[Afflux - Side RP] Occasion manquée | Thor & Rubis

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La bataille a pris fin depuis quelques heures déjà. Les cadavres des sauvageons ont disparus. J'ai récupéré les flèches que je pouvais, je les ai nettoyées dans la neige et les ai séchées avant de les ranger dans mon carquois. De même que pour mes dagues. D'ailleurs, je ne quitte plus mes armes. J'ai retenu la leçon.

Vêtue d'un bon manteau pour me protéger du froid de la nuit, je traverse le campement d'un pas qui se veut assuré. Bon, je me suis pris une bonne trempe (l'hématome sur ma pommette me trahit) mais j'ai connu pire. Je vais pas me démoraliser pour ça, c'est pas mon genre. D'ailleurs, ça se lit sur mon visage. Je ne suis ni apeurée, ni sur le point de pleurer. Je pourrais déjà rire de ce qu'il s'est passé, même si j'en menais pas large face à ces deux sauvageons un peu plus entraînés que moi.

En chemin, je croise celui qui ma martyrisé pendant la rencontre des Rois et contre lequel j'ai dû me battre en duel pour espérer lui faire fermer son clapet. Je savais même pas qu'il était là. Je sais pas pourquoi mais j'ai pas l'impression qu'il veut se moquer de moi cette fois. Je crois voir dans ses yeux... une forme de respect. Mais je dois rêver !
Je continue d'avancer et me dirige vers la tente où ont été rassemblés tous les blessés. Il n'y en a pas beaucoup et les dégâts ont été mineurs, alors je trouve rapidement celui que je suis venu voir. Même si les choses se sont un peu détendues entre nous depuis le début de ce voyage, je suis quand même un peu mal à l'aise en venant à sa rencontre. Je reste à quelques pas et je pose mon épaule contre le poteau central (il est tellement bien fixé et moi tellement gringalette qu'il risque pas de bouger...). D'un signe du menton, je désigne sa cheville blessée.

-Comment ça se présente ?

C'est moi qui l'ait amené ici. Quand je l'ai vu en peine de remonter la pente qu'il avait descendu pour achever son adversaire, je suis allé l'aider et je ne l'ai pas lâché jusqu'à ce qu'il soit pris en charge par les soigneurs. Je me suis mise en retrait à partir de ce moment-là, en restant pas loin. Je m'inquiétais pour lui... Puis on m'a appelée ailleurs et je peux seulement revenir pour prendre des nouvelles.

Dans la tente, je commençais à me réchauffer avec les autres cognards présents. Il y avait eu beaucoup de blessés, surtout parmi les civils. Et ma blessure n’était pas aussi grave que d’autres, qui auraient pu y passer. J’étais donc passé après d’autres barbes.

Heureusement pour moi, la blessure n’était pas grave. Après un nettoyage en bonne et due forme, j’eus le droit à un pansement en coton, maintenu par un bandage en tissu. Le sang sécha et forma une croûte brune, visible extérieurement. Le nain m’avait conseillé de me reposer, de ne pas bouger pendant quelques heures, et de rester ici pour voir si la blessure ne se rouvrait pas.

J’étais donc assis, une selle me coinçant le dos pour être plus à l’aise. Je laissais glisser mes doigts sur un caillou, mais restait attentif à mon environnement. À chaque coup de vent un peu plus violent, faisant claquer la tenture, je levais la tête. À chaque pas, je dressais l’oreille. Je tournais mon regard à l’entrée de la tête. C’était Rubissea. Elle était sûrement venue voir comment j’allais, après m’avoir péniblement escorté. Sans mentir à qui que ce soit, c’était un peu sa faute si j’avais été blessé ainsi. Mais surtout de la mienne, car j’avais choisi de lui venir en aide. C’était assez drôle, cette situation. Je pense que quelques mois ou années auparavant, je n’aurai pas fait ce geste. Surtout pour me retrouver dans cette situation.

Elle me demanda si j’allais mieux. En vérité, c'était difficile à dire. Je n’avais pas réessayé de prendre appui sur ma jambe blessée depuis que le bandage avait été mis.

“Je n’ai plus mal, ça c’est certain.”

Je m’appuyais sur mes mains, mes bras me tiraient. Je pris appui sur ma jambe indemne, puis je posais doucement l’autre sur le sol. Enfin, je fis quelques pas. Ce n’était pas trop mal, j’aurai pu être bien plus amoché par un tel combat. Des fourmillements de protestation se firent sentir. Je renversais mon poids vers ma cheville en bonne santé.

“Mais je dois la reposer pour ne pas ré-ouvrir la plaie”

Je ne peux pas empêcher Thordril de se lever, même si je le voulais... Alors, je m'arrête à peine après avoir bougé pour lui dire d'arrêter. Je le regarde faire, un peu inquiète quand même et me tenant prête à me précipiter vers lui en cas de besoin. Mais il ne s'en sort par si mal... Jusqu'à ce qu'il dise qu'en fait il vaut mieux pour lui qu'il se rassoit. Ben tien... Quelle surprise !
Cette fois, je m'approche et je commence à vouloir l'aider à retourner à sa place, lui offrant mon appui pour soulager sa jambe et l'accompagnant dans son mouvement, jusqu'à ce que son cul repose à nouveau là où il était. Je ne sais pas comment j'arrive à faire ça alors que je commence à avoir mal partout... Entre les coups et les chutes, mes muscles sont endoloris et j'ai plusieurs bleus. Dont un au visage, orné d'une petite entaille. Mais je ne me suis pas faite soigner pour si peu, j'ai connu bien pire.

-Vas-y mollo. Ce voyage est encore loin d'être fini.

Nous ne sommes qu'à l'aller et la destination est encore loin. Il faut qu'il se préserve un minimum pour que sa blessure puisse guérir et qu'il rentre en un seul morceau. Je me redresse et m'éloigne de quelques pas à peine. Je prends un godet et le remplit d'eau à l'aide d'une louche plongée dans un seau posé là. Puis je l'apporte à Thordril et le lui tends.

-J'ai pas eu l'occasion de te remercier... Il n'a même pas encore eu le temps de détacher ce verre de mes doigts que j'attaque... Je suis pas sympa... Je m'en serais pas sortie si Braähm et toi n'étiez pas intervenus.

Je crois qu'il m'a rarement vu aussi sérieuse qu'aujourd'hui. D'habitude, je suis plutôt à faire de l'humour et à prendre les choses à la légère. Bon, je suis un peu différente avec lui depuis qu'il m'a fait comprendre à quel point je lui ai fait du mal y'a trente ans... Je suis mal à l'aise en sa présence et rongée par la culpabilité. Même si on arrive à parler un peu depuis quelques ennéades, c'est encore loin d'être ça et je sais qu'il m'en veut... Et je ne peux pas lui donner tort.

-Tu as raté une occasion de te débarrasser de moi.

J'étire un sourire. Bah oui, faut bien que je reprenne un peu mes travers en faisant de l'humour sur un sujet pareil ! Même si j'imagine qu'il le pense, quelque part... Et, je ne sais pas pourquoi, mais ça me fait mal rien que d'y penser. Pourquoi est-ce que j'accepte qu'il puisse m'en vouloir mais que je ne supporte pas qu'il espère que je sorte définitivement de sa vie ? Mais, d'ailleurs... ça ne colle pas. Mon visage prend alors des airs de réflexions intenses.

-Pourquoi tu as fait ça ?...

Rubissea me proposa spontanément son aide. Je pris appui sur elle afin de soulager mon autre jambe, et elle me fit regagner ma place. Juste après, elle se retourna et alla prendre de l’eau dans un seau à quelque pas. Lorsqu’elle me le tendit, je la regardais pour la remercier, et je vis à quel point le combat l’avait également bien amoché. Sur son visage, un hématome doublée d’une plaie suffisait à résumer la violence de l’embuscade que nous avions subit.

Je pris le verre tandis qu’elle entama, de manière un peu maladroite, des remerciements. Je savais qu’elle était sincère, mais pourtant je savais très bien qu’elle n’était pas partie dire la même chose à Braähm. Elle se forçait. Mais je n’avais pas non plus la force de lui dire de partir. Je finissais de me désaltérer alors qu’elle quittait son air sérieux pour prétexter que j’aurai pu me débarrasser d’elle durant le combat. Je me rendis compte que cette pensée ne m’avait pas traversé l’esprit. Mais pas plus pendant l’affrontement que ces dernières ennéades de trajet. Je n’étais pas partie la voire spontanément, mais je ne l’avais pas repoussé, je n’avais pas cherché à l’éviter. Et ici, je ne cherchais pas à m’en aller ou à l’éviter. Elle se posait la même question que moi d’ailleurs, sûrement étonnée de mon changement de comportement.

Je haussais les épaules. Je n’avais pas plus la réponse qu’elle. Simplement que j’étais devenu plus âgé, plus mâture, et qu’il était stupide de se comporter comme un pisse-lait imberbe dans une mission on ne peut plus sérieuse. La bavette était un élément important de cette expédition, et il serait triste de la perdre.

“Je ne sais pas. Et si Braähm avait été dans la même situation que toi, tu ne serai pas venu l’aider? Et si ça avait été moi?”

La réponse de Thordril est loin de celle à laquelle je m'attendais. Mais à quoi je m'attendais au juste ?... En fait, il n'a pas l'air tout à fait certain de ses propres motivations. J'ai compris depuis longtemps qu'il n'était pas du genre très expansif et qu'il ne parlait jamais de ce qu'il ressentait. Sinon, pourquoi aurait-il enduré mon harcèlement sans jamais me dire clairement de m'en aller, se contentant de me fuir ? Que ce soit à l'époque ou il y a encore deux ans, il essayait juste de ne pas croiser mon chemin... Alors pourquoi ne le fait-il plus ? Et pourquoi m'avoir sauvée ? Il avait toutes les raisons de ne pas le faire.

-Mais c'est... différent. Moi, je n'ai pas de raisons de me débarrasser de vous. Au contraire... Bräahm représente plutôt une figure paternelle...

... pour moi qui n'ai pas vu mon père depuis des mois alors que nous étions si proches avant. Mon père était le seul à m'écouter et à me soutenir en toutes circonstances. C'était mon ancrage, mon point d'invariance vers lequel je pouvais toujours me tourner lorsque ça n'allait pas et que j'avais besoin d'une oreille, que ce soit pour parler de mes œuvres ou me confier. Mais personne ne veut m'entendre parler de mon travail ou déblatérer sur mes faiblesses, à Kirgan...

-Quant à toi... Si je devais mourir en te protégeant... je me sentirais peut-être moins coupable... après ce que je t'ai fait.

Enfin, j'espère... Il n'y a qu'un moyen de le savoir mais je suis pas du genre à me jeter dans le vide sans raison non plus pour le savoir. Même s'il est vrai que j'aurai pas hésité à me prendre une flèche à sa place... Je l'aurais fait sans même y réfléchir. D'ailleurs, quand ça été fini, c'est le premier auquel j'ai pensé et vers qui je me suis précipitée. Comment j'aurais réagi s'il était mort à cause de moi ?... Ouah, l'angoisse !

-J'y repense souvent depuis que tu m'as fait comprendre à quel point je t'ai fait du mal. En fait, j'aurais pu prévoir que ça te ferai autant souffrir que je te cours après... Tu es bien plus sensible que tu en as l'air, c'était ce qui me faisait craquer en fait et c'est pour ça que je me suis acharnée sur toi plus que sur les autres... Mais je l'ai compris que récemment. J'adorerai pouvoir revenir en arrière et faire les choses autrement mais je peux pas... Et je sais pas non plus... comment je pourrais me faire pardonner. Ni même si c'est possible.

C'est vrai, j'en sais rien. J'ai écrit tellement d'histoires... mais c'est plus complexe encore qu'une amitié trahie ou un acte totalement déloyal. J'avais le béguin pour lui, plus que pour tous les autres, et j'ai pas tenu compte de ses sentiments à lui. J'y suis allée, tête la première, ce qui l'a fait fuir, alors qu'il aurait fallu que je m'y prenne avec douceur... Je suis la maladroite de service mais, avec lui, j'ai fait pire que ça encore.
Je réalise soudain qu'il n'a pas la moindre envie de m'entendre dire tout ça. En quoi ma culpabilité l'intéresse, lui qui m'évite parce que ma seule vision suffit à lui rappeler tout ce que je lui ai fait endurer ? J'étais juste venue voir comment il allait, qu'est-ce qui me prend ?!

-Mais en fait, je peux... commencer par dégager de ton champ de vision ! Je plaisante avec ma maladresse habituelle, cherchant à faire de l'humour sur quelque chose de parfaitement sérieux parce que je suis mal à l'aise. D'ailleurs, je commence déjà à avoir un mouvement de recul qui me rapproche de la sortie...

Braähm représentait une figure paternelle pour tous les jeunes dawis du Zagazorn pensais-je en l’écoutant. Bien sûr que n’importe qui serait parti le sauver. Ce n’était qu’un exemple, un exemple peut être stupide à lui donner. Et elle recommença ses semi-excuses, qu’elle sortait à la moindre occasion. Je soupirais. Pas d’aise ou de mécontentement, mais de frustration. Je n’avais jamais voulu, à aucun moment, lui faire autant de mal par mon comportement. J’étais simplement jeune, ignorant, mal à l’aise, effrayé. Tout ce qui pouvait justifier de s’écarter d’une situation. Et elle s’en voulait toujours à elle seule, depuis tout ce temps, car je ne souhaitais pas affronter tout ça, je ne gardais le silence.

J’avais gardé la tête baissée. J’évitais son regard. Mais je respirais. Je ne pouvais pas continuer comme ça, pas après tous ces événements. Et je ne parlais même pas de l’expédition. Simplement, il fallait grandir et affronter son destin. Si Rubissea était là depuis tout ce temps, c’est qu’elle en faisait partie.

“Arrête, arrête de dire ça.” commençais-je en secouant la tête négativement. Je la voyais prendre la fuite, mais je voulais qu’elle m’écoute avant. Je tâchais de me hâter.

“J’étais jeune, ignorant et stupide. C’était un comportement de pisse-lait incapable, et je t’ai laissé croire que c’était ta faute par mon absence et mon silence. C’est à moi de présenter des excuses, et de me faire pardonner pour ça.”

Je marquais une pause, réalisant quelque chose. Sûrement que ça la blessera encore moins.

“Ce n’est même pas toi que j’évitais au fond. C’était ton comportement. Je n’ai jamais appris à te connaître réellement. Il n’y a pas à revenir en arrière ou quoi que ce soit. Il ne s’est rien passé.”

Je n’avais dit que la vérité, sans dire que peut être je voudrais apprendre à la connaître. Après tout, durant mes voyages, j’avais réussi à m’ouvrir aux autres, et à comprendre que si je n’appréciais pas des gens au premier contact, ils n’étaient pas forcément méchants ou pénibles.

Je me fige soudain. Tous mes muscles se raidissent alors que je fixe Thordril sans plus oser bouger. Je m'attends plutôt à ce qu'il me remette à ma place et il le fait... mais pas de la façon dont je m'y attendais. Il reporte la faute sur lui, me demandant d'arrêter de culpabiliser pour ce qu'il s'est passé. Pourtant, je l'ai bien fait souffrir, je le sais... Mais... S'il tient à ce qu'on arrête l'un et l'autre de se prendre la tête sur cette histoire... Et je vais certainement pas dire non.

-Disons... Qu'on fait 50-50 ? Je propose sur un ton plus léger.

Après tout, si j'avais été plus douce, il aurait peut-être agi de manière moins virulente aussi. Il aurait reculé d'un pan au lieu de partir en courant, quoi. Il aurait juste fallu que je fasse plus attention et... qu'il prenne un peu sur lui. Et ça aurait pu marcher...

Ne sachant plus trop quoi faire, je reste plantée là quelques instants. Puis, je me pince les lèvres, hésitante, avant de finalement avancer prudemment vers une paroi de la tente et de m'asseoir en tailleur avec souplesse et légèreté, comme si je craignais qu'un mouvement brusque puisse l'effrayer. Je grimace un peu quand un de mes hématomes me tire dans mon mouvement mais je l'ignore rapidement. C'est pas mon premier bobo... Et y'a peu de chances que ça soit le dernier.
Il a dit qu'il n'avait jamais appris à me connaître alors...

-Je suis... pas quelqu'un de méchant. Je suis maladroite, mais ça tu l'as compris tout seul... Extravertie. Extravagante, évidemment. Mais j'ai jamais fait de mal à personne. Pas volontairement du moins. Enfin... Sauf à ce gobelin à mon Kumenouth. Et à ces sauvageons, hier. Et à un soldat qui me cherchait des poux à la rencontre des rois et qu'Ararün m'a fait affronter en duel pour lui clouer le bec ! C'était risqué cela dit : si j'avais pas réussi à le faire tomber au moins une fois, il aurait eu le droit de me harceler jusqu'à la fin de mes jours.

Je le dis comme si ce n'était rien mais, en dehors de la situation avec Thordril, j'ai toujours donné l'impression de prendre les choses avec légèreté. Même quand elles me touchent réellement dans le fond. Parce que la plus grande qualité d'une barbe ou d'une tresse, c'est de se montrer inébranlable. Être faible, c'est comme se condamner à mort. Mais, étant une artiste, je suis forcément dotée d'une grande sensibilité seulement je dois la cacher. Je suis déjà assez différente des autres comme ça alors si en plus je montrais cette facette de ma personnalité...

-Ce que j'aime dans mon métier, c'est de pouvoir intéresser et apprendre notre histoire aux enfants, sans qu'ils aient à ouvrir un bouquin parce que personne n'aime ça à part un Zagazkroni. Je souris à ma propre plaisanterie mais c'est vrai qu'en dehors de gens comme moi, on ne voit pas un Dawi se rendre dans une bibliothèque à moins qu'il n'en ait besoin. ... et faire rêver les petits comme les grands en racontant mes histoires. Les faire rire... Les émouvoir. Dans ces moments-là, j'ai un peu moins l'impression d'être une bizarrerie à leurs yeux. Pendant quelques minutes... on partage quelque chose. Ensemble. Je conclue, le regard un peu dans le vide et la voix plus basse que d'ordinaire.

Je réalise que c'est une chose que je n'avais encore jamais dite à personne... Mes parents et mes frères le savent sans doute parce que sont les seuls à être assez proches de moi et à m'avoir observée sans me juger. Une part de moi voudrait être comme tous les autres mais je ne peux pas renier ce que je suis et ce qui me fait réellement vibrer. Alors j'ai choisi de relever le défi de leur prouver que je peux me distinguer dans cette matière sans attendre d'être toute ridée !
Je relève les yeux vers Thordril, sans plus rien ajouter. A lui de voir s'il veut réagir à ce que je viens de lui confier mais, en fait, j'aimerais qu'il fasse comme moi... Et qu'il me parle de lui. Moi non plus je n'ai jamais vraiment pu apprendre à le connaître. J'ai seulement remarqué sa sensibilité... et le fait qu'il la cache, tout comme moi.

La bavette ne bougea pas d’un poil, même si elle commença par prononcer quelques mots sur le ton léger qu’elle avait à l’accoutumée. Finalement, elle choisit de s’installer, à quelques pas de moi, effleurant le tissu de la tente. J’étais intrigué. Je ne pipais mot, tandis qu’elle continuait à parler. Mais pour une fois, elle ne parlait pas “dans le vent”. Ses mots semblaient sincères, elle parlait d’elle-même, de son métier. Je ne l’avais jamais entendu parler d’elle ainsi. Un peu distante et détachée. C’était pour cela qu’elle faisait de toute situation un sarcasme ? Peut-être ne se sentait-elle pas assez importante. De toute façon, qui étais-je pour pouvoir la rassurer à ce niveau-là? Une légende vivante, mal placée pour parler de cela.

Je remarquais qu’elle me jetait des coups d’oeil désormais. Elle attendait sûrement ma réponse avec impatience. Mais de toute façon, que pouvais-je lui dire pour la détendre, la rassurer ? Et devais-je le faire? J’étais franchement perdu. Je gardais le silence un petit moment. Je sentais une sorte de peur ou d’appréhension se saisir de mes membres, de la tension palpable. Finalement, je soupirai, un peu difficilement.

“Que veux-tu que je t’apprenne sur moi que tu ne sais pas déjà ? Tout le monde se plait à raconter la légende du Zharrhazarsson partit dans une quête folle pour revenir avec le métal que l’on pensait perdu.”

Je parlais doucement, à croire que c’était pour moi-même. Ou pour éviter qu’une autre oreille l’entende, autre que Rubissea.

“Même si elle ne raconte pas toutes mes peurs, et toute ma personne.”

Je reste là, à regarder la barbe que j'ai autrefois si maladroitement courtisée. Oui, je connais bon nombre de choses sur lui... Certaines que tout le monde connaît. D'autres que j'ai découvert par moi-même pendant le laps de temps où j'ai pu le côtoyer. De prime abord, on dirait un dawi tout ce qu'il y a de plus ordinaire, quoi que plus discret et taciturne. Mais je sais depuis longtemps que ça cache autre chose.

-Je suis d'accord... Je réponds à sa phrase de conclusion. Je connais l'histoire de tous les grands noms du Zagazorn. Je saurais te les raconter de mémoire... Tous leurs exploits, tous leurs combats, tous leurs choix. Pour autant... Je ne peux pas dire que je les connais vraiment. Savoir qu'un Roi était un grand Général ne m'enseigne pas qui il était au fond de lui... Qu'est-ce qu'il aimait... Qu'est-ce qui craignait... Qu'est-ce qui le mettait en colère ou au contraire le faisait rire.

C'est bien beau ce connaître l'histoire mais qu'est-ce que ça nous apprend sur les êtres qui vivaient derrière ces noms ? Est-ce qu'ils ont aimé ? Est-ce qu'ils ont pleuré ? Est-ce qu'il ont connu la peur, la souffrance ou la joie ? Est-ce que c'était de joyeux drilles ou des personnes implacables ?

-Même si je pense en savoir un peu plus que les autres sur toi... ce que la majorité sait ne te définit pas vraiment. Tout comme ce que tu entends de moi ne me définit pas...

Je marque une nouvelle pause. Je sais que Thordril ne se confie pas facilement mais il a l'air d'en avoir envie. Enfin, je crois. Je crois qu'il veut me rendre la pareille et essayer de faire tomber ce mur qui s'est bâti entre nous il y a plusieurs années. J'ai toujours su que c'était lui qui l'avait construit mais je me trompais sur la raison jusqu'à aujourd'hui...
Tirant de son fourreau la dague qui est accrochée à ma ceinture, j'en observe la lame. La trace de la réparation est à peine perceptible... C'est de l'excellent travail, à tel point que mon père ne s'est jamais rendu compte de rien. Un travail qui est son œuvre et qui a été le point de départ de la discussion que nous avons aujourd'hui, des mois après cet incident. Je caresse l'éraflure résiduelle du pouce puis je relève le regarde vers Thordril.

-Qu'est-ce qui te plaît dans la forge ?

Je lui donne une piste... Peut-être que ça peut l'aider ?