Après une longue absence | Zaz & Andréa

Début Verimios
Eté 20:XI

Maison de Zaahrian Las'Danir

La porte s'ouvre, sans que personne n'ait frappé.
Quelqu'un entre, sans appeler personne.
Il se met pieds nus, comme s'il était chez lui.

Cependant, le bruit des gond et du mécanisme de fermeture a attiré l'attention et une servante ne tarde pas à venir, pressant le pas. Découvrant la silhouette haute et gracile du nouveau venu, son inquiétude se transforme en joie.

-Monsieur Andréa ! Vous êtes rentré !

L'elfe blanc étire un sourire doux. Toujours vêtu d'une robe ample et largement décolleté sur son buste, il ne semble pas avoir changé d'un pouce pendant son mois d'absence. Il retrouve avec plaisir ce visage familier, même si ce n'est pas pour ce minois qu'il est venu.

-Comment allez-vous ? Je ne vous demanderai pas si je vous ai manqué.
-Vous avez manqué à tout le monde dans cette maison ! Lui assure-t-elle.
-Vous mentez très bien. Rit-il en pensant à Guilin. Est-ce qu'il est là ? Demande-t-il en parlant visiblement de quelqu'un d'autre.
-Non, il est sorti et n'a pas dit quand il rentrait.
-Ce n'est pas grave.

Toujours souriant, il laisse ses chaussures près de la même colonne que d'habitude, près de l'entrée. Il quitte la pièce et s'aventure dans la grande demeure sans rien demander. La servante le laisse faire. Après tout, c'est un peu comme sa deuxième maison ici avec tout le temps qu'il y a passé... Ici, il a trouvé une nouvelle famille. Avec un homme qu'il aime profondément et son adorable petite fille. Ils lui ont manqué, tous les deux.
C'est sans mal qu'Andréa trouve la fillette, connaissant un peu ses habitudes. Leurs retrouvailles sont une fête et ils passent leur journée ensemble à discuter, jouer et dessiner. Le soir, il lui raconte une histoire qu'il invente au fur et à mesure et s'interrompt avant la fin, lui promettant la suite le lendemain. Puis il la borde, l'embrasse et li souhaite une bonne nuit.

Le temps s'écoule un peu mais l'elfe blanc est un être patient. Un verre de spiritueux à la main, il s'installe dans un canapé pour lire un livre. Il en feuillette les pages avec son doigté tout féminin. Lorsqu'un serviteur lui demande s'il a besoin de quelque chose, il le congédie gentiment, l'invitant à aller se reposer. La maison devient ainsi parfaitement silencieuse. Si silencieuse qu'il n'a aucun mal à entendre la porte d'entrée s'ouvrir et se fermer. Alors, il referme son livre, pose son verre et se lève. D'un pas lent, il va à sa rencontre, malgré le plaisir qu'il éprouve d'avance à l'idée de le retrouver. Ses traits sont détendus et heureux lorsqu'ils le voient enfin.

-Bonsoir. Dit-il simplement de sa voix douce.

Zaahrian était épuisé. La nuit précédente avait été beaucoup trop courte et la journée, beaucoup trop longue. Et il préférait ne pas penser à la soirée qui venait de passer et juste s’accrocher à l’idée que son lit l’attendait. Avec un peu de chance, personne ne viendrait l’embêter avant le lendemain.

Pour une fois, il passa par la porte d’entrée. C’est qu’il ne faisait pas du tout confiance à ses réflexes à cause de la fatigue et il ne tenait pas à se rompre le cou aussi stupidement. Deux hommes gardaient l’entrée, immobiles, et les sens en alertes. Ils reconnurent Zaahrian qu’ils saluèrent à l’unisson. Il leur répondit d’un signe de tête à peine perceptible. Il avait l’impression que sa tête pesait une tonne et qu’elle tomberait s’il l’agitait trop.

La maison était silencieuse. Ses occupants dormaient depuis quelques heures déjà. Néanmoins, Zaahrian s’attendait tout de même à voir Zahir apparaître de derrière une porte comme il avait l’habitude de faire. L’assassin s’arrêta quelques secondes, surveillant un mouvement dans l’ombre qui trahirait son arrivée, mais le vestibule resta vide. Contrairement à ce que l’assassin en était venu à penser, il lui arrivait de dormir.

Aucune lumière n’éclairait les couloirs, seule celle de la lune passant par les fenêtres permettrait de voir où il se dirigeait. En même temps, Zaahrian connaissait cette maison comme le fond de sa poche, il pourrait s’y orienter dans le noir complet. Il était seul et comme chaque fois qu’il était seul, ses pensées s’égaraient. Évidemment, il pensa à Guilin et à la dernière conversation qu’ils avaient ensemble. Une bouffée de frustration monta en lui et il serra les poings par réflexe. Il voulait lui briser la nuque, mais en même temps, la simple idée de perdre cette amitié qui les unissait depuis si longtemps lui donnait envie de hurler. Il se sentait perdu, déchiré entre deux désirs contradictoires. Zaahrian tourna un coin du couloir lorsqu’une voix le tira de sa rêverie. Il leva les yeux et se retrouva paralyser sur place.

Se tenant à quelques mètres de lui, Andrea le regardait, un sourire paisible sur le visage. Le cœur de Zaahrian plongea dans sa poitrine avant d’enfler d’un amour infini. S’il avait voulu dire quelque chose en cet instant, ça lui aurait été impossible tant sa gorge était serrée. Ses yeux brulaient. Il n’allait quand même pas pleurer! D’un geste qui sembla laborieux, Zaahrian recommença à marcher, diminuant à chaque pas la distance qui les sépare. Un masque d’impassibilité recouvrait son visage, mais ses yeux brillaient furieusement des larmes qu’il retenait. Il s’arrêta lorsqu’il fut assez prêt pour le toucher. Il pensait à une illusion, un mauvais tour de son esprit épuisé, mais le parfum d’Andrea lui emplit les narines et il sut qu’il était vraiment là. Son bel oiseau blanc était rentré. Zaahrian ferma brièvement les yeux et une unique larme s’échappa, glissant le long de son nez avant de disparaître. Il ouvrit brusquement les yeux.

« Tu es là », dit-il simplement d’une voix rauque comme s’il n’avait pas parlé depuis longtemps. « Tu m’as terriblement manqué. »

Si seulement Andrea savait tout ce qui lui était arrivé, mais il ne voulait pas l’inquiéter ni voir son sourire disparaître de son visage. Il sourit donc en retour même si une ombre semblait s’y attarder. La peau d’Andrea brillait comme de la neige fraîche sous la lumière de la lune. Zaahrian leva la main avec l’intention de caresser sa joue, mais vit le sang séché et la baissa aussitôt. Pas question de souiller cette absolue perfection de ses mains sales. Vu d’aussi près, Andrea ne pourra que constater dans quel triste état Zaahrian était, ses vêtements couverts de saletés et imprégnés de sueur et de sang.

« Je dois me laver, tu viens? »

D’un signe de tête, il l’invita à le suivre jusqu’à sa chambre tout près de là. Quelqu’un y avait laissé une lampe allumée ainsi qu’un récipient rempli d’eau et des linges propres. Il avait besoin d’un bain, mais ça suffirait à au moins se laver les mains.

« Tu vas bien? Ce fut un voyage profitable? Tu ne m'a pas attendu trop longtemps, j'espère. »

Zaahrian était habitué aux absences d’Andrea, mais c’était la première fois qu’il se passait autant de temps sans se voir en personne. Leurs retrouvailles n’étaient jamais inconfortables, comme si jamais plus que quelques heures séparaient leur dernier moment ensemble. Cette fois, c’était différent malgré la vaillante tentative de Zaahrian d’agir naturellement. Quelqu’un ne le connaissant pas très bien pourrait croire que tout était normal, qu’il était simplement fatigué, mais Andrea le connaissait par cœur. Il ne se laissera probablement pas berner, mais il devait essayer.

Aucunes retrouvailles ne se ressemblent jamais. Pourtant, Andréa sait toujours à peu près à quoi s'attendre lorsqu'il rentre à Thaar et retrouve l'homme dont l'amour est figé dans son cœur depuis plusieurs mois maintenant. Pourtant, cette fois, il n'a pas su anticiper ce retour-ci... Rien qu'à la façon dont Zaahrian s'approche de lui, il sent que quelque chose ne va pas. Il continue pourtant de sourire avec douceur. Ses yeux d'un bleu des plus clair fixe ce visage dont tous les détails sont pourtant imprimés dans sa mémoire. Un visage qu'il n'avait encore jamais vu ainsi... Alors qu'il y devrait voir du bonheur, il n'y a rien... Comme s'il se retenait de montrer ce qu'il éprouve vraiment. Cependant, l'androgyne lit tant de choses dans ses yeux... Il est doué pour cela, c'est ce qui le rend si doué dans son métier.

Alors que l'assassin peine à croire qu'il est bien rentré, Andréa lève une main jusqu'à son visage et l'y pose. De son pouce, il caresse sa joue et chasse cette larme qui y perle. Cette maison est étrange, il l'a senti dès qu'il est entré. Les choses ne sont pas telles qu'il les a laissées en partant. Les serviteurs sont étranges. Aya est étrange. Et l'absence de Guilin est étrange... Il s'est interrogé à ce sujet, il a posé des questions... Mais il semblerait que seul son amant ait les réponses.
Pour autant, il ne lui sautera pas dessus dès son arrivée pour les avoir. Il n'a pas l'intention de repartir alors il peut prendre son temps pour ne pas le brusquer. Zaahrian peut se montrer très bavard, mais seulement sur les sujets qui le mettent de bonne humeur. Il en est d'autres dont il ne parle qu'avec bien plus de difficultés. Et, quelle que soit la blessure qui le fait tant souffrir aujourd'hui, elle est trop récente pour qu'il l'aborde si tôt. Alors, il va commencer par faire celui qui n'a rien remarqué... Les laisser se retrouver... Et s'occuper de cela plus tard.

Sans un mot, Andréa laisse son compagnon s'éloigner, puis lui emboîte le pas quelques secondes après. Il le suit jusqu'à sa chambre d'un pas aussi léger que l'air, sa longue robe traînant un peu derrière lui en caressant le sol. Il entre et ferme doucement la porte avant de venir s'adosser à une colonne, les mains dans son dos.

-Toute la journée. Répond-il paisiblement. J'ai pu passer du temps avec Aya. Elle a un peu trop grandie à mon goût. Fait-il en faisant une moue contrite, même si elle n'est pas très sérieuse.

Il tourne la tête vers son amant dans une attitude très féminine. Il l'observe se laver les mains au son du clapotis de l'eau. Ce n'est pas la première fois qu'il rentre barbouillé de sang, même s'il est rare que ce soit autant... Peut-être est-ce même la première fois. Ils ont des visions du monde totalement différentes et des métiers opposés mais l'elfe blanc fait abstraction de ses activités, préférant se concentrer sur la personnalité profonde de cet homme. S'il n'avait pas été élevé pour tuer, en aurait-il fait son métier ?... Andréa n'en est pas certain. Parce que ce n'est pas le sang qui l'attire... Et c'est cela qu'il retient.

-Je pense avoir tout ce qu'il faut pour ouvrir mon troisième établissement. Mais j'aurais besoin de plus que de simplement payer l'impôt à la Iorvinah... Je vais devoir lui demander une audience. Cela risque d'être intéressant.

L'androgyne étire un fin sourire espiègle. Il ne craint pas la Princesse Marchande. Il sait que, tant qu'il respecte les règles et qu'il la respecte elle, il n'a pas de raisons de s'inquiéter. Et il a toujours suivi le protocole à la lettre. De plus, il tient des établissements de luxe et traite ses employés avec au moins le même respect qu'elle ne le fait. Elle n'a donc aucune raison de l'avoir dans son collimateur.
Alors que Zaahrian en aura bientôt fini avec le savon et qu'il aura besoin de se rincer, Andréa se décolle de la colonne dans un mouvement plein de grâce et se rapproche de lui. D'une main, il prend la cruche et la présente au-dessus de ses mains afin de verser de l'eau dessus et chasser ce rouge qui les macule encore.

-Et toi ? Rien de particulier en mon absence ?

Il n'y a aucun sous-entendu dans sa voix ou son comportement. "Non" est la réponse qu'il attend. Pas parce qu'il veut empêcher Zaahrian de parler mais parce qu'il sait que c'est ce qu'il va lui dire et qu'il ne veut pas le forcer à aborder le sujet qui lui pèse maintenant. Cela viendra plus tard. Pour l'instant, ils ont juste besoin de se retrouver et c'est sans doute ce qui fera le plus de bien au demi-elfe dans un premier temps... L'amour de son compagnon.

Andrea l’avait attendu ici toute la journée, vraiment? Zaahrian se sentit coupable, mais comment aurait-il pu le savoir? Il était impossible à rejoindre lorsqu’il s’absentait comme ça, surtout qu’il n’avait laissé aucune indication, ne sachant pas exactement où il aboutirait. Heureusement, il était rentré. Zaahrian aurait très bien pu ne pas le faire et juste se trouver un endroit où dormir, mais l’appel de son lit fut plus fort que tout. Et la présence inespérée d’Andréa rendait la perspective plus attrayante encore.

« Tu as passé la journée avec Aya et tu tiens encore sur tes pieds? Ton énergie sans limites m’impressionnera toujours, Andrea. » Il sourit, sincèrement cette fois. « Elle grandit vite. Il suffit parfois de cligner des yeux pour voir qu’elle a déjà changé. Alors je n’ose pas imaginer ce que ça fait après une plus longue absence. Tu sais qu’elle t’adore. »

Zaahrian se demandait ce qu’Aya avait bien pu raconter à Andrea. La vérité sort de la bouche des enfants, c’est bien connu, mais comprenait-elle que quelque chose n’allait pas avec son père. Elle était encore jeune. Peut-être qu’elle ne s’en rendait pas compte. En même temps, plus d’une fois, il avait été surpris par l’acuité de ses propos. Elle était brillante et la sous-estimer serait une grave erreur même si elle n’était qu’une enfant. Quant à Andrea, il agissait comme si de rien n’était. Elle n’avait peut-être rien dit ou, au contraire, elle avait tout dit et l’elfe attendait patiemment qu’il parle de lui-même.

Il suivait toujours le même rituel lorsqu’il rentrait d’une journée de travail. Il retirait ses armes une à une et les disposait sur une petite table en les alignant avec soin. Ensuite, il se lavait les mains et retirait ses vêtements. Gestes lui permettaient de se recentrer, de laisser l’assassin pour redevenir Zaahrian. Il était plutôt rare qu’Andrea soit témoin de ça. Il détestait l’exposer à ce côté de sa vie et évitait autant que possible de le faire. Aujourd’hui, il n’avait tué personne et ce sang était celui d’un nez brisé, celui de Guilin, mais lui dire soulèverait des questions auxquelles il n’avait pas envie de répondre. Pas tout de suite en tout cas. Ironie du sort, Andrea prononça à cet instant même le nom de la personne au centre de tous les problèmes actuels de Zaahrian. Il se crispa malgré lui. Pour être juste, elle n’avait rien fait sauf lui sauver la vie, mais elle n’avait pas fait ça par pure bonté d’âme. Elle tenait maintenant entre ses mains une laisse dont l’autre extrémité était accrochée au cou de Zaahrian à la manière d’un nœud coulissant. Une vie en échange d’une vie. Tout ça par la faute de Guilin.

« Méfie-toi de cette femme. Elle est dangereuse et je ne crois pas pouvoir te protéger si elle prend ombrage de ton succès. »

Avec le savon, Zaahrian se frotta méticuleusement les mains, insistant bien entre les doigts et sur les ongles afin de faire disparaître toutes les traces. Il était sur le point de se rincer quand Andrea prit la carafe et en versa le contenu sur les mains de l’assassin. Il regarda l’eau emporter le savon et la crasse, laissant derrière des mains immaculées.

« Merci. »

Quand ce fut fini, il s’essuya avec l’une des serviettes. Andrea en profita pour lui retourner la question et sa réponse fut automatique.

« Non, seulement la routine. »

Zaahrian, qui d’ordinaire se montrait très bavard, n’avait pas dit plus que quelques phrases à la suite. Il se sentait obligé d’ajouter quelque chose pour combler ses silences.

« Enfin, tu sais, c’est Thaar. Il se passe toujours quelque chose quelque part, mais dans mon cas, rien de particulier. »

Ses mains lavées, il commença à retirer ses vêtements pour les jeter sans plus de cérémonie dans un coin. En retirant sa tunique, il ne pensa pas à la nouvelle cicatrice qui ornait maintenant son flanc. Andrea ne l’avait jamais vu avant ce soir. Elle n’était pas longue et mince comme elle le serait si ça avait été une lame qui l’aurait effleuré. Elle était étroite, la largeur d’un couteau qu’on aurait enfoncé dans ses chairs et situé à un endroit où ce genre de blessure pardonnait rarement.

-Tu oublies que je suis capable de tenir la distance... A soufflé suavement Andréa en passant sur le flanc de son amant au moment de le rejoindre.

L'androgyne lui a déjà expliqué l'impact que la descente d'Arcam sur terre avait eu sur lui... Le fait que ses appétits soient décuplés et son besoin en sommeil amoindri. Mais, même avant cela, il aurait été tout à fait à même de passer des nuits aussi courtes que celles qu'il partage régulièrement avec son compagnon. Quoi que... pas aussi souvent.

Andréa se retient de plisser des yeux devant la réaction de Zaahrian au sujet de la Princesse Marchande. Il sait forcément qu'il a déjà été contraint de traiter avec elle étant donné la nature de son activité. Cependant, il ne lui a jamais fait ce genre de remarques jusqu'à présent. C'est assez étrange... Ce qu'il lui est arrivé, serait-ce en lien avec elle ? La conclusion est un peu rapide à tirer alors il ne la prend pas pour argent comptant. Néanmoins, il peut rassurer son amant sur ce point.

-Tu es conscient que je savais déjà me protéger avant de te rencontrer, n'est-ce pas ? Lui fait-il remarquer sur un ton joueur.

Jamais le semi-elfe n'a fait appel à lui pour régler ses problèmes. Il s'est toujours débrouillé seul. L'assassin ne peut évidemment pas deviner de quelle manière il gère ses difficultés mais, une chose est certaine, il a suffisamment d'expérience pour être capable de les traiter sans renfort armé. Il connaît si bien les émotions des gens et identifie sans difficultés leurs désirs alors on peut aisément imaginer que sa technique est plutôt pacifique. Mais le demi-elfe serait surpris de voir ce qu'il peut être amené à faire face à quelqu'un qu'il ne peut raisonner malgré ses talents.

Andréa repose la cruche. Comme il s'y attendait, Zaahrian ne veut pas lui parler. Il essaie de noyer le poisson et c'est plutôt flagrant... Mais il fait mine de ne se rendre compte de rien, car tel est son plan... Lui apporter douceur et réconfort avant d'essayer d'aborder le sujet sans le braquer.
Posant ses coudes sur le meuble et son menton dans l'une de ses mains, l'elfe blanc regarde son amant se déshabiller. Il repère évidemment la cicatrice mais ne donne pas l'impression de s'attarder sur la preuve que quelque chose de grave est arrivé en son absence. Il a entamé sa relation avec lui en sachant pertinemment qu'il pourrait le perdre un jour de cette façon... Même s'il espère toujours que cela n'arrivera jamais, il est bien placé pour savoir que rien n'est plus imprévisible que l'avenir. Il comprend en cet instant que cela aurait pu se produire le mois dernier... Mais choisi de ne pas l'afficher, malgré tout ce que cela peut provoquer en lui.

-Tu as mangé ? Quelque chose me dit que non... Je vais faire un tour en cuisine.

Il a à peine fini sa phrase qu'il se rapproche de son amant et pose une main sur son torse désormais nu, comme pour prendre appui alors que son but est de venir embrasser sa joue.

« Je sais, Andrea. Je ne doute absolument pas de tes aptitudes, au contraire. Je veux juste… que tu sois prudent. » Puis, il ajouta. « Après tout, tu me le demandes constamment. Je crois avoir le droit de te le dire au moins une fois. »

Andrea le surpassait à bien des niveaux. Juste sur le plan de la diplomatie, Zaahrian ne lui arrivait pas à la cheville. Il était doué avec les mots et savait se montrer charmant, mais s’il n’arrivait pas à convaincre par la parole, il perdait patience et n’hésitait pas à user de la force. Andrea était infiniment plus patient et arrivait à cerner les gens comme personne. Zaahrian l’avait vu à l’œuvre plus d’une fois, comment il séduisant hommes et femmes comme si ça ne lui demandait aucun effort. C’était naturel chez lui et Zaahrian trouvait cela fascinant. C’était comme observer une danse. Maintenant qu’il y pensait, il était curieux de voir comment Andrea parvenait à traiter avec la princesse et si elle était sensible à son charme. Il en doutait fortement.

« Non, je n’ai pas mangé. » Zaahrian n’avait rien avalé depuis des heures. Il n’avait pas faim, mais comme il se sentait légèrement étourdi, il devait reprendre des forces en mangeant quelque chose. Andrea vint vers lui pour déposer un baiser sur sa joue. Zaahrian en profita pour passer ses bras autour de l’elfe pour le garder contre lui.

« Je suis désolé. J’empeste autant qu’un cheval mort, mais j’aimerais te garder contre moi un instant. Juste… ne bouge pas, s’il te plait. »

Zaahrian étreignit Andrea en silence, inspirant profondément son parfum, s’imprégnant de la chaleur que dégageait son corps. Dans sa poitrine, son cœur, qui battait la chamade depuis son apparition, s’apaisait peu à peu à son contact. Il glissa une main sur la nuque d’Andrea et enfouis ses doigts dans sa chevelure de soie sous prétexte de le caresser. En réalité, il voulait éviter que l’elfe ne relève la tête et voie son visage, car ses yeux brulaient de nouveau et il se maudissait d’être aussi émotif. Mais revoir Andrea lui avait fait comprendre qu’il était passé bien près de ne plus jamais le revoir. Une possibilité à laquelle il refusait de penser, mais maintenant qu’il y avait été confronté, elle ne lui sortait plus de la tête.

« Tu m’as tellement manqué. » Sa voix n’était pas plus haute qu’un murmure, comme s’il ne s’adressait pas à Andrea, mais qu’il se parlait plutôt à lui-même. « C’est passé si près… si près… » À ces mots, son étreinte se resserra, ses émotions ayant le meilleur de lui. Son cœur s’emballa de nouveau et il lui fallut un certain temps pour qu’il ne se calme. Pendant ce temps, il garda le silence, profitant simplement de la présence de son amour dans ses bras. Ensemble, ils étaient très actifs, s’embrassant, se caressant et faisant l’amour pendant des heures parfois, mais là, ce n’était pas ce que voulait Zaahrian. Il avait juste besoin qu’Andrea soit là. Finalement, il déposa un baiser sur sa tête avant de rompre l’étreinte, à nouveau maître de lui-même.

« Désolé, j’avais juste besoin… » Il haussa les épaules. « J’ai l’impression de me répéter, mais tu m’as manqué. Va à la cuisine. Ils me laissent toujours de la nourriture quand je reviens tard. Tu devrais trouver le plateau sur la table de travail avec de la bière. Si tu veux quelque chose de plus raffiné, tu trouveras ton bonheur dans le cellier. Pendant ce temps, je vais aller au bain. Tu peux me rejoindre là-bas ou m’attendre ici. Je ne devrais pas en avoir pour longtemps. »

Andréa se laisse attraper sans résister. Devant la demande de son compagnon, ses gestes se font plus doux encore que d'ordinaire. Dans une caresse, il passe ses bras autour de la taille du demi-elfe puis remonte ses mains vers ses omoplates. Il pose sa tête dans le creux de son épaule et attend, profitant lui aussi de cette étreinte qu'il réclame. Ses yeux se rouvrent en entendant les mots murmurés qui parviennent à sa fine oreille. Lorsqu'il le sert un peu plus fort, ce n'est pas pour imiter Zaahrian, comme ce dernier pourrait le croire... C'est parce que ses paroles rendent plus réelles encore le fait qu'il a bien failli le perdre...

Pourtant, lorsque les yeux des deux hommes se retrouvent, l'androgyne ne montre rien des émotions qui l'ont traversé à l'instant. Il se contente de sourire avec tendresse et de venir caresser la joue de son compagnon.

-Tu m'as manqué aussi, mon amour. Je suis heureux de te retrouver.

De le retrouver, oui. Pas d'être rentré... Car rentrer pour trouver Aya orpheline n'aurait pas produit le même effet sur lui. Mais si ses mots sont choisis avec soin, il doute que l'assassin en ait compris le sens caché. L'un est orateur... L'autre, seulement beau parleur.
L'elfe commence à se détacher de lui, ses mains gardant néanmoins le contact, jusqu'à serrer celles de son amant.

-Je te rejoins. Vu que je sens aussi le cheval mort à présent.
Plaisante-t-il avec douceur. Ce n'est pas un reproche, lui aussi a apprécié qu'il le fasse. Mais il préférait que le premier geste de rapprochement vienne de lui... Puis il le lâche en s'éloignant. Et ne t'en fais pas, je ferai comme chez moi. Ce n'est pas comme si je passais plus de temps à la maison qu'ici, après tout.


Il est vrai que, depuis qu'ils sont officiellement en couple, Andréa passe de plus en plus de son temps libre ici. Ses serviteurs se contentent d'entretenir la demeure qu'il a racheté à la famille de sa fille pour ses rares passages. Il a déjà réfléchi à la question d'ailleurs et a une idée à soumettre à Zaahrian. Mais, pour l'heure, il a autre chose en tête.
L'elfe blanc sort et s'avance dans les couloirs et les escaliers, connaissant parfaitement les lieux. Il rejoint la cuisine sans le moindre mal, le silence de la maison endormie seulement rompu par le froissement de ses vêtements et le son de ses pieds nus sur le sol. Une fois arrivé, il ferme la porte dans une précaution sans doute inutile étant donné la taille de la maison. Et là, pris d'un malaise, il se retient au premier meuble qu'il trouve. Une main vient se poser sur son cœur meurtri. Et quelques larmes perlent sur son visage d'albâtre. Il savait que quelque chose s'était produit en son absence mais il n'imaginait pas cela...

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Les mains chargées d'un plateau, Andréa entre dans la salle de bain. Trouvant son amant déjà dans l'eau, il lui sourit avec douceur, comme si de rien était. Il a fait disparaître toute trace de ses pleurs silencieux, que ce soit sur sa peau ou dans ses yeux. Il vient déposer la collation de Zaahrian non loin de lui puis s'éloigne. Dans un coin de la pièce, sans prendre la peine de se cacher, il défait l'attache de sa robe et la laisse tomber sur le sol. Muni d'un savon, il se lave brièvement, ayant déjà fait une toilette complète le matin-même. Puis, après s'être rincé et les cheveux noué en un chignon rapide, il se retourne pour faire face à son amant et, d'un pas lent, le rejoint dans l'eau. Il se rapproche de lui et vient s'asseoir entre ses cuisses, dos à lui et si près qu'il peut venir se poser tout contre lui. Il exhale un soupir en laissant sa tête venir se poser sur sa clavicule. Les yeux fermés, il veut juste être près de lui et le sentir bien vivant contre lui.

Honnêtement, Zaahrian était inconfortable. Malgré ses efforts afin d’agir normalement, ces retrouvailles n’avaient rien de doux et il détestait ça. Parce qu’il savait qu’Andrea était un fin observateur et qu’il avait surement compris dès le début que quelque chose n’allait pas, que Zaahrian lui cachait quelque chose. Il lui avait littéralement menti! À sa défense, il ne pensait pas que ça serait aussi difficile, que l’impact serait aussi grand. Involontairement, Andrea était le responsable et Zaahrian devait remédier à la situation. La seule façon d’y arriver, c’était en lui parlant. Or, il ne comprenait pas exactement ce qui lui arrivait, il n’était même pas certain de ce qu’il ressentait et parler de ses sentiments n’avait jamais été sa force. Il était peut-être une grande-gueule, ouvrir son cœur, ce n’était pas la même chose que de raconter une histoire au coin d’un feu.

La salle de bain de Zaahrian était en fait une grande pièce avec un bassin creusé dans le sol. L’eau était chauffée grâce à un ingénieux système sous le bassin lui-même. Très pratique pour se détendre, mais moins pour se laver. Ceux qui désiraient profiter du bassin devaient impérativement se rincer un minimum avant d’y pénétrer au risque de voir l’eau devenir dégoutante à la longue. Zaahrian se lava en vitesse et se rinça à l’aide de seaux d’eau avant d’entrer dans le bassin où l’eau chaude délia rapidement ses muscles tendus. Il se plaça de façon à pouvoir observer Andrea dans ses préparatifs et passa ses bras autour de lui lorsqu’il vint le rejoindre dans l’eau.

« Je pensais à notre première rencontre », dit-il après un moment de silence. « Je me souviens. L’une des premières choses que tu m’as dites, c’est que tu t’attendais à quelqu’un d’austère et de sinistre. Maintenant que je te connais, l’idée que tu as eu ce genre de préjugés m’étonne. Ce n’est pourtant pas ton genre. »

De son index, il effleura une oreille d’Andrea.

« Mais je vais être très honnête avec toi. Je croyais que tu étais qu’un sale riche n’ayant jamais connu l’inconfort de sa vie et qui passerait tout le voyage à te plaindre. Comme j’avais tort! »

Il sourit à l’évocation de ce souvenir.

« Je suis tombé sous ton charme à l’instant où je t’ai vu, mais il m’aura fallu une année pour avoir le courage de te dire je t’aime. Je croyais pourtant être quelqu’un de brave, mais c’est une autre sorte de courage que de révéler ses sentiments à quelqu’un. Et dans cette même conversation, juste avant, je te demandais de garder un œil sur Aya si quelque chose devait m’arriver. »

Ses doigts se crispèrent légèrement. Il inspira profondément, son cœur martelant de nouveau sa poitrine.

« Je n’ai pas… Je n’ai pas été totalement honnête avec toi. Quand tu m’as demandé si quelque chose de particulier était arrivé durant ton absence. »

Zaahrian parlait avec difficulté, comme si son corps lui résistait. Il déglutit, serra les dents avant de reprendre.

« J’ai été blessé, gravement. Le genre de blessure qui a nécessité l’intervention de quelqu’un sinon tu aurais trouvé une maison en deuil à ton retour. Je n’avais pas l’intention de t’en parler, pas parce que je veux te mentir et te cacher des choses, mais parce que le pire n’est pas arrivé, justement. J’ai stupidement cru que je pouvais juste mettre ça dans un placard et passer à autre chose… Puis je t’ai vu et… Je suppose que ce n’est pas ainsi que ça fonctionne dans la vie, qu’on ne peut pas oublier les trucs désagréables juste parce que ça fait notre affaire. Je suis désolé. »

Andréa mêle ses bras à ceux de Zaahrian et décide de profiter de cette étreinte, le plus simplement du monde. Cependant, il sent bien que l'atmosphère n'est pas aussi paisible qu'elle semble être vue de l'extérieur. Et, comme s'il l'avait prédit, il redresse faiblement la tête à l'instant où son compagnon se décide à rompre le silence. Il l'écoute. La conversation prend des airs de légèreté, malgré les apparences. Et il joue le jeu, une fois de plus...

Un petit rire doux reste derrière les lèvres closes, étirées en un sourire amusé.

-J'aime être surpris. Rétorque-t-il au préjugé dont il a fait preuve le jour de leur rencontre.

La discussion est plus que banale jusque là et Andréa ne sait pas encore où son amant veut en venir. Il le laisse poursuivre, allant simplement dans son sens afin de ne pas trop le couper dans son élan. Il reparle de sa première déclaration d'amour et il sent que les choses deviennent plus sérieuses. Il devine ce sur quoi il veut aboutir à la fin de son discours et il sent son ventre se nouer à l'idée d'entendre ces mots dans sa bouche... Mais pour l'instant, il lui répond simplement.

-Tu avais besoin de temps... Je te l'ai laissé.

Il caresse la main qui se trouve sous la sienne, comme pour le rassurer. Il lui a déjà dit qu'il avait eu peur de le brusquer et de le perdre, alors qu'il savait déjà ce qu'il ressentait pour lui... Mais il ne voulait pas prendre le risque de se priver du peu qu'il était prêt à lui donner. Il avait souffert après avoir donné son cœur et n'était pas prêt à le faire encore. Alors il a attendu que cela vienne de lui. Tout comme il s'apprêtait à le faire aujourd'hui. Mais Zaahrian en vient finalement au fait. Et les caresses de l'androgyne s'arrêtent. Il ne bouge plus. Il respire à peine mais se force à conserver un rythme régulier. Lorsque son compagnon a fini, il reste encore un moment sans réagir, avant de finalement se retourner et le prendre dans ses bras. Tout juste l'assassin a-t-il le temps de voir qu'une larme a perlé sur sa joue dans son silence.

-Je sais... Lui souffle-t-il après quelques secondes. Je l'air senti... Au comportement d'Aya... A l'attitude des serviteurs... Jusqu'au froid dans la maison. Puis j'ai vu ta cicatrice. Il se détache légèrement, le conservant dans ses bras, mais baissant les yeux sur cette marque encore rosée dissimulée sous l'eau. Je m'y connais suffisamment pour savoir que ce n'était pas juste une entaille. Dit-il en relevant le regard vers Zaahrian. Tu n'as pas à t'excuser. Certaines blessures ne touchent pas que le corps. Je ne t'en veux pas, j'attendais seulement que tu sois prêt... Encore une fois.

Il esquisse un sourire malgré les émotions qui le traverse. Il caresse sa joue. Il ressent la peur et la tristesse maintenant alors que son compagnon est là, bien vivant... C'est étrange. Mais pourtant si naturel. Se montrer insensible alors que l'homme qu'il aime a failli mourir, comment serait-ce possible ?

-Est-ce que tu es retourné voir cette personne-là ? Demande-t-il en effleurant la cicatrice près du cœur de l'assassin.

Il pourrait lui demander ce qu'il s'est passé... Mais s'il a déjà eu du mal à lui dire qu'il s'est approché si près du Senarda, pourrait-il vraiment tout lui raconter d'un bloc ? Il en doute. Alors il prend son temps...

Une seule larme qu’il eut à peine le temps de voir, mais qui fit éclater le cœur de Zaahrian en morceau. Il l’effaça avec son pouce ne supportant pas son existence.

« Ne pleure pas Andrea. Je ne veux pas être la cause de tes larmes. »

Il le garda dans ses bras, ferma les yeux un instant. Ils avaient besoin tous les deux de ce moment de réconfort et maintenant que l’abcès était percé, il ne restait qu’à espérer que les choses aillent en s’améliorant bien que ça ne soit pas encore gagné.

« J’aurais cru qu’Aya t’aurait tout raconté. Elle ne connait pas la véritable histoire, elle croit seulement que j’ai été malade, mais elle est tellement bavarde que je suis étonné qu’elle ne t’a rien dit. Quant aux serviteurs… » Il haussa les épaules. « Ils ont eu pour instruction de ne pas en parler, mais c’était surtout pour protéger la petite. »

Il faut dire qu’en plus du choc de l’agression, les gestes posés par Guilin par la suite les ont effrayés. Sous le coup de la colère, il avait chassé les esclaves réfugiés avant de lancer le Guet sur eux. Puis, quand Zaahrian fut suffisamment remis, leurs violentes disputes avaient ébranlé la maison jusque dans ses fondations. C’était surtout Zaahrian qui hurlait. Guilin restait fermement campé sur ses positions, subissant la rage de son frère. Zaahrian avait fini par le chasser, mais l’ambiance restait tendue et tout le monde marchait sur des œufs. Son attitude n’était plus du tout la même. Il ruminait du matin jusqu’au soir, perdait patience facilement et était plus susceptible aux accès de colère. Il lui avait fallu du temps pour s’en remettre, période durant laquelle il avait pesté contre sa faiblesse et son incompétence, passant sa frustration sur tout le monde. Heureusement, maintenant qu’il avait retrouvé la forme, il passait plus de temps à l’extérieur de la maison, donnant du répit à ses occupants, mais chaque fois qu’il revenait, ils regrettaient l’époque où les lieux résonnaient des rires d’enfant.

« Non. » Les muscles de Zaahrian se contractèrent sous la main d’Andrea. « Pour autant que je sache, il est mort. Les souvenirs de la bagarre sont flous dans ma tête, mais je sais que j’aurais pu l’éviter. La vie d’autres personnes était en danger, de parfaits inconnus à qui je ne devais rien et pourtant je me suis interposé entre eux et la lame. Je n’ai même pas hésité ou pas autant que j’aurais dû, sachant pertinemment que je fonçais droit dans un piège. Vois-tu, c’était la chose décente à faire et par conséquent, j’ai pratiquement tout perdu. » Zaahrian regardait au loin comme s’il revoyait les événements. « À quoi ça sert de faire la bonne chose si c’est pour que ça nous revienne au visage de cette façon? »

-Comment pourrais-je ne pas être touché à l'idée que j'aurais pu perdre l'homme que j'aime ?... Dit-il avec douceur.

Ce n'est pas un reproche mais une simple remarque. Il est affecté et c'est tout à fait normal. C'est le contraire qui serait étrange. Il ne veut pas le perdre, même s'y s'interdit de ne pas penser à cette éventualité car ce n'est, à son sens, pas une bonne façon de vivre. S'il devait être éternellement dans l'anticipation de ce qui pourrait éventuellement arriver, alors il ne saurait profiter de l'instant présent. De même que passer son temps à ressasser le passer l'empêcherait d'avancer. Alors, non, il ne va pas s'apitoyer des heures sur ce qui a bien failli se produire. Mais il doit néanmoins accuser le coup.

-Aya en sait sans doute plus qu'elle ne veut bien le dire mais, si tu n'en parles pas, elle l'intériorise tout autant. C'est parfois les enfants les plus expansifs qui se révèlent être les plus sensibles. Je discuterai avec elle afin qu'elle ne garde pas cela sur le cœur, si tu le souhaites.

Andréa joue peut-être le rôle d'un second père après d'elle, c'est Zaahrian qui porte officiellement ce titre et il ne l'oublie en aucune façon. Il sait prendre soin d'elle en son absence mais il ne s'autorise pas à prendre des décisions importantes la concernant lorsque cela peut attendre. Il sait où est sa place dans cette famille recomposé dont il est l'élément rapporté, même s'il aime cette petite de plus en plus...

L’androgyne fronça brièvement les sourcils alors que l'assassin répond à sa question avant de comprendre qu'il y avait un quiproquo sur la personne qu'il a voulu désigner en caressant la cicatrice. Il le laisse néanmoins finir et cela lui apporte nombre d'informations sur les circonstances de cette blessure. Zaahrian a donc mis sa vie en jeu pour sauver celles d'autres personnes. Cela pourrait le surprendre... mais il n'en est rien.
Se mettant en mouvement, Andréa se redresse afin de se retourner totalement. Il pose un genou de chaque côté de son amant pour venir s'asseoir sur ses cuisses et le reprendre dans ses bras. Puisqu'il semble prêt à en parler, autant qu'il soit installé plus confortablement.

-Tu as bien plus de cœur que ce que l'on peut dire de toi. Moi, je n'en ai jamais douté, et je ne parle pas de cet évènement qui t'a rendu célèbre. Tu sais que je lis dans le cœur des gens mieux que n'importe qui. Il pose le plat de sa main sur le torse de son compagnon à l'emplacement de cet organe si important. Je l'ai toujours su... Sans quoi il n'aurait pas pu l'aimer se dit-il, mais il garde cette pensée pour lui. Cependant, c'est la vérité. Le demi-elfe est peut-être payé pour tuer mais il ne s'en prend pas au premier venu. Il choisit ses contrats avec soin afin de ne pas regretter son acte par la suite. Il n'est pas foncièrement mauvais, il y a une conscience qui habite son Souffle, contrairement à nombre de ses pairs. Mais je ne parlais pas de ton agresseur. Je voulais savoir qui t'a soigné. J'ose espéré que tu serais venu me voir si j'avais été en ville... Ma spécialité est peut-être tout ce qui touche au sexe, je n'en reste pas moins un mage de la vie et j'ai reçu un enseignement généraliste avant de m'orienter dans cette voie.

Zaahrian n’avait même pas pensé à ce que pouvait ressentir sa fille ou même Mehram dans toute cette histoire. Il était tellement obnubilé par ce qu’il ressentait, lui. Ça faisait sans doute de lui un mauvais père et voilà que la culpabilité s’ajoutait à la longue liste tout ce qui le tourmentait. Andrea n’avait d’ailleurs pas mentionné le garçon du tout. Il ne l’avait probablement pas vu. Craintif, il n’aimait pas les étrangers et le regard qu’ils portaient sur lui. Il avait donc probablement passé toute la journée caché dans sa chambre, le pauvre, sans qu’Aya ne mentionne sa présence. Ils s’entendaient bien ensemble et multipliaient les bêtises autant qu’ils le pouvaient, mais Aya aimait être le centre d’attention. Il devra aussi discuter de ça avec elle.

« C’est peut-être mieux que ce soit toi qui lui parles plutôt que moi. S’il y avait seulement eu la blessure, je ne dis pas, mais les choses ont été compliquées dans cette maison ces dernières ennéades et elles le sont encore. Beaucoup de colère… Elle pourrait avoir entendu et vu un côté de moi que j’aurais préféré qu’elle ne voie pas… » Il enfouit son visage dans ses mains, ses émotions à fleur de peau. Il resta ainsi un moment, le temps de reprendre le contrôle. Il détestait ça plus que tout, mais Andrea était sans doute le seul face à qui il pouvait se montrer vulnérable sans être jugé. « Et il y a Mehram aussi. Tu ne l’as pas mentionné, alors je suppose que tu ne l’as pas vu. Ça n’a rien d’étonnant, il n’aime pas les inconnus. Mehram est un garçon que j’ai pris sous mon aile, un esclave qui a fuis ses tortionnaires. Il est à moitié drow et son sang drow est fort. Il a les cheveux blancs et les yeux rouges. Forcément, il attire le regard. Il avait le corps couvert de marques et seulement la peau sur les os. Je savais qu’il aurait la vie difficile si je ne l’aidais pas alors… » Il haussa les épaules en signe d’impuissance. « Non, je n’ai pas l’intention d’adopter tous les orphelins de la ville, mais je sais ce que ça fait d’être un enfant qui doit se battre pour rester en vie. Si je peux éviter ce sort à d’autres, tu peux être certain que je vais le faire. »

Il avait un grand cœur qui ne faisait que lui apporter de la souffrance. Chaque fois que les choses vont bien, qu’il a l’impression d’avoir une vie à peu près normale, quelque chose arrivait pour lui rappeler que ça ne sera jamais vraiment le cas, pas en faisant ce métier en tout cas. En cet instant précis, il donnerait tout juste pour ne rien ressentir, être indifférent. Tout deviendrait bien plus facile, mais ne rien ressentir c’est aussi perdre son humanité. Heureusement, Andrea était là. Il était comme la flamme d’une chandelle dans une pièce plongée dans les ténèbres, une lueur d’espoir infiniment belle et précieuse.

« La blessure était très sérieuse. J’ai perdu connaissance à l’instant où j’ai passé la porte d’entrée. Ce qui s’est passé par la suite, je le sais parce qu’on me l’a raconté et je n’avais certainement pas mon mot à dire sur la question. Guilin et Zahir, le Zurthan qui mon intendant et qui, grâce à lui, cette maison n’est toujours pas tombée en morceaux… Bref, ils m’ont ramené jusqu’à ma chambre où j’ai reçu les premiers soins. Guilin a réussi à arrêter le saignement, mais la blessure étant profonde, un mage devait absolument intervenir. Le problème, c’est que Guilin a paniqué. Je suppose que c’est ça, parce que je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête sinon. Cet imbécile, plutôt que d’aller dans un dispensaire trouver un mage et le ramener ici, il est allé voir la personne pour qui il travaille présentement. Je ne savais pas qu’il travaillait pour elle, je l’ai appris en ouvrant les yeux. Cette personne… Comment dire… Je peux vivre dans la même ville qu’elle, je peux supporter son existence tant qu’elle reste dans son coin et moi, dans le mien. Le premier visage que j’ai vu en ouvrant les yeux, c’est celui de Maralina Irohivrah. Oui, la princesse en personne. J’étais confus, affaibli, mais vivant. Elle était là, plutôt satisfaite d’elle-même, à me regarder comme si elle venait de conclure une bonne affaire et Guilin, à ses côtés, donnait l’impression qu’il allait vomir. Il savait qu’il venait de merder. » Il marqua une pause. « Elle n’a pas fait ça par bonté d’âme, évidemment. Guilin a conclu une entente avec elle, une vie pour une vie. Elle sauve la mienne et en échange, je prends celle qu’elle veut. Et si je refuse, disons que les conséquences seront déplaisantes. On ne dit pas non à la princesse. »

Alors que Zaahrian alourdit ses épaules de tous les reproches du monde, Andréa passe un doigt sous son menton et lui demande avec douceur de bien vouloir relever les yeux pour venir trouver les siens. Il sait que, s'il lui parle à cœur ouvert, c'est à la fois parce qu'il ne le juge pas et qu'il sait être de bon conseil. Contrairement à nombre d'elfes de son âge, l'androgyne conserve une vison de la vie parfaitement positive, et c'est ce qu'il faut à cet assassin sûr de ses compétences mais pas de lui-même...

-Lorsque l'on est parent, on se contente de faire de son mieux. On ne peut pas être parfait. Tu n'as pas idée des erreurs que j'ai faite ! Conclut-il avec un sourire amusé.

Il ne l'a jamais caché : il a élevé nombre d'enfants. Lui-même en a eu une douzaine et certains de ses compagnons ou compagnes en avaient également d'une autre union, et pas forcément une union qui précédait la leur... Alors, naturellement, il a joué un rôle auprès d'eux. De beau-père à père adoptif en passant aussi par ami ou confident, il a connu toutes les postures et sait également les associer intelligemment. Il le fait d'ailleurs pour Aya, tout en étant conscient qu'il n'est pas son père pour autant et que ce qu'il fait ne suffit pas toujours.

-Je ferais le médiateur si tu le souhaites mais tu auras ta part à faire si tu veux réparer les choses entre vous. Le prévient-il gentiment.

Ce n'est pas une mise en garde, évidemment. Il tient seulement à lui rappeler que le mieux placer pour renouer avec sa fille, cela reste le demi-elfe lui-même. Il ne peut que leur donner un petit coup de pouce, ce qu'il fera avec grand plaisir, pour leur bien-être à tous les deux. Mais, rapidement, Andréa découvre qu'il y en a un autre à aider. Il écoute son amant lui parler de lui, tout en se réinstallant de manière à se retrouver en tailleur sur les cuisses de l'assassin. Lui qui est si léger l'est d'autant plus maintenant qu'il est immergé dans l'eau jusqu'à l'estomac, ce qui lui permet de prendre une telle position, se souvient bien peu de l'indécence de la chose. Il n'a d'ailleurs rien tenté envers son compagnon qui, pour l'heure, à besoin d'une oreille attentive plus que de sa tendresse.

-Tu n'as pas à me convaincre. Dit-il en posant une main délicate sur le torse de Zaahrian. Tu fais tes propres choix et je les respecte. J'essaierai de dénicher ce petit Merham. Pour ce qui est de l'art d'assumer son apparence, je pense être bien placé pour l'aider.

Un nouveau sourire en coin. Les choix vestimentaires de l'androgyne, de même que son apparence et son attitude dépourvues de genre, en perturbent plus d'un. Combien de fois les regards se sont-ils attardés sur lui ? Son amant a pu s'en rendre compte lors de leurs quelques sorties. Il n'y accorde pourtant aucune importance. Il assume ce qu'il est : un être qui s'est libéré de toutes ces limites qui nuisaient à son bonheur. Et il est parfaitement heureux ainsi, en étant sincère avec lui-même. Il peut en faire autant avec cet enfant qui, lui n'a pas d'autre choix que d'être ce qu'il est.

L'elfe blanc écoute ensuite ce qu'il est advenu de la blessure qui a été infligée à son partenaire et tant de choses deviennent soudain si claires... L'absence de Guilin mais aussi la réaction de Zaahrian lorsqu'il a parlé de la maîtresse de la prostitution. Lui n'a qu'un marché financier à conclure avec elle... Alors que son amant s'est vu imposer un contrat qu'il n'a pas le droit de refuser, lui qui les choisi toujours avec soin.
La main sur le buste du demi-elfe remonte jusqu'à sa nuque dans une caresse. Les jambes du proxénète se dénouent pour venir s'enrouler autour du corps de son amant. Il l'entoure aussi de ses bras et, ainsi enveloppé, le serre contre lui avec une force mesurée et une grande quantité de douceur. Il comprend son mal-être et son tempérament plus irascible que d'habitude -même s'il ne peut que le deviner dans son récit et le comportement de la maisonnée car l'assassin est bien plus calme en sa présence-.

-Ne te gâche pas la vie pour quelque chose que tu ne maîtrises pas... Il se décolle, juste assez pour retrouver les beaux yeux de son amant. J'entends tout ce que tu dis et tout ce que tu ressens. Mais tu ne peux malheureusement rien y changer... Il ne reste qu'à espérer que le sort désignera quelqu'un que tu aurais choisi par toi-même si l'occasion c'était présentée. Mais tu ne peux pas t'enfermer dans ton marasme jusqu'à ce que ce jour vienne. On t'a offert une vie... Tu as tes enfants... et tu m'as, moi. N'oublie pas cela, s'il te plaît.

Zaahrian pouvait parler à Andrea sans crainte ni retenue. Il faisait confiance à l’elfe, plus qu’à quiconque, autant pour sa discrétion que pour son jugement. Il trouvait chez lui une oreille attentive et des conseils éclairés qui n’allaient pas toujours dans le sens de sa propre opinion. Andrea disait ce qu’il pensait avec tact et Zaahrian l’écoutait non sans lui résister parfois. Il finissait toujours par voir le bon sens derrière les propos de l’elfe. Il savait se monter convainquant : un sourire charmeur, une caresse bien placée et un regard évocateur suffisaient à faire capituler l’assassin. La seule forme de manipulation à laquelle il se soumettait sans broncher. Plus sérieusement il bénissait le jour de leur rencontre.

Il regarda Andrea, ne voyant sur le visage de l’elfe rien d’autre que de la gentillesse, de la patience et beaucoup d’affection. Son cœur se serra, alors qu’une fois encore l’idée qu’il n’aurait pu jamais le revoir traversa son esprit. Andrea était prêt à être le médiateur, mais c’est à Zaahrian qu’incombait le plus difficile. Il était le père, Andrea n’était que le compagnon. Si son affection envers la fillette était réelle, il ne remplacera jamais totalement Zaahrian dans son rôle, pas tant qu’il sera de ce monde. L’assassin acquiesça d’un signe de la tête.

« C’est difficile d’être un parent quand on n’a pas de modèle à suivre. » Il sourit. « Merci. »

Empathique, Andrea sentit la détresse qui habitait Zaahrian et il s’empressa de le prendre dans ses bras, enroulant son corps au sien dans une étreinte à la fois solide et tendre. L’assassin passa ses bras autour du cops svelte de l’elfe et enfouis son visage contre son épaule, puissant chez son amant, la force qui défaillait chez lui. Il ne voulait pas pleurer, mais un frisson ébranla son corps et il sentait les murs érigés en lui à la suite de l’incident s’effriter non pas sous l’effet de la violence, mais plutôt grâce à l’amour et de la bienveillance d’Andrea. Il ferma les yeux et des larmes glissèrent sur ses joues et le long de son nez sans qu’il puisse les arrêter.

« J’ai peur, Andrea. » Sa voix était à peine plus haute qu’un murmure, mais cet aveu faisait l’effet d’une explosion. « En devenant assassin, j’ai mis la peur de côté. J’ai embrassé ma mortalité avec l’intime conviction que je ne ferais jamais de vieux os. En acceptant la mort, j’ai également accepté la vie et j’en ai savouré chaque moment sans penser aux conséquences une seule fois, ne sachant jamais si ce coucher de soleil serait le dernier de mon existence. Je fonçais tête baissée dans tout ce que j’entreprenais. Les choses que j’ai faites… Certaines incroyables, d’autres terribles… J’ai rencontré une foule de gens, certains sont devenus mes amants, d’autres des amis et certains, des ennemis. La plupart sont restés des rencontres éphémères dont le temps a effacé le visage. J’ai bu jusqu’à devenir stupide trop souvent et j’ai ri à gorge déployée encore plus. J’ai tenu entre mes mains plus de vie que je ne saurai compter, plusieurs que j’ai prises sans hésiter, d’autres que j’ai épargnés parfois par bonté, parfois par nécessité ou par devoir. Je devrais être mort, pourtant je suis vivant. Parfois je me demande si quelqu’un ne m’observe pas là-haut en se disant : non, pas maintenant Zaahrian. Je veux voir dans quel autre pétrin tu vas te mettre les pieds. Et ça ne manque pas d’arriver. Je continue d’aimer, je continue de rire et je fonce tête baissée en oubliant la peur, en n’ayant rien à perdre… »

Un autre frisson traversa son corps. Zaahrian déposa un baiser sur l’épaule d’Andrea et laissa le bout de sa langue caresser sa peau.

« Aujourd’hui, j’ai Aya, j’ai Mehram, j’ai toi… J’ai cette maison et les gens qui y vivent, qui comptent sur moi pour leur assurer la protection à laquelle ils ont droit. Si je perds la vie… Vous allez tous souffrir pour mes erreurs stupides. J’avais presque oublié ce que ça fait d’avoir peur, mais pour rien au monde je ne reviendrais en arrière. Sans doute que tu as raison… Je ne contrôle rien en ce moment et je devrais éviter de m’attarder trop là-dessus. »

Un sourire étira ses lèvres et pour un moment, Zaahrian semblait amusé par quelque chose.

« Il y a quelque chose de franchement ironique à me retrouver dans une telle situation. Je n’ai jamais rien contrôlé de ma vie. J’ai toujours géré les situations à mesure qu’elles se présentaient à moi. Là, j’aimerais savoir ce qui m’attend afin de m’y préparer correctement. Est-ce que c’est ça devenir sage? »