[MdO 2022] Ne même pas se fier aux ombres [Eiriztraena]

-Putain Ren je te l'avais dit que c’était complètement con comme plan !

Dans les rues trop propres des soieries de Thaars, deux bandits détalaient à vive allure bousculant quiquonce avait le malheur se trouver sur leur chemin. Ils cavalaient au milieu des cris et du chaos qu’ils créaient, faisant fi des protestations et des insultes outrées des bourgeois ordinairement placides et soudain dérangés. Celui qui avait juré le premier renversa soudain quelques empilements de caisses sur son passage empêchant un soldat un peu trop zélé à ses trousses de sèchement lui saisir l’épaule. Son compagnon lança une torche visant les gardes qui les suivaient  à la traine, quelques mètres en arrière.

Rapidement, ils bifurquèrent dans une ruelle, puis une autre, escaladèrent une paroi,  sautant sur un toit plat puis une autre parois et petit à petit, ils perçurent les éclats de voix des hommes d’armes s’étouffer dans le lointain. Alors tous les deux, planqués dans une plus sombre ruelle, mains sur les genoux, ils prirent un infime temps de se remettre.

Viliam ne perdit pas une seconde pour se débarrasser de l’affreuse redingote dont il avait dû s’affubler pour pouvoir passer inaperçu parmi les nobliaux. Il détacha aussi ses boucles noires jusqu’ici nouées en catogan et enfin, il s’assura que le foulard à son cou ne l’avait jamais quitté. C’était le seul accessoire ormis sa rapière qui ne s’accordait pas avec le reste de sa tenue et dont il ne se débarrassa pas. Il vérifia d'ailleurs a deux reprise que le bandeau faisait bien son office, avant de réitérer ses précédentes protestations à l’encontre de son compagnon d'infortune.

-Rappelle moi de ne plus jamais t’écouter quand tu me propose de cambrioler un foutu doeben en plein milieux de la journée. Ronchonna encore le bandit à mis-voix. Tu m’avais dit que c’était vide, pas qu’il restait autant de gardes embusqués à chaque coins de son palais. Et déjà vide, j’étais pas convaincu. Non mais franchement, se faire passer pour des invités de marque ?

-C'était le plan de Clarisse, pas le mien. Et puis voir ta tête dans ce costume vaut tout l'or du monde crois moi... Enfin bref, j'ai quand même gardé un souvenir. Tient regarde ce truc, clinquant à souhait. On dirait une lame rituelle. ça doit valoir une fortune.

Ren, un grand homme élégant, cheveux dorés et à l'air naturellement rieur, tira d’une des poches de l’habit qu’il jetait, une petite dague d’acier noir, surmonté d’une élégante pierre précieuse sur le pommeau. Il la tendit à son camarade qui lui referma la main aussi sec.

-T’es dingue ou quoi ? Range ça !

Il observa rapidement autour de lui. Plus loin il y avait un couple qui s'éloignait et qui ne semblait pas leur prêter d'attention, derrière eux, le mur par lequel il avaient sautés. Les fenêtres étaient fermées, calfeutrées pour certaines. Personne n'y était penché ou n'observait à travers. Il n'y avait pas plus de monde dans les environs, alors Viliam lui fit un signe de tête. Au loin on entendait encore les cris de la patrouille qui recherchait en vain les deux fugitifs. Ils ne tarderaient pas à venir par là il ne fallait pas trainer. Etait-ce les aboiements d'un chien-ours qu'ils entendaient ?

-Viens, on se taille d’ici avant que quelqu’un d’autre ne se décide à vouloir nous trancher la gorge ou à se faire bien voir du guet en nous attrapant. La frontière n'est pas loin.

Et ni une ni deux, ils s’esquivèrent rapidement entre les rues, guettant les yeux trop curieux qui pourraient en avoir après leur maigre butin.

Les Soieries de Thaar n'étaient pas plus ragoûtantes que le reste de cette ville de malheur, mais elles présentaient certains avantages par rapport aux quartiers pauvres remplis de gens louches. On pouvait y savourer une certaine forme de calme et de tranquilité, puisque les bandits et les catins se pavanaient loin d'ici. L'argent faisant bien les choses, le Guet y était beaucoup plus présent qu'ailleurs, comme s'il avait renoncé à pacifier certaines parties de la ville. Néanmoins, dans les Soieries bien plus qu'ailleurs, Eiriztraena pouvait se permettre de s'habiller différemment, et éviter les accoutrements étranges. Ce n'est pas que ça la dérangeait, mais les tenues noires et amples pour éloigner le bandit, ça allait cinq minutes, mais elle s'en passerait bien par moment. En l'occurence, si elle portait de telles fringues dans les Soieries, elle attirait les regards de tout le monde, et peut-être plus de malheur encore.

Partout dans Thaar, et même partout en Itri'Vaan, la Doth'ka avait ses contacts. Ces petites souris qui collectaient des informations, ou leur fournissaient des objets et produits en tout genre, ou même leur offraient des endroits pour s'y planquer. Il n'y avait pas de raisons pour que les Soieries échappent à cette règle élémentaire du Renseignement. Eiriztraena était même parvenue à se faire un nouvel ami, bien aidée par l'une de ses anciennes partenaires qu'elle avait rencontrée peu de temps plus tôt. En réalité, un certain nombre d'eldéens vivaient dans les Soieries, se faisant passer pour de riches doebens alors qu'ils servaient bel et bien le Puy. Les agents de la Doth'ka n'étaient qu'une partie de la toile invisible tissée par Elda, mais elle était la plus difficile à balayer.

Cela faisait quelques jours déjà qu'Eiriztraena opérait dans les Soieries, accompagnée par Kaar'Vyna Naxx'Irva de son vrai nom (Donya étant le faux), une assassin aux origines très différentes des siennes, et surtout bien plus jeune qu'elle, mais avec qui elle s'entendait bien. Un peu de compagnie dans cette ville démente n'était pas nécessairement un mal pour plusieurs raisons. Ne pas devenir folle était l'une d'entre elles. Couvrir plus de terrain en était une autre. Venues pour réaliser une collecte d'informations auprès de l'un de leurs contacts, les deux agentes de la Doth'ka purent entendre les bribes d'invectives au dehors. Quelque chose se tramait, plus loin, et deux agents secrets ne pouvaient ne pas fouiner. Eiriz' et sa partenaire sortirent de l'échoppe située sur une grande rue marchande, à laquelle étaient connectées une multitude de ruelles plus étroites, probablement réservées aux habitants du coin. Les murs étaient grevés de portes et fenêtres abritant les foyers de plusieurs thaaris, de nombreux fils suspendus supportaient du linge coloré séchant au soleil, et des plantes plus ou moins exotiques ornaient des balcons. Les bâtiments s'élevaient à plusieurs étages, mais, à cette heure de la journée, l'activité s'animait loin des habitations, et donc loin de la zone dans laquelle se trouvaient les deux Sombres.

Arpentant l'avenue principale de la zone, Eiriztraena et Kaar'Vyna lorgnaient chacune des rues annexes tandis que quelques gardes du Guet s'agitaient désespérément autour d'elles. Les deux femmes ne leur accordèrent aucune attention, chacune des deux enquêtant d'un côté de l'avenue, avec une formation bien plus efficace à leur actif. Sur l'une de ces rues, la Garde Silencieuse aperçut une cible potentielle. Deux bonshommes discutaient, quelques peu essoufflés, l'un tenant une dague noire comme l'obsidienne et ornée, très peu courante sur les terres vaanies, mais surtout très précieuse vu la qualité de l'objet. Peu nombreux étaient ceux qui pouvaient se l'offrir. Eiriztraena les avait regardé discrètement en marchant, sans s'interrompre pour éviter d'éveiller leurs soupçons. Lorsqu'elle fut hors de leur vue, elle revint sur ses pas, mais constata que les deux hommes avaient déjà filé. Sans attendre, elle siffla pour alerter sa partenaire, qui accourra comme une dératée, comme si elle était l'esclave d'Eiriz'.

« Ils sont partis par là. » fit cette dernière, pointant du doigt vers la direction qu'elle ciblait. « J'ai pas une tenue adéquate pour grimper sur les toits, donc fais-le toi. Je resterai à terre. » En effet, l'aînée était vêtue d'une tenue élégante et colorée, peu adaptée aux courses libres bien qu'elle portait toujours son cimeterre et sa dague à la ceinture. « Si tu les vois, je siffle ; si je les vois, je siffle. Évite de les tuer si tu peux, il vaudrait mieux éviter de semer une piste de cadavres derrière nous, surtout si ce n'est pas ceux qu'on cherche. »
« Et à quoi ils ressemblent ? » demanda sa partenaire, qui enfila une capuche pour cacher ses cheveux blancs et son visage. Les impurs avaient trop tendance à se tenir éloignés des Drows à peine les voyaient-ils. Ils valaient mieux prévoir cette éventualité.
« Deux hommes, humains… elfes, peut-être, ils avaient l'air grands. Habits simple, une dague noire et sertie dans les poches, comme on en voit si souvent chez nous. Ils ont des cheveux longs, l'un est blond et l'autre est brun. Ils ont l'air agiles et rapides. Ils étaient essoufflés. »
« Ils vont donc chercher à quitter la zone discrètement mais le plus vite possible. Surtout si c'est bel et bien une dague eldéenne qu'ils ont volé. »

Eiriztraena réajusta le voile rouge qui couvrait son visage et sa tête pendant que Kaar'Vyna escalada un mur et parvint à atteindre le toit d'un bâtiment avec l'agilité d'un félin. Elles s'élancèrent alors dans un véritable dédale de ruelles, qui n'étaient pas totalement déserte. La Garde Silencieuse s'empara de son focalisateur, prête à devoir s'en servir pour incanter certains sorts selon la situation. Peut-être qu'il sera utile de les filer avant de les intercepter. Pour cela, encore fallait-il les retrouver. Et ils avaient eu la présence d'esprit de détaler dans un véritable dédale dans lequel ils pouvaient se cacher n'importe où. Malheureusement, ce labyrinthe avait une issue, et celle-ci ne débouchait pas sur une zone trop bondée. Il fut donc plus aisée pour l'agente secrète de retrouver ceux qu'elle traquait. Une fois qu'elle les repéra, elle passa le regard sur les toits, mais remarqua que sa partenaire n'était pas en vue. Elle voulut siffler pour l'appeler, mais ce serait attirer l'attention sur elle, ce qu'il valait mieux éviter. Et il était hors de question qu'elle perde à nouveau de vue ces deux fugitifs. Eiriztraena attendit néanmoins que les deux hommes rejoignent une zone plus isolée afin de pouvoir les confronter sans causer de tumulte. Une fois que ce moment arriva, la Drow s'élança à leurs trousses, et les suivit encore quelques mètres, jusqu'à tant qu'ils soient tous assez loin des passants des rues principales. De là, elle les interpella, non pas d'un air menaçant mais d'une voix plutôt légère.

« Hé bah alors ! On ne partage pas le butin ? »

L’espace de quelques secondes les deux hommes se figèrent en entendant la femme les interpeller. Puis, après un regard entendu, ils décidèrent de ne pas fuir inutilement et ils lui firent face. Mentalement, Viliam se demandait ce qu’elle avait pu voir et depuis quand. Il était certain qu'elles savait trop de choses pour nier en bloc. Pourtant il décida de quand même jouer la carte du bluff. C’était la journée pour ça visiblement…

-Je savais bien que ça pouvait pas bien se passer. Viliam soupira. Il lança un regard implorant à celle qui ne pouvait être qu’une drow, a la limite de l'exagération grotesque. Pitié. C’est notre seul espoir d’avoir de quoi manger demain. Personne ne nous aidera. Il désigna son ami. Il a trois enfants en bas âge à nourrir. Imaginez donc.

-Laisse tomber Vil’. Fit l’autre, l’air résigné et bien plus sombre. Elle n’entendra pas. Elles n’est pas de ceux là.
-Mais…

Faisant mine de porter la main à sa veste. L’autre l’interrompit, effrayé par le geste. Il sembla chercher ses mots, ne sachant plus comment improviser.

-Fait pas ça ! On a besoin de cet argent !

-J'en ai assez de mentir et de voler Vil. On aurait jamais dû faire ça tu le sais très bien. Tu me l’a dit toi-même. ça nous attire que des problèmes.

-Ren !

-Non. Plus de vols t’entend. J’veux pas finir en taule pour tes conneries. Alors on rend ce qu’on a pris et on oublie ces histoires de gosses à nourrir !

Et puis s’approchant de la drow, il lui tendit une petite bourse bien lourde. Il eut un geste d’hésitation avant de la lui fourrer dans la main.

-Tout est là...Qu’Uriz vous guide mon amie. Fit-il, peiné. Adieu.

Et ni une ni deux sans attendre de quelconque réactions de sa part, il fit mine de la dépasser en entrainant avec lui un Viliam visiblement atterré et intérieurement mort de rire. Les deux hommes se connaissaient sur le bout des doigts et l'un comme l'autre prenaient un malin plaisir à ce genre d'exercice d'improvisation, alors si ça pouvait leur sauver la mise une fois de plus... Il leur faudrait juste courir une fois la drow disparue de leur champs de vision et le tour serait joué. Il ne comptait certainement paas attendre qu'elle compte les simples cailloux que Ren venait de lui refourguer.

Eiriztraena ne s'était véritablement pas trompée. Les deux hommes qu'elle venait d'interpeller étaient bien ceux qu'elle avait vu exhiber la dague vraisemblablement eldéenne que personne en Itri'Vaan ne possédaient. Enfin, si, certains en possédaient, mais ils étaient éldéens, et il était rare qu'ils exhibent se genre d'objet au grand jour. De toute manière, vu les clodos à qui la Drow avait affaire, elle se doutait bien qu'ils n'avaient pas les moyens d'obtenir légalement ce type d'objet. Et, si jamais cette dague servait aux Cultes eldéens, il était absolument hors de question qu'elle tombe entre les mains d'hérétiques, quels qu'ils soient. De toute manière, l'argent faisait suffisamment bien les choses pour que le riche qu'ils ont cambriolé fasse remuer toute la ville pour recouvrer ses biens.

Pourtant, si elle s'attendait à une réaction agressive, ou même à une cavale, Eiriz' fut troublée de les voir improviser un spectacle des plus pitoyables. Ils étaient si mauvais comédiens que même un théâtre niché dans le caniveau ne voudrait pas d'acteurs pareils. La seule chose qui amusait la Sombre, c'était de voir le niveau de médiocrité qu'ils étaient capables d'atteindre. Même le Guet, rempli de boulets crétins et incompétents, ne s'y laisseraient pas prendre. Lorsqu'ils s'étaient approchés d'elle, elle avait pensé qu'ils tenteraient de l'attaquer à deux, mais ces deux idiots n'en firent rien, continuant leur spectacle comme des enfants fiers de leur bêtise. Eiriztraena ne mouveta pas. Elle se laissa faire du début à la fin, les regardant tous les deux d'un air à la fois peiné et gêné. Que l'Itri'Vaan ne vienne jamais se réclamer d'être un haut lieu du théâtre après ça.

Elle ne put s'empêcher de sourire en entendant le nom d'Uriz, venant d'un vulgaire humain stupide. C'était à se demander où il avait entendu son nom pour croire qu'il était le dieu de la miséricorde et de la bêtise humaine. Peut-être était-il devenu nécessaire de leur montrer de quel bois se chauffait un véritable serviteur d'Uriz. Alors que les deux humains s'apprêtaient à s'en aller, Eiriztraena se retourna, et d'un pas rapide, se rapprocha du blondinet pour l'attraper par les cheveux, et le projeter au sol d'un mouvement fort et brutal. Elle se retrouva entre les deux hommes, mais ne les craignait pas le moins du monde. Elle jeta d'ailleurs la bourse sur celui qu'elle venait de mettre au sol, portant aussitôt la main sur la garde de son épée, prête à la dégainer.

« Le spectacle est terminé, maintenant, les pauvres. Au passage, le théâtre, ça s'apprend. » dit-elle enfin, sans pour autant rendre sa voix plus menaçante qu'auparavant. De toute façon, elle ne saurait dire si ces deux gugus valaient quelque chose. Après tout, on ne demandait pas aux voleurs d'être bons acteurs, alors pourquoi seraient-ils de bons combattants ? « En plus, faut vraiment être cons pour jouer la carte de la miséricorde dans un quartier où on en a rien à foutre des clodos, pour peu qu'on sache qu'ils existent encore. »

C'est bien pour ça qu'ils payaient des sommes folles pour s'en tenir éloignés le plus possible, d'ailleurs. Eiriz' ne pouvait pas ne pas les comprendre. Elle avait bien trop fréquenté les quartiers pauvres pour ne pas voir qu'ils étaient tous bien trop louches. Plus on s'en tenait éloigné, mieux on se sentait, tant dans sa tête que dans son corps. N'importe qui préférait les Soieries de Thaar pour la simple et bonne raison qu'elles n'étaient pas un repaire de coupe-gorges.

« Et puis, alors, tenter d'appâter quelqu'un de supposément riche avec une si petite bourse… Vous n'êtes vraiment qu'une bande d'amateurs. » se désola la Drow, qui toisa tour à tour les deux fugitifs, guettant leurs mouvements, s'apprêtant à réagir s'ils voulaient riposer. « Non, par contre, tu dois avoir quelque chose d'autre qui m'intéresse, mon petit gars. » dit-elle à l'homme blond qu'elle avait envoyé au sol un peu plus tôt.

Cette fois, l’amusement fit place à la stupeur d’abord et la colère ensuite. Pour qui elle se prenait la bourge? Un jour il faudrait vraiment que les marchands des soieries se rentrent dans le crâne que leur argent et leurs manières soit disant distinguées ne faisaient pas d’eux un sang plus noble que celui des bas-fonds de thaar au contraire…

-Désolé mais moi je suis pas intéressé chérie. Lâcha un Ren agacé et reculant de quelques pas en récupérant la bourse de pierre. Et encore moins quand on me tire les cheveux comme une gamine.

Viliam lui aussi toisait la doeben, un rictus sur les lèvres. Il y avait des dizaines et des dizaines de voleurs dans cette foutue cité, pourquoi c’était à eux qu’elle semblait soudain s’attacher comme une moule à son rocher ?

-Écoute, je sais pas qui t’es et quelque part on s’en fou. Mais t’es toute seule, on est deux et tu nous cherches des noises alors qu’on demande rien. C’est quoi ton problème ? fou nous la paix et va  t'en pleurer auprès du guet à quel point les gens pauvres sont méchants tient. Ils seront ravis de lécher tes jolis petits souliers vernis.

Le ton était certes cassant, mais pas encore agressif. La main du bandit ne se portait au pommeau de sa rapière que par anticipation. Il ne souhaitait pas faire du mal à cette idiote malgré tout. D’ailleurs, Ren recula encore.

-Elle a raison sur une chose remarque… Un sourire se redessina sur le visage du blond qui soupesait machinalement les cailloux. On est vraiment con quand on s’y met.

Et sans prévenir, Ren lança de toute ses forces le lourd sac dans le nez de la noireaude avant qu’ils ne détalent comme des lapins. Elle allait bien les lâcher et aller voir ailleurs s’ils y étaient non ?

« Pauvre chou, faut pas pleurer ! Il n'aime pas quand on lui tire les cheveux ! C'est qu'il est sensible le bébé ! » s'exclama Eiriztraena d'une voix maternaliste et moqueuse, joignant les mains comme si elle s'apprêtait à implorer son pardon. « La prochaine fois, tu n'auras qu'à les tondre, comme ça tu n'auras plus ce problème. »

À moins qu'ils ne continuaient leur stupide comédie, ce qui n'était pas impossible, venant d'abrutis aussi mauvais acteurs. Quoi qu'il en soit, ça n'empêchait pas la Drow de s'abaisser à leur très faible niveau. Et encore, il n'était pas sur qu'elle y arrive un jour, même avec toute la volonté du monde. Les humains avaient la fâcheuse tendance à tenir la dragée haute, lorsqu'il s'agissait de montrer l'étendue de sa bêtise et de sa faiblesse.

« Vous êtes deux ? Que les cieux me viennent en aide, je suis fichue ! » s'indigna-t-elle, s'adressant cette fois-ci à l'autre brigand, ses deux mains sur sa bouche grande ouverte, d'un faux air effrayé. « Mais alors vous attendez quoi pour porter l'estocade ? Viens donc tenter ta chance si t'es si bon que ça, le clodo. »

Mais Eiriztraena savait bien qu'il était trop faible ou lâche pour ça. Ces deux idiots avaient eu mille opportunités de l'attaquer, et avaient préféré jouer les comédiens débiles plutôt que de prendre l'avantage sur elle. Ou du moins essayer. Comme elle savait qu'elle affrontait du fugitif à la petite semelle, elle ne craignait pas du tout être submergée par deux combattants aguerris, puisque ces deux gus ressemblaient plus à des brutes du caniveau qu'à une élite, pour peu que l'élite vaanie existe et vaille quelque chose.

Finalement, comme la Drow l'avait plus ou moins anticipé, ces deux idiots ne voulaient pas se montrer braves le moins du monde. Pourtant, elle avait quand même tiré son épée lorsqu'ils se mirent en mouvement, mais, au lieu de la charger, le blondinet préféra lui jeter sa bourse au visage et en profiter pour fuir. Ils n'avaient plus qu'à espérer réussir à la semer, car Eiriz' était bien plus entraînée qu'un garde du Guet, et surtout bien plus agile et véloce. Elle n'en oublia pas sa partenaire dont elle n'avait plus de nouvelles depuis plusieurs minutes, et pensa tout de même à siffler pour l'appeler, ou moins lui donner une piste, avant de s'élancer à la poursuite des deux trouillards de fugitifs.

Malgré son nez et sa fossette en sang, Eiriztraena rengaina son épée et cibla le blondinet, qui était normalement celui qui possédait la dague qu'elle n'avait pas pu revoir de plus près. Elle put faire parler des siècles d'un entraînement d'une rudesse et d'une exigence que ces voleurs ne connaîtront jamais de leur misérable vie éphémère. La course poursuite pencha en la faveur de la Drow, qui, une fois à portée du fugitif, lui asséna un tacle pour le faire chuter. Elle n'attendit pas d'en voir les effets pour se relever, et se rua sur sa proie pour ne pas lui laisser la moindre chance de s'esquiver de nouveau. Eiriz' l'attrapa une nouvelle fois par sa crinière blonde, et l'envoyer violemment bouler sur un mur.

« Je confirme, vous êtes vraiment une bande de cons. » soupira-t-elle, debout devant le fugitif, la main sur la garde de son épée. « Je suis même certaine que ton copain ne pourra pas s'empêcher de venir tenter te sauver ta misérable vie au péril de la sienne. » se moqua Eiriztraena, ne retenant pas un rire cruel. « Mais bon, maintenant on va pouvoir passer aux choses sérieuses. Tu me la montres, cette dague ? »

-Ah la Saletée...

Ren tituba en se relevant une deuxième fois, essuyant lui aussi les quelques gouttes de sang qui coulaient de sa lèvre après les nombreux chocs qu’il avait subis. Il semblait bien endoloris à force et peinait à retrouver sa propre dague pour se défendre.

-Mais ça suffit oui ?!

Derrière la drow, Viliam lui assena un violent coup de poing et lorsqu’elle  se retrouva sur le dos, lui faisant face, il pointa sa rapière sur sa gorge, s’interposant entre elle et Ren.

-Ren, barre toi.
-Mais…
-Discute pas j'ai dit barre toi.

L’ordre avait été sec et sans appel. Alors Ren avait rasé le mur et avait fait mine de s’éloigner de la scène à contrecoeur. Viliam l’observa du coin de l’œil continua de pointer sa rapière sur la gorge de la sombre. Il n’avait probablement aucune chance contre elle en combat singulier, mais il n’avait plus le choix.

-C’est moi qui l’ai ta dague. lui grondait Viliam. Laisse-le partir.

En plus de cela, à lui tout seul, Viliam avait bien plus de valeur aux yeux du guet qu’un foutu couteau doeben. Si c’était l’argent qui poussait la voleuse à se battre, alors il était une cible bien plus intéressante que le blond qui s’enfuyait dores et déjà à travers les ruelles de Thaar. Encore fallait-il qu’elle parvienne à le ramener à eux cependant et cela, le fugitif ne le laisserait pas faire.

-Pourquoi t’y tient autant ?

Eiriztraena avait évidemment vu juste. Dans son dos, le copain du blondinet intervint et lui asséna un coup de poing. Elle fut projetée à terre suite à la violence de la frappe, mais supporta aisément la douleur et le choc. Partie pour se relever d'un geste vif, elle fut malheureusement, et étonnamment, prise de court par le bandit impur, qui avait dégainé sa rapière pour la pointer sur elle. La Drow s'arrêta alors, toujours allongée sur le sol. Elle souriait comme si c'est elle qui était en position de force. Elle avait encore quelques tours dans son sac, après tout… notamment une épée et une dague.

Elle regarda avec mépris le blondinet s'échapper avec la dague qu'elle convoitait dans les poches. Le brun avait toujours sa rapière, et Eiriz' pensait qu'il ne faisait que gagner un peu de temps pour s'échapper à son tour. Il n'en fit rien. Il demeura seul au devant du danger, pensant, en plus de cela, que ses mensonges et sa bêtise allaient faire mouche auprès de la Sombre. Cette dernière bascula la tête vers l'arrière, dévoila sa gorge comme si elle l'invitait à la lui trancher, riant aux éclats.

« Non. Tu n'as pas cette dague. » fit-elle, redressant sa tête pour fixer le bandit de ses yeux rouges. Elle designa de la tête la ruelle vide, maintenant que son copain s'était barré à toute jambe loin de lui et de la Drow. « C'est ton copain qui l'a. Il serait temps d'arrêter de me prendre pour une idiote, ça fait trois fois que vous essayez, et ça fait trois fois que ça échoue. »

Il y est des choses, dans ce bas monde, qu'il valait mieux ne pas voler. Tout le monde avait un fétiche, un objet “sentimental” (comme disent les humains) auquel on était éminemment attaché, et qu'on était prêt à protéger à n'importe quel prix. Puis, certains objets avaient une valeur plus significative encore, et lorsque cette valeur était sacrée ou divine, les choses se compliquaient pour ceux qui les dérobaient, mais aussi pour ceux qui les perdaient. Ces derniers avaient tout intérêt à prouver à leurs Dieux qu'ils étaient dignes de posséder des objets à leur effigie.

« Et puis, je ne te dois aucune explication. Ce n'est pas comme si elle t'appartenait, sale voleur. » rénchérit-elle d'une voix tout à fait méprisante. Son regard rouge et vil se figea sur celui du faible humain, sa voix se faisant plus menaçante. « Si je peux d'ailleurs me permettre un petit conseil, il vaudrait mieux que tu la rendes, si tu ne veux pas connaître des tourments comme tu n'en as jamais connu de ta courte et misérable vie de brigand mauvais comédien. »

-C’est marrant…J’ai pas plus de compte à rendre que toi la doeben.

Viliam prit un faux air nonchalant en répondant à la femme de plus en plus agressive. Il jouait avec le feu il en était conscient mais cette drow lui paraissait avoir besoin d’une sacrée bonne leçon. Ses menaces ne lui faisaient pas beaucoup d'effet. C'était bien trop facile de promette des souffrances inimaginables sans connaitre celui qu'on avait en face... Pour l'instant, elle avait beau avoir démontré des capacités combatives plutôt impressionnantes, elle n'avait pas fait grand chose d'autre qu'user sa salive.

De la main qui ne tenait pas sa rapière il vient chercher l’objet de tout ce beau bordel et l’agita, narguant l’agresseusse. Il s’était bien douté que le geste insensé de Ren aurait attiré les regards malveillants…

-Et bah ça alors. Madame est peut être pas si fine que ça en fait…

Alors que quelque chose sembla attirer son attention et lui tirer un fin sourire narquois, Viliam recula. Un pas puis deux. Il tendit la dague au-dessus d’une grille qui menait certainement tout droit aux égouts. Qu'elle fasse un geste, un pas de trop et elle n'aurait plus qu'à patauger pour aller la chercher sa foutue lame. Et il priait  Nééra de toute ses forces pour que la nuit ait été chargée ce jour là.

-Je suis peut être un voleur, mais toi t’es pas plus nette. Pourquoi tu la veut cette dague ? Redemanda-t-il tranquillement.

« Ça, tu ne peux pas le savoir. »

Et, elle ne croyait pas si bien dire. Ce guignol pensait toujours qu'Eiriztraena était une doeben. D'un autre côté, c'était plus ou moins ce qu'elle cherchait à faire croire. Les gens d'ici ne toléraient pas les Puysards. Tout le monde les voyait comme des intrigants et cruels personnages, ce qui n'était pas toujours tout à fait faux. Puis, finalement, plus on était discret, mieux on parvenait à tracer son bonhomme de chemin sans être emmerdé par des voyous. Cela n'empêchait pas certains tocards de passer entre les mailles du filet, et ceux-ci n'échappaient que rarement à une bonne correction.

Finalement, la Drow remarqua que la dague avait changé de main, pour peu que cela aurait une réelle incidence sur sa manière d'appréhender ces idiots si elle l'avait su plus tôt. Si c'était bien le blondinet qui l'avait gardé, elle aurait utilisé son copain comme monnaie d'échange. C'était une tactique qui fonctionnait très souvent avec les humains… ou du moins ceux qui s'attachaient aux autres par des “sentiments”. Bien évidemment, cette méthode était bien moins efficace avec des personnes comme les Princes-Marchands, ou tout autre personne riche sachant parfaitement remplacer quelqu'un par la force de l'argent. En l'occurence, ce n'était pas à ce genre de personnages à qui Eiriz' avait affaire.

Elle ne put s'empêcher de sourire lorsqu'il agita la dague comme un nonos devant un toutou affamé pour la narguer. D'autant plus qu'il avait été suffisament bête pour jouer une carte qu'il aurait pu cacher un peu plus longtemps. Elle se redressa légèrement sur son dos lorsque le brigand s'éloigna, jusqu'à se positionner au dessus d'une grille d'égout pour menacer d'y lâcher la dague. Pensait-il seulement qu'elle se jetterait sur la dague en le laissant partir sans le châtier ? Parce qu'effectivement, maintenant qu'elle la revoyait de plus près, cette dague ressemblait très fortement à une dague d'un clerc ou d'une ponte d'Elda. Noire et ornée, elle semblait de qualité, et pas un défaut ne sautait aux yeux de la Drow, qui supposait que le propriétaire prenait soin de cet objet vraisemblablement important.

« Qui a dit que j'étais nette ? Hm ? » demanda Eiriz', désormais assise, les sourcils haussés d'un air presque surpris. Elle s'était contentée d'évoquer les faits, mais cela ne la rendait pas plus honnête que lui, loin s'en faut. « C'est d'ailleurs pour ça que je te permets quelques conseils. Après tout, il y a dans cette ville des coquins qu'il vaut mieux ne pas mettre sur les nerfs. »

Miradelphia a connu bon nombre de massacres pour bien moins qu'une dague rituelle volée par un abruti qui ne réfléchit pas vraiment à la portée de ses actes. Il en faut déjà peu pour attiser les foudres des Eldéens, leur priver de leurs objets rituels et religieux était un sacrilège très dangereux, que Kiel prenait plaisir à châtier, à tel point que l'hérétique l'implorerait d'y mettre fin en abrégeant ses souffrances. Ceci dit, il n'y avait pas besoin d'être un adepte de Kiel pour punir un dément offensant les dieux eux-mêmes.

« Et cette dague, là, elle fait partie des objets auxquels ces types sont plutôt attachés, si tu vois ce que je veux dire. » renchérit la Drow, désignant du doigt la dague tenue par le brigand. « D'un autre côté, tu pourras toujours te satisfaire d'avoir sauvé ton copain d'une bonne raclée… sauf si tu considères que tirer les cheveux, c'est déjà de trop. » fit-elle en haussant les épaules, un sourire narquois aux lèvres. « Mais bon, j'espère que tu ne vas pas me faire croire que tu ne sais pas ce dont sont capables certaines personnes, dans ce pays. Parce que c'est pas ici que les limites sont contraignantes. »

-Hé bien j’espère que les personnes dont tu parles sont du genre à crapahuter dans la boue dans ce cas...

Sans se démonter, Viliam finit par ouvrir sa main et laisse tomber le précieux objet dans les souterrains de Thaar. Il pense même entendre un ‘’ploc’’ sonore qui lui confirme qu’ils auront bien du mal à récupérer la saleté de couteau. Un sourire narquois étire alors ses lèvres.

Visiblement, la dague est bien plus précieuse qu’ils ne s’y attendaient et Viliam à comprit que la garder serait trop dangereux. On les a trop vu avec, il faut qu’ils s’en débarrassent. Les quelques pièces d’or qu’ils obtiendraient en la revendant ne valent pas le coup.

-Sur-ce t’es bien gentille mais je crois que t’as un truc auquel tu tiens à récupérer. 

Il fait un pas en arrière, puis en autre, cherchant à filer sans qu’elle ne se jette encore sur lui. Son arme est toujours dégainée attendant de devoir parer la furie.

-Bon courage !

« Dans ce cas, laisse-moi espérer que t'es aussi résilient que grande gueule, parce que tu vas en avoir besoin. »

Pour jouer les malins, les humains étaient de véritables champions, qu'ils soient riches ou pauvres d'ailleurs. Ils n'avaient aucun vécu, aucun talent, ils étaient bêtes comme leurs pieds, mais ils venaient toujours l'ouvrir. Il ne fallait vraiment rien savoir des Drows pour les penser incapables de se salir dans des égouts. À part si les Doebens, à force de côtoyer les faibles et les impurs, étaient devenus pareils qu'eux. Encore une preuve que les humains étaient aussi faibles que bêtes pour estimer que les égouts étaient une épreuve. C'est bien en apprenant aux gosses que la vie est belle qu'ils deviennent stupides et faibles.

Alors que le type s'éloignait pas à pas, Eiriztraena le regardait, le sourire aux lèvres. La peur est de ces choses si belles à admirer. Il ne savait pas encore à qui il avait à faire, mais ce débile de brigand savait maintenant qu'il s'était attiré les foudres de personnes bien plus puissantes que lui. La seule chose qui lui aurait permis de s'en sortir sans trop de dégâts était cette dague qu'il venait de jeter aux égouts. Pire encore, il venait de commettre une hérésie. Et il était suffisamment idiot pour penser qu'il en réchappera.

« Rien ne te sert de courir, je suis plus rapide que toi. » fit-elle, se relevant pour épousseter ses vêtements poussérieux après son passage au sol. Elle fit alors quelques pas vers lui, alors qu'il continuait de reculer et s'apprêtait à cavaler. « Quitte à ne pas avoir les jambes, ni l'argent, tu aurais pu au moins te démerder pour utiliser ton cerveau. »

Ce n'était pas faute de l'avoir averti à plusieurs reprises. Mais cet abruti avait préféré s'entêter dans sa bêtise. Dire qu'il lui aurait sûrement suffit de restituer cet objet, comme Eiriz' le lui avait préconisé à deux reprises. Mais, il fallait croire que les humains aimaient les raclées, puisqu'ils la provoquaient volontiers. S'élançant à la poursuite du fugitif, la Sombre tira sa dague et, une fois à portée, la lui lança pour qu'elle se plante dans son omoplate. Cela suffit amplement pour ralentir le fuyard, et elle put donc le rattraper, rompant la distance les opposant en dégainant son épée.

« Dos shiubnaut ssuth uns'aa, abbil. » fit Eiriztraena, recouvrant son accent puissant et sombre d'Elda. Un sourire narquois se dessina sur son visage, alors qu'elle se positionna devant lui, la tête légèrement penchée sur le côté, la plat de son épée sur son épaule, comme si elle admirait un court spectacle. « Tu pensais sérieusement pouvoir t'en tirer comme ça ? Sans même une petite punition ? »

C'est regrettable, tout de même, de parvenir à fuir le Guet pour finalement se faire un nouvel ennemi dans la foulée. Un ennemi plus puissant, et il l'aura compris au vocabulaire qu'il emploie. Et cette dague dans l'épaule n'était qu'un très doux commencement, même si pour un humain, cela était déjà une douleur insurmontable. Tant pis pour lui. Après tout, s'il avait restitué cette dague, il n'en serait (peut-être) pas là. Comme Eiriztraena ne voulait pas qu'il puisse fuir une nouvelle fois, elle se mit en position de combat et, après un pas en avant, et quelques passes d'armes avec le fugitif, elle parvint à lui asséner un coup de taille sur l'arrière de sa jambe. Elle en profita pour lui asséner un violent coup sur la rapière, le forçant à la relâcher, avant de la taper du pied pour l'en éloigner.

« Puisque tu aimes tant les égouts, on va y aller ensemble. Cette dague, j'y tiens, mais autant laisser les rats, les pauvres et les esclaves creuser la merde. Après tout, vous êtes là pour ça. » fit la Drow, cette fois-ci sur un ton des plus sérieux et provocateurs. Même si c'était la réalité de ce monde impitoyable, elle savait que les pauvres n'aimaient pas que l'on leur rappelle aussi crûment. « Tu connais le dicton : on ne peut pas fuir son destin. »

Avec un peu de chance, il aurait pu enfin en finir avec la furie et disparaitre mais non. A la place il y avait eu cette dague, cette foutue dague. La lame qui mordit sa chaire au niveau de l’épaule lui arracha un cri de douleur alors que sa course cessait brutalement. Il eut beau essayer de se défendre, entre la douleur et l’habileté de son adversaire, il n’avait aucune chance. Viliam vit son arme lui être arrachée et une nouvelle passe d’arme le força à plier un genou à terre.

Il serra les dents en portant sa main à son épaule blessée. Il sentait déjà le sang poisseux coller à ses vêtements mais surtout putain que ça faisait un mal de chien… Pourtant, tremblant de douleur, mais aussi de peur et de colère, il osa malgré tout relever ses yeux brulant de haine vers elle à sa dernière remarque à propos des esclaves et des moins que rien. Animé d’un dernier élan de fierté, il cracha sur les bottes de la pyusarde.

-Le destin je l’emmerde. Une nouvelle vague de douleur dans son dos lui fit à nouveau serrer les dents.

Sa dague était déjà certainement loin, emportée par les eaux. Même s’il plongeait là-dedans, ils ne trouveraient probablement rien. En tout cas ça devait être la première fois de sa vie que Viliam priait pour voir débarquer une patrouille du guet…

Eiriztraena ne put retenir un rire malfaisant et moqueur à la remarque du bandit. Qu'il était mignon, le petit, à jouer les rebelles même dans sa situation périlleuse. Elle savait qu'une telle réflexion provoquerait sa colère, ou tout sentiment s'en approchant de près ou de loin. Surtout que les pauvres qui prenaient les armes et se mettaient à filouter n'étaient pas les moins orgueilleux, ni les moins intrépides, puisqu'ils étaient de ceux qui n'acceptaient pas leur condition. Ceux qui acceptaient leur destin avaient appris à l'endurer au point de devenir complètement insensibles.

« Tu peux bien lui faire ce que tu veux. En attendant, c'est toi qui va finir dans la merde, pas le destin. » fit la Drow en rangeant son épée, toujours riante de la situation. Elle fouilla l'homme blessé pour dénicher toute arme dissimulée, et, une fois ceci terminé, le tira par le bras pour le lever et le forcer à la suivre jusqu'aux égouts. « Allez, au travail. Ton copain a une famille à nourrir, tu te souviens ? Tu ne peux pas lui faire faux bond. »

Eiriz' ne se préoccupait pas de ses blessures qui pouvaient le ralentir, et encore moins de son confort. Elle n'avait pas de temps à perdre avec cela, et puis, plus vite il lui obéirait, plus vite il pourrait repartir, certes amoché et sale. De toute manière, il devait être habitué à ce genre de mésaventures, empoté comme il était. Pour couronner le tout, il fallait également que son entourage soit rempli d'abrutis, à part si seul le blond qui avait détalé était le dindon de la farce.

Une fois à hauteur de la grille d'égout dans laquelle le brigand avait jeté la dague rituelle, la Sombre botta les fesses de son otage pour le projeter plus loin, et souleva la grille. Elle pencha la tête pour estimer la profondeur, avant de se retourna vers le vaani.

« À toi l'honneur. » fit-elle, alors qu'il était toujours à terre et que ses blessures l'empêchaient de se relever. Elle soupira puis s'approcha de lui, le souleva par le col, le tira jusqu'à l'ouverture, et, sans aucune hésitation, le balança dans le trou. Elle ne put retenir un dernier sourire lorsqu'elle entendit le choc de son corps sur le sol des égouts. « Pas trop de mal ? » demanda-t-elle, non sans une ironie même pas cachée.

La Drow reprit la grille et s'infiltra dans le trou à son tour en s'accrochant à l'échelle, puis remit la grille à sa place par dessous. Elle descendit jusqu'au fond et retrouva son ami se tortillant de douleur après un choc probablement mal négocié. Il faut dire aussi qu'elle n'y avait pas été de main morte, mais cela l'amusait beaucoup trop pour qu'elle s'arrête. De plus, Kiel était sûrement fière d'elle, Elle aussi. Eiriz' en profita pour jeter un œil aux alentours, mais le courant avait surement emporté l'objet qu'elle cherchait plus loin dans les galeries. Agacée, elle donna un coup de pied au bandit.

« Bon, debout là ! Arrêtes de faire ta chochotte trente secondes. » l'invectiva-t-elle, les mains sur les hanches. « La dague doit pas être bien loin. Soit au fond d'un bassin, soit coincée dans une grille d'évacuation ou quelque chose du genre. » supposa Eiriz', irritée que cet idiot se traîne. Elle lui asséna un autre coup de pied. « Allez, en chasse, mon minou. »

Comme il s’y était attendu, la rebuffade n’avait pas tellement plu à sa tortionnaire. Sans ménagements, sans lui laisser une chance de fuir, elle le traina et l’envoya bouler en arrière. Puis, avant même qu’il ne puisse se relever, elle vint à nouveau le chercher, tirant sur son col avant de le précipiter dans les égouts.

Le choc de son corps contre la pierre dure fut on ne pouvait plus brutal et expulsa ce qu’il restait d’air dans ses poumons dans un nouveau bref cris de douleur. Roulant sur le côté, il chercha à reprendre un peu d’air. Dans la chute, il avait senti la lame s’enfoncer un peu plus dans sa chair, provoquant de violentes lancées dans tout son corps tandis que sa vision était brouillée de millier de petites étoiles.

Doucement il posa sa main valide sur le sol, cherchant un appui pour essayer de se relever. Mais la lenteur n’était pas au gout de la drow qui lui balança un nouveau coup de pied bien sentit au niveau du plexus solaire et l’empêcha encore une fois de totalement reprendre ses moyens. Il y en eut un dernier, quoi qu’un peu moins fort, accompagné de moqueries que Viliam n’entendait pas tant son crâne résonnait douloureusement.

Il allait mourir là, au fond d’un trou puant des mains de cette salope de puysarde. Car elle ne le lâcherait pas, dague ou non, il en était certain. Et puis il n’était pas certain d’avoir assez de force pour se relever vu l’état de sa jambe.

-Fal…lait…ptêtre…pas…ahane-t-il, tout en se glissant près d’un mur pour tenter de s’en aider. Me dé…foncer…la jambe…pour ça.

Lorsqu’il parvint enfin à se relever, il fit à nouveau face à la furie, son épaule valide appuyée contre le mur. Derrière ses mèches brunes trempées de sueur, la pyusarde put voir une dernière lueur presque résignée animer ses yeux sombres. Soit c’était l’état de choc, soit le bandit était déjà résolu à mourir. Sa peau était pâle et ses lèvres bleuies par le sang qui commençait à cruellement manquer. Il était au bord de l’évanouissement.

-Quoi qu’il se passe…tu va probablement…me buter.

Au moins Ren était en sureté et il savait ce qu’il avait à faire. Lui et clarisse sauraient comment sortir l’Aile blanche de cette merde. C’était là son seul réconfort.

« Ouais bah, hein ! Il fallait ce qu'il fallait pour que t'arrêtes de cavaler. Et puis, moi j'ai tout mon temps. » rétorqua l'Eldéenne, un sourire narquois se fichant à ses lèvres. « C'est plutôt toi qui n'en a pas, sinon tes plaies font s'infecter. » Elle croisa les bras sur sa poitrine, et fronça les sourcils. « Et je sais très bien que tu fais exprès de te traîner. »

Finalement, le bandit réussit à se relever, s'appuyant sur le mur pour avancer. Ça critique le fanatisme eldéen, mais au moins, ce n'est pas trois égratignures qui mettent un soldat à terre. Eiriztraena se maintint à distance derrière le gugus qui n'avait pas beaucoup d'échappatoires dans ces égouts putrides. Elle ne retint pas son sourire lorsqu'il supposa qu'elle allait le laisser mourir. En réalité, c'est une chose à laquelle elle n'avait pas encore pensé. Ce dont elle était sûre, c'est qu'elle n'emmènerait pas un boulet pareil jusqu'au Puy. Mais, toute assassin qu'elle était ne tuait pas tout ce qui bougeait parce que cela lui procurait du plaisir ou même parce qu'elle le pouvait. D'ailleurs, laisser la vie s'avérait parfois plus utiles que tuer.

« Et qu'est-ce que tu en sais, hein ? » le questionna-t-elle, haussant un sourcil. « Contente-toi d'avancer et de trouver la dague, on verra après pour le reste. » Elle le poussa des deux mains pour qu'il avance. « Et continue de faire l'escargot et je continuerai de te dézinguer à petit feu. » le prévint-elle, l'index dressé comme si elle parlait à un enfant capricieux, bien que le vocabulaire n'était probablement pas celui auquel ce con était habitué.

Le groupe, si on pouvait l'appeler ainsi, avança à travers les galeries sombres. Le manque de lumière ne gênait pas la Drow le moins du monde, elle qui a grandi au Puy, bien que cet idiot ne s'en doutait toujours pas. Ou alors l'avait-il compris mais le cachait ? Après tout, Eiriztraena n'avait lésiné sur les indices reliant cette dague au Puy, notamment pour l'effrayer et qu'il rende la dague sans attendre. Mais, comme ce type n'était pas le plus intelligent du monde, il ne l'avait peut-être pas compris. À moins que jeter la dague dans les égouts était, selon lui, une meilleure idée que la rendre à son propriétaire. Cela importait peu, désormais.

Après une rafale de coups de pieds et de bousculades pour le contraindre à se grouiller, la drow et le vaani arrivèrent au milieu d'une première zone sur laquelle s'écoulait de nombreux autres tunnels. Au milieu, un bassin dont le fond était remplie d'une eau croupie et sale, et jonchée de déchets et de déjéctions humaines. Elle arborait sa couleur verdâtre infâme si connue et si bien imaginée du commun des citadins. Une échelle de fer permettait d'y descendre et d'en remonter, alors qu'une odeur nauséabonde s'en échappait. Eiriz' y jeta un œil, sans pour autant réussir à localiser la dague de là où elle était. Il était cependant très probable qu'elle y soit.

« Hé bien, tu sais ce qu'il te reste à faire. » ricana la Drow, se retournant vers le bandit, toujours épuisé par ses blessures. Avec le sourire le plus malfaisant fiché aux lèvres, elle l'attrapa une nouvelle fois par le col, retira la dague qui était toujours plantée dans son épaule, et le projeta dans le bassin par cette même épaule blessée. « Allez, au boulot, le chasseur de trésor ! » ordonna-t-elle, opérant le même mouvement qu'un chef d'orchestre, sans le bâton. « Hé ! Si tu trouves d'autres trucs précieux, je te promets de te les laisser ! »

Cette fois ci s'en était trop. La douleur de la dague violemment arrachée de son épaule ne lui tira même pas un cri. Le corps animé d'une demie vie qui plongea dans l'eau immonde ne s'en aperçu qu'à peine.

Immergé, le bandit mit de longues secondes à retrouver la surface, et dans quel état...

S'il y avait bel et bien un objet métallique serré sous ses doigts, il aurait été bien incapable d'en déterminer la nature. Était-ce la dague de la puysarde ? N'importe quoi d'autre ? Viliam n'en avait aucune idée. Il n'avait de toute façon pas la force de vérifier et encore moins de replonger.  C'était presque un miracle, si il y en avait un actuellement, qu'il ait réussi à saisir quoi que ce soit au fond de l'eau.

La seule chose qu'il parvint a accomplir avant de définitivement perdre connaissance, c'est de s'échouer sur un bord un peu moins profond, à l'abri de la noyade. Quoi que...comme si ça changerait quelque chose au final. Mourir noyé ou d'anémie ou bien encore de la violente fièvre qui accompagnerait à coup sûr les blessures infectées auxquelles il n'échapperait pas, qu'elle importance ? Son souffle était entre les douces mains de la DameDieu a présent.

« Bon alors, tu trouves ? »

Eiriztraena, restée en haut du bassin, regardait impatiemment le brigand se tortiller sur le sol absolument dégueulasse du bassin, tentant presque vainement de trouver cette dague. Encore une fois, il continuait de se traîner et de prendre son temps. Décidément, il ne tenait vraiment pas à se débarasser de sa ravisseuse. Cette dernière voyait bien qu'il tenait un truc dans la main, mais ne put voir s'il s'agissait de la dague ou non. Pire encore, au lieu de revenir, ce débile se mit dans un coin pour faire mine de s'évanouir, au bord de l'eau sale, au milieu.

« Oh ! Réveille-toi, connard ! » hurlait-elle sans que cela ne change quelque chose pour autant. « Arrête de simuler, bordel ! Tu sais très bien que ça ne fonctionne pas avec moi ! »

Eiriztraena attendit quelques secondes une réaction, mais le bandit ne bougeait pas, et ne lui répondait pas. Elle grogna, suffisamment fort pour que cela raisonne dans les égouts. Contrariée, elle se déplaça jusqu'à l'échelle, vérifiant que le bougre ne se mouvait toujours pas. N'avait-il toujours pas compris qu'il ne fallait pas irriter un Puysard ? Les coups de pied aux fesses à répétition n'étaient-ils pas assez ? Celui-là en demandait toujours plus, pour un geignard, cela en devenait presque agaçant. La Drow descendit alors dans le bassin et rejoignit le corps inerte du gugus, la main tenant effectivement quelque chose dans la main. Eiriz' resta debout, à quelques pas de lui, le sourire aux lèvres.

« Un vrai bébé, celui-là, quand il dort. » railla-t-elle, sans qu'il ne moufte d'une quelconque manière. La Drow s'approcha de lui, marcha sur son poignet tenant l'objet pour soulever sa main hors de l'eau, et constata qu'effectivement, il avait retrouvé la belle dague rituelle eldéenne qu'il avait volé tantôt. Elle se pencha pour la récupérer, et, du bout des doigts, toucha la poitrine du bandit pour remarquer qu'il était réellement inconscient. « Mais, il est vraiment mort ce débile ? Pas très solide, le monsieur. » commenta-t-elle, d'une voix presque déçue. Eiriztraena s'accroupit alors devant lui, et lui claqua d'abord une première fois la joue. Elle récidiva à de multiples reprises jusqu'à en violacer sa peau, en vain. « Bon, allez, là ! » aboya-t-elle, à l'issue d'une énième baffe, cette fois-ci plus violente encore. Elle se releva, haussant les épaules d'un air déconcerté. « Bon bah… tant pis. C'est dommage, tu y étais presque. »

Mais comme Eiriztraena ne voulait pas s'arrêter là si tôt, elle ne pouvait pas le quitter sans lui adresser quelques mots d'adieu. Dans ses affaires, elle retrouva un morceau de vélin vierge, et le déroula, non sans contenir un sourire des plus malfaisant. Elle qui s'était maquillé plus tôt dans la journée, elle embrassa le parchemin pour y laisser la marque de son rouge à lèvre noir. Elle replia le parchemin et le glissa dans la poche intérieure du bandit inconscient, là même où il avait dissimulé la dague, et tourna les talons. Elle remonta du bassin, et après un dernier coup d'œil vers l'homme, quitta définitivement cet endroit pour retourner à la surface.