[Md0 2023] Les cendres du Linoïn - Replonger vers la Tourmente

seconde énnéade > 6ième énnéade de vérimios 19:XI

Lorsqu’il avait reçu l’inquiétante missive, cela avait sonné comme la fin d’un temps particulièrement paisible pour le commandant. A nouveau il avait dû abandonner son rôle de père pour reprendre les armes au service de l’œuvre. La mauvaise surprise avait été d’autant plus brutale et désagréable qu’elle n’était apparue entre les mains d’un messager qu’à peine quelques minutes après que le Mainyth apprenne la disparition tout aussi impromptue du roi personne ne savait où, partit sans rien, ni personne. Il semblait que la paix ne durait jamais bien longtemps ici-bas et que les ennuis ne venaient jamais seuls.

-Donne ça aux capitaines s’il te plait.Avait-il ordonné à un soldat passant par là, en lui tendant quelques lignes hâtives gribouillées sur un morceau de vélin. Demain à l’aube j’emmène quelques soldats avec moi pour Ardamir. Demande aussi a l'Hestendalarcar de mobiliser quelques hommes sur la piste de l'Aran. Ramenez le à la raison pour l'amour de Kÿria. Il soupira et marmonna pour lui. Je ne sais pas ce qu'il fabrique mais il à mal choisit son moment.

Et ainsi fut-il fait sans plus de temps perdu. A la première heure du jour, ils étaient trois cavaliers à prendre la route jusqu’au fort de Wyslena. Le chemin fut sans accro heureusement, mais il n'en fut pas spécialement joyeux pour autant. Les soldats étaient inquiets. De tels nouvelles aux abord du Linoïn perdu sonnaient comme un macabre présage. Aegden le premier ne connaissait que trop bien les danger de la région pour fort peu désirer s'en approcher à nouveau. Mais il n'avait, pas plus qu'auparavant, le choix. Il fallait prendre sur soi encore une fois, et faire ce qu'il fallait pour que ceux qui avaient périt reposent le souffle en paix.

Lorsqu’enfin ils arrivèrent, il fallut de nouveau attendre car les Aigles avaient aussi jugé bon de demander aussi l’aide des berceurs d’Holimion et leur trajet étaient plus long que ceux des lëandrins. Ce n’est alors que la sixième ennéade du mois qu’enfin les choses purent alors commencer à se mettre en place.

-Lassörn. Poing sur le cœur, il salua le premier arrivé sur le lieu de rendez-vous qu’ils s’étaient donnés. Il ne manquait désormais plus qu’un elfe.

Troisième Ennéade de Verimios de l'An XIX du Onzième Cycle,
Quartier Général du Repos de Tyräl, Haut-Temple de Tari, Holimion.

Paré d'une bure bleue des plus simples, Inglor Helyanwë observait l'océan s'agiter depuis ses appartements, à l'abri d'une légère pluie s'écrasant sur la fenêtre devant laquelle il se tenait. Les mains jointes en coupe devant son ventre, il implorait la Voilée, de tout son Souffle, de protéger les marins voguant sur les flots. Ses prières furent, pourtant, interrompues par un visiteur tambourinant frénétiquement la porte de ses appartements. Une jeune recrue des Berceurs, dans une tenue banale mouillée par la pluie, entra, une lettre à la main.

« Mes excuses, Heru, une lettre de la plus haute importance nous est parvenue depuis Wyslena. Il s'agit des Aigles, et elle est adressée directement au Pergaën, qui a ordonné qu'elle vous soit transmise urgemment. »

Si le Maître du Repos de Tyräl ne pipait mot, comme à son habitude, son esprit n'en était pas moins animé de multiples réflexions. D'un geste, il intima l'initié de s'approcher afin de lui donner la lettre. Inglor s'en saisit, et la déroula d'une seule main pour en lire le contenu. Ses yeux se plissèrent à mesure qu'il découvrait la teneur du courrier, son visage d'ordinaire si impassible dessinant une mine grave. Bien entendu, l'auteur de la lettre avait intentionnellement omis les détails les plus sordides, donc les plus importants. Certaines choses ne se couchaient pas par écrit.

Inglor posa la lettre sur son bureau, passant les deux mains sur sa chevelure blonde dans un long soupir. Nul doute qu'Inglor et le Pergaën étaient à Holimion, pour l'heure, les seuls au courant de ce danger qui se profilait loin d'ici. Et il est fort probable que les Aigles l'aient également gardé secret, car tout Anaëh tremblerait rien qu'à imaginer ce que ce danger pouvait représenter. C'est pour quoi le chef des Berceurs devait également s'efforcer d'en faire autant.

« Trouve Sœur Alcarelenya et Frère Ciaranmuir, et dis-leur de me rejoindre ici au plus vite. »

La recrue exécuta une révérence avant de s'en aller prestemment. Cette solitude passagère permit à Inglor de penser ses mots, et surtout à l'organisation de l'Ordre en son absence. Effectivement, il ne pouvait se permettre de déléguer une potentielle expédition vers Aduram et ses alentours à des Berceurs moins expérimentés. Et il ne souhaitait guère plus se terrer à Holimion alors qu'un sombre danger manœuvrait loin d'ici. Ceci étant, il ne pouvait se permettre d'y aller seul, d'autant plus qu'il ne savait pas combien de soldats et de chercheurs mobilisés l'attendraient sur place. C'est pourquoi il avait appelé à l'aide deux Berceurs en qui il avait pleine confiance. Ceux-ci arrivèrent ensemble, et s'installèrent, invités par leur Maître.

« Ce que je vais vous dire maintenant ne devra sortir du Culte sous aucun prétexte. »

Celui-ci devait tout de même être prévenu, et préparé à réagir en cas d'urgence. De même, Inglor supposait que les Aigles n'aient pas fait parvenir la nouvelle dans tout le Royaume. Nul doute que l'Aran et l'Armée Royale étaient désormais prévenus, mais ils étaient surement les seuls. Alerter d'un danger dont on ne connaissait rien n'était pas chose aisée. C'était bien pour cela que les Berceurs avaient été appelés à l'aide. Demain, dès l'aube, trois d'entre eux quitteraient leurs terres pour rallier Ardamir.

Sixième Ennéade de Verimios de l'An XIX du Onzième Cycle,
Fort Wyslena, Protectorat d'Ardamir.

Un long périple débuta donc au port d'Holimion, duquel trois Berceurs embarquèrent pour rejoindre le Continent. S'ensuivit un long voyage à travers les dangereuses forêts, chacun des voyageurs sur leur monture respective. Ceux-ci ne s'arrêtèrent que très rapidement dans chaque ville situées sur leur chemin, pour ne pas se faire remarquer outre mesure. L'heure n'était malheureusement pas aux visites de courtoisie, et encore moins aux beuveries ou aux festins. Ils ne désiraient pas plus inquiéter les populations locales, lesquelles avaient certainement leurs propres préoccupations.

Wyslena s'élevait enfin devant les Berceurs, forteresse de laquelle la lettre était parvenue au Pergaën. Inglor rejoignit sans attendre les Aigles et les soldats royaux, arrivés plus tôt dans le mois. Durant leur périple, le Maître du Repos de Tyräl n'avait eu cesse de se demander s'il avait eu raison d'emmener deux de ses frères. En vu du danger, il ne savait pas si la garnison de Wyslena, même renforcée, serait suffisante, et plus encore contre ce type de menace. Nombre des soldats présents ici avaient affronté les Drows, célèbres pour pratiquer la nécromancie, mais était-ce suffisant ? Seul, Inglor rejoignit ceux qu'ils devaient rencontrer, qui s'avérèrent être le Mainyth en personne et un Lieutenant des Aigles, probablement le plus haut gradé présent ici. Du moins, pour l'heure.

« Mainyth, Lassörn. » les salua Inglor, exécutant une très simple révérence. Il ne s'attendait pas à rencontrer le Commandant de l'Armée Royale en personne, mais cela semblait corroborer la gravité des circonstances. « Nous avons fait au plus vite. »

Lorsque l’Aigle avait fait mine de lui demander la permission, Aegden s’était contenté d’un bref geste de la main pour lui signifier qu’il avait carte blanche. Après tout c’était de son fait s’ils étaient maintenant tous réunis dans cette salle. Le lancier n'était pas particulièrement à cheval sur la hiérarchie tant que celui qui parlait se montrait à la hauteur de la tâche et il avait tout confiance dans le mage-guerrier. 

-Je soutient l’idée d’une expédition. Finit-il par s’exprimer, après un léger temps de réflexion. A condition malgré tout qu’elle ne soit abordée qu’avec une extrême prudence. Son regard vint rencontrer celui du chef Wyslenan. Il y avait une considération sincère dans son expression à l’égard de son vis-à-vis. Il comprenait ce qui devait agiter une partie de son Souffle. Je ne peux pas vous retirer le droit de chercher à assurer la sureté de vos hommes, et si Kÿria le veux, une réponse à ce qui est arrivé à ceux qui ont disparus. Mais vous savez comme moi que Porte-La-Peste n’est pas le seul danger dans l’Aduram, loin de là. Et quand bien même, pour le peu que nous savons de lui, tout ça pourrait n’être qu’un vaste piège dans lequel nous ne devons pas tomber par précipitation.

Le nécromant seul était déjà une raison plus que valable de craindre le cœur de la forêt brisée si on en croyait les récits murmurés à demi mots et surtout si la disparition des patrouilles était bien de son fait. Partir certes, mais pas sans être préparés à ce qui pouvait les attendre là bas. Si tant est qu'on pouvait réellement être prêt à quoi que ce soit dans cette Tourmente...

Ceci étant dit, son attention se refit plus générale, car comme il l'avait dit, il était malgré tout du même avis que son camarade. Cette menace devait être contenue.

-Combien d'hommes pense-tu nécessaire Lassörn ?

Inglor s'inclina derechef lorsque le Lieutenant des Aigles s'assura qu'il était bel et bien en présence du Maître du Repos de Tyräl. Une révérence plus courtoise, exprimant une certaine forme de regret vis-à-vis de son impolitesse, lui qui avait omis de décliner son identité. Ceci étant, nul doute que cela n'était pas la priorité, pour l'un comme pour l'autre, qui en restèrent là sans palabrer plus longtemps. Les préoccupations du Lassörn se dirigèrent aussitôt sur la raison de la venue de l'Armée Royale et du Repos de Tyräl. Ils furent d'ailleurs rejoints par d'autres soldats invités à cette entrevue qui décidera de la suite des évènements.

Silencieux, presque en retrait, Inglor fixait la carte déroulée devant les soldats réunis autour, écoutant les interventions des uns et des autres. Une ou plusieurs expéditions, en plus de celles déjà opérées ces dernières ennéades, étaient inévitables pour connaître la menace. Personne ici n'était suffisamment dupe pour prétendre ou espérer le contraire. C'est bien pour cela que l'élite d'Anaëh avait été prévenue et s'était empressée d'intervenir.

« S'exposer au danger est une étape inévitable afin de cerner un danger et, à terme, espérer le combattre. » affirma alors le chef des Berceurs, d'un ton péremptoire. « Je soutiens cette expédition mais, je me dois de souligner les propos du Mainyth : en Aduram, nous ne pouvons absolument pas prévoir ce qui nous attend. »

Porte-la-Peste, souvent décrit comme l'un des plus grands dangers de cette forêt, n'en était potentiellement qu'un parmi tant d'autres, sans évoquer ceux que personne ne connaissait, faute d'écrit et de témoin. La nécromancie à l'œuvre ne suffisait pas, aux yeux des Berceurs que représentait Inglor, à déduire que Porte-la-Peste en était bien à l'origine.

« Combien d'hommes penses-tu nécessaire, Lassörn ? »
« Que penses-tu d'une douzaine ? Quatre aigles m'accompagneront. En tant que vétéran d'une expédition en Aduram, tu serais une force précieuse à ce groupe, Mainyth. Combien de Berceurs sont venus avec toi, Heru Inglor ? »

Pris dans sa propre réfléxion sur cette expédition, Inglor ne réagit qu'après quelques secondes, une fois qu'il comprit que c'était bien à lui que s'adressait le Lieutenant des Aigles.

« Pour l'heure, nous ne sommes que trois, bien que j'ai recommandé à mes frères et sœurs d'Holimion de rester en alerte, si jamais nous aurons besoin d'appeler des renforts par la suite. » répondit-il après avoir légèrement secoué la tête pour reprendre ses esprits. « Au moins l'un d'entre nous pourra rester à Wyslena et assister les défenses pour prévoir l'éventualité de nouvelles menaces pendant notre absence. Cela me semble plus sage que nous soyons deux à accompagner l'expédition, notamment si nous aurons besoin de nous scinder en deux groupes par la suite. »

-Quitte à avoir de l'aide de quelques Televin, je préfère laisser s’intégrer des auxiliaires Wyslenan à notre expédition plutôt que de rappeler du renfort. Leur expérience du terrain nous est d'autant plus utile. Aegden répondit à la proposition du mage-soldat adressé à lui et a son camarade local.

Que ceux qui partaient sachent non seulement à quoi s'attendre, mais l'aient en partie au moins déjà vécu était un avantage non négligeable autant que simplement l'assurance de savoir comment ces elfes agiraient sous la pression constante de la dissonance. Même l'elfe le plus stable ne pouvait que trop vite devenir un danger pour lui et pour le reste du groupe ici bas. Aegden n'avait certainement pas envie de revivre l'expérience qu'avait été Lyorindel dont l'esprit avait été petit à petit ravagé par les bois maudits jusqu'à les mettre tous en danger...quand il n'avait pas carrément tenté de tuer le lancier purement et simplement. D'autant que leur survie ces jours là avaient plus étés dû à des miracles qu'autre chose.
Et puis de toute façon, le temps de convoquer de nouveaux soldats d'Alëandir était sans doute un temps perdu pour bien peu de choses au final.

-Quoi qu’il en soit, continua-t-il, même si les hommes venus avec moi nous accompagneront dans l’Aduram, il est évident que, comme tes Berceurs Heru Inglor, l’armée royale se tiendra prête à aussi prêter main forte au sein de la forteresse si besoin.

Peut-être n’était-ce là qu’une mesure de prudence de trop par rapport à la menace inconnue que l’expédition s’efforçait déjà de chercher à connaitre puis d'affronter, mais le lëandrin n’appréciait que fort peu les imprévus fâcheux s’ils pouvaient être aussi facilement évités. Quelques soldats de plus au sein des murs Wyslenan ne seraient probablement jamais de trop.

Suivant ensuite du regard le tracé désigné par l’Aigle, Aegden hocha discrètement de la tête, approuvant en silence le chemin proposé sans avoir rien à y redire. C'était efficace et moins ils passaient de temps au milieu de la forêt maudite, mieux ils se porteraient tous. Il leur faudrait certainement économiser un peu de leur force physiques comme mentale avant de faire face à ce qu'ils trouveraient en l'ancienne cité du Linoïn. Qui ou quoi que c'était.

« Je viendrai. » acquiesça Inglor aux conclusions du Lieutenant des Aigles. Un signe de la tête avait accompagné ses paroles prononcées d'une voix solennelle. « J'appellerai quelques renforts, mais je crains qu'ils ne seront pas plus nombreux que nous. Nous désirons éviter de créer du remou et instiller de l'inquiétude pendant notre voyage. »

À cela s'ajoutait évidemment la simple évidence que les Berceurs devaient se tenir prêts à réagir à d'autres dangers. Le fait est que les Berceurs ne se déplaçaient toujours qu'en petits groupes, quelle que soit leur mission. Cette méthode présentait des risques lorsque l'ennemi s'avérait plus puissant qu'escompté, mais elle protégeait le caractère secret des missions des Berceurs. Or, cette fois-ci, ils n'étaient pas seuls. Néanmoins, ignorant qui était les plus à même de les accompagner parmi ceux qui le pouvaient en dehors des Berceurs, Inglor demeura silencieux sur cette question, bien que les hommes de Wyslena s'accordèrent avec le Mainyth.

Le chef des Berceurs ne se contenta d'ailleurs que d'opiner du chef pour acquiescer aux dires du Mainyth quant à la disponibilité de l'Armée Royale pour envoyer des renforts. Alëandir avait cet avantage de se situer beaucoup moins loin qu'Holimion. Nul doute que les forces en présence ici n'avait pas le luxe d'attendre trois ennéades avant l'arrivée de nouveaux Berceurs, aussi doués puissent-ils être.

Inglor suivit les mouvements du doigt dessiné par le lieutenant des Aigles, impassible comme il l'est si souvent. Il était louable, sinon normal, de vouloir au plus éviter de s'aventurer dans les profondeurs de la forêt. Cet itinéraire semblait effectivement être le plus court et le plus sûr, même si le plus dur n'était pas nécessairement d'entrer en Aduram, mais plutôt d'en ressortir… l'ultime épreuve étant d'en ressortir indemne.

« Il sera sûrement préférable d'aviser une fois sur place pour préparer la suite. Ou au moins préparer cette éventualité, car je crains que la Forêt ne nous laissera pas ce luxe d'exécuter un plan préparé à l'avance. » fit Inglor, pensif, l'index posé sur la bouche tandis que ses yeux se perdaient sur la carte, avant de se fixer sur le Lassörn. « Que nous reste-t-il d'autre à évoquer avant de nous préparer ? »