1ère ennéade de Bàrkios, second mois du Printemps – An XX : XI
Perché sur un rocher, en surplomb, j’observais la plaine verdoyante. Puis le troupeau arriva, à une vitesse convenable. Il était encadré de chaque coté par un bélier monté. Puis, une fois qu’il était arrivé au fond de la vallée, les nains s’écartèrent des flancs du groupe, qui se dispersa.
« Bien, très bien ! » beuglais-je dans ma barbe fournie.
Je redescendais de mon promontoire, observant les brebis suivies de petits. Heureusement, elles étaient toutes en bonne santé. Oui, l’hiver avait eu son lot de malheur, mais le troupeau était conséquent. Il survivra désormais. Je me tournais vers les nains qui m’accompagnaient, tout en agrippant les rênes de ma monture. Certains de mon clan, mais aussi quelques soldats. Ils avaient dû apprendre. Puisque tout le monde devait faire les roulements pour garder l’avant poste, défendre, aller chercher du bois, il fallait également le faire pour nourrir les bêtes, s’occuper du blé, des terres. Finalement, tout le monde avait appris. Même moi, qui n’avait pas nécessairement la connaissance militaire, ou sa rigueur, je m’étais plié.
Je n’avais jamais voulu diriger seul. J’étais loin de tout savoir, et puis il fallait bien avouer que j’avais moins de pogne que Broc Casse-Tête. A terme, je ne saurai même pas dire s’il avait apprécié ma compagnie. Mais j’étais injuste avec lui, et mon sourire crispé toujours caché dans ma barbe fournie.
Mon séjour n’était finalement d’une petite journée, à l’échelle de la vie de cet avant poste, qui s’était aujourd'hui bien agrandi. Des métiers plus spécialisés commençaient à se mettre en place, il y avait sans cesse du va et vient dehors, beaucoup d’activité. Finalement c’était au moment où je trouvais cet endroit le plus accueillant, le plus ressemblant à un village des montagnes, que je devais partir. J’avais l’impression d’être « comme chez moi ». Ma mission ici était néanmoins terminée. Ils n’avaient plus besoin de moi pour vivre, et non plus survivre. J’aimais à penser que ce petit coup de poigne permettrait de grandes avancées pour reconquérir nos terres.
Mais ce n’était plus le moment de penser. C’était le moment de rentrer, de me préparer pour rentrer.
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Je ne rentrais pas seul. Certains nains, venus avec moi, ne se sentaient pas chez eux ici. D’autres, au contraire, souhaitaient continuer ce qu’ils avaient débuté ici. Je les avais laissé libre de choisir leur destin, en sachant pertinemment que mes pas me conduiront à nouveau ici dans un futur. Nous avions également choisi nos montures avec soin. Des béliers un peu nerveux, pas très à l’aise dans cet environnement montagneux, hostile. Et une seule brebis, un peu amaigrie. Elle avait perdu son agneau il y a une ennéade. Après réflexion sur les rations à emporter, j’avais décidé qu’elle pourrait nous nourrir en viande durant le voyage, assez grassement même, si elle parvenait à nous suivre sur les chemins escarpés.
Il était étrange de préparer selles et harnachements pour les béliers. J’avais l’impression de me retrouver lors de mon départ. Nous avions décidé de ne prendre qu’un chariot, et de charger nos affaires dessus, ainsi qu’un peu de nourriture. Le reste tiendra sur les béliers, et dans notre dos si besoin. Derrière moi, je gardais le plus important : mon bâton de berger et ma hache. Les attaques n’étaient pas rares, mais nous avions bien nettoyé l’endroit aux alentours. Nous serons au moins tranquille la première journée. Broc exigea toutefois qu’une petite escorte nous accompagne sur le début du voyage. J’avais vite compris qu’il ne fallait pas trop le contredire.
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L’aube se leva, le brouillard matinal pas encore. Mais nous étions habitué, et cette fraîcheur nous stimulait. Toutefois, ce matin l’avant poste était assez calme, curieusement. Même les bêtes étaient silencieuses. On entendait à peine leurs sabots sur la paille. Les seuls bruits de sabots audibles étaient ceux de nos montures. J’arrivais en dernier, devant la grande porte. Des accolades franches, entre amitiés naissantes, s’échangeaient. Moi même, j’en fis une à Broc, pour montrer l’exemple, bien que j’eus l’impression d’y laisser mon épaule. Malgré tout, je lisais dans son regard une certaine émotion, ce qui était différent de la contrariété ou de l’absence d’émotion. Mais je ne pouvais pas dire que c’était lié à mon départ.
Un dernier Baruk, et la porte s’ouvrit devant nous, dans un bruit sourd. Nous avions l’impression que l’air glacé s’engouffrait encore plus rapidement. Je pris la tête du cortège, et je passais la porte. En ne voyait pas encore grand chose, mais mes yeux s’étaient habitués à cet endroit. Je pris rapidement le sentier qui menait à la vallée où nous coupions du bois, pour la dernière fois durant ce mois ci. Voire même la saison. Oserais-je dire un an complet ? Peut être. Je n’avais aucune idée de quand je reviendrais.