Le combat à fleur de peau [PV Hêdirn]

2nde ennéade de Karfïas
21e année du Onzième Cycle
Quartier des Artisans d’Alëandir

- T’es têtu mais faut reconnaître que t’es une sacrée brave bête.

Tu tends un bout de viande séchée au grand patalàco, qui l’attrape de manière la moins cérémonieuse qu’il y ait, manquant presque de t’arracher un doigt au passage.

- T’as de la chance de m’avoir porté jusqu’ici, sinon on se serait bagarrés pour moins que ça.

Tu pousses l’animal de l’épaule, et il te répond d’un sifflement aigu, mais ne te rend pas la bousculade. En dehors du fait qu’il soit aussi un oiseau, le marchevent n’avait absolument rien à voir avec Sû. Moins joueur. Moins avenant. Plus conflictuel. Exister dans une relation de dominant à dominé avec ta monture t’était étrange. Même avec Virìn, la situation n’était pas la même. Certes, elle aussi t’octroyait une forme d’autorité, mais tu n’avais jamais eu à t’imposer à elle de force. La caengal s’était habitué à ta présence depuis ses toutes jeunes années. Elle te respectait comme elle aurait respecté un aîné au sein d’une meute. Mais avec Hatolwenn… c’était différent. Différent et étrange, mais tu t’y ferais, avec le temps. Probablement. À créature différente relations différentes après tout.

- On y est !

Le patalàco s’ébouriffe les plumes et s’arrête, apparemment content de pouvoir enfin abandonner le chariot qu’il traîne depuis maintenant bien trop longtemps à son goût. Qu’il est content tu le sais car le moment où tu lui as retiré ses sangles aura été la première fois qu’il sera venu chercher ton attention, et demander des caresses. Heureux en retour d’avoir été autorisé à les lui offrir, c’est avec une humeur d’autant allégée que tu salues celle que tu es venu voir.

- Oh ! Artiön ! le visage de la couturière se pare d’une moue inquiète Je me disais bien que j’avais vu un peu trop juste... Mais ne t’inquiètes pas, je viens de recevoir du matériel, je te fais une reprise en deux temps trois mouvements !

- Maintenant que tu le dis c’est vrai qu’elle est un peu serrée... tu tires sur tes bras pour mettre à l’épreuve l’élasticité de la combinaison …sauf que ce n’est pas pour ça que je suis ici. tu te recules et tends le bras en direction du contenu du chariot Je me demandais si tu pouvais faire quelque chose de ça.

À peine posés sur l’immense tapis de peau, les yeux de la tisserande se mettent à briller. Sans attendre, elle se hâte d’aller manipuler le textile, le toucher, le tordre, le tirer, le plier, s’imaginer les complications qu’elle pourrait rencontrer à l’utiliser, mais aussi et surtout, ce qu’elle pourrait, ou du moins, ce qu’il lui faudrait en faire.

- Déjà une idée de ce que tu veux ? La question était rhétorique. Ce n’était pas sans une idée derrière la tête que tu arrivais avec ce genre de matière Et qu’est-ce qu’elle a de spécial, cette peau ?

La couturière te regarde avec un air inquisiteur. Edraëla connaît la qualité de son travail, et ta combinaison actuelle est le fruit de son travail. Le fait que tu désires la remplacer voulait dire que Cette peau devait avoir quelque chose de particulier, une propriété qui t’avait assez attiré l’attention pour que te pousser à lui confier cette matière à magnifier.

- Mets ton poignet ici. tu guides le poignet de la dame contre le cuir, et te saisis de ton sceptre Et regarde.

Tu touches à peine à la trame, excites les tissus encore intacts de la créature écorchée, et peau et écailles changent brusquement de couleur. Le brun grisâtre naturel du cuir de reptile se pare soudainement d’un blanc nacré.

- Tapote dessus du bout de l’ongle.

- Qu’est-ce que… un tintement sourd retentit …on dirait…

- Ton bracelet de perles.

- Mais… elle arrête son jeu de percussion pour se saisir du tissu ...il plie toujours de la même manière !

- C’est pour ça que je voulais te demander si tu pouvais m’en faire une nouvelle combinaison. Pour ce dont ça a l’air, le cuir semble pouvoir prendre les propriétés de n’importe quel matériau en contact avec sans perdre sa flexibilité. Du coup, couplé avec les bonnes pièces d’armure il pourrait carrément devenir…

- …Une peau d’acier. elle réfléchit Réussir à te tailler quelque chose dans cette matière sans trop la dénaturer serait quand même un sacré tour de force. elle baisse les yeux Et malheureusement je ne pense pas encore être capable de faire ça. J’ai peur qu’en séparant les fibres pour ajouter un matériau de liaison qui te permette d’enfiler confortablement la tenue finale, je ne compromette l’intégrité de la peau. elle lève la tête vers ton visage contrit avec un grand sourire Par contre, je connais quelqu’un qui aurait exactement les compétences qui me manquent ! Suis-moi.

Tu siffles Hatolwenn, qui se repose couché au sol, et l’oiseau se lève mollement pour venir marcher à tes côtés. Tu lui épargnes tout de même le chariot cette fois-ci, te saisissant des poignées de l’engin pour le tirer toi-même à travers le dédale d’ateliers, jusqu’à  arriver à un endroit que tu ne connaissais que trop bien. Le coin des forges.

- Tu as de la chance qu’il soit là en ce moment. Edraëla te lance, contente, les mains sur les hanches C’est plus pratique que d’aller le chercher en Ardamir ! elle se tourne et frappe énergiquement à la porte avant de tout simplement hurler d’une voix étonnamment puissante pour une elfe à l’air si distingué Heru Hêdirn ! Un travail intéressant pour vous !

La tenue du moment:

L’acier résonnait à rythme lent et régulier dans le petit atelier-maison prêté aux couple Ardamiri le temps de leur séjour dans la capitale. Son atelier personnel avait tendance à manquer au forgeron, par force d’habitude. Ses doigts avaient passé de longues décennies à savoir où se saisir de telles tenailles, ou de tel marteau. Ici, il se devait de tout réapprendre et pour cela il ne connaissait qu'un seul moyen : l'exercice.

D’autant qu’il lui fallait à nouveau se surpasser alors que bientôt, c’est aux ondur qu’il devrait prouver l’étendue de ses talents. Il n’aurait pas droit à l’erreur. Il fallait atteindre la Perfection. Alors pendant des heures sans relache au milieu de la fournaise de l'atelier, il modelait et remodelait les tranches d’acier pour en faire armes et bijoux toujours plus complexes, toujours plus efficaces.

Cette fois là, Gilrin, avait fini par se glisser à pas menus dans l’atelier de son mari qui n’en aperçut que lorsqu’elle glissa ses mains contre son torse nu et son menton dans le creux de son épaule. Elle observait avec attention l’épée fine qui se modelait peu à peu sur l’enclume du Tamin Dolan.

-Je ne suis pas satisfait. Gronda-t-il en toisant l’ouvrage pourtant d’une qualité que peu sauraient égaler. Elle est trop quelconque.

Gilrin ne répondit rien et après un instant de réflexion se contenta d’agiter sa main jouant à faire osciller les rayons de lumière qui filtrèrent à travers l’étoile que son mari portait en pendentif avant d’illuminer l’arme et d’en modifier l’image. Elle parut alors terminée à leurs yeux, suivant les plans que l’artiste avait pu observer sur un établi non loin, mais elle en avait modifié quelques détails, ajoutant des couleurs qui lui plaisaient au fil de ses propres inspirations.

-Ah ! S’exclama alors le forgeron qui trouva là un élan nouveau.Pourquoi n’y ait-je pas pensé. C'est une évidence. Modifier la courbe ici, mais conserver l'équilibre là, le tout surmonté ainsi.

Mais avant qu’il ne reprenne son ouvrage, une voix au dehors hurla par-dessus le ronronnement des flammes.

-Eh bien, on dirait que ce projet-là attende encore. L'artiste souffla dans un rire. On dirait que les lëandrin ne savent plus faire sans toi. Va donc leur ouvrir avant qu'ils ne s'impatientent. Fit-elle en se glissant à nouveau hors de sa portée.

Surpris, la voix au dehors avait de toute façon piqué la curiosité et l'impatience du forgeron. Un travail intéressant pour lui de la part d’une couturière dont la réputation n’était plus à faire… ? C’est à peine s’il passa un chiffon sur ses doigts avant de venir ouvrir la porte, sans avoir pris le temps de se couvrir d'avantage.

-Heri Edraëla. Avant d’ajouter avec la même surprise sur son visage. Heru Aran ? Que me vaux l'honneur?

De la chance oui. Tu avais de la chance que celui qui était venu il y a quelques temps demander ta bénédiction pour son projet de s’entretenir avec les Ondurs soit présent à Alëandir pour que tu puisses l’accompagner vers l’accomplissement du-dit projet. Un sourire amusé illumine ton visage, totalement ignoré par la tisserande, trop occupée à impatiemment attendre que le forgeron ne se présente.

- Aiya, Hêdirn. en même temps que tu le salues, tu détailles avec une satisfaction non dissimulée la stature du forgeron, qui n’est pas sans te rappeler celle de ton ami Cìryon Je pense qu’Edraëla saura mieux t’expliquer que moi en quoi tu es l’homme de la situation.

La couturière roule des yeux avec une agressive douceur dont elle a le secret. Ses lèvres s’ourlent ensuite alors qu’elle se rapproche de toi et commence sa diatribe.

- Artiön a finalement décidé de se séparer de la combinaison que je lui ai mainte fois gracieusement raccommodée. elle commence avec un faux air dramatique, tirant sur le tissu au niveau de ton épaule Plus sérieusement, il est arrivé avec un étrange cuir de reptile qu’il aurait aimé utiliser pour le nouveau vêtement. elle te lâche et s’écarte légèrement Tiens, montre-lui !

Tu tires le chariot un peu plus près, de manière à positionner la potentielle matière première au centre de votre petit cercle, et tu te retournes vers Hêdirn, l’invitant à faire un geste similaire à celui que tu avais demandé de la couturière un peu plus tôt.

- Hmm tu réfléchis un instant Ton pendentif. Pose ton pendentif contre la peau. tu te saisis de ton sceptre et éveille à nouveau le tissu Et regarde ce qui se passe. Maintenant pose ton marteau. tu répètes la manœuvre et réessaie. tu lèves les sourcils, et sourit Le plus impressionnant, c’est que le cuir semble prendre les propriétés les plus intéressantes de ce avec quoi il est mis en contact, mais sans jamais perdre ni son élasticité, ni sa flexibilité. Du coup je me disais qu’en jouant bien mes cartes, il y aurait probablement moyen d’en faire une combinaison qui puisse agir pour moi comme une véritable peau d’acier.

- Mais de mon côté, j’ai peur que mes méthodes habituelles n’endommagent trop la matière brute pour qu’elle conserve ses propriétés. elle se pose les doigts contre le menton dans une moue pensante Mais je me disais qu’entre tes talents d’alchimiste et de forgeron, tu aurais peut-être une solution à ce problème. Déjà je pense que l’onguent que l’on utilise pour sauvegarder nos pièces de cuir pourrait aider à en conserver l’intégrité, mais je doute que ça suffise.

- Et même si je doute qu’on ait le temps d’arriver au bout de nos peines avant de devoir partir, tu peux d’avance considérer la chose comme l’inauguration d’un nouveau matériau, et l’occasion d’impressionner ton Aran en plus des Ondurs.

Tu ris, sachant parfaitement qu’il y a là un défi présenté à un elfe que tu sais aimer les relever. Parce qu’au fond, tu as envie de voir ce que c’est, un Tamin Dolan qui n’est pas Cìryon. Dans le pire des cas, tu seras rassuré quant aux chances de ton ami de devenir le prochain Toer Tamindal, et dans le meilleur, tu obtiendras du forgeron ce qui pourrait bien être l’une des meilleures pièces d’armure de l’histoire connue. Tu n’as rien à perdre.

-Kÿria, où donc avez-vous trouvé ça ?

Les yeux dorés du forgeron s'étaient presque illuminés sous l’intérêt de cet étrange matériau. Ses doigts vinrent caresser la matière, en testant la sensation sous sa peau. Déjà il semblait réfléchir aux meilleurs techniques possibles pour exploiter au mieux les capacités des minuscules écailles.

-Il va me falloir faire des essais. Commença-t-il à réfléchir. Comprendre la composition exacte et la façon dont elle réagit. Le chaud, le froid, les chocs. Il faut pouvoir la modeler sans la briser. Hm... Peut être étudier la peau des Tatzelworm en comparaison ? Je dois avoir quelques matériaux digne d’intérêt ici, mais je devrais rentrer en Ardamir pour être plus efficace…

Il se mit à marmonner quelques phrases incompréhensibles avant de relever son regard vers les deux autres elfes, avec un sourire satisfait.

- Vous n’aviez pas mentit Heri. C’est un défi de taille, mais comment résister ? Il se fendit d'un bref rire empli de chaleur. Il me faudra en effet du temps, je suis forcé d'admettre que de prime abord tout ça me semble bien mystérieux, d'autant qu'il ne s'agit pas totalement d'un métal. Mais ne vous y trompez pas, je trouverais. Vous avec votre talent pour dompter le tissus, moi pour l'alchimie et le métal, nous somme devant l'ébauche d'un magnifique défi.

- La bonne nouvelle, c’est que les peaux semblent plutôt durable, et qu’avec ce qui se passe en Quatrième Saison, on a pu en récolter largement assez pour que vous deux puissiez faire des essais. tu fais un pas de recul, puis croises les bras sous ta poitrine en penchant la tête sur le côté La mauvaise nouvelle, c’est que je ne pense pas que tu auras le temps de retourner en Ardamir de sitôt Hêdirn. N’oublie pas qu’on part pour le Lörn d’ici sous peu.

Si tu avais su que c’était auprès de lui qu’Edraëla comptait t’emmener, peut-être d’ailleurs aurais-tu attendu votre retour d’auprès de la délégation d’Ondurs avant de parler de tes plans. Le forgeron devait déjà avoir fort à faire et à penser en prévision des prochains jours, et le déranger est tout sauf dans tes intentions.

- Et même si tu rentres plus tard, ce serait difficile pour moi de quitter mon atelier d’Alëandir. Je réalise que c’est assez culotté de te demander ça, mais si tu pouvais rester encore un peu à ton retour… au moins le temps que j’avance assez sur mes commandes actuelles pour pouvoir te suivre à Ardamir.

La dame fait à son tour un pas de recul, avant de rejoindre le forgeron auprès du chariot, et de mettre la main à la matière, réfléchissant à la remarque du forgeron sur la peau de tazelworm.

- En attendant, pendant que tu es dans le Nord, si tu as des notes sur les procédés alchimiques que tu as l’habitude d’utiliser, je suis preneuse. En recoupant avec les méthodes de la tannerie, je trouverai peut-être quelque chose.

Tes yeux posés sur les deux artisans s’affairant autour du matériau, tu ne peux t’empêcher de laisser échapper un soupir attendri. Face à ce qui les passionnent, les elfes se ressemblent finalement tous.

- De mon côté, il va falloir que je retourne à mon travail. Je vous laisse tranquille avec les peaux. tu commences à t’écarter, leur signant au-revoir de la main Si vous avez besoin de moi, vous savez où me trouver. tu leur offres un sourire contrit Et ne vous inquiétez pas pour moi, prenez tranquillement votre temps.

Tu te permets de le leur dire sachant que la demande ne fait pas de sens. Tu leur as offert quelque chose de nouveau avec lequel expérimenter. Ils ne sont pas pressés le moins du monde. Ils s’amusent, voilà tout. Ils vivent leur vocation avec enthousiasme. Et heureusement pour toi, finalement. Tu l’as vu, vu et revu, les plus grands travaux de vos artisans ont toujours été ceux dont la conception les a le plus enfiévrés.