience d'attendre et je n'hésite pas à jeter un œil dans le couloir derrière moi afin de m'assurer que personne d'autre ne vient par là.
Lorsque j'entends une voix étranglée, volontairement rendue incapable de crier sa douleur, je me précipite dans les marches, restant discrète malgré tout, et je file vers l'arrière sans même jeter un œil sur ce qu'il se passe dans la pièce voisine. Je trouve rapidement la porte qui donne sur l'extérieur qu'il est aisée de reconnaître par le petit vent froid qui passe dessous. Elle est verrouillée par un loquet que je débloque avant d'ouvrir aussitôt le pan de bois. L'instant d'après, je suis dehors et c'est comme si tout cela ne s'était jamais produit... La mort est derrière moi tandis que je baigne dans un océan de vie, représenté par ces gouttes d'eau qui tombent perpétuellement du ciel. J'accroche mes affaires à un bout de bois qui dépasse du mur et je m'avance, quittant la protection du toit pour me retrouver sous l'eau. Elle est froide... mais je trouve ça revigorant. Je ferme les yeux et lève mon visage vers les nuages. Je me laisse tremper de la tête aux pieds, le sang à demi coagulé s'humidifiant et commençant à glisser le long de mes courbes gracieuses.

Je suis encore en vie.
Mais quelle vie...

Je me redresse et ouvre les yeux pour regarder le vide devant moi. C'est la première fois que je ressens cela. Ce sentiment... que je vaux plus que ça. Plus que quelques coups de reins dans une ruelle sombre, plus qu'un rendez-vous dans une maison bancale, plus que cette lame qui pourrait la faucher à tout moment juste parce que je me suis retrouvée au mauvais endroit... Mais que puis-je y changer ? Je ne peux pas choisir mon maître. Comme c'est parti, le dernier sera mort d'ici quelques mois et j'ignore qui sera le suivant. C'est ainsi... Et je vois mal comment je pourrais changer le cours des choses depuis ma place d'esclave. Ma seule chance, ce sont les personnes fortunées mais je n'ai pas l'occasion de les approcher depuis les confins des Lanternes rouges. A première vue, cela me semble sans issue...
Je baisse les yeux sur mon corps. D'une main, je chasse les dernières traces de sang depuis mon épaule jusqu'à mes pieds. Je passe mes cheveux devant moi et les inspecte avant de leur prêter un soin plus particulier. Une fois totalement propre, j'enfile ma robe, ma cape et mes chaussures et je m'éloigne comme si de rien n'était. La sombre n'est pas sortie et j'ignore si elle se trouve encore à l'intérieur ou si elle a pris une autre issue. Dans tous les cas, je ne vais pas prendre le risque de l'attendre.

C'est assez inhabituel que je ne passe pas la nuit chez un client lorsqu'il me réserve pour aller chez lui mais je peux trouver une excuse. Je ne vais certainement pas retourner travailler maintenant. J'ai besoin de retrouver un cadre qui n'est certes pas très confortable mais qui est au moins rassurant en cela qu'il est familier et clos. Je vais me sécher, me changer et me coucher... Je pense que même mes camarades n'arriveront pas à me réveiller en rentrant au beau milieu de la nuit dans notre dortoir, éreintée par les dernières vingt-quatre heures. Et, malgré la peur et les visions qui ont habité ma soirée, aucun cauchemar ne viendra troubler mon sommeil.

Eiriztraena dominait le bandit, la bouche et le nez déjà en sang, en plus de sa cuisse et de son arcade. L'incompréhension se mêlangeait à la surprise sur son visage effrayé. Il se releva néanmoins en tirant une épée courte de sa ceinture. Mais la Drow n'eut aucune difficulté à profiter de son manque d'équilibre pour l'esquiver, et le projeter une nouvelle fois au sol en le désarmant. D'un calme glaçant, elle s'approcha de sa proie, s'accroupit devant le garçon qui la toisait comme la dernière des vermines, et lui lâcha le plus beau sourire qu'elle pouvait.

« Mon coco. Toi et moi, il est temps qu'on discute. »

Toujours avec le sourire, elle tira le garçon par le col jusque dans les cuisines pour “discuter” bien qu'elle savait qu'il lui faudrait du temps pour qu'il se mette à table. Nul doute qu'il ne se ferait pas d'illusions sur son avenir : en Itri'Vaan comme au Puy, les gens n'étaient pas réputés pour s'encombrer de témoins. Lui-même le savait, puisqu'il avait tenté, quelques heures plus tôt, d'en abattre un. Là étaient les tristes lois de la survie dans la jungle urbaine qu'était Thaar. Eiriz' avait désormais à disposition plusieurs couteaux de cuisine dont elle n'hésiterait pas à se servir si besoin.

**************

La nuit désormais presque noire, Eiriztraena ressortit de la maison avec un vêtement en moins, probablement trop tâché de sang pour qu'elle le garde sur elle. Mais elle avait fait ce qu'elle avait à faire, et s'en retourna vers l'auberge où elle avait commandé une chambre pour plusieurs nuits, non sans penser à regarder par dessus son épaule au cas où quelqu'un l'aurait suivi pour une raison ou une autre. Par acquis de conscience, elle ne put s'empêcher de chercher Yssabel, mais elle n'était plus dans les rues à cette heure. Soit elle s'était réfugiée chez elle, soit elle avait trouvé un client capable de lui payer une chambre ou de l'accueillir chez lui. Dans l'hypothèse où elle n'avait pas croisé un autre bandit prêt à la saigner à blanc.

Finalement, après un haussement d'épaule qui voulait tout et rien dire, Eiriz' se retourna vers l'auberge. Elle entra et s'installa dans sa chambre, se déshabilla rapidement, puis s'allongea sur le lit. Elle s'assurera demain pour s'assurer qu'Yssabel est bel et bien sauve. La Drow avait s'éviter de la rencontrer en plein milieu de l'acte, ou pire (si jamais cela pouvait exister). Puis, elle quitterait ce quartier de malheur.. Elle n'avait plus rien à y faire, de toute façon. La Drow s'endormit enfin, pour une fois bien plus détendue que ces dernières nuits.

**************

Eiriztraena se réveilla plusieurs heures après l'aube. À cette heure là, évidemment, Yssabel n'était toujours pas à travailler dans les rues, mais elle était moins susceptible d'être dérangée pendant son sommeil ou autre. Elle réunit donc ses affaires et quitta l'auberge, l'esprit tranquille car elle savait qu'elle pourrait poursuivre ses activités sans que personne ne sache qui elle était vraiment. Après tout, c'était bien pour ça qu'elle était là, et qu'elle avait même aidée une esclave à se tirer d'une mauvaise passe alors que, d'ordinaire, elle l'aurait laissé mourir car ces choses-là étaient facile à remplacer.

Une fois dehors, elle trouva Yssabel chez son maître dans son taudis. Elle se préparait sûrement pour la prochaine soirée. Elle devait bien manger, et gagner sa vie. Et puis, maintenant, elle pouvait se faire sauter par n'importe qui puisqu'elle n'avait plus d'assassin à ses trousses… pour l'instant, du moins. Eiriz' ne comptait, cependant, pas s'éterniser.

« Ah, bah ! Tu t'en es sortie finalement. » s'exclama la drow, lorsqu'elle vit enfin sa meilleure amie vaanie. « Comme on ne s'est pas vue hier, je voulais m'en assurer, quand même. J'ai fini plus tard que prévu. En tout cas, comme tu peux t'en douter, ton copain, il… il ne t'embêtera plus. Et moi non plus d'ailleurs. » fit-elle en souriant de toutes ses dents, avant de hausser les épaules d'un air malicieux. « Hé oui ! Je dois m'en aller, moi aussi. Par pitié ne pleures pas trop, je n'aime pas les larmes. »