L'issue du voyage

1ère énnéade de Bàrkios, 20:XI
En forêt d'Alëandir

C’est le chant délicieux d’un rossignol qui la tira d’un sommeil profond, absent de tout rêves. Lynn ouvrit les yeux sans difficulté, et fut éblouie par la lumière de l’aube. Elle s’étira et se leva. La rosée l’avait de nouveau trempée, mais l’elfe n’en avait cure : elle en avait l’habitude, maintenant. Elle s’approcha du ruisseau près duquel ils s’étaient installés la veille, et se rafraîchit le visage dans un splash bruyant. Elle laissa l’eau s’écouler de son visage en admirant son reflet dans le cours paisible.

Ces longs mois à parcourir Anaëh avaient été pleins de surprises. La Taledhel avait pu découvrir des coins du territoire qu’elle n’aurait jamais pensé connaître. Elle s’était rapprochée de Kÿria, et de ses anciennes convictions, en restant proche de la Sylve. Mais avec cette proximité renouvelée, le mal et ses crises étaient revenus. Elle gardait des souvenirs amers de la pire d’entre elle, bien qu’aucun n’était resté bien net. Lynn serra les dents. Mornàndur ne lui en avait pas voulu, évidemment, son compagnon de route était bien au-dessus de tout ça.

Elle avait apprécié sa compagnie pendant ce voyage. Elle ne s’attendait pas à ce que le druide l’emmène si loin, et reste si longtemps à ses côtés. La beauté d’Anaëh n’avait cessé de la surprendre. Si Alëandir n’avait déjà plus vraiment de secret pour elle, les incroyables falaises de l’Est l’avaient époustouflée. La forêt d’Ardamir recelait de trésors, et une force omniprésente les avait accompagnés. Les montagnes de Daranovar lui avaient fait mal à la nuque tant elle la tendait pour apercevoir leurs sommets.  

L’elfe essuya son visage et but quelques gorgées avant de se retourner. Le druide s’était réveillé, lui aussi. Elle lui sourit en hochant la tête.

« Quel périple. J’ai l’impression que ça fait des années que je n’étais plus venue ici. »

Ils étaient rentrés. La capitale, et sa vie, n’étaient plus très loin, maintenant. Lynn appréhendait son retour. Après tout, les journées d’une citadine, membre de l’armée royale, n’avaient rien à voir avec celles qu’elle avait pu vivre tout au long de cette année. Toutefois, il était temps de revenir à la réalité.

Sa mission n’avait été ni un succès, ni un échec. Mornàndur et elle avaient certes eu l’occasion d’en rencontrer, des Ornedhels. Au départ, la plupart d’entre eux se montraient méfiants, voire craintifs, surtout lorsque leur périple les avait menés dans les terres du Nord, mais tous ou presque s’étaient révélés très pacifiques. Elle avait pu se familiariser avec un bon nombre de clans, avec l’aide du Tercáno. Sa présence avait d’ailleurs beaucoup aidé à les rassurer, et évité un bon nombre d’erreurs qui auraient pu lui coûter cher. Elle avait pu échanger avec eux, débattre, et tâter le terrain. Mais elle n’avait pas parlé de l’Annon, et encore moins de l’idée d’Artiön. Dès les premiers jours, l’elfe s’était rendue compte que ce n’était pas son rôle de parler du fait accompli, mais bien d’aider à la transition, si elle avait lieu. Lynn se demandait s’il l’avait attendue, d’ailleurs.

Elle lança un regard à son compagnon de voyage. Encore une courte journée avant que leurs routes ne se séparent. Avait-il apprécié sa compagnie autant qu’elle ? En garderait-il des souvenirs ? Elle n’en doutait pas. Après tout, une année passée presque seuls, à partager des histoires, découvrir de nouvelles terres, et de nouvelles substances... C’est inoubliable, non ?

Lynn se gratta la tête et eut un petit rire, apparemment insouciante, mais en vérité, le doute régnait dans son esprit. Est-ce qu’Aegden et les autres lui en voudraient d’être partie si longtemps ? Certes, cette absence était plus ou moins prévue, mais l’elfe n’avait donné aucune nouvelle pendant ces longs mois. Pas la moindre lettre, aucun messager, même quand ils passaient près des autres cités Taledhelles. Avaient-ils envoyé du monde à sa recherche ? Peut-être pensaient-ils qu’elle était morte, ou pire, que les Ornedhels l’aient tuée. Tout de suite, le retour au bercail prenait une tout autre tournure, à laquelle elle n’avait pas du tout pensé pendant ce voyage pour le moins fantastique.

Et puis, il y avait aussi le fait que Mornàndur l’ait accompagnée pendant tout ce temps. Allait-elle se résoudre à révéler cette information à ses pairs ? De toute façon, qu’est-ce que ça pourrait changer, qu’elle garde cette majeure partie de ce voyage secrète ? Ce qu’ils avaient créé, ce n’était que pour eux deux. Elle craignait qu’Artiön n’essaie d’utiliser cette nouvelle relation acquise comme un atout, une ressource à consommer. Or, Lynn refusait d’imposer cette situation à son compagnon. Elle secoua la tête en soupirant.

« J’espère aussi. » dit-elle simplement.

Elle aurait largement le temps d’y penser cette nuit, lorsqu’elle s’endormirait dans les bras d’Alëandir. Elle se rapprocha et attrapa un morceau de lapin qui restait du repas de la veille. Elle n’avait pas très faim, mais il valait mieux manger un peu. En croquant, elle s’aperçut que la viande froide n’avait pas mauvais goût, voire qu’elle était meilleure qu’hier soir. Elle en reprit une autre part par gourmandise, et s’installa sur une branche.

« Et toi, que vas-tu faire, après mon départ ? » demanda-t-elle d’une voix amusée. « Qu’est-ce que tu fais de ton temps, quand tu ne fais pas la nounou d’une Taledhelle capricieuse ? »

Le druide restait très secret, en général. Il n’abordait jamais son passé, et n’avait donné presque aucune information le concernant, si on écartait ses révélations sur son goût pour les bons champignons. Pourtant, l’archère avait tout tenté. Elle avait même tenté de l’amadouer avec un air improvisé, lorsqu’ils avaient croisé la route de bardes ambulants. Mais rien n’y faisait : Mornàndur ne s’était pas ouvert. Du coup, Lynn avait suivi le rythme. Elle avait tenté d’en révéler le moins possible, et mises à part ses quelques… sautes d’humeur, qu’elle ne contrôlait pas, elle avait plutôt réussi à cacher son jeu.

Cette distance apparente au passé ne les avait pas empêchés de se rapprocher. La solitude, ils la connaissaient bien tous les deux. L’elfe était heureuse d’avoir pu partager des moments uniques avec quelqu’un d’autre pendant tout ce temps. Son voyage aurait pris une tout autre tournure, seule.

La remarque du druide la fit rire, qui doubla d’intensité lorsqu’elle repensa à ces immondes fruits qui poussaient sous les racines des pauvres arbres, près d’Eteniril.

« Au moins, je ne suis jamais morte de faim ! Je dois admettre que tu as les bonnes astuces pour trouver de quoi manger, même s’il faut avouer que ce n’était pas souvent bon. Je ne sais pas comment je m’en serais sortie sans toi. »