[Fernel] Reconnaissance

Huitième jour de la Première ennéade de Verimios,
An Dix-Neuf du Cycle XI

Cinq cavaliers avaient battu la campagne, les sabots de leurs imposantes montures avaient résonné depuis Diantra jusqu’aux abords de la forêt d’Heda et enfin au cœur des vallons boisés du pays de Serramire. Toutes les routes leur furent dégagées, toutes les étables ouvertes, car ces chevaliers aux armures sans pareilles galopaient sous un étendard aux couleurs du Roy.

Par un froid matin d’hiver, ils étaient cinq à avoir pénétré les murs d’une petite cité étendue aux pieds des montagnes du Nord. Quatre chevaliers, fiers et courageux, dont la tâche fut d’escorter un messager. Celui-là même qui portait des nouvelles de la capitale, prenant la forme d'une missive arborant le sceau de la Couronne, ainsi qu’un petit coffret de bois sombre et aux bordures d’or qu’il insista pour remettre, en main propre, à la Dame de Fernel.

A sa Seigneurie et Emissaire de Sa Majesté le Roy Bohémond 1er auprès du peuple du Zagazorn, Dame Louise de Fernel,

Si les événements que nous traversâmes aux cours des dernières ennéades furent aussi troublants qu’inédits, nous ne pouvons nier qu’ils balayèrent toutes nos perspectives et bousculèrent l’étiquette comme rarement elle ne le fut. Aussi, Dame de Fernel, je vous écris, au nom de la Couronne et de sa Majesté afin de réparer cette injustice.

Mon messager vous aura porté un coffret, dont vous avez déjà dû trouver la clef dans l’enveloppe cachetée qui contenait cette lettre. Permettez-moi d’espérer que ce modeste présent vous ravisse aussi bien le cœur que l’habit. Je ne saurais vous gâcher la surprise et vous laisserais en lieu place découvrir ce dont il s’agit par vous-même.

Il va sans dire que nous espérons vous compter parmi nous au printemps, lorsque le Roy, devant le Royaume réuni, sera enfin couronné.

Je vous souhaite de passer un hiver des plus paisible et, en attendant de nous revoir, je prie pour que la Déesse vous garde.

Athanase de Cley, Grand Chancelier du Royaume.

Ce fameux coffret, ayant nécessité une escorte digne de ce nom, renfermait ce que les orfèvres de la capitale faisaient de mieux. Sur son coussin de velours bleu, sur lequel un « S » pour Simeo était brodé, se trouvait une broche des plus finement ouvragée. Deux ailes aux bords supérieurs fait d’un argent pur, quand les plumes sculptées et gravées étaient d’akar et dont les couleurs s’assombrissaient ou tendaient vers le doré selon la lumière. Au centre, ainsi encadrés par deux par ces deux ailes, une pastille d’argent sur laquelle on discernait un cheval fait d’or, cabré au pied d’un chêne de bronze et dont chacune des feuilles étaient faite d’amarnidate.
A n’en point douter, il s’agissait-là d’une œuvre de maître à la valeur si indécente qu’elle en devenait difficile à juger. Un présent comme seuls les plus puissants de ce monde pouvaient se permettre de faire.

C’est Enguerrand qui avertira la châtelaine de cette extraordinaire présence au sein de la petite cité. Le digne maître d’armes et ami de Louise a pressé le pas pour ne point faire attendre les messagers et les a menés à la salle de réception avant d’avertir la jeune femme présentement occupée à faire ses comptes, les mains encombrées de rouleaux plus longs les uns que les autres.

- Dame Louise, des chevaliers venus de Diantra vous attendent. Ils…Ils portent les armes du Roy.

La châtelaine dépose les rouleaux et regarde le grand Nordien en silence. Des messagers du Roy. Ici. A Fernel. L’événement est d’importance. Tout de suite, ses pensées se dirigent vers le Zagazorn. En effet, pour quelle autre raison le Roy feraient-il envoyer des chevaliers aussi loin de la Capitale sinon pour l’aviser d’un problème rencontré avec les Dawis ? En son for intérieur, la châtelaine prie pour que cela ne soit pas, qu’il ne s’agisse que d’un courrier et non de l’annonce d’une nouvelle catastrophe. Vêtue très simplement de laine bleue et d’un manteau d’intérieur bordé de fourrure et dépourvu de manches, elle se lève, révélant la longue chevelure lourde de jolies boucles marron tombant sur ses reins. Aucun ornement ne brille sur elle si ce n’est l’anneau sigillaire de Fernel à sa main droite.

- Par la Bienveillante, j’espère sincèrement qu’aucun autre noble sang de Péninsule n’a perdu son sang-froid en présence d’un Dawi, à nouveau…Accompagnez-moi, Enguerrand, je vous prie.

Enguerrand s’incline respectueusement et suit Louise qui marche de son petit pas rapide et silencieux, soulevant un peu sa jupe en descendant les marches menant à la salle de réception dans laquelle elle entre pour apercevoir, en effet, le blason du Roy sur les cinq tuniques présentes. Louise exécute un ravissant salut avant d’approcher et de lire le courrier que lui tend un messager, Enguerrand attendant non loin de là, droit comme i, son regard bleu acier balayant les présents sans le moindre scrupule. Le sceau de la Couronne…Elle ouvre le courrier, récupère une petite clé qu’elle observe un bref instant et lit enfin, le cœur battant un peu plus vite, la gorge sèche.

- Un courrier d’Athanase de Cley…, dit-elle en un souffle

Plus elle lit, plus le rose colore ses joues et son cœur s’apaise. Un courrier de remerciement…un courrier charmant et délicat qui la fait sourire, une missive qu’elle plie soigneusement avant de la confier à Enguerrand.

- Puis-je voir ce coffret mentionné par le Seigneur de Cley ?, demande-t-elle de sa voix douce au rude accent du Nord au chevalier qui le porte.

Elle le récupère et le dépose sur une console, près de la fenêtre, l’ouvrant sans plus de cérémonie.
La surprise est totale. Et absolument fabuleuse. C’est un bijou, d’une finesse exquise, représentant son blason. Le blason de Fernel reproduit avec des matériaux de prix, composant un ensemble d’une valeur inestimable…Elle le touche du bout des doigts, l’autre main posée devant sa bouche, estomaquée par ce présent totalement inattendu.

- Par les Dieux…Enguerrand…Regardez…

Le maître d’armes approche et observe par-dessus l’épaule de la petite châtelaine avant de hausser un sourcil.

- C’est très beau, répond-t-il, pragmatique.
- Mon ami, c’est bien plus que cela…Imaginez-vous qu’Athanase a fait envoyer ceci jusqu’à Fernel ? Une escorte royale ? Et regardez mon blason…C’est superbe…
- En effet, commente doctement le digne maître d’armes aussi versé en bijouterie qu’en composition florale.

Louise a un sourire et ferme le coffret dont elle garde la clé dans sa poche avant de se tourner vers les cavaliers qui patientaient sans rien dire.

- Je vous souhaite la bienvenue à Fernel, Chevaliers. Je vais faire préparer des chambres afin que vous puissiez prendre du repos et un bon repas. La route est longue depuis Diantra, je ne le sais que trop bien…

Un large sourire s’affiche sur ce joli visage tranquille.

- Vous resterez ici aussi longtemps que vous le souhaitez, vos chevaux seront entre les mains de mes meilleurs palefreniers et traités comme les nôtres. Je vous remettrai également une missive que vous porterez à Athanase de Cley en réponse, avant votre départ.

Louise incline poliment la tête et sort non sans emporter le coffret et la missive récupérée auprès de son maître d’armes, laissant le soin à Enguerrand d’organiser l’installation des chevaliers de la Couronne.

Avant leur départ pour Diantra, Louise leur aura remis un pli en réponse, ainsi qu’elle l’a mentionné. Une lettre simple, couchée sur un parchemin et scellée à la cire verte d’un sceau de Fernel, remerciant en des mots choisis le seigneur de Cley pour le présent magnifique qu’il lui a fait parvenir et confirmant sa présence aux prochaines festivités du couronnement du Roy Bohémond Ier.

Nul doute que lors de celles-ci Louise arborera la fabuleuse broche dont le coffret est allé rejoindre les parures de rubis et de saphirs offertes par Glumtol tout autant que la tiare elfique reçue de l’Elfe Radhwëd aux noces du Roi Harald.