Le feu de la jeunesse [Izilbëth]

C'était une de ces journées qui se ressemblent. Izilbëth avait dormi en hauteur, dans un arbre, après avoir entendu rôder des sangliers une fois la nuit tombée et s'était réveillée aux aurores. Prenant un instant pour écouter le chant des oiseaux, elle ne tarda pas à descendre, rangeant ses quelques affaires pour reprendre son errance. Cela faisait maintenant 4 cycles qu'elle errait dans les bois, sans vraiment savoir où aller. Échangeant parfois des denrées contre du matériel en ville, elle n'avait eu que peu de contacts avec ses semblables depuis son excommunication. Elle semblait peiner à s'intégrer aux citadins avec qui elle partageait peu de choses et le peu de Noss qu'elle avait aperçu avaient toujours été soigneusement évités de peur de n'être confrontée aux raisons de sa solitude.

Elle aurait pu se rapprocher d'une autre Noss pour tenter de s'y faire accepter, mais la blessure de son excommunication était encore si fraiche qu'elle préférait rester loin de tous. Il fallait dire que les énormes cicatrices qui bardaient ses épaules de part et d'autre avaient tendance à faire fuir quiconque aurait voulu engager une causette avec la Noss. Passant aux yeux des citadins comme des blessures de guerre, elle s'assurait une certaine tranquillité, les jours où elle ne se couvrait pas de sa cape.

Contrainte de voyager léger elle n'avait que peu de possessions avec elle et les gardait précieusement dans sa besace de peur qu'une créature de la forêt ne lui les vole. Il arrivait parfois qu'un Pikulua tente de lui chiper des vivres ou même parfois des flèches, ce qui l'avait contrainte à vivre constamment en mouvement, à ne jamais rien perdre des yeux.

Elle avait longuement traqué une biche, espérant se nourrir de viande ce soir là. Elle n'avait pas pour habitude de chasser à outrance et prenait soin d'échanger chaque partie de la bête qu'elle ne consommait pas, mais cette dernière énneade avait été signe de jeûne pour la Noss. Encore trop peu familiarisée avec les plantes comestibles que la forêt avait à lui offrir, elle avait consommé quelques restes de viande qu'elle avait gardé. Consciente que cette vie solitaire n'était pas une solution durable, elle ne faisait que repousser le moment fatidique où elle chercherait de l'aide, de crainte de n'être rejetée une fois de plus. Il arrivait parfois qu'une gerbille impériale, sentant sa faim, lui apporte quelques fruits des bois, mais l'estomac creux était devenue une compagne de voyage pour l'elfe qui portait ce fardeau comme souvenir de son excommunication.

Tapie dans les bois, elle entendit une conversation au loin entre deux personnes. Les pas venant dans sa direction, Izilbëth se cacha tant bien que mal, espérant ne pas se faire remarquer par le couple. Une jeune elfe accompagnée d'un autre plus vieux. Les observant à distance, cachée dans les fourrées, Izilbëth fit demi-tour, ne remarquant pas qu'ils étaient accompagnés d'une jeune Faïra.

Pensant avoir échappé à ces deux inconnus, Izilbëth ne pu pas ignorer les bruits de pas feutrés qui s'approchaient d'elle. A en croire par le rythme et le bruit que faisaient les pas, ils s'agissait d'une jeune panthère. Se retournant en tirant sa dague de son fourreau, Izilbëth s'apprêtait à se défendre face à la créature quand elle remarqua que celle-ci n'était pas agressive. Une main tendue vers la créature, Izilbëth tentait de lui faire comprendre qu'elle ne représentait pas un danger quand la grosse panthère vint se frotter à sa main. Ronronnant bruyamment comme un gros chat pourrait le faire, Izilbëth resta un instant pantoise face à la scène. Elle savait que nombre de Noss adoptaient et éduquaient des Faïra, mais en toucher ne faisait pas partie des choses qu'elle pensait vivre durant cette journée somme toute des plus banale.

- Ne lui faite pas de mal par pitié, elle n’est pas sauvage !

La voix de la jeune adolescente fit lever les yeux à Izilbëth qui se figea d'autant plus. Laissant la faïra continuer à se frotter à sa main, elle en lâcha sa dague, comme pour montrer qu'elle n'était pas hostile non plus. Il était clairement visible dans son regard qu'elle ne savait comment réagir et pendant un instant, l'idée de fuir lui traversa l'esprit. Mais consciente que l'instinct de prédation de la faïra lui vaudrait sûrement de se faire poursuivre, elle se contenta de rester là, les mains tendues vers la panthère qui se frottait allègrement à elle.

- Je... Je ne savais pas que vous étiez là, pardonnez-moi !

Peinant à faire sens dans ses paroles, elle semblait littéralement prise de panique, comme traversée par des flash de son excommunication qui semblait avoir laissé une plaie béante dans le coeur de l'elfe. Les épaules couvertes de sa cape, ses cicatrices n'étaient pas visibles et son air perdu confirmait qu'elle ne savait pas quelle réaction avoir face aux deux inconnus.

Peut-être trop habituée à la solitude, où trop blessée par le rejet de ses pairs, Izilbëth était profondément méfiante envers les Noss qu'elle croisait. Son éloignement s'était fait progressivement quand elle fut excommuniée. Nombre de ses anciens amis l'avaient mise en garde qu'elle devait fuir si elle voulait éviter la mort, mais il fallut qu'elle soit visée de nombreuses flèches pour se décider à véritablement partir à l'opposé de la Noss qui l'avait chassée. Elle avait parfois pensé à mourir, se laisser atteindre par une flèche, pour éviter de n'avoir à se confronter à sa soudaine solitude, mais sa ténacité avait eu raison de sa peine et elle avait fini par accepter son sort. Mais la vie dans la forêt, seule, sans village pour éloigner les bêtes féroces, ni l'amour de ses pairs était difficile et elle se surprenait parfois à espérer trouver le soutien et la chaleur d'une nouvelle tribu.

La panique qu'elle ressentait s'estompa rapidement en comprenant qu'aucun des deux elfes qu'elle venait de rencontrer ne lui ferait de mal. L'attitude joueuse de la panthère qui s'était tapie derrière elle lui fit perdre toute dernière appréhension et elle adressa enfin un sourire léger aux deux comparses.

- Pardonnez moi, je n'ai pas l'habitude de voir des Faïra apprivoisés.

Elle garda cependant sous silence sa solitude, préférant ne pas attiser de jugements chez ces nouvelles rencontres. Craignant qu'on ne la pointe du doigt et la rejète pour avoir été bannie de sa Noss, elle avait gardé cette information secrète depuis ces 4 dernières années. Se penchant pour ramasser sa dague, une grosse patte velue vint se poser sur le manche de l'arme. Entre ses jambes, la faïra arborait de grands yeux ronds aux pupilles dilatées, joueuse et Izilbëth se saisit d'une pomme de pin qu'elle jeta plus loin, regardant la panthère partir après en bondissant toutes pattes en avant.

- Je vais bien, merci. Vous m'avez surprise, je dois l'avouer

Elle se redressa pour ranger sa dague dans son fourreau, levant un instant les yeux vers eux pour observer leur réaction face à l'acier dont était faite l'arme. Restant malgré tout méfiante -bien malgré elle- elle observa l'attitude des deux elfes, cherchant des réponses sur leur provenance, leurs attaches, essayant de planifier leur réaction. Ses années à vivre dans la crainte, le rejet et une vie de nomade avait fait d'elle quelqu'un qui avait de grandes difficultés à ne pas être dans un contrôle constant de ce qui l'entourait. Afin d'éviter d'être dévorée ou tout simplement de mourir de faim, elle avait du toujours prévoir, savoir, écouter. Et cette nouvelle rencontre ne manquerait pas à ses habitudes. Les détaillant du regard discrètement, elle tentait d'en savoir plus, sans oser demander quoi que ce soit.

Izilbëth esquissa un sourire attendris devant la gêne de la jeune elfe. Malgré ses récents traumatismes, elle conservait malgré tout un fond bon et ne souhaitait finalement pas qu'elle ne se torture l'esprit plus que nécessaire. Car au final, elle était plus apeurée par les compagnons de la Faïra que par la bête elle même. Chose que Sërythil sembla remarquer, à en juger par la douceur dont il faisait preuve avec Izilbëth. Elle semblait avoir oublié que parfois, la bonté était possible et que malgré toute la peine qu'elle avait enduré, il n'était plus nécessaire de se cacher.

Toutes ces années durant, Izilbëth s'était convaincue qu'elle ne pourrait jamais plus connaître la chaleur d'un foyer et restant toujours à une distance rassurante, elle observait, de loin, les Noss prospérer. Ce clan lui semblait tellement éloigné de ce qu'elle avait toujours connu qu'il était difficile pour elle de comprendre qu'elle ne courrait aucun danger. Peut-être la fuite de son précédent clan, bien malgré sa volonté avait-elle fini par lui ôter la raison. Peut-être était-ce juste la solitude qui l'avait rendue si sauvage qu'elle craignait que tout s'effondre. Elle pris malgré tout le temps d'écouter les mots de l'homme qui se voulaient toujours plus rassurants et elle hocha la tête, indiquant avoir compris qu'elle ne courrait aucun danger.

Difficile après avoir passé tant d'années sur le qui-vive de se laisser aller à un tant soit peu de confiance. Mais elle ne pouvait décemment pas ignorer les mots que Sërythil avait prononcé, qu'elle savait volontaire. Elle pourrait, pendant une nuit peut-être, trouver un repos véritable. Car les nuits qu'elle avait connu depuis longtemps était toujours pleine de méfiance et telle une proie, elle ne dormait que d'un oeil, prête à fuir si c'était nécessaire.

- Vous dites que vous accueillez les voyageurs ?

Elle voulait tout de même entendre de la bouche de ce homme chaleureux ce qu'elle pensait avoir compris. Préférant, comme à son habitude, rester méfiante et souhaitant éviter tout malentendus, elle esquissa un nouveau sourire franc quand la grosse panthère vint se frotter dans ses jambes, poussant sa main de sa grosse tête. Malgré l'image attendrissante que lui offrait la Faïra, elle leva de nouveau les yeux vers Sërythil, pleine d'espoir. Il était plutôt évident qu'elle n'avait pas entendu de tels mots depuis longtemps et même si elle était restée bien trop distante toutes ces années pour qu'on les lui adresse, l'étincelle dans ses yeux trahissait sa volonté farouche de retrouver la chaleur d'un clan, même le temps d'une nuit uniquement.

Le chemin jusqu'au clan des Vethërill ne fut pas long et ils arrivèrent bientôt sur une clairière adossée à un mur de taille impressionnante. Ce clan n'avait rien à voir avec celui qu'Izilbëth avait toujours connu, ils semblaient pacifiques, bien plus accueillants et compréhensifs. Des regards curieux s'attardaient sur la Noss solitaire qui avançait parmi eux silencieusement, les yeux rivés sur le sol. Elle avait toujours été éduquée dans une grande fierté de son clan et de n'être désormais plus qu'une Noss solitaire, privée de toute attache la rendait profondément honteuse. Peut-être était-ce la solitude qui l'avait peu à peu renfermée sur elle-même, ou toute la violence dont les siens avaient fait preuve lors de son excommunication.

Izilbëth semblait peiner à se sentir la bienvenue. Des années de méfiance et de rejet avaient créé une elfe profondément traumatisée qui ne parvenait pas à trouver sa place. Sërythil se montrait malgré tout plein de bienveillance avec la jeune elfe et son attitude calme ne tarda pas à montrer ses bienfaits. Bien que restant toujours méfiante, elle commençait à comprendre que personne ici ne lui voulait de mal. Encore marquée par ces années d'errance, elle ne manqua pas de remarquer les léger chuchotements qui s'élevaient à mesure qu'ils avançaient dans le clan. Ce genre de messes basses avaient le don de lui rappeler des temps douloureux et elle ignora tant qu'elle le pouvait la curiosité des Vethërill. Sa raison parvenait à lui faire entendre qu'elle était bien loin de ces temps anciens durant lesquels elle était la risée de son clan. Ces temps où tous lui avaient tourné le dos, sa famille, ses amis.

Mais l'elfe devait mener une bataille sans fin contre ces pensées noires qui l'assaillaient, craignant que les chuchotements ne soient porteurs de haine à son égard. S'asseyant au côté de Sërythil, elle pris avec un léger sourire les fruits qui lui étaient tendus, hochant la tête en guise de remerciement silencieux à celle qui venait les apporter.

Puis la question fatidique vint et Izilbëth marqua un long silence. Elle semblait réfléchir intensément, cherchant quoi répondre à cette question. Elle hésita longuement à mentir, de peur que la vérité ne change la façon qu'avaient eu les Vethërill de l'accueillir. Puis, dans un soupir silencieux, elle abdiqua, tournant la tête vers Sërythil.

- J'ai été bannie. Je refusais d'abattre des taledhels qui cherchaient à rejoindre notre Noss. Pour prouver ma loyauté, je devais les tuer, je n'y suis pas arrivée.

Espérant que cette nouvelle soit bien accueillie, elle sondait le visage de son interlocuteur, cherchant la moindre trace de rejet dans sa réaction. Mais au plus profond d'elle elle espérait que leur apparente bienveillance le soit aussi quant à son passé. Après tout, pourquoi feraient-ils preuve de haine à son égard en apprenant qu'elle avait fait preuve de clémence ? Les yeux rivés sur l'elfe, elle attendait avec angoisse qu'il réagisse à cette annonce.

À en juger par sa réaction, sa nouvelle avait fait l'effet d'une bombe. Baissant immédiatement les yeux, elle prit conscience qu'elle avait sûrement fait une erreur en confessant son pêcher. Triturant nerveusement ses doigts, elle semblait attendre le couperet du rejet auquel elle s'attendait à être confrontée. Mais la voix de l'herboriste traduisit tout autre chose. Il semblait peiné pour Izilbëth, confirmant ses attentes concernant la bienveillance de son clan. Relevant le nez vers lui, elle le sonda un peu plus encore, pinçant ses lèvres en une moue contrite alors qu'elle échappait un long soupir de soulagement avant de reprendre à ses mots.

« - Leur seule faute aura été de vouloir nous rejoindre. »

Car c'était la vérité. Ces citadins avaient simplement espéré trouver une Noss compréhensive et s'étaient confronté à la dure réalité de la ségrégation qui régnait encore parmi les elfes. Elle-même ne comprenait pas comment on pouvait choisir de renier ses propres frères et soeur. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle avait défendu leur intégration auprès du chef de son clan. Elle n'avait eu comme réponse que haine et rejet. Elle qui avait toujours voué sa vie à son clan, qui avait toujours occupé une place importante de la communauté dans laquelle elle était née avait désormais comme unique option celle de tuer ces taledhels avec l'un desquels elle était accusée d'entretenir une relation. Peut-être l'avait-elle fait, peut-être que non. À ses yeux cette justification ne méritait pas qu'ils trouvent la mort, elle avait donc refusé. S'exposant au courroux du shaman qui avait alors ordonné son excommunication.

Les mots de Sërythil étaient rassurants, lui promettant qu'elle trouverait chez les Vetëhrill un peu de réconfort pour panser ses plaies qui l'handicapaient depuis maintenant des années. Encore marquée par ses années d'errance, elle ne parvint cependant pas à le croire, jetant un coup d'oeil inquiet autour d'elle, comme si elle s'attendait à être reconduite à la frontière de leurs terres à tout moment. Puis, dans une curiosité naïve, elle tourna de nouveau les yeux vers l'herboriste, comme cherchant à se rassurer.

« - Vous ne chassez pas les taledhels qui entrent sur vos terres ? »

Souffla-t'elle a demi-mot, incrédule. Ça lui paraissait tellement invraisemblable après ce qu'elle avait vécu qu'il lui fallait confirmation. Les quelques fruits déposés devant eux n'avaient pas été touchés tant elle attendait avec angoisse une certitude que son acte ne serait pas réprouvé en ces terres.