L'honnêteté odélianne [Rp Solo en collaboration avec Clothaire]

2ème jour de la troisième semaine de Verimios, 19:XI

- "Je présume que vous êtes le secrétaire du Grand Argentier. Bien... Faites-lui savoir au plus vite que la Comtesse d'Odélian a besoin de le rencontrer de toute urgence, pour un entretien privé. Etant l'invitée du Régent, il lui sera facile de me confirmer et la date de ses disponibilités, car je loge au Palais. Faites-en une priorité, je vous prie. C'est de la plus haute importance."

Solange était ensuite partie dans un tourbillon de jupes, son labrador sur ses talons, heureuse et un peu essoufflée de cet éclat d'autorité, reliquat de ce qu'elle était il n'y avait encore que quelques mois. Et elle se rendait compte qu'il était si facile de jouer de son statut, de cet ascendant que conférait la noblesse sur autrui  que c'était comparable à prendre des médications - on avait du mal à s'en passer, une fois que l'on avait goûté à un sommeil réparateur.
Mais le plus important était que la jeune femme se sentait presque soulagée.

Bientôt, tout serait terminé.
Bientôt, elle serait fixée sur son sort, ainsi que celui de son enfant ; et, à sa manière, elle aurait contribué à la protection d'Odélian. Que Néera lui soit témoin, peu de choses avaient plus d'importance à ses yeux.

***

Elle eut rapidement des nouvelles du fonctionnaire royal. Il l'invitait, quelques jours plus tard, à son office ; c'est ainsi qu'elle prévint Clothaire de Chtoll, le bibliothécaire, et que le jour même, l'épouse de Charles de Prademont revêtit une très riche robe bleue et blanche aux manches brodée de soie, aux allures sévères mais qui ne pouvait laisser aucun doute sur la qualité de sa propriétaire.

Retrouvant le copiste dans l'antichambre du bureau du fonctionnaire, Solange le salua avec amabilité, s'enquit de savoir s'il n'avait oublié aucun document, puis, enfin, fut reçu chez le Grand Argentier.
Hubert le Scylléen était un homme à l'aspect vigoureux, à la moustache brune, aux yeux vifs et malins - et après les salutations d'usage, ce dernier invita la Comtesse a prendre place dans un siège confortable, qu'un serviteur lui avança.

- "Merci infiniment de me recevoir, messire. Comme j'ai pu le dire à votre secrétaire, je suis ici pour une affaire urgente et qui revêt une grande importance, pour Odélian, mais également pour le Roi. Il s'agit d'une affaire... de fraude. Messire de Chtoll, exposez la situation à messire ici présent, s'il vous plait. N'omettez rien de vos conclusions."

Il a pu récupérer avec un long sommeil mais n'a pas oublié les ordres de la Comtesse. Il avait prévu d'en parler lui-même à l'Argentier, par courrier, mais en comprenant que la Comtesse comptait informer elle-même celui qui collectait et contrôlait les impôts royaux, il a préparé au mieux la réunion et plutôt que de se faire assister pour porter les livres de compte, vu qu'il n'a qu'un bras valide, il a fait venir une petite charrette qu'il peut tirer d'un bras. Et tant pis si cela surprend.

- Messire, la Comtesse ici présente souhaitait avoir des informations sur la gestion des impôts pour pouvoir l'apprendre, plus tard, à sa fille, la future Comtesse d'Odelian. Afin d'illustrer mon cours et lui permettre d'apprendre à calculer l'impôt, j'ai pris l'initiative d'utiliser les vrais chiffres et de lui montrer comment il avait été calculé pour cette année. Et j'ai remarqué, ce que j'ai pensé être au départ une erreur d'écriture, avant de constater que ladite erreur s'est répétée, et toujours au désavantage du trésor royal. Je l'ai fait en comparant les chiffres fournis par le Comté et les chiffres fournis par les guildes marchandes. Plus la déclaration de la guilde marchande était complexe et plus l'erreur d'écriture apparaissait. En clair, quand la vérification était simple, il n'y avait aucune erreur et quand elle était complexe, par magie, deux chiffres s'inversaient.

Les données sont claires et il a répertorié les pages où il a constaté la fraude.

- Cela rendait la fraude plus difficile à observer, mais pas impossible et je présume que vos vérificateurs sont là pour vérifier ce genre de choses. Ce point m'amène à une seconde inquiétude, outre le fait que le Roi ait été volé : Si j'ai pu le remarquer sans être directement formé par vos soins mais en connaissant quelques points législatifs, vos gens auraient dû s'en apercevoir aussi. Soit la ou les personnes qui ont fait les vérifications ne sont pas compétentes, et cette option est désagréable mais pas rédhibitoire, soit elle a ou elles ont fermé volontairement les yeux, et cela laisse entendre de la corruption. Je pense qu'un regard rapide sur les points que j'ai relevé vous convaincra de la justesse de mon analyse.

Un regard pour la Comtesse.

- Dès qu'elle a été informée de ce problème, la Comtesse a exigé que toute la lumière soit faite sur cette fraude et je pense qu'il est important que je le signale. L'idée que le Comté d'Odelian puisse être suspecté d'une fraude lui est insupportable et elle souhaite découvrir, avec votre aide, qui est le fraudeur, et le cas échéant qui sont les corrupteurs et les corrompus.

Il ne voit rien à ajouter et se tait donc.

Solange se sentait horriblement nerveuse. Cette terrible fraude faisait peser un danger certain sur la terre dont son époux était responsable - c'était sa terre. Elle était née à Prademont, fille d'Escault ; et mère de tous les odéliens.

Mais ce fut avec fermeté que la jeune Dame reprit la parole, face à un noble toujours muet :
   
- "Je vous prie de faire la lumière sur cette affaire, Messire Argentier. S'il y a dette, Odélian s'en acquittera évidemment. Je suis heureuse que cette histoire ait été prise à temps, car je ne supporterai pas que des personnes malhonnêtes fassent accroire que le Comté n'est pas fidèle à la Couronne. Je vous fais entière confiance pour faire la lumière sur les comptes, et pour les transmettre au Régent."
   
Bien que sceptique au début, son interlocuteur lui offrit un sourire rassurant. Il ne semblait guère préoccupé - c'était son ordinaire après tout, et que le théâtre de la prétendue falsification des comptes soit un Comté ne parvint pas à lui faire lever un sourcil - mais la brusque réapparition d'une noble que l'on disait morte depuis plusieurs mois l'intriguait au plus point, surtout dans son bureau.
Néanmoins, il n'en était pas décontenancé. Il leva une main d'un air bonhomme, eut égard à l'inquiétude légitime de la noble, qui semblait naturellement émotive (c'était une femme, après tout !), et se redressa.

- "Votre Grandeur, je m'occuperai de mener personnellement cette enquête. Je vous aviserai de tout résultat que je trouverai, et nous mettrons au clair cette vilaine... fraude présumée. Bien entendu, le Régent restera informé, mais je note que vous prenez cette affaire à cœur. C'est un point en votre faveur, bien que je ne peux rien vous garantir, ma dame, si je vous apprends mêlée aux auteurs de cette affaire.
- Voilà qui me convient parfaitement, messire", répondit la Comtesse, qui se redressa, bientôt suivie du bibliothécaire.
"Je remercie particulièrement messire de Chtoll, qui a su accomplir son travail de manière très compétente, et su réagir de façon honnête. Que la Damedieu vous bénisse, et je vous dit à bientôt. Je me rend chez le Duc de Serramire, vous pourrez donc m'envoyer de la correspondance là-bas si nécessaire."

Elle inclina sa tête gracieusement, se vit gratifiée d'une révérence galante et aimable, puis sortit de la pièce, dans un bruit habituel d'étoffe.

Solange d'Escault se sentait un peu libérée. Tout irait bien maintenant ; dans la mesure où elle n'était pas l'auteur de la fraude, qu'avait-elle à redouter ?