Un sable au teint écarlate

Le vent de la vallée sifflait de plus belle, seul son résonnant dans le silence de l’altercation qui se déroulait lentement entre les pierres ocres. La vie semblait comme suspendue au sourire animal de la drow à genoux. Allait-elle bondir? Allaient-ils pousser leur témérité trop loin?

Entre les ombres qu’elles formaient, un mouvement sembla finalement capter le regard de la femme zurthane, mais ses prunelles de mortelles n’y perçurent rien et elle se détourna rapidement pour revenir sur sa captive qui, elle, put probablement apercevoir un éclat de peau grise se faufiler entre les roches. Deux billes à l’éclat morne se posèrent sur elle, lui intimant de garder le secret de sa présence. Un ordre, un homme s’éloigna du petit groupe afin de vérifier ce qu'il en était. Il disparu entre deux crevasses et ne revint jamais.

Le vent redoubla ses sifflements perfides sur les six créatures. Focalisés sur leur prisonnière, aucun ne prit garde à l’eau qui, doucement, discrètement, s’infiltra lentement à leurs pieds pendant qu’ils aboyaient des mots dans leur langue inférieure. Une poignée de seconde s’écoula encore, lentement, goutte à goutte.

Finalement un coup d’œil à leurs pieds, un cris d’alerte. L’eau devint soudain glace, explosant en gerbes écarlate alors que les pics transpercèrent brutalement les chairs tendres bien trop peu protégés. Alors les aboiements et les ordres se muèrent en cris de douleur et de panique. Seule la femme fut pour l'instant laissée sauve, spectatrice désemparée face au chaos qui venait d'éclater. Elle, le mage embusqué la laissait à la merci de la noirefle massive dont elle avait visiblement eut l'outrecuidance de se penser supérieure.

Il était temps que changer les règles du jeu.

Là, une ombre furtive, un mouvement si soudain et délicat qu'il fut particulièrement difficile à remarquer. Était-ce son imagination ? D'autres Zurthans allaient-ils débarquer ? Mais lorsqu'elle vu dans l'ombre d'un rocher imposant un regard rouge à l'éclat morne se poser sur elle, la drow écarquilla les yeux. Une réaction qui fut remarquée par l'humaine aux ossements car elle envoya l'un de ses hommes dans cette direction.

Déjà ? Ses poursuivants l'avaient-elle déjà rattrapé ? Ils avaient dû déployer énormément de moyens ou faire preuve de beaucoup de chance pour retrouver une drow seule dans les Terres Stériles avec probablement plusieurs jours d'avance. Azralith se maudit intérieurement, elle avait sous estimé son adversaire, le genre d'erreur qu'on avait généralement guère le luxe de pouvoir faire plus d'une fois.

Mais il fallait bien admettre que le moment était opportun, la confusion semblait s'être emparée du groupe de Zurthans et la sombre remarqua avec surprise l'eau du ruisseau qui venait petit à petit leur laper les pieds. Mais le liquide ne se déplaçait pas naturellement, formant des zones bien délimitées sur le sol et elle comprit rapidement de quoi il s'agissait. Un mage.

Évidemment, ils n'allaient pas envoyer des esclaves à sa recherche, bien que le manque de respect émanant d'un tel acte aurait très bien pu convaincre son frère de le faire. Et s'il avait s'agit d'un membre de la Dothka, Azralith n'aurait jamais eu le loisir de voir le dernier coup arriver avant d'être engouffrée par les ténèbres. A bien y réfléchir, c'était peut être là la meilleure possibilité.  

L'eau devint alors glace et la douleur succéda à l'incompréhension. La drow avait été épargnée et lorsqu'elle lut le désarroi dans le regard de l'humaine, elle sut que le moment était venu de frapper. Bondissant vers l'avant, elle utilisa tout son poids pour faire basculer la femme en arrière, lui arrachant les ossements du crâne. Son poing droit se serra et vint frapper avec violence le côté gauche du visage de l'humaine qui s'en alla percuter avec force le sol, le second coup lui brisa l'arcade sourcilière, le troisième fit ressortir l’œil droit de son orbite, le quatrième lui perfora l'os crânien et répandit son contenu dans les environs, le cinquième et dernier brisa complètement le crâne.

La pointe d'un javelot vint s’enfoncer dans les côtes d'Azralith, la furie lâchant un grognement animal alors qu'elle se tournait vers son assaillant, constatant que l'un des Zurthans s'était échappé non sans blessures de son piège de glace. Sans doute devait-il penser qu'elle en était à l'origine. La drow délaissa la pulpe crânienne de l'humaine et se redressa de toute sa hauteur, secouant sa main couverte de sang et arrachant le javelot de sa chair. Cette vision fut sans doute suffisante pour faire perdre tout courage à l'homme qui tourna subitement le dos et entreprit de fuir. Exercice fastidieux avec des jambes aussi meurtries, il s'effondra rapidement au sol, gesticulant en tout sens et levant les mains vers Azralith, ses aboiements désormais semblables à ceux d'un chiot pétrifié. La sombre planta le javelot dans son œil et l'enfonça jusqu'à atteindre l'arrière de son crâne.

Un rapide coup d’œil aux environs lui fit comprendre que les deux autres Zurthans étaient en train d'agoniser au sol, leur peau transpercée à de multiples endroits. Les humains étaient fragiles et possédaient une tolérance assez faible à la douleur, ceux là ne faisaient pas exception à la règle. Plaçant une main sur la blessure fraîche,  Azralith reporta ainsi son attention sur un adversaire bien plus redoutable.

Évidemment, le mage n'était plus là, il devait se terrer quelque part dans les ombres et les rochers qui délimitaient la petite clairière. Elle n'allait pas se cacher, et elle n'allait surtout pas tourner le dos et fuir comme une chienne. Elle était là son épreuve, sans doute la dernière que le Créateur mettrait à jamais sur sa route. Elle survivrait et vivrait un jour de plus ou elle rejoindrait la pile de cadavres anonymes ne méritant aucunement le regard d'un dieu.

Au moins, son poursuivant avait eu la décence de ne pas la tuer en même temps que les humains.

Usstan izilt rnahm, h'ros telanth l'toha whol mzilst.
(J'apprécie la politesse, je ne peux pas en dire autant de la plupart.)

Elle serra dans sa poigne le javelot ridiculement petit.

Udos tu'zhaun ele dos phuul ghil, m'elzar. Ji doer, nau ssrig'luin ulu morfeth l'Beldroin kyorl jala velendev.
(Nous savons tous les deux pourquoi tu es ici, mage. Alors viens, inutile de faire patienter davantage le Créateur.)

Mollement Syrkrar était sorti des ombres, foulant les quelques cadavres du pied. Certains vivaient encore, mais trop faibles, ils ne passeraient pas une heure de plus sur cette terre. Jouer avec eux n'avait même pas vraiment d’intérêt dans leur état. Dommage…il n'y en aurait aucun pour expliquer à leur camarade qu’on ne s’en prenaient pas aux daledhels impunément… Car décidément, les peuple barbares de la région avaient des choses à revoir ces derniers temps.

Mais alors qu'il tapotait pensivement le coin de sa mâchoire du bout de ses griffes tordues, l'autre l'interpellera alors il se tourna vers elle.

Son regard n'était toujours pas plus animé que l'instant précédent. S'il ne l'avait pas fixée droit dans les yeux ont aurait presque pu le supposer aveugle ou au moins mal voyant. Quelques mèches lui tombaient devant le nez mais cela ne semblait pas le déranger. Pas plus que le fait de n'être vêtu que par un très simple pagne qui laissait tout le loisir d'observer le soleil d'Uriz gravé sur son torse nu.

-Hm… J’ignore qui tu es, Le Père des batailles ne t’attend certainement pas. Il pencha un peu la tête sur le côté, adoptant une posture légèrement décentrée. Et si tu comptes te battre avec ce bout de bois ridicule tu es mal partie pour le rejoindre.

Il n’avait en définitive pas l’air d’avoir grand-chose à faire de son interlocutrice et encore moins de vouloir la tuer, bien que la curiosité sembla le faire rester devant elle.

Le mage sortit finalement des ombres, presque aussi peu vêtu qu'Azralith. Un homme bien proportionné, le tracé de ses muscles noueux roulant sous une peau constellée de nombreuses marques, parfois même celles de brûlures. Sa chevelure chaotique laissait quelques mèches lui recouvrir le visage, se balançant parfois devant son regard écarlate particulièrement morne. Une apparence qui se voulait presque volontairement décharnée, délaissée et qui exsudait pourtant tellement de cette sauvagerie propre aux drows. Il était cependant plus petit qu'elle, mais rares étaient ceux qui avaient à baisser les yeux pour croiser ceux de la dame noire.

Détail ayant son importance, le mage arborait également le soleil incandescent d'Uriz sur son torse. Il s'agissait d'un serviteur du Père des Batailles à n'en point douter.

Lorsqu'il lui répondit, Azralith ne put s'empêcher d'afficher un léger rictus en posant son regard sur le javelot. Il n'avait pas tort. La sombre lâcha alors l'arme humaine au sol, repensant à sa claymore qui était malheureusement restée au Puy. Une arme particulièrement massive et encombrante mais qu'elle avait pris l'habitude de manier, sans doute aidée par sa corpulence hors norme.

Son attention se reporta alors sur le prêtre. Elle pouvait s'estimer chanceuse qu'il ne soit pas venu pour sa tête. Elle avait déjà côtoyé des serviteurs d'Uriz au sein du 1er ost, il s'agissait de guerriers redoutables, sans doute l'élite combattante d'Elda, ce qui n'était pas un maigre exploit. Et si l'idée d'en affronter un pouvait paraître salivante, elle était également légèrement suicidaire, particulièrement dans sa condition actuelle.

Ce prêtre ci semblait d'ailleurs presque désintéressé. Peut être son intérêt aurait été piqué si Azralith avait revêtu son équipement habituel, lui offrant ainsi une guerrière imposante en armure noire et pas une loque affaiblie par sa traversée du désert.

La sombre ferma les yeux un instant et pris une profonde inspiration. La route était encore longue.

Elle entreprit alors d'arracher un morceau de tissu sur les cadavres et d'entourer son abdomen avec, serrant le tout avec un nœud et recouvrant ainsi sa blessure fraîche. Réajustant correctement la fourrure sur son dos et récupérant la dague du serviteur de Kiel qu'elle avait lâché au sol, la plaçant à l'intérieur du bandage improvisé, Azralith se rapprocha alors du prêtre.

 T'yin ele unus dos doer ulu inbau noamuth ghil... Maglust?
(Dans ce cas, pourquoi être venu se perdre ici... Seul ?)

La femme imposante se mit à lui tourner autour d'une démarche qui se voulait souple, scrutant de plus prêt ses différentes cicatrices qu'il semblait apprécier exposer. Elle attrapa l'une de ses mèches dans son dos, fixant d'un regard envieux l'éclat blanc de ses cheveux avant de la laisser retomber.

-Ah Xullnilee…murmura-t-il entre ses dents, s’adressant à quelqu’un qui n’était pourtant vraisemblablement pas là. Quel est ce tour ? Elle parle et c’est toi que j’entends…

Se retournant vers elle, il posa une griffe dans le creux de sa gorge. Pas vraiment menaçant, il jouait plutôt à son jeu. Car s'il avait voulu la tuer, elle serait déjà morte sans même avoir eut le temps d'une dernière prière. Non, il était définitivement curieux. Une chance pour elle.

-Je pourrait te poser la même question.Renchérit-il avec un sourire qui laissait entrapercevoir une canine.Qui attendait-tu donc à ma place ?

Entre ses maigres frusques, ses blessures et son attitude, elle avait tout l’air d’une déserteuse aux yeux du prêtre d’Uriz. Ou peut-être n’était-ce qu’une couverture. Tout d’un coup, une myriade de supposition fantasque dansèrent dans son esprit et vinrent intensifier son sourire mauvais.

-J'ai du mal à croire qu'une pyusarde digne de ce nom puisse s'être fait prendre par de tels moucherons sans quelque chose en tête. A moins que puysarde ne soit pas le terme adéquat...

Après tout, ces cheveux sombres criaient au sang impur...

Lorsqu'elle sentit une griffe se poser sur sa gorge, Azralith su qu'elle avait réussi à attiser son intérêt. Sans faire le moindre mouvement pour l'en empêcher, un sourire se dessina sur le visage de la drow à la chevelure de jais.

Mayoe Teiweon fridj kat talinth Usstan zhahus kr'athin whol ilta erl'elee quin?
(Peut être que Teiweon ne me jugeait tout simplement pas encore prête à recevoir son étreinte ?)

Sans s'éloigner de la griffe, la dame noire fit quelques pas légers sur le côté, comme si elle reprenait sa ronde. Le prêtre enchaînait les réflexions et il était aisé de comprendre que c'était cette partie précise qui l'intriguait. Et même alors que le serviteur d'Uriz aurait pu mettre fin à sa vie d'une simple rotation du poignet, Azralith se sentait presque avoir l'ascendant en voyant ce regard terne s'enflammer légèrement. Elle continuait alors à lui tourner très lentement autour, ses yeux plongées dans les siens, poursuivant cette danse si proche de la Voilée.

Lu'vel'bol orn'la dos y'sik ol tlu? Xun dos fridj daewl ol zhahus llaar folbol?
(Et que préférerais tu que ce soit ? Souhaites tu seulement qu'il s'agisse réellement de quelque chose ?)

Elle se sentait légère, presque hors du temps. Difficile d'en définir précisément la cause, mais la présence du mage offrait une fraîcheur bienvenue à son esprit qui n'était rempli que de roches stériles, de sable et de prédateurs sournois. Un voyage difficile, guettée par la soif et la faim où son monde tout entier s'effondrait. Et cet homme offrait une pause, une fenêtre sur le passé, l'occasion d'agir comme si rien de tout ceci n'avait eut lieu. En un sens, une sorte d'oasis dans cet océan de tourments. Ivresse ? Euphorie ? Elle n'en était sans doute pas très loin.

Azralith se rapprocha alors du prêtre, à tel point que la griffe s'enfonça légèrement dans sa peau, y laissant une marque rouge. Se penchant en avant, la drow s'immobilisa lorsque leurs visages ne furent séparés que d'un souffle.

Orn'la'naut dos y'sik bathe wun heddyle? Quorin wun ol hwuen ol neera dosst irr'jahk?
(Ne préférerais-tu pas plutôt baigner dans la fantaisie ? T'y noyer jusqu'à ce qu'elle devienne ta réalité ?)

Elle s'éloigna alors, la griffe quittant presque à regret cette chaire tendre qui semblait avoir appréciée sa morsure. La vérité était bien souvent ennuyante et la perspective d'en créer une nouvelle lui traversa l'esprit l'espace d'un instant. Mais la dame noire ne se laisser quasiment jamais aller à ce petit jeu, ce qui était sans aucun doute la raison de sa présence en ces lieux. Elle s'accroupit alors près d'un corps inconscient et meurtri, son visage reprenant son expression habituelle, renfermée.

Usstan'bal tlus i'dol ichl hyrr'ol lu'ussta ehmtu vlos uriu chi'us uns'aa. Ji Usstan dofith, jhal er'griff whol natha draeval. Vel'drav Usstan regained ussta z'ress...
(J'ai fait preuve de bien trop d'honnêteté et mon propre sang m'a trahie. Alors je fuis, mais pour un temps seulement. Lorsque j'aurais retrouvé ma force...)

Approchant une main du corps, Azralith enfonça l'un de ses ongles dans la chair, traçant une ligne qui fit apparaître quelques perles de sang à sa surface.

Usstan orn shed vlos.
(Je ferai couler le sang.)

-Ma réalité m’es peut-être suffisamment agréable comme elle est. Renchérit-il à la proposition fantasque de son interlocutrice.

Mensonges.

Un net sourire avait étiré ses lèvres, sans qu’aucun éclat ne vienne toujours illuminer ses prunelles mortes. L’idée lui plaisait surement en un sens, ou bien trouvait-il simplement ce jeu agréable. Assez pour y participer. Au fond, son esprit tordu aspirait peut être bel et bien à la voir elle à la place de cette inconnue... S'eut été un bref instant de complétude dans cette mer de sable infinie.

Un rire s’était d’ailleurs échappé de sa gorge en écoutant son histoire. Ainsi présenté, il aurait pu être celui crachant ces même mots… Il y avait un quelque chose qui lui plaisait bien dans cette grande carcasse encore animé d'une braise mortelle.

-Et comment comptes-tu t’y prendre au milieux de ces pleïks ?Ne put-il s’empêcher de la provoquer un peu, quoi que peut être un peu sincère dans son intérêt. A moins que la force de tes propres fantaisie ne t'emportent soudain à nouveau au sein du Vatna...

Usstan xun naut zhaun.
(Je ne sais pas.)

Et c'était la vérité. Elle aurait aimé pouvoir dissimuler ses réelles intentions en feignant l'ignorance mais elle n'en avait pas la possibilité. Elle s'était laissée porter par les événements, traçant son évasion dans le sang et agissant peut être sous le coup d'une impulsivité mal contrôlée. Mais rester en vie avait été sa seule et unique ambition immédiate, tout le reste était d'une importance bien moindre. Et tant qu'elle se trouvait au milieu du désert, cet objectif n'était pas pleinement accompli.

Ses yeux d'un éclat écarlate particulièrement vif se posèrent à nouveau sur ceux bien plus morne de son interlocuteur. La dame noire se désintéressa alors du cadavre et entreprit de se déplacer, mais toujours au ras du sol. Ses bras et ses jambes se mouvaient lentement, ses muscles noueux roulant sous sa peau tels ceux d'un fauve se rapprochant discrètement de sa proie.

Jhal yutsu ulu Puy xuil l'karliik d'natha m'thain d'l'Beldroin gumash tlu natha bwael itami...
(Mais rentrer au Puy avec la tête d'un prêtre du Créateur pourrait être un bon début...)

Un léger rictus se dessina sur son visage. Un jeu plus qu'une menace, l'homme semblait y être sensible. Si telle avait été son intention, elle n'aurait de toute façon quasiment eu aucune chance de l'emporter vu son état actuel. La drow se redressa alors à nouveau sur ses deux jambes mais cette aura de bête sauvage semblait lui être restée collée à la peau.

Elle scruta silencieusement le prêtre. Elle avait désormais de quoi se nourrir et s'abreuver avant de reprendre son périple, mais la présence de cet homme restait une inconnue qu'elle n'avait pas encore résolu. Et si la possibilité de discuter avec un drow qui ne souhaitait pas lui trancher la gorge était fortement appréciée, elle ne parvenait cependant pas à déchiffrer ses intentions. S'il n'était pas là pour la tuer, pourquoi s'intéressait-il donc à elle ?

La dame noire pencha la tête sur le côté, quelques mèches de jais encore humides vinrent recouvrir son visage et envahir son champ de vision.

Dos k'jakr inbaln't bejn uns'aa. Ka dos zhahen naut pholor ussta r'diinal, vel'bol xunus dos doer ghil ulu xun?
(Tu ne m'as toujours pas répondu. Si tu n'étais pas sur mes traces, qu'es-tu donc venu faire ici ?)

-Peut-être suis-je venu ramener la tête d’une fuyarde pour le puy ?Fit-il exprès de renchérir en miroir.Doucement il se rapprocha d’elle, jusqu’à ce qu’elle soit obligée de courber l’échine pour le regarder dans les yeux. A nouveau il joua à poser une griffe sur sa peau nue, traçant une très fine ligne écarlate Le créateur en serait certainement satisfait.

Il souffla un râle rauque qui s’avéra être un rire avant de brusquement se détourner.

-J’ai quelques intérêts à Sol Dorn. Grogna-t-il finalement.

Seulement voilà, il semblait que sa sympathique monture avait décidé de rendre son dernier souffle en plein milieux du désert… L'épuisement était la piste la plus probable. Ce qui n'était pas drow était d'un fragile...
 
-Peut-être serait-il de bonne augure de prendre la route ensemble. Ajouta-t-il, dardant son morne regard en directions des plaines sans vies qui s’étendaient jusqu’à l’horizon. Si nous avons de la chance…Un claquement de griffe ordonna à la glace qui fondait doucement de se reformer, achevant un dernier humain dans la foulée. Nous aurons de quoi nous distraire encore.

Les drows étaient aussi des animaux sociaux malgré tout. Et a deux, même les plus féroces des prédateurs multipliaient leur chance de survivre... tant que l'un n'essayait pas de dévorer l'autre en tout cas.

Un compagnon ? Elle aurait littéralement pu tomber sur les pires assassins du Puy ou sur les serviteurs de Kiel les plus désaxés. Et non seulement le premier visage « amical » qu'elle croisait depuis son évasion s'avérait être un autre eldéen, mais ce dernier proposait également de parcourir une partie du chemin avec elle ? S'il ne s'agissait pas là d'un signe des dieux, elle ne savait pas vraiment comment interpréter ce coup du destin.

Les Zurthans n'étaient qu'un détail, un élément faisant partie d'un grand tout, l'une des nombreuses facettes mortelles du désert pour qui avait la malchance de s'y égarer. Et la dame noire devait bien l'avouer, elle avait grandement sous estimé cette gigantesque contrée aride et inhospitalière. Pouvoir partager ce fardeau ne serait-ce que temporairement était une aubaine qu'elle ne pouvait refuser.

Car le prêtre se dirigeait vers Sol'Dorn et l'exilée préférait éviter d'avoir à arpenter la région tant que cela ne s'avérait pas nécessaire. Longer les côtes vers le Sud était un bien meilleur placement d'avenir dans l'immédiat.

D'une démarche qui se voulait souple, la dame noire se rapprocha de son compagnon, plaçant une main sur ses omoplates, un doigt traçant la ligne d'une des cicatrices qui recouvrait la peau de son dos. Un grondement sourd s'échappa alors de sa gorge tandis qu'elle observait avec attention le tracé des muscles noueux et les nombreuses marques, symboles de conflits passés et d'épreuves affrontées. Sa peau était presque brûlante, ce qui était sans doute dû aux rayons du Soleil mais l'imposante drow aimait à penser que les éléments que le prêtre manipulait tourbillonnaient sous sa peau comme autant de tempêtes prêtes à se déchaîner.

Et cette marque d'Uriz sur son torse... Elle l'admirait tout autant qu'elle la jalousait. C'était la manifestation physique et tangible de l'approbation du Créateur, ce corps et cette braise qu'il abritait avaient tout deux reçus sa bénédiction. Elle enfonça alors soudainement ses ongles dans sa chair, laissant une légère trace de griffure à la surface de sa peau. La dame noire afficha un sourire, appréciant laisser elle aussi sa propre marque sur cette carcasse dangereuse.

Ol shlu'ta tlu sreenath ulu ssinssrin ulu learaw dosstan xuil natha zhas fuer'yon...
(Il peut être dangereux de vouloir s'entourer d'une bête sauvage...)

Elle fit rouler ses muscles sous ses puissantes épaules.

Jhal nindel's zhil'za vel'bol dos phuul lorith whol, ditronw? Nindel lotha folbol nindel xal acratura ulu flamgra dosst reiken 'sohna...
(Mais c'est sans doute ce que tu recherches, n'est ce pas ? Ce petit quelque chose qui pourrait réussir à enflammer ta braise à nouveau...)

Elle ne pouvait en être certaine, mais elle avait remarqué ce regard morne qui ne s'éclairait que très brièvement, cette braise qui appartenait non pas à un homme brisé, mais à un homme las. Peut être était-ce la raison pour laquelle il avait semblé si réceptif à l'éclat ardent de la dame noire.

Sans prévenir, Azralith se pencha brusquement en avant et referma sa mâchoire sur l'une de ses épaules. Ses crocs transpercèrent la peau et se retirèrent tout aussi soudainement alors qu'elle mettait fin à la morsure, prévenant une éventuelle réaction violente de la part de sa proie. Elle le regarda de haut alors qu'elle s'éloignait, un sourire sauvage sur le visage. Elle n'appréciait guère voir un autre eldéen dénué de cette flamme ardente qui consumait pourtant parfois bien trop les siens. Mieux valait brûler trop intensément que s'éteindre et tant qu'une braise demeurait, le feu pouvait toujours reprendre.

Elle reporta alors son attention sur les cadavres de Zurthans, s'apprêtant à les préparer pour un repas immédiat, et pour des provisions à utiliser durant la longue route qui les séparait encore de toute réelle civilisation.

Il y eut un silence, un bref arrêt dans le temps flottant entre les deux drow. Et puis soudain, le mage reprit vie à nouveau. Fonçant droit vers sa compagne, il vint saisit son cou décharné entre ses griffes, la poussant, poussant jusqu’à la plaquer dos à une épaisse roche. Il poussa encore, jusqu'à planter les bouts de métal glauque dans sa chair tendre. Elle était certes plus grande mais il était en bien meilleur forme et n’avait pas de mal à la maintenir ainsi.

-Ne te soucie pas de ma flamme dalninil.Répondit-il, son mufle grondant à quelques centimètres à peine d’elle.

Un coin de sa bouche se releva en un rictus cruel alors qu’il fit lentement chauffer sa main. Non, elle n’avait pas gagné et il était toujours là, brulant et bien vivant. Pourtant...Pourtant, ne ressentait-il pas un vide, au fond ? N'avait-il pas l'impression qu'il manquait quelque chose à cette petite pièce...?

Après une longue minute, lorsque la chaleur manqua de devenir insupportable, le mage cessa de contraindre les flux et tout s’arrêta. Ne laissant qu'une légère trace de brulure, une de plus, sur sa peau sombre, il se détourna aussi sec, comme s'il entamait déjà le long chemin qui lui restait jusqu'à Sol Dorn.

-Je ne recherche rien d'autre que la fierté du Créateur.

La morsure et ses paroles avaient eut l'effet escompté. La main du prêtre enserrait désormais la gorge de la dame noire, ses griffes s'enfonçant dans sa chair tandis qu'il la plaquait violemment contre l'une des roches de la petite clairière. Il ne cherchait pas à tuer, c'était une démonstration de force, une démonstration du brasier dont il s'estimait être animé. Fort d'une énergie nouvelle, il observait avec un rictus celle qui avait désormais accaparé l'intégralité de son attention.

Mais lorsque la chaleur commença à se faire sentir, les pupilles d'Azralith se dilatèrent soudainement. Cette méthode lui fit remonter les souvenirs des supplices subis sous le serviteur de Kiel, ces morceaux de métal chauffé magiquement à l'intérieur de sa chair. La douleur résonna dans son crâne, son rythme cardiaque s'accélérant et son corps tout entier se contractant soudainement face à la menace.

La douleur ne l'avait pas brisée, elle n'y parviendrait jamais, elle ne pouvait se le permettre. Elle n'était plus un frein, mais un carburant pour le conflit, le sang, la violence, la guerre. Son sang battait à ses tempes tandis qu'elle enserrait le bras du prêtre dans sa poigne dans l'espoir de le déloger. Mais elle n'y parvint pas, son voyage l'avait tant affaiblie que cela ?

Peu importait, son crâne était juste là à portée. Si elle extirpait son cou de force, elle y perdrait une partie de sa gorge mais elle vivrait suffisamment longtemps pour lui briser le crâne contre la roche. La chaleur se faisait de plus en plus forte et la dame noire sentit un filet de sang remonter dans sa gorge. Elle montra alors les crocs, affichant une grimace ensanglantée au prêtre, son regard s'intensifiant d'une nouvelle lueur, sa braise s'embrasant, la rage envahissant son corps tout entier.

Elle se rappela soudainement de l'existence de sa dague, l'une de ses mains se dirigeant vers sa poigne tandis que le prêtre lâcha soudainement sa gorge en se détournant.

La fierté du Créateur hein ? Elle avait voulu donner une leçon alors qu'elle était aveugle à ce qui se trouvait juste devant ses yeux. Elle avait rechigné le conflit par peur de l'échec, peur de périr ici sans avoir réussi à laver son nom, réussi à s'élever. Mais quelle importance ? Un prêtre d'Uriz se tenait devant elle, un drow bénit par son regard et par sa volonté. Pourquoi rechigner alors à faire couler le sang, à briser les os et arracher la chair jusqu'à ce que plus rien ne bouge ? Même si elle périssait, elle parviendrait à enflammer sa braise bénie, à la faire briller aussi intensément que la sienne aux portes de la mort.

Dégainant sa dague, la dame noire plongea en avant avec un cri de rage, la lame ne parvenant qu'à lécher légèrement le dos de son adversaire qui esquiva le coup, y ajoutant une autre estafilade. Elle fit tournoyer l'arme dans sa main, changeant de position, elle ne lui laisserait pas le temps d'incanter un autre de ses sorts. Son visage était déformé par la rage alors qu'elle poursuivait ses attaques, mais ses mouvements étaient trop lents, manquaient de force et de précision.

Le prêtre parvint même à attraper son poignet armé, stoppant l'arme dans son mouvement. La dame noire enfonça alors son poing dans sa mâchoire. Une courte incantation et une violente bourrasque de vent balaya l'imposante drow qui s'écrasa contre une roche dans un craquement. Mais elle se relevait déjà, ses traits déformés par un sourire malsain et ensanglanté. Un son rauque s'échappa de sa gorge, un rire nerveux, dément, une réponse à cette douleur qui ne faisait que l'exciter davantage. Elle avait été forgée dans ce monde où tout devenait blanc, ce monde où seule la force brute régnait et où les faibles périssaient violemment.

Toujours prostrée près du sol, elle s'élança pour couvrir le plus vite possible la courte distance qui la séparait du prêtre. Mais une silhouette soudaine s'interposa. La dame noire la percuta avec violence avant de rouler au sol un petit peu plus loin. Un Zurthan ? Il se tenait au dessus d'elle, prêt à la frapper. Mais ses yeux entièrement blancs et ses plaies toujours grandes ouvertes trahirent sa nature mort-vivante. La pointe du javelot érafla sa poitrine tandis qu'Azralith se relevait en grognant, s'éloignant de quelques pas pour avoir une meilleure vue de la situation.

Les cadavres s'étaient quasiment tous relevés et même le prêtre était déjà aux prises avec eux. L'imposante drow écumait de rage, contemplant ces avortons qui se dirigeaient vers elle avec l'intention d'effectuer ce qu'ils n'avaient pas réussi à accomplir dans leur vie précédente.

Osait-elle ? Osait-elle s’en prendre à lui, serviteur du Père ?

Oui elle osait… Elle se jeta sur lui et le combat fut définitivement consommé entre eux. Elle était vive pour un cadavre ambulant. Le mage découvrit les dents, mais difficile de dire si ce rictus qui fendait son visage était expression de sa joie ou de sa colère. Même lorsqu'elle le frappa violemment, et que le sang gicla de sa bouche, son rictus resta. Après tout, elle scellait elle même sa fin pathétique et il y avait de quoi en hurler de rire.

Pourtant, destin cruel ou simple farce des dieux, alors qu’il aurait pu achever là la dance macabre qu’elle avait entamée, un nouvel obstacle s’interposa, bloquant tant sa course à elle que ses javelots de glaces à lui.

Sous l’impact des deux combattants, le cadavre fut projeté au loin, tandis que le mage se trouva soudain approché de quatre corps animé d’une demi-vie.

Alors, ce fut bien de rage cette fois qu’il poussa un cri.

Une profonde ligne de sang vint s’ajouter aux multiples balafres sur sa peau sombre et dans un même geste, sa main forma un arc de cercle. Les énergies vibrèrent, mécontentes, mais il en était le maitre et ilordonnait. Alors, elles n'eurent pas le choix que plier, et elles hurlèrent leur colère. La foudre fondit sur les cadavres. Elle mordit une fois, deux, trois leurs membres tellement carbonisé qu’ils ne furent bientôt que d’immondes pantins désarticulé, gisant sur le sol.

Un nouveau grondement sortit de sa gorge alors qu'il lança un regard vers l'impudente quelques mètres plus loin et il se prépara à incanter de nouveau. En revanche de qui il visait entre elle ou ceux qu'elle affrontait, personne n'aurait pu le dire...

Ils s'approchaient, dénués de peur, de stress, de douleur, toutes les limitations mortelles s'étaient envolées, ne demeurait qu'un désir profond de carnage et d'annihiler tout ce qui était vivant. Ils formaient des guerriers bien plus parfaits dans la mort qu'il ne leur aurait jamais été possible vivants.

Pourquoi ici, maintenant ? Pourquoi alors que le Créateur aurait pu poser son regard sur elle, pourquoi alors qu'elle était si proche de s'enflammer dans un ultime brasier, le plus incandescent de toute sa vie ? Plongeant en avant, elle enfonça sa dague dans l'orbite de l'un des cadavres ambulants. Il broncha à peine, son arme primitive déjà prête à la punir.

La dame noire posa alors sa main sur le manche, un violent coup de paume brisant le bois et le javelot en deux. Elle récupéra la pointe avant de perforer une nouvelle fois le crâne de sa victime. Toujours rien. Elle enfonça subitement ses mains dans la bouche du mort vivant et hurla alors qu'elle contractait ses muscles de toutes ses forces, tirant sa mâchoire de part et d'autre pour déchirer la chair. Elle parvint rapidement à lui arracher la mâchoire inférieure dans une gerbe de sang.

Le corps tituba un instant, mais il demeura debout, sa langue pendant désormais dans le vide tel un appendice putride et ensanglanté.

Comment ? Comment pouvait-elle se battre sans équipement contre ces choses ? Était-ce là une punition des Dieux ? Cherchaient-ils à lui montrer toute l'ampleur de son impuissance ? Elle ne le permettrait jamais, pas tant qu'elle pouvait encore respirer.

Et alors qu'elle s'apprêtait à reprendre son assaut frénétique et désespéré, un violent grondement se mit à retentir. La foudre s'abattit soudainement sur la terre, sa fureur élémentaire toute puissante et insaisissable balayant les pauvres entités qui avaient le malheur de se trouver sur son chemin.

La Dame noire se retrouva à lutter soudainement contre son propre corps, ses muscles se contractaient d'eux même tandis que les rémanences de la foudre parcouraient sa chair, ses oreilles émettant un sifflement assourdissant et continu. Mais pire que tout, sa respiration se retrouva bloquée, elle ouvrit en grand ses mâchoires sans que rien d'autre ne s'en échappe qu'un râle étouffé. Son corps lâcha et elle s'effondra au sol tandis qu'elle luttait comme une démente pour en reprendre le contrôle. Ses doigts et ses ongles s'enfoncèrent dans le sable dans une ultime tentative de lutte juste avant qu'elle ne se fasse emporter par les ténèbres.