[Mariage d'Odélian] L'heure du serment

Troisième ennéade
Printemps, Bàrkios 20:XI

Debout devant un miroir en pieds, Aurel a du mal à se reconnaître. Le blanc, l'or et le rouge ne font pas partie de ses couleurs habituelles. Mais cette journée est particulière. En bien des points. Il se regarde, sans bouger, visiblement préoccupé. Les choses sérieuses vont commencer... C'est à la fois un soulagement et une grande source de tourments. Il espère être à la hauteur, à tout point de vue.

-Ton père aurait aimé de voir porter ces vêtements.

Aurel ferme les yeux et étire un demi sourire.

-N'êtes-vous pas censé accompagner ma fiancée dans ses derniers préparatifs ? Remarque-t-il sans que cela ne sonne comme un reproche.
-J'ai bien le droit de m'absenter quelques minutes pour voir mon fils, tu ne crois pas ?

Un silence répond à sa question. Elle s'attendait à une réplique sarcastique mais son garçon ne semble pas d'humeur. Pourtant, il tient à Solange, elle le sait mieux que n'importe qui. Sans doute mieux que lui-même. Il est différent lorsqu'il est avec elle... Alors s'unir à elle, même sans être conscient de cela, devrait le rendre un tant soit peu heureux.
Dans un froissement de tissu, elle se rapproche de lui et pose une main sur son épaule avant de faire mine d'ajuster l'écharpe qui traverse son buste en diagonal.

-Qu'est-ce qui te préoccupe à ce point ?
-Elle espère des enfants. Confie-t-il après un court silence. Elle fonde tellement d'espoir sur cette idée. Mais je n'en ai jamais eu...

Lesceline n'est pas sans savoir que son fils a eu des aventures. Même s'il ne lui en a jamais vraiment parlé, elle est au courant ou l'a deviné dans une conversation à demi mot.

-Tu fais erreur. Aurel tourne soudainement la tête et dévisage sa mère avec incompréhension. Il n'a pas vu le jour, mais il a été conçu.
-Léane. Conclut-il.

La Dame inclina lentement la tête pour acquiescer. Evidemment, elle avait gardé un œil sur elle. Et Aurel comprenait soudain que ce n'était pas tant sa relation avec une servante qui avait poussé son père à la marier rapidement à un autre mais l'enfant qu'elle attendait et dont lui-même ignorait tout... Un enfant illégitime et qu'Aurel n'aurait pas hésité à légitimer par sens du devoir et des responsabilités. Mais Léane avait perdu l'enfant, comme cela arrive trop souvent, surtout chez les femmes qui travaillent. Il devra y prendre garde lorsque Solange tombera enceinte.

Il ferme les yeux dans un soupir. Oui, elle pourra tomber enceinte de lui... C'est une inquiétude de moins, même s'il en reste bien d'autres.
Dans la rue résonnent le bruit des sabots et des roues au cerclage métallique.

-Je crois qu'il est l'heure.

Lesceline sourit avec douceur. La nouvelle qu'elle lui a apporté n'est pas anodine mais cela fait vingt ans... Il est inutile de revenir sur ce qui était déjà du passé. Il doit se concentrer sur le présent... et l'avenir. La noble dame se hisse sur la pointe des pieds et Aurel se plie légèrement pour l'aider à déposer un baiser sur son front, telle une bénédiction.

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Debout devant l'autel, Aurel est monté dans le premier carrosse pour attendre sa promise près de la Grande Prêtresse avec qui il échange un signe de tête respectueux. Il a salué le Roi en passant près de lui et à présent il se contente d'attendre en contemplant la statue de la DameDieu de bien plus près que lors de ses dernières visites. Les mains dans le dos, comme à son habitude, il en oublierait presque ce qui va se jouer dans quelques minutes devant Elle. Mais en se repassant le fil des évènements de ces derniers mois, il ne peut pas dire qu'il ait de regret. Il a eu des maladresses mais cela n'a-t-il pas contribué à faire en sorte qu'ils se connaissent mieux et se rapprochent ? Et il lui prend une envie... Celle de savoir à quoi ressemble Solange loin de toutes ses obligations, loin des qu'en diront-on et des règles de bienséance. Solange, au naturel...

Mais alors que cette réflexion l'a envahi, une musique s'élève dans la cathédrale et Aurel baisse finalement les yeux. Il reste d'abord immobile alors même que tous se lève pour accueillir celle qui vient d'entrer. Lorsqu'il se retourne finalement vers elle, il l'aperçoit au bout de l'allée. Elle est... resplendissante. Par le choix de sa robe, de sa coiffe et de ses bijoux, bien sûr. Mais pas seulement...

Alors qu'elle arrive au pied du petit escalier permettant d'accéder à l'autel, il tend une main dans sa direction pour l'aider à gravir les quelques marches puis oublie volontairement de lui lâcher la main tandis qu'ils se tournent vers la Grande Prêtresse, présentant leurs dos et leurs capes à l'assistance. Lui a choisi de porter les couleurs des Fribourg, puisque ce mariage lui retire ses droits sur Lantenes.
La musique s'arrête, pour être rapidement remplacée par la voix de sa Bienveillance.

Assise dans son boudoir, la jeune femme frissonna.

Une servante lui mit sa boucle d'oreille - une très jolie perle, et termina de mettre en place sa coiffure, un chignon enserré dans une résille cousue de fils d'or.
Elle écoutait d'une oreille distraite sa mère lui adresser ses félicitations, ses dames de compagnie vanter la finesse du tissu de sa robe blanche, et les broderies raffinées qui ornaient la jupe. Elle se contemplait en silence, alors que son petit chien jappait à qui mieux mieux, poursuivi par les rires de la jeune comtesse d'Odélian.

Le tourbillon de l'organisation était passée, et son mariage allait être célébré.

Et si Solange se sentait très heureuse, elle se sentait également intimidée. Le Roy en personne assisterait à la cérémonie, et, plus encore que devant tous ses vassaux, elle savait qu'elle n'aurait pas le droit à l'erreur. Mais il y avait également le plus important : aujourd'hui, son union avec Aurel serait définitive.
Elle se souvenait aisément qu'elle l'avait détesté, durant les premiers jours. Elle s'était sentie rebutée par sa froideur et sa tendance à prendre des décisions pour elle ; et puis, petit à petit, au fil des jours, elle avait commencé à comprendre ses motivations.
Petit à petit, elle avait apprécié sa présence, sa prévenance, sa gentillesse et son intelligence.

Petit à petit, elle était tombée amoureuse.

La comtesse régente savait que la situation présente était fort ironique. Elle, qui n'attendait rien du mariage en terme affectif, qui savait même l'amour déconseillé, s'était entichée de son promis ; tandis que ce dernier, qui semblait tant désirer l'harmonie des corps, ne semblait rien éprouver envers elle, sentimentalement. Du moins, il ne s'agissait probablement pas d'amour.
La jeune femme n'en concevait pas de chagrin. Elle était déjà heureuse de se trouver près de lui, de vieillir à ses côtés, en tout confiance. N'étais-ce pas un très bel avenir ?

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Solange d'Escault, Comtesse douairière d'Odélian et Régente de la Comtesse Elisabeth, prit le second carrosse, dix bonnes minutes après que celui d'Aurel soit parti. On avait casé sa traine imposante dans la voiture, tandis que que sa fidèle Coline ajustait son voile sur ses épaules. Une autre servante veilla aux plis de sa cape, avant qu'elle s'avance lentement devant l'autel, aux côtés de son bien-aimé, dont la main chaude et sèche enveloppait la sienne.

Dévotement, elle baissa la tête devant la Grande Prêtresse, après s'être inclinée devant le Roy ; et écouta la cérémonie avec ferveur, à la fois, attentive et aussi heureuse qu'une jeune pucelle.
La musique inondait ses oreilles, l'emplissait de gaieté., à mesure que les notes se déversaient avec harmonie dans l'immense bâtiment.

Elle épousait Aurel pour la vie, et elle savait qu'elle avait le meilleur choix qui se puisse trouver sur cette terre.

Et enfin, la noble péninsulaire murmura :

- "Je vous aime, mon cher époux..."

On ne peut pas dire qu'il n'ait pas tout fait pour ne pas en être. Oh, tout d'abord, il a milité pour que le mariage se fasse en Odelian, par respect pour le peuple, pour la publicité faite à ce magnifique Comté, pour défendre le savoir-faire odelianais ou pour une question de coût, mais la Comtesse douairière a rapidement balayé les arguments par un autre, imparable : Le Roy en personne serait présent au mariage, puisque le futur marié était son propre cousin. Diantra devenait la seule option viable et Clothaire a dû s'incliner devant cet argument. Alors, c'est auprès de Gerard d'Escault, grand-père maternel de la Comtesse Elisabeth d'Escault et père de la mariée, qui gère le Comté en l'absence de sa fille, qu'il a négocié pour pouvoir ne pas être présent au mariage. Si, au départ, il a expliqué qu'il était surchargé de travail, qu'il lui fallait superviser les différents chantiers lancés, de l'amélioration de la bibliothèque à la réparation des murs, en passant par la future distillerie, la mise à jour des livres de compte à rendre à l'argentier qu'il supplée actuellement, il n'a pas été entendu. Alors, et même si les premiers arguments étaient réels, il a avoué qu'il supportait très mal les voyages et qu'il craignait de ne pas être en état, physiquement, d'assister au mariage après un voyage aussi long et rapide. Mais quand Gérard d'Escault lui a signifié que son absence serait vécue par sa famille comme une insulte, Clothaire a ployé, à nouveau. Il ne peut pas se permettre d'insulter celle qui lui offre le gîte, le couvert, le statut et un salaire plus que décent. Même si ce qu'il préfère jusqu'ici, c'est d'avoir trois domestiques à son service, car ces derniers l'aident énormément, lui épargnant tous les soucis de gestion domestique pour lui permettre de se concentrer sur ce pour quoi il a été engagé. Et si on peut lui reprocher énormément de choses, de l'absence de souplesse à un décalage important au niveau des idées, car lui aime se voir comme un "novateur", là où la famille d'Escault s'inscrit dans un classicisme rassurant,  Clothaire est reconnu par ceux qui le côtoie comme un bourreau de travail qui ne compte pas ses heures.

Et le début du voyage s'est inscrit dans cette lignée, le Bibliothécaire et assistant grand Argentier comtal étudiant et rédigeant moult parchemins, histoire de mettre les derniers dossiers à jour. Et s'il espérait poursuivre ce travail dans la cabine du bateau sur lequel il voyageait, il en fut physiquement incapable. Car ce premier voyage sur les flots offrit à notre érudit une nouvelle découverte : Il est sujet au mal de mer. Et le pire est que la mer était calme, selon les dires des marins. Mais Clothaire a acquis rapidement une teinte verdâtre et a passé la majeure partie du voyage la tête par dessus le bastingage, surpris de constater que son petit corps malingre puisse produire autant de liquide pour probablement nourrir les poissons... si ces derniers n'étaient pas morts de rire en voyant cet humain aussi malade. Le seul bon point que Clothaire a trouvé à cette situation est que Gérard d'Escault pourra constater que le petit bibliothécaire n'a pas menti quand il a expliqué mal supporter les voyages.

Épuisé par cette "excursion" navale, il a accepté de bon cœur de voyager avec celle qui est son amie, Alicia de Terresang, d'autant que cette dernière souhaitait lui apprendre à jouer aux échecs, jeu auquel il n'avait pas appris à jouer jusque là. Et ils auront trouvé le temps de faire sept parties au cours desquelles il s'est bien débrouillé. S'il a accepté pour se changer les idées et se remettre physiquement tout en gardant son esprit en éveil, il s'est montré bon élève. Le bilan s'élève à trois victoires, trois défaites et un nul, bilan qui ne signifie au final pas grand chose, Alicia s'étant montrée surtout didactique et Clothaire ayant "testé" diverses tactiques, ni l'un ni l'autre n'ont réellement joué pour gagner.

C'est une fois arrivé sur place que le problème s'est posé. Solidement ankylosé, Clothaire a eu les pires difficultés à quitter le carrosse et a dû être soutenu pour rejoindre sa chambre avant d'y recevoir des soins. Et avoir été vu par la délégation entière en état de faiblesse le fait enrager, d'autant plus qu'il ne paie déjà pas de mine avec sa petite taille et son air famélique. Là, en prime, il ressemblait à un petit vieux en fin de vie. Il a fourni ensuite les efforts nécessaires - et douloureux - pour être présentable, principalement au niveau de sa démarche.

Jour du mariage, il est installé plutôt vers l'avant, après la famille, évidemment, et les principaux vassaux, mais en "seconde ligne". La dernière fois qu'il a assisté à un événement marquant ici, lors de l'élévation, il était tellement au fond qu'il n'y avait plus de siège pour lui et qu'il s'était adossé à côté de la porte. Autant dire qu'il savoure ce qu'il vit comme une promotion et cela suffit à lui redonner sa bonne humeur. Oubliés le voyage chaotique et l'humiliation de l'arrivée. Il se sent à sa place et c'est nouveau pour lui, de l'être ailleurs que dans une bibliothèque. Il continue de s'assouplir discrètement, pour ne pas s'ankyloser à nouveau. Le lieu est majestueux, la mariée belle sans doute, resplendissante en tout cas et le marié plein de prestance. Lui porte une tenue noire taillée sur mesure, refusant encore et toujours les couleurs et les frivolités.

Si, pour Solange, cette cérémonie n'est pas la première, elle l'est pour Aurel. Et elle revêt à ses yeux une saveur toute particulière. Derrière ses traits sévères qui font susurrer quelques commentaires dans l'assistance, il ne peut nier que ce serment qu'il prononce n'est pas sans le toucher, d'une certaine manière. Et lorsqu'il tourne son regard vers la jeune femme face à lui et qu'il contemple son visage radieux, il ne peut qu'étirer un mince sourire en coin. Un sourire convaincu, satisfait et, avouons-le, heureux aussi. Mais il n'y a guère qu'elle et la Grande Prêtresse pour le voir.

Alors que le baiser a été échangé, que la coupe dans leurs mains a été retirée et que leur union est désormais scellée, les mots de Solange lui parviennent dans un murmure qui n'est destiné qu'à lui. L'entendre confier son affection lui serre le cœur d'une émotion qu'il ne connaissait pas avant de la rencontrer... et lui fait esquisser un nouveau sourire. Ce sentiment semble chaque fois un peu plus fort.
Il se penche alors vers elle pour approcher ses lèvres de sa joue. Profitant de cette proximité, il lui glisse quelques mots à l'oreille...

-J'aime ces mots...

Puis il dépose un baiser sur sa joue, puisque la bienséance l'empêche de faire davantage en public. Il se redresse enfin, offrant son bras à celle qui est désormais son épouse, et fait face à l'assistance qui félicite leur union par leurs applaudissements. Ils demeurent ainsi quelques instants avant de finalement descendre les quelques marches de l'autel. Ils s'arrêtent pour saluer le Roi en tant que couple marié, puis se dirigent vers la sortie où une calèche les attend pour les conduire sur le lieu des festivités.

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Quelques minutes plus tard, les voilà arrivés. Aurel libère enfin la main de Solange -qu'il a discrètement volé à sa propriétaire dès qu'ils furent tous deux assis pour mêler ses doigts aux siens- et descend le premier et aide son épouse à faire de même. C'est ensemble qu'ils franchissent le perron du manoir et c'est cette fois les serviteurs qui les applaudissent pour louer leur union. Avançant devant l'allée qu'ils ont formé, chacun leur souhaite tous leurs vœux tandis qu'ils progressent dans le hall. Ce n'est que lorsqu'ils arrivent au bout qu'Aurel les fait dévier de la ligne droite qu'ils suivaient pour les conduire dans le petit salon, autrement dit : une des rares pièces qui n'ait pas été aménagée pour l'évènement et où ils pourront trouver un peu d'intimité. D'ailleurs, il ferme la porte derrière eux afin qu'ils se retrouvent seuls. En toute légalité... Enfin !

-Pardon pour cette échappée mais puisque nous n'aurons pas de calme avant plusieurs heures... Et je n'allais pas vous laisser, à peine mariés. Commente-t-il comme s'il était nécessaire de le préciser. Comment vous sentez-vous ? S'enquit-il malgré tous les signes qu'il a pu déceler jusque là.

Son mariage avec Aurel était enfin scellé.

C'est emplie d'un bonheur diffus, de fierté et de ferveur que la comtesse douairière d'Odélian s'inclina profondément devant le Roy, parcourut l'assemblée des nobles avec des yeux brillants d'orgueil et de reconnaissance, descendit l'allée d'un pas mesuré sous les applaudissements, son bras sous celui de son époux, avant de monter dans la calèche, le cœur battant.

L'arrivée au manoir ne fut pas moins empli d'émotions.
Il était presque étrange de revenir au manoir au bras d'un homme, exposés aux yeux de tous ; mais elle ne pouvait s'empêcher de se sentir plus détendue et plus confiante qu'elle ne s'était sentie depuis de nombreux mois, peut-être des années.

Solange avait fait un bon choix en la personne de ce chevalier si froid de prime abord, mais qu'elle avait découvert doux, délicat et chaleureux ; et dont elle découvrit la spontanéité, alors qu'il l'entrainait comme un adolescent dans le petit salon, et qu'il fermait la porte derrière eux. Sans trop s'y attarder, la jeune femme plaignit ses dames de compagnie, qui devaient se trouver fort embarrassées de les laisser en tête à tête avant la nuit de noce.
Balayant de son esprit l'organisation du repas de noce, et de l'arrivée de tous ses invités pour le festin, elle poussa un petit rire puéril, serra les mains de son mari, les joues rougies et les yeux baissés.

- "Je suis toute étourdie de nos noces, mon cher ami. Quelle femme ne serait point comblée des festivités, par les instants solennels que nous venons de vivre ? Je... je n'aurais pas imaginé que vous m'enlèveriez à nos invités, mais c'est un instant bienvenu à vos côtés. Et vous ? Etes-vous prêt pour le banquet ?"

La Régente se doutait bien qu'il ne désirait pas s'enquérir d'intendance, mais cela faisait si étroitement parti de sa vie qu'elle ne pouvait en séparer réellement chaque aspect.
Elle baissa les yeux. A dire vrai, un seul point la préoccupait réellement. Elle avait cru qu'elle saurait revenir dans le lit d'un homme, de cet homme, avec une relative facilité - mais l'angoisse pesait à présent dans son cœur, si fort qu'elle avait du mal à déglutir.

- "Je dois vous demander quelque chose, mon aimé. Aurel, je sais qu'il ... que ce soir nous dormirons ensemble. Mais croyez-vous... qu'il soit possible que ... Que vous acceptiez de ne pas aller plus loin que le sommeil commun, jusqu'à notre arrivée à Escault ? Je sais qu'il est délicat de le demander à son époux, mais ... Je ne pourrais pas... y arriver sans que nous prenions.. un peu de temps, afin que je puisse m'habituer. S'il vous plait."

Elle se mordit la lèvre, fixa les yeux sombres avec anxiété. Elle avait confiance en lui, savait qu'il ne se mettrait pas en colère ; mais avait néanmoins besoin de sa réponse.
Dans un sens, la péninsulaire avait honte d'elle, honte de ses angoisses, de cette sensation d'étouffement qui la prenait lorsqu'elle s'imaginait dans ses bras, la nuit - et pâlit un peu en songeant qu'ils n'auraient sans doute pas le choix, qu'un témoin serait sans doute présent.

- "Mais... je-je crois qu'on nous imposera un témoin. Heureusement... c'est avec vous. J'ai été présomptueuse en croyant que je pourrais... être une mariée normale. Comme je vous demande pardon, mon très cher aimé... Je vous aime tant. Si ce n'était vous, je me serai sauvée en courant !"

-Nos invités ? Fait Aurel en haussant un sourcil. Nous avons quelques minutes d'avance sur eux. C'est la raison pour laquelle nous pouvons nous permettre cette échappée. La seule avant des heures...

Le lantenois ne semble pas contrarié. Certaines, les mondanités ne sont pas sa partie préférée mais il préfère ne pas y penser pour le moment. Au lieu de cela, il libère ses mains de l'emprise de son épouse pour se rapprocher d'elle et les poser sur ses hanches. Désormais, tout leur est permis. Même s'il n'oublie nullement les craintes de la Dame et ses propres appréhensions à ce sujet. Mais ils en ont déjà parlé et elle lui a autorisé à faire des tentatives. Et, lorsqu'il voit la réaction de Solange, il se tient prêt à s'éloigner si nécessaire.

Rapidement, elle exprime ses inquiétudes, lui avoue ne pas être aussi prête qu'elle le pensait alors qu'on leur imposera bientôt de passer leur première nuit ensemble et lui demande de repousser cette étape de leurs noces. Aurel est un homme a priori bourru et peu empathique mais elle doit le connaître suffisamment pour savoir quelle sera sa réponse. Mais peut-être en sera-t-elle surprise, qui sait ?

-Je n'ai jamais imaginé qu'il en serait autrement, Solange. Déclare-t-il avec douceur. Tout est déjà arrangé avec votre père. Il nous rejoindra suffisamment longtemps pour que son témoignage soit crédible mais nous n'aurons rien à faire, si ce n'est trinquer avec lui à la fin de cette journée. J'ai déjà cette tradition en horreur alors... avec vous... C'était tout bonnement hors de question. Et je me contenterai d'un sofa si cela vous rassure.

L'une des mains d'Aurel quitte le flanc de la jeune mariée afin que le revers de ses doigts viennent effleurer sa joue dans une caresse tandis qu'il la regarde avec une certaine tendresse. Il est serein car, malgré ses ressentiments envers cette coutume, il sait déjà qu'ils y échapperont. Il passe sur le fait que Gérard attend néanmoins qu'ils consomment leur mariage et qu'il prend un risque en mentant sur un papier officiel. Il est inutile de mettre la pression sur les épaules de la jeune femme alors que leur lune de miel est là pour les aider à se rapprocher. Et quand bien même ils n'auraient pas réussi à franchir le cap avant de devoir retourner à leurs obligations, peu lui importe. Il a prêté serment et n'a pas l'intention de se séparer de son épouse.

Finalement, l'ancien officier recule d'un pas.

-Je dois vous confesser... que ce n'est pas seulement pour prendre un moment de répit que je nous ai conduit ici.

Il porte alors ses mains sur le nœud qui retient encore la cape de mariage ornée des armoiries des Fribourg pour la lui ôter puis s'éloigne en direction d'une commode, laissant le vêtement posé nonchalamment sur un canapé. Il en ouvre un tiroir et en sort un assez large paquet de tissu fin noué d'un ruban coloré. Il l'apporte à Solange et le lui tends, le plus simplement du monde.

-Ce n'est pas grand chose, et peut-être pas à la hauteur de ces noces. Mais c'est symbolique... Il la laisse alors ouvrir son présent pour découvrir qu'il s'agit de deux capes en cuir de Kathral : l'une blanche doublée de fourrure brune et l'autre bleue où se distingue les dorures caractéristiques. Tous les de Lantenes en ont un jeu. Celui d'Elisabeth l'attend déjà dans sa chambre.

La douceur dans la voix de son promis - non, de son époux - toucha profondément la comtesse douairière d'Odélian.
Elle se sentait un peu intimidée de se trouver complètement seule en sa mâle présence, mais n'en éprouvait nulle peur, car elle le connaissait assez pour être complètement rassurée en sa présence. Lui avait-il jamais fait le moindre mal ? Avait-il déjà fait un geste déplacé ? Que nenni, et elle en avait parfaitement conscience ; aussi s'enhardit-elle jusqu'à fermer brièvement les yeux, pour profiter du contact léger de ses doigts sur la courbe menue de ses hanches.

- "Je.. je ne savais pas que vous aviez parlé à mon père, mais je l'avais imaginé, bien sûr. Je reconnais bien là votre délicatesse, Aurel..."

Il savait si bien la rassurer qu'elle lui offrit un sourire tendre, oubliant dans son bonheur toute forme de dignité, toutes ses responsabilités. Elle n'était plus qu'une femme devant l'homme qu'elle aimait ; qu'une épouse, heureuse de se trouver en présence de son mari. La caresse sur sa joue faillit faire monter des larmes dans ses yeux clairs, et Solange dut résister à l'envie de se serrer contre lui.

Docilement, la jeune femme se recula tandis qu'il faisait un pas en arrière, déposant sagement ses mains sur les plis de sa robe de soie blanche, cousue d'or, tout en le fixant d'un air intrigué.

- "Vous piquez mon intérêt, mon ami !"

En effet, elle était de plus en plus intriguée par l'air mystérieux en son interlocuteur, et rougit légèrement, tandis qu'il dénouait sa propre cape des épaules de la Régente. Elle l'observa attentivement tandis qu'il se dirigeait vers une commode, et ouvrit un tiroir pour s'emparer de ce qui semblait être, à première vue, un paquet de vêtements. Elle se trouvait désormais fort curieuse, et écarquilla les yeux devant la qualité des deux capes de Kathral qu'il lui présenta.

Son cœur battit un peu plus fort devant l'attention, et la noble péninsulaire darda des yeux ardents dans ceux de celui à qui elle venait d'être unie.

- "Ce cadeau est le plus beau que l'on ne m'ait jamais fait, Aurel. Elles seront désormais mes manteaux préférés, je vous l'assure, tout comme je suis certaine que ma douce Elisabeth en sera heureuse également."

Elle garda le silence un instant, le temps de caresser d'une main la fourrure douce, d'en admirer les couleurs et les symboliques. En portant ces capes, elle serait sienne : que pouvait-elle réellement demander de plus à la vie, qui semblait désormais si clémente envers elle ?

- "Merci, Aurel. J'ai, moi aussi, quelque chose à vous offrir, mais..."

Des coups frappés à la porte l''interrompit, ce qui lui arracha un soupir de frustration.
Ce fut la voix de sa camériste, sa fidèle servante, qui s'éleva derrière la porte.

- "Les invités sont arrivés, et sont dirigés vers la salle de banquet, mon seigneur... ma dame.
- Nous arrivons dans un instant. S'il vous plait, assurez-vous que les ménestrels commencent leur office, cela les distraira pendant qu'ils prendront place.
- Oui, ma dame."

Des pas pressés s'éloignèrent en claquant avec célérité sur les dalles de pierres polies, alors que la jeune femme levait à nouveau les yeux sur son nouvel époux.

- "Il est bientôt l'heure, mais je voulais vous dire que vous trouverez votre cadeau de mariage ce soir, dans nos appartements. J'espère... J'espère que vous trouverez le bonheur dans cette union... sachez que je m'y emploierai, non pas par devoir... mais parce que cela me rend profondément heureuse. Merci de vous trouver à mes côtés, Aurel. Nous vieillirons ensemble, ce que j'appelle de tous mes vœux."

La Dame d'Escault se serra brusquement contre lui, lui offrant en un baiser un peu timide sur ses lèvres rugueuses. Elle sentit son corps se presser contre le sien, avant qu'elle ne se cale plus commodément, sa tête appuyé contre son torse, où elle entendit son cœur battre d'une oreille attentive.  

- "Je serai vôtre pour toujours, et jusque dans l'éternité, par la grâce de Néera. Qu'Elle soit louée de tant de bonheur..."

Aurel va finalement de surprise en surprise. Sa toute jeune épouse le définit comme quelqu'un de délicat, ce qui ne lui était encore jamais arrivé. Puis elle juge que son cadeau est le plus beau du monde... pour sa signification, sans doute. Mais c'est vite à son tour de hausser un sourcil alors que Solange fait tant de mystère au sujet de son propre présent de mariage. Pourquoi dans la chambre ? Ce ne peut être ce à quoi n'importe quel homme pourrait pensé, déjà parce qu'il la connaît assez pour savoir qu'elle n'est pas prête et ensuite parce qu'elle lui a demandé d'attendre qu'ils soient à Escault.

-C'est à mon tour d'être intrigué. Confie-t-il, juste avant qu'elle ne saute presque dans ses bras pour se serrer contre lui, non sans l'avoir fugacement embrassé.

La stupeur passée, Aurel enveloppe la jeune mariée de ses bras et pose ses lèvres sur ses cheveux pour y déposer un baiser puis les laisser là.

-Je suis tout autant vôtre. Ne l'oubliez jamais. Déclare-t-il d'un ton solennel. Une main se glisse jusqu'au visage de Solange et un doigt sous son menton l'invite à venir plonger ses yeux dans les siens. Vous êtes mon égale. Je vous respecterai et vous serai fidèle. Votre famille, la mienne et la nôtre... êtes ma principale préoccupation désormais. Tout comme vous...

Et, à l'image de la conclusion de la cérémonie, il se penche pour venir l'embrasser de manière plus appuyée qu'il n'a pu le faire devant l'autel. Un geste qui vient sceller ce nouveau serment avec sincérité. Pour la première fois, leur baiser n'a rien de volé. Il n'est pas réalisé à la dérobée ou sans légitimité de le faire. Leurs actes n'ont désormais plus rien de prohibé et, on pourrait bien les surprendre, aucun reproche ne saurait leur être fait. Ils sont mariés... avec tout ce que cela implique. Mais ils ont le temps de voir tout cela, lorsqu'elle s'y sentira prête. A lui de lui donner confiance et de la guider, de lui donner envie sans l'oppresser, de faire naître ce désir qui lui fera franchir le pas.
Pour l'heure, Aurel ne fait pas durer ce baiser plus que quelques secondes avant de se redresser.

-Je crois qu'on nous attend. Souffle-t-il alors qu'il est encore penché sur elle.

A contre cœur, et alors qu'il n'a pas la moindre envie de se plonger dans la foule, il achève de se redresser. Il prend la main de son épouse, esquisse un sourire doux puis ouvre la porte... et les voilà lancé dans une soirée qui s'avèrera un peu moins longue qu'il ne le redoutait. Bien sûr, il se serait passé de ce long moment durant lequel chacun vient leur adresser ses félicitations et lui offrir un présent. Hormis lorsqu'ils viennent de personnes qu'il connaît ou de sa famille, cela ne le touche pas vraiment et il se lasse vite de devoir répéter encore et toujours les mêmes remerciements. S'il n'y avait Solange, il aurait eu bien plus de mal à résister à l'envie de quitter cette pièce.
Le temps s'écoule bien plus rapidement par la suite. Une fois que tous ont trouvé leur place autour des tables et que la compagnie autour d'Aurel se réduit, il se montre un peu plus attentif. Il peut désormais discuter avec un cercle intime et concentrer son attention sur des personnes auxquels il tient. Cette fois, il n'a pas besoin de se cacher tandis qu'il prend la main de son épouse dans la sienne et peut même la porter à ses lèvres sans que cela ne choque qui que ce soit. D'autant plus lorsque la rumeur s'est répandue que c'est un mariage d'amour depuis longtemps désiré.

Finalement, le moment arrive d'ouvrir le bal. Le marié se lève alors et, d'un geste de la main, invite son épouse à lui accorder cette danse (comme si elle pouvait la lui refuser...). Il la guide alors au centre de la piste, se met en place et profite que les musiciens achèvent de se préparer.

-Vous souvenez-vous d'une discussion que nous avons eu ? Je vous ai dit que vous verriez le jour de notre mariage que je produis plus d'efforts pour notre union que vous ne l'imaginiez.

Ce ne sont pas tout à fait ses mots mais c'était l'idée générale qu'il a voulu exprimer ce jour-là...
Les premières notes s'élèvent enfin et, sans hésitation, Aurel entame les premiers pas qu'il connaît par cœur. Là où, lors de leurs précédentes tentatives, il était gauche et malhabile, il s'en sort parfaitement bien aujourd'hui. Pourtant, jamais elle n'a entendu dire qu'un professeur de danse était venu à Odélian. Alors, soit il cachait bien son jeu, soit il a tenu à lui faire la surprise.

La fête se déroulait sans aucun accroc.

Tous, partout autour d'elle, riaient, buvaient et discutaient avec animation ; mais Solange d'Escault les entendait à peine. Bien sûr, elle faisait de même, par automatisme, sans vraiment réfléchir, empreinte de cette amabilité facile que l'habitude de la société lui avait conféré - mais en elle, ne résonnait que le serment que son époux avait prononcé avant qu'ils ne soient obligé de quitter la pièce.
Sa peau était encore enflammée des doigts qui avaient relevés son menton, sa bouche, brûlante de cet unique baiser, dont l'ardeur l'avait tout autant effarouché que fait bondir son cœur et son Souffle.

Mais la Régente n'avait pas peur. Entre les bras d'Aurel, elle se sentait étrangement en sécurité, et se leva, par ailleurs, de bonne grâce, tandis que sonnait l'heure du bal.
Les joues roses, elle arrangea soigneusement les plis de sa robe précieuse, en se réjouissant à l'avance de ce bon moment. Malgré sa difficulté à se servir de sa main gauche, elle était adroite dans cet exercice délicat qui l'avait toujours enthousiasmé, mais qu'elle ne s'était plus permise depuis longtemps - avant la naissance de sa fille.

A plus d'un titre, ce mariage était une renaissance : n'étais-ce pas l'ancienne Solange qui revenait d'entre les morts ?

Avec un sourire confiant aux lèvres, la jeune femme se mit en place, tandis que la musique résonnait sous les voûtes de pierre du manoir Prademont.
Plantant ses yeux clairs dans ceux de son seigneur, elle n'eut guère le temps de lui répondre, mais sourcilla, quelques longues secondes, alors qu'il se mettait à danser avec une aisance presque étonnante pour un homme d'arme.

Elle n'avait pourtant pas vu de maitre à danser à Odélian - sa remarque sibylline rendait le mystère à la fois plus épais, et son geste plus tendre, car elle sentait qu'il s'était donné du mal pour lui offrir cette belle surprise.
A la quatrième mesure de la danse, leurs invités se mêlèrent à leur danse dans un fastueux mélange de couleurs chamarrés, d'où elle n'émergea que plus tard, aussi légère et étourdie qu'après un beau rêve.

Enfin, la tonalité de la musique changea pour se faire murmure, et ils dégustèrent les gâteaux de mariage plus paisiblement, avant qu'elle s'esquive discrètement, accompagnée de ses femmes, afin de gagner sa chambre, où un buffet léger avait été dressé.

Un bain parfumé avait été apprêté, où elle put s'immerger avant qu'on ne la revête d'une chemise de nuit diaphane et immaculé. Ses cheveux furent laissés libre, cascadant jusqu'au bas de son dos, seulement décorés d'une barrette de pierres précieuses, le lit fut parsemé de pétales de fleurs ; et elle eut à peine le temps de savourer une tasse de lait à la cannelle que sa chère Coline lui annonçait l'arrivée d'Aurel, de son père et de leur suite d'invités.

Vite, elle fut mise au lit avec célérité, les courtines du lit tirées avec pudeur ; et ce fut le cœur battant qu'elle les entendit entrer tous deux, alors que Coline et ses dames de compagnie prenaient congé pour leur - supposée - première nuit.

Mais Solange ne pouvait se décider à se montrer, à ouvrir le lit, à se montrer presque nue. Une terreur irrationnelle la faisait trembler de tous ses membres, tandis qu'elle commençait à avoir du mal à respirer.

- "Père...? Aurel...? Sommes-nous.. seuls ?"

Aurel remarque bien évidemment Solange s'éloigner jusqu'à quitter la grande salle. Sa disparition est discrète pour la grande majorité des convives qui vaquent désormais à leur propre divertissement mais comment l'ancien officier ne pourrait-il pas s'en apercevoir ? Certes, il sait déjà comment va se passer le reste de la soirée et ce qu'il est prêt à faire pour le confort de son épouse, mais le sait-elle ? Il a tout juste eu le temps de lui faire savoir que la nuit de noces n'aurait pas lieue aujourd'hui et demeurerait un mensonge pour tous... Même s'il ne se sent pas encore prêt à aller jusqu'au bout avec elle, c'est elle qui a le plus de craintes au sujet de leur relation. Voudra-t-elle seulement de lui pour la nuit ? Il y a déjà pensé...

Mais l'attention du "jeune" marié ne peut rester figé sur ce sujet bien longtemps. Il est contraint d'en revenir aux discussions qui s'imposent à lui. Tout du moins, pour le moment. Un moment qui lui paraît bien long avant que Vincenzo, son majordome, ne vienne à sa rencontre. Ils n'ont guère besoin de se parler pour qu'Aurel comprenne le message. Il prend alors congés des invités et tous deux prennent le chemin emprunté un peu avant par Solange pour se rendre jusqu'à ses propres appartements. Là, il porte aussitôt la main à sa nuque pour se masser très brièvement puis défait le nœud de son costume afin de retirer le foulard.

Vincenzo ayant depuis longtemps compris que son maître n'aime guère se faire assister lorsqu'il peut se débrouiller tout seule, il se dirige aussitôt vers la zone de toilette et prépare le nécessaire afin que le lantenois puisse se laver. Puis il lui cède la place et se rend cette fois à l'armoire afin de sortir des vêtements propres qui ne sentiront ni le parfum des convives, ni celui des viandes rôties qui ont été servie au repas. Une fois propre et habillé, c'est un peu négligé qu'Aurel ressort de sa chambre pour atteindre la porte voisine. Là, il retrouve son beau-père en train d'attendre. Ce dernier lui tend cependant une petite clef sans plus d'explications. Le lantenois la regarde d'un air interloqué avant de finalement comprendre... et de la saisir pour la glisser dans sa poche.
C'est à cet instant que les portes des appartements de Solange s'ouvrent et que toute l'équipée -qui était présente pour aider la mariée dans ses derniers préparatifs de la journée- sort. Chaque demoiselle baisse la tête, en signe d'obéissance mais aussi pour masquer maladroitement leurs sourires lorsqu'elles aperçoivent Aurel, vêtu plus sobrement, sans veste ni foulard, les deux derniers boutons du haut non faits. Ce dernier en soupire silencieusement d'agacement. Même s'il s'apprêtait vraiment à consommer son mariage, ce genre d'attitude l'énerve profondément. Cela n'est pas un sujet d'amusement selon lui.

Bientôt, la porte se ferme derrière eux et le silence se fait enfin. Cette journée est enfin terminée ! Et le couple va pouvoir s'offrir quelques ennéades d'intimité. La voix de Solange leur parvient presque aussitôt de derrière les rideaux tirés autour de la couche.

-Il n'y a que nous. Vous n'avez rien à craindre. Tout se passera tel que nous l'avons convenu. Un verre, Gérard ? Demande-t-il avant de se tourner vers le lit. Voulez-vous quelque chose, Solange ?

La situation était gênante, terriblement gênante.

Solange acquiesça en murmurant, écarta les lourds rideaux de velours bleu et argent d'une main intimidée, rougit très fort, alors qu'elle se précipita à petits pas nus en direction d'un fauteuil, sur lequel avait été disposé une robe de chambre de taffetas rose, dans lequel elle s'enveloppa avec pudibonderie.

Avec des gestes plus maladroits que d'habitude, elle servit à boire à son mari, puis à son père, fit la conversation avec difficulté. Son cœur battait si fort qu'elle avait l'impression d'étouffer, et elle dut s'asseoir, car ses jambes vacillaient comme celles d'une personne âgée.

Elle se força à porter un toast, à sourire et même à grignoter la moitié d'une tartine, afin de mieux faire illusion - et s'autorisa un bref soupir, alors que son père quittait finalement la pièce, un quart d'heure plus tard.

Mais son état ne s'arrangeait pas pour autant. La Régente avait peur d'étouffer, et finalement, vint ouvrir la porte-fenêtre en grand, auprès duquel elle s'adossa pour mieux respirer. Finalement, après quelques minutes de silence, elle parvint à retrouver un semblant de calme ; et se dirigea à petits pas en direction de son pauvre époux qui se trouvait déjà délaissé, en lui adressant un pauvre sourire, qui peinait à masquer sa panique.

- "Je... je vous remercie, Aurel, de toute la bonté dont vous faites preuve ce soir. Je vous avais dit que j'avais une surprise pour vous... Alors.. Alors la voici."

Elle trotta plus aisément, bien qu'à pas saccadé, en direction du placard, en tira un étui long et lourd, couvert d'un drap de velours sombre. Elle le tira avec effort, et le traina plus ou moins jusqu'à la haute silhouette de l'ancien général.

- "Puisse t-elle vous porter chance, et ne jamais servir, mon amour. Je... J'espère que vous l'apprécierez. Je l'ai fait gravé pour vous, et ainsi, je vous accompagnerai, où que vous alliez."

Aurel gronde gentiment Solange du regard en la voyant se cacher rapidement derrière le fauteuil. Elle aurait pu lui demander de lui apporter sa robe de chambre, il aurait respecté sa pudeur en faisant en sorte de la lui remettre sans regarder de l'autre côté des rideaux. Pendant ce temps, il avait sorti trois verres mais fut pris de vitesse par son épouse pour le service. Nouveau regard... S'il a proposé à boire, ce n'était pas pour qu'elle s'en occupe... Ils vont avoir besoin de s'accorder mais ce n'est rien de bien méchant. Il passe rapidement outre.

Durant les quelques minutes où Gérard reste en leur compagnie, le lantenois n'est pas dupe de l'attitude de la jeune femme et de l'angoisse visible dans son comportement. Elle tente pourtant de le cacher mais il est évident qu'elle ne va pas bien. Cependant, le moment est mal choisi pour en discuter.

Finalement, le Sieur d'Escault décide qu'il est temps pour lui de se retirer et Aurel le raccompagne. Il ferme la porte et, aussitôt, il entend la porte fenêtre s'ouvrir dans son dos. Il se retourne et regarde Solange, en proie à la panique, essayer de reprendre le souffle qui lui manque depuis de bien trop longues minutes. Il ne cherche pas à la rejoindre, pensant que ce n'est pas une bonne idée dans son état. Mieux vaut qu'il garde ses distances. Il a plusieurs ennéades devant lui pour tenter de se rapprocher lentement d'elle dans l'intimité. En espérant qu'elle y parviendra...

Les mains jointes dans le dos, il attend, patiemment, se demandant s'il doit rompre le silence ou au contraire se faire oublier. C'est en fin de compte la jeune femme qui se rapproche de lui et reprend la parole... pour mieux s'éloigner ensuite. Il la regarde se diriger vers un meuble, un sourcil arqué, tandis qu'elle va lui chercher cette fameuse surprise dont elle lui a parlé en début de soirée. Lorsqu'il comprend et la voit en peine, il décroise ses mains et la rejoint en quelques pas rapides. D'un geste doux, malgré les apparences, il retire ce poids des mains de Solange, son regard planté dans le sien. Puis il pose les yeux sur l'épée et l'examine, d'abord par curiosité, puis avec plus d'intérêts. Les ornementations sont assez complexes et la symbolique plus qu'évidente. A la pointe de chaque garde se trouvent les blasons de leurs deux familles. Sur le pommeau, le symbole de Néera. Reculant de deux pas, il la sort de son fourreau d'un geste vif, provoquant un bruit bien caractéristique. Puis il la pose sur son doigt, juste au début de la lame, pour en tester l'équilibre. Satisfait, il la fait légèrement sauter pour la récupérer avec maîtrise. La rangeant, il remarque alors une gravure qu'il n'avait pas encore vue. Le coin de ses lèvres s'étire alors avec tendresse tandis qu'il lit, inscrit dans le métal, la date de ce jour.

Il relève finalement les yeux vers Solange et s'adresse à elle avec douceur.

-Je vous donne de quoi vous protéger de la pluie... et vous m'offrez de quoi vous protéger des lames. Il fronce brièvement les sourcils tandis qu'une pensée lui traverse l'esprit puis un sourire amusé étire ses lèvres. Cela me rappelle notre rencontre et notre premier voyage, pas vous ?

Dire qu'ils ne l'ont même pas fait exprès...
Soudain, il a presque l'impression de revoir ce moment... Celui où, trempé de la tête aux pieds à cause de la tempête, il a ouvert la porte du carrosse pour y découvrir le visage de la jeune femme et de son enfant dans l'ombre de la voiture. Celui où l'a accompagnée jusqu'à l'entrée de son château en la protégeant de sa cape. La même -ou presque- que celle qu'il lui a offert quelques heures plus tôt.

-Est-ce que... je peux approcher pour vous remercier ? Demande-t-il avec plus de sérieux mais avec une certaine délicatesse.

C'est sa façon de lui faire savoir qu'il a remarqué qu'elle n'allait pas bien mais aussi de ne pas la brusquer. Il veut respecter ce qu'elle ressent et il se refuse à prendre le risque de l'effrayer alors qu'il n'a aucune intention à son égard pour ce premier soir. Ni pour les soirs suivants d'ailleurs...

L'épée (à imaginer avec les modifications décrites dans le post)

Solange s'apaisa lentement, tandis que son époux venait l'aider à déplacer le poids inhabituel de l'arme qu'elle avait fait préparer à son intention.

En plaçant ses mains sur le tissu moins contraignant de ses habits de nuit, elle l'observa dégainer, tester l'équilibre de l'épée, esquisser un sourire tendre, qui fit naitre, la même expression sur ses propres lèvres,, bien qu'en plus intimidée.

Les souvenirs qu'il évoqua lui fit lâcher un petit rire amusé, tandis qu'elle fermait brièvement les yeux. Elle se souvenait si clairement de cette terrible soirée ! Ils étaient alors considérablement perdus, affamés et épuisés. Elle était prête à courir tous les risques pour trouver un abri ; mais Néera avait voulu qu'elle entrât dans son château. Dans la demeure de son futur époux.

Il était apparu, trempé comme un soupe, l'avait fait rentrer, sa fille encore bambin dans les bras, ainsi que ses serviteurs et son escorte, et, c'était alors qu'elle s'était trompé sur le maitre des lieux - car elle s'était trouvé rebutée par la mine sombre et crispé qu'arborait alors Aurel.

Sans répondre à sa question, elle considéra les traits de ce dernier, sa mise plus négligée, ses mains robustes, calleuses et presque bronzées, qui lui envie de les ressentir contre elle.

Il était, étonnamment, si délicat et poli, et, finalement, la jeune mariée baissa ses yeux, en poussant un soupir de gratitude. Ses épaules se détendirent, et elle hocha la tête, en le fixant, tandis qu'il se rapprochait.

- "Je me souviens très bien de notre rencontre. Vous me faisiez peur, et je ne savais si je pouvais vous accorder ma confiance. Lorsque vous aviez congédié l'escorte de la Dame de Fernel, j'ai bien cru que vous nous vouliez du mal, mais... finalement, j'ai compris vos intentions, derrière ce mur que vous aviez érigé, entre vous et le reste du monde. Et c'est mon mur que vous avez détruit, également, Aurel. Vous m'avez appris à nouveau la confiance, et que le bonheur était encore possible... même après ces terribles épreuves."

Elle se mordit la lèvre, mais ouvrit ses bras, en plissant son front d'un air très fragile. Son coeur battait la chamade ; mais ce n'était plus l'angoisse qui en dictait son rythme.

- "Je me sens bien dans vos bras. Voilà... Voilà la meilleure manière de me remercier, mais en vérité, c'est moi qui devrait le faire. Car je comprends aujourd'hui que c'est la volonté de Néera qui nous a offert cette chance d'être unis l'un à l'autre, car... je me sens bien mieux à vos côtés, plutôt que loin de vous. Merci, mon aimé..."

Aurel attend patiemment un signe de son épouse lui donnant l'autorisation de s'approcher. La laissant à ses propres émotions et pensées, il scrute son visage, prêt à reculer d'un pas de plus si d'aventure il la sentait plus fébrile encore qu'avant. Mais le fait de lui avoir demandé la permission semble produire son effet. Car elle a le choix. Elle est maîtresse de ce moment et de ce qu'il va devenir. Et, finalement, elle accepte mais sans être capable de parler ou de le regarder. C'est donc lentement qu'il s'avance vers elle, comblant l'écart entre eux avec prudence.
Tout en avançant, il l'écoute évoquer ses propres souvenirs de leur rencontre. Elle ne lui a jamais tant donné l'impression d'avoir peur de lui. Il la pensait effrayer par d'autres préoccupations, bien plus grave que lui, et ne pensait pas que sa présence ne l'avait pas aidé. Du moins, pas au début.

Maintenant, il se tient debout, tout près d'elle. Pourtant, elle ne semble pas en proie à l'angoisse, bien au contraire. Elle comble ce qu'il reste d'espace entre eux, réclamant ses bras, par les mots et le geste. Aurel détourne le regard, juste le temps de poser sa toute nouvelle épée sur le fauteuil qui se trouve près d'eux. Puis il reporte son attention sur son épouse et pose ses mains sur sa fine silhouette. Lorsqu'elle a fini de parler, il se penche pour l'embrasser. Un baiser plus long que ceux qu'ils ont pu échanger depuis leur mariage mais où seule la tendresse transparaît.
Lorsqu'enfin leurs lèvres se quittent, le lantenois pose son front contre celui de son épouse et, après un instant, souffle quelques mots.

-Et que croyez-vous avoir fait à mon mur à moi ?

Certes, Aurel n'est pas le plus chaleureux des hommes, même si cela est un peu moins vrai sa famille et Solange. Pourtant, de petit Seigneur isolé et reclus sur son domaine, il est passé Conseiller militaire d'un Comté -rôle dans lequel il a pleinement pris sa place- et se retrouve désormais au premier plan aux côtés de sa Régente. Il semble bien loin le temps où il fuyait le monde et revenir en arrière est impossible à présent. Car, même si Elisabeth règnera un jour, elle aura besoin d'un entourage proche sur lequel elle pourra compter. Alors où est-il ce mur aujourd'hui ?

-Ils se sont tous deux effondrés, pierre après pierre... Peut-être était-ce le même ? Demande-t-il sur un ton qui n'appelle pas de réponse.

Il esquisse un sourire. Du bout d'un doigt, il écarte une mèche de cheveux de Solange avant de venir déposer un baiser sur son front.

-Vous devriez aller vous coucher, la journée a été longue. Le canapé a l'air très confortable, vous n'aurez qu'à froisser l'autre côté du lit. Suggère-t-il tel un plan concocté pour permettre à sa jeune épouse de profiter de sa nuit sans la proximité d'un homme.

Il serait étrange qu'il ne passe pas la nuit dans la chambre de son femme après avoir supposément attendu ce mariage si longtemps. Et puis, c'est aussi une question de tradition. Alors il ne peut certainement pas aller défaire sa couche et se trahir... Pas maintenant. Et puis, il a connu bien pire comme paillasse qu'un canapé aussi coûteux que rembourré. Tout ce qui compte à ses yeux, c'est que Solange soit à son aise et rassurée.

Leurs lèvres s'unirent pour un doux baiser.

Solange ferma les yeux. Elle crut se perdre, un instant, dans la tendresse de l'instant. Dans l'ivresse de se savoir aimée et protégée, de revivre ces instants de bonheur paisible, sans arrière-pensées, sans terreur. C'était à cet homme, à Aurel, qu'elle offrait ce baiser, aussi pur et fervent que si leurs coeurs se mettaient à battre à l'unisson.
Nul besoin d'actes charnels pour exprimer la vague de bonheur qui avait envahit le Souffle de la jeune femme ; le contact du front de son époux lui arracha un soupir heureux, et elle enlaça, avec sincérité, les doigts mal pour les serrer avec précaution.

Son Mur... Leurs Murs à tout deux étaient tombés, et ils trouvaient l'un en l'autre la paix et la chaleur dont ils avaient besoin. Elle qui n'avait jamais cherché dans le mariage que la satisfaction de critères concrets se trouvait emportée malgré elle par quelque chose qu'elle avait du mal à définir, mais qui correspondait mieux au serment fait devant Néera.

- "Sans doute aucun, était-ce le même..." Murmure t-elle, en lui offrant un sourire aussi timide et confiant que celui d'une biche à peine remise de ses blessures ; puis, enfin, elle quitte son contact, presque à regret.

L'arrangement que propose son mari la touche presque aux larmes, mais la Régente hoche cependant la tête, pour se ranger à son avis. Elle ne sentait pas assez forte pour supporter une présence masculine à ses côtés durant la nuit ; mais Solange se savait assez amoureuse et rassurée pour désirer sa proximité, et même relever les courtines du lit, pour mieux profiter de sa présence.

Avec lenteur, elle défit son peignoir devant lui, révélant sa chemise de nuit d'une extrême pudeur ; saisit un oreiller et la courtepointe de taffetas pour la disposer avec précaution sur le divan de velours, en lui adressant un petit signe timide, un peu crispé.

Pour se coucher ensuite, avec un léger soupir de soulagement.

- "Bientôt, je serai assez forte, Aurel. A Escault... A Escault, je me sentirai complètement en sécurité. Je... Je dois vous dire... que c'est une magnifique journée. Je vous souhaite à présent... une douce nuitée."

Nul n'était besoin d'en dire plus, car la jeune mère savait que son interlocuteur avait compris.

Devant Néera, ils étaient mari et femme - et rien ne saurait défaire le lien qui s'était noué entre leurs deux Souffles.