[Ellipse]C'est un "plaisir" de vous rencontrer | Gli & Andréa

Mi-Karfias
Hiver de l'an 13:XI

Trois coups sur un pan de bois. Un simple "oui" en guise de réponse. La porte grinça alors qu'elle s'ouvrait. C'était un bruit caractéristique que tout le monde dans la maisonnée savait reconnaître. Quelques pas raisonnèrent dans la pièce mais sans y entrer vraiment. Qui que fut son visiteur, il resta au niveau de la porte.

-J'ai rêvé ou celui que je viens de croiser dans l'escalier c'est le garde qui est venu nous inspecter le mois dernier, quand ils cherchaient tous les commerçants du quartier qui avaient un lien avec Thaar pour les chasser ?

La jeune femme avait une main toujours posée sur la poignée et l'autre ouverte sur sa hanche. Elle était joliment habillée bien que trop peu couverte pour sortir, même en plein été. Elle n'était pas vulgaire pour autant, seulement aguicheuse. C'était la politique de la maison : même si leur métier était de donner du plaisir, les filles devaient en avoir aussi. Les femmes n'étaient pas là pour jouer les culbutos après tout.

-En effet. Répondit simplement la silhouette assise devant la coiffeuse pour se refaire une beauté.

Pour se rendre en salle commune, là où l'on recevait tous les clients, il fallait faire preuve d'un minimum de décence. La silhouette tournait le dos à la porte d'entrée mais savait pertinemment qui était là. C'était dans ses prérogatives, reconnaître la voix de chacune de ses filles, y compris leur gémissement de plaisir.
Le lit était encore en pagaille, témoignage flagrant de ce qu'il s'était passé durant l'heure précédente. La jeune femme ne manqua pas de le remarquer et eut un sourire amusé.

-Il m'avait paru plutôt rustre... Dit-elle en lâchant la poignée et en avançant vers la silhouette qui lui faisait dos.
-Il est bien plus tendre qu'il n'y paraît. Il suffit de savoir s'y prendre.

La femme eut un petit rire. Arrivée à sa hauteur, elle se pencha pour passer ses bras autour de son cou et regarder ses yeux à l'aide du miroir posé devant eux.

-Et toi mieux que quiconque sait comment faire. J'ai toujours été admirative de la façon dont tu parvenais à faire chanceler les gens même réfractaires de prime abord... Je l'ai vu dans ses yeux ce jour-là, c'était délectable.

Elle déposa un baiser amical sur sa joue tandis qu'on lui répondait d'un sourire.

-Tu n'es pas venu me voir juste pour me parler de ma dernière conquête dis-moi ?
-Non, tu as raison. Avoua-t-elle en se redressant, ne laissant plus que ses mains sur les épaules de la silhouette blanche. Tu as de la visite.
-Oh ?
-Une femme.
-Tu ne m'aides pas beaucoup. Laquelle ?
-Aucune idée. Elle n'a pas voulu donner son nom, ni me montrer son visage. Elle a juste dit qu'elle voulait voir Andréa.
-Elle m'a appelée par mon nom ? Hm... Fais-la patienter le temps que je mette un peu d'ordre.
-Tu veux que je lui demande ce qu'elle veut boire ?
-Je m'en occuperai. Merci Leleth.

La jeune femme sortit sur un accord et referma derrière elle. Elle se rendit auprès de la visiteuse pour lui faire savoir qu'Andréa allait la recevoir. Elle n'avait qu'à attendre quelques minutes avant de monter l'escalier qui se trouvait à sa gauche et de frapper à la double porte bleue.

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-Entrez. Répondit une voix asexuée au nouvel appel qui était formulé à l'entrée de sa chambre.

Le grincement se fit entendre une fois de plus. La porte s'ouvrit sur une pièce plutôt grande et soigneusement décorée. A gauche de l'entrée se trouvait le lit à baldaquin, soigneusement refait. Une armoire habillait le mur sur son flanc et une coiffeuse était positionnée sur le mur d'en face. En y regardant de plus près, on pouvait distinguer une petite porte dissimulée entrée l'armoire et le lit menant à un cabinet de toilette.
A droite, plusieurs fauteuils et deux méridiennes étaient disposés autour d'une table basse, chaque assise disposant de son propre guéridon pour plus de confort. Un tapis d'assez belle facture habillait le sol et réchauffait l'atmosphère. Ce qui était plus que bienvenue en cette saison... L'air venait pourtant d'être renouvelé, comme tout le monde ici le faisait entre chaque visite.

Andréa achevait de disposer une carafe d'eau et deux verres sur la table basse, tournant le dos à la porte. Si les pas étaient clairement ceux d'une femme, il lui était impossible de dire à qui ils appartenaient. L'elfe se retourna donc pour faire face à sa visiteuse. Si peu d'indices laissaient deviner son sexe de dos, la chose n'en restait pas moins troublante de face. Son visage était un savant mélange d'homme et de femme. Ses cheveux blancs étaient longs et attachés en tresse à demi posée sur son épaule et se terminant sur sa poitrine. Sa robe était plutôt ample et cintrée par une ceinture, ajoutant à la confusion. Ce qui ne laissait aucun doutes en revanche, c'était son large décolleté qui donnait non pas sur des seins mais un torse parfaitement imberbe.

-Je suis Andréa, soyez la bienvenue.

Tout chez lui, y compris son attitude, faisait penser à une femme. Même sa voix ne pouvait être rattachée à un genre plutôt qu'à un autre. S'il y avait pas eu cet attribut flagrant, n'importe qui aurait pu se laisser prendre durant de longues heures sans parvenir à le percer à jour. Mais peu lui importait que l'on sache, cela l'amusait. Même si cela signifiait qu'il ne pouvait que rarement sortir de chez lui... Cela ajoutait au mystère qui l'entourait.

-Mais ma pauvre enfant, vous devez mourir de chaud ainsi équipée. Je surchauffe en hiver pour que mes filles n'attrape pas froid.

Sans attendre de réponse, il avait déjà commencé à s'avancer vers elle. Il passa dans son dos et, d'un geste plein de douceur, il retira sa capuche et son manteau de ses épaules pour les accrocher à la patère à proximité. Puis il se plaça de manière à faire à nouveau face à sa visiteuse et son visage sembla s'éclairer à la découvrant.

-Si j'avais su que j'aurais une telle visite aujourd'hui... Puis il s'inclina, une main sur le cœur tandis que l'autre soulevait dignement un pan de sa robe, savant mélange des saluts féminins et masculins. Majesté. Je suis honoré.

Il se releva et mêla son regard à celui de la jeune femme. Découvrant son expression, un sourire amusé étira ses lèvres.

-On ne vous avait pas dit que j'étais un homme, n'est-ce pas ? Je crains qu'on ne vous ai joué une vilaine farce.

Les mains dans les poches j'avançais, suivant un Asgëril qui se retournait régulièrement pour s'assurer avec un doux sourire que je le suivais bien. Ah, l'idiot... Il avait profité que ce soit un jour de bruine pour me faire sortir incognito, avec lui, sans les chevaliers et la capuche rabattue sur le minois. Je ne regretterai pas, m'assurait-il. Il fallait que je rencontre une bonne connaissance et que je parle avec elle. Cela me ferait du bien, après tout ce qui s'était passé ces dernières années, notamment l'année dernière... Plus le temps avançait, plus j'étais heureuse d'avoir rencontré Asgëril au tournoi de tir-à-l'arc et de lui avoir proposé de rejoindre ma garde rapprochée. Il était devenu un ami formidable qui n'aspirait qu'à me rendre heureuse, ou du moins ne plus constater chaque jour cette tristesse lorsque je m'occupais de mes deux petits jumeaux. Glenn me manquait. Même s'il était devenu un danger pour sa propre cité avec ses accords idiots et son assurance qu'il pourrait facilement la mettre à l'envers des princes-marchands de Thaar, même si Ust'kor avait toujours été pire que jaloux le concernant, il était resté celui que j'aimais. Et là... je me retrouvais à nouveau avec un royaume sur les bras ainsi que deux enfants, mais cette fois-ci sans espérance de le voir revenir un jour. Dans le fond, même si les funérailles furent belles et que le peuple fut en deuil, celle qui avait en réalité le plus perdu... c'était moi. Ust, lui, devait être celui qui avait le plus gagné dans cette affaire. Enfin bref. Je faisais ce que je pouvais maintenant, advienne que pourra par la suite. En espérant que les Drows ne viennent pas purement et simplement raser la cité.

"On y est ! Tu n'as plus qu'à demander Andréa.
- Andréa...
- Oui. Vas-y, je reste derrière.
- C'est toi qui m'as amenée là.
- C'est toi qui lui parleras. Je ne fais que t'accompagner. Tu verras, je te l'ai déjà dit, rencontrer Andréa te fera du bien.
- Hum..."

Je n'avais jamais fréquenté cet établissement. Mais je connaissais par coeur ce quartier, aussi j'avais fini par comprendre que nous nous dirigions droit vers une maison close. Et pas n'importe laquelle, une très bien côtée. Après un regard limite noir à mon ami j'osais entrer, me surprenant autant à le suivre qu'à découvrir qu'il appréciait fréquenter ce genre d'endroit. Je demandais la fameuse Andréa - à mes oreilles ce ne pouvait être un prénom que de femme - et j'attendis qu'on m'indique où aller. Refusant à ce qu'on me reconnaisse, je tins à ne pas enlever ma cape malgré le fait que j'étais à l'abris de la pluie. Lors de ces quelques minutes qui me parurent une éternité, je me demandais sincèrement pourquoi mon ami m'emmenait dans un tel endroit voir une Andréa en particulier. Ou plutôt, pourquoi une femme. Il savait très bien que je préférais les hommes, surtout chez les Humains, car eux au moins étaient franc et directs. Enfin pour la majorité, même si malheureusement beaucoup ne pensaient qu'à assouvir des plaisirs sexuels ou sanguins. Les femmes, elles, avaient au contraire tendance à ne pas dire ce qui était, être de véritables vipères derrière le dos des autres. Toutes sont loin d'être ainsi ! Aussi j'espérais sincèrement qu'Andréa était de ces personnes franches qui ne s'amusaient pas à cacher leurs pensées et allégences. Au moins, cette maison avait été déclarée comme n'étant pas à la botte des Thaaris. C'était une bonne chose.

Je montais, frappais à une double-porte bleue comme on me l'avait indiqué, toujours suivie d'un Asgëril gardant une certaine distance avec moi, puis j'entrais timidement lorsqu'une voix particulière m'y invita. Je me retrouvais proche d'une femme aux longs cheveux blancs et aux oreilles pointues qui, en se retournant... mazette... je... c'était une femme ou un homme, en fait ?! Je restais complètement bloquée sur place en découvrant Andréa, m'attardant sans le vouloir sur la poitrine typiquement masculine de l'individu. Je ne réagis que trop peu lorsqu'il enleva ma cape et son salut empli d'humilité m'obligea à me reprendre.

"Si j'avais su que j'aurais une telle visite aujourd'hui... Majesté. Je suis honoré. On ne vous avait pas dit que j'étais un homme, n'est-ce pas ? Je crains qu'on ne vous ai joué une vilaine farce.
- Hum... vu la personne qui m'a conseillé votre personne, Andréa, il se pourrait bien que ce soit en partie le cas... n'est-ce pas, Asgëril ?"

J'avais posé la dernière question d'une voix forte, sachant que l'autre elfe n'était pas bien loin même si des plus discrets. On entendit alors quelques pas dans le couloir et la bouille brune de l'individu sus-nommé apparut dans l'encadrement de la porte. Comme s'il était habitué à l'endroit, il se permit d'entrer et fit un signe de tête des plus respectueux à Andréa. Il avait l'air de vraiment considérer l'homme à la robe... c'était assez rare de sa part.

"Andréa. Je me suis permis de te présenter Glinaina, notre reine. De personne à personne, ou d'elfe à elfe si vous en avez envie... mais pas de titre à titre. Disons que je me suis dit que vu le don que tu as, Aina aurait bien besoin de te rencontrer."

Je ne connaissais rien de leur relation, j'étais à la limite de réprimander ouvertement Asgëril. Ce que je ne savais pas était l'histoire entre ces deux elfes, comment ils s'étaient rencontrés ni comment leur évolution avait évolué. Aussi ne pouvais-je pas savoir qu'aux yeux de l'archer, cet inconnu était devenu une personne de confiance, voire même un conseiller. Pas seulement un amour particulier d'une nuit. Non, leur relation était en réalité bien plus complexe que le travail ou un amour fou ou encore une amitié. C'était entre les trois. Et cela, dans le fond, je pouvais le ressentir. Aussi je me taisais, ne sachant pas trop quoi dire ni faire, et également curieuse de voir la réaction d'Andréa.

Andréa découvrit avec une certaine surprise le visage qui passa de l’ouverture de la porte. Il ne le connaissait que trop bien. A l’image du garde qu’il avait reçu un peu plus tôt, il s’était montré réticent au début malgré son attirance flagrante. Depuis, il se laissait plus que volontiers aller à leurs étreintes, pour le plus grand plaisir des deux hommes.
L’elfe au visage émacié secoua lentement la tête à plusieurs reprises en le découvrant, pinçant ses lèvres en un sourire amusé et désapprobateur. C’était décidément un être incorrigible qui n’avait pas son don pour lire dans les gens. S’il savait que son amie avait besoin de se détendre, il ne s’y était pas pris de la bonne façon. Non pas que la solution soit mauvaise, simplement la façon dont elle avait été amenée.

-Asgëril… Tu sais que je m’amuse des réactions à mon égard, et même si tes intentions sont louables, ces choses-là demandent parfois un peu de préparation. Il marqua une pause et, devant la mine désolé de l’archer, il chassa ses propres reproches en agitant l’air devant lui. Allez, oublions ça. Je vais m’occuper de ton amie. Va maintenant. Dit-il en approchant pour fermer la porte.
-D’accord. Bon après-midi Aina ! Puis, plus bas pour Andréa. Je passe bientôt.
-Mais j’espère bien. Répondit-il, déjà désireux de le revoir.

Andréa ferma donc sur Asgëril avant de se tourner à nouveau vers la Reine.

-Bien ! Nous avons donc du travail. D’autant qu’au vu de votre réaction, vous ne semblez pas me connaître, ni moi ni mes méthodes. Il est vrai que je me fais discret et que je sors bien peu.

Il s’avança pour la dépasser et venir se placer à quelques pas entre elle et le petit salon. Il prit un instant pour la détailler, cherchant visiblement à la lire en elle… Et alors qu’il commençait à mettre le doigt dessus, un fin sourire en coin se dessina sur son visage.

-Voyons voir… Je dirais… Au bon thé bien chaud… Ou un verre de bon vin.

Il attendit paisiblement sa réponse, l’enveloppant d’un regard à la fois doux et bienveillant. Dès qu’il sut quoi préparer, il rejoignit ses mains dans un petit clapotement satisfait et fit volte-face, sa robe virevoltant avec élégance. Il se dirigea vers la table basse qu’il avait commencé à apprêter et invita d’un geste la souveraine à venir prendre place.

-Aina… C’est un bien joli surnom. Vous me permettez ? Vous devez avoir mille questions. Il est vrai que l’on nous qualifie de maison close mais je trouve ce terme hideux et si réducteur. On s’imagine immédiatement l’un de ces horribles établissements que l’on trouve sur les quais.

Rien qu’à cette pensée, il eut un frisson et une grimace qu’il ne réprima pas.

-Savez-vous ce que nous faisons ici ? Laissez-vous libre de vous exprimer. Je suis difficilement susceptible et il n’y a aucune honte à se tromper.

Les deux idées étaient assez antinomiques mais il voulait couvrir en une phrase l’essentiel du champ de possibilités. Elle n’était sans doute pas devenue Reine en retenant ses paroles mais la politesse ou la situation pouvaient se révéler un frein à sa pensée. Et il détestait que l’on se retienne en quoi que ce soit. Il voulait qu’elle se sente libre de dire tout ce qui lui passait par la tête.
Dans sa posture ou sa voix, on pouvait noter la délicatesse dont il faisait preuve. Et elle n’avait rien d’exagéré… C’était une attitude tout à fait naturelle pour lui. Tout en lui trahissait son caractère paisible et la bienveillance dont il faisait preuve à chaque instant. Il prit une expression plus sérieuse, abandonnant temporairement son sourire.

-Dans tous les cas, sachez que le secret fait bien évidemment partie de la politique de la maison. Quelque soit la raison de votre venue et quoi qu’il se passe, rien ne transpire du “Délicieux intermède”. Cela peut même rester entre les murs de cette pièce si vous le souhaitez. Considérez cet endroit comme… Il releva les mains, cherchant l’illumination pour exprimer l’idée qu’il avait en tête. ...hors de l’espace et du temps. Un monde à part où rien d’autre ne compte que le moment présent.

Je regardais Asgëril partir, un mot doux à mon hôte au passage. Mais... vraiment ? J'avais du mal à imaginer cette scène se dérouler... Asgëril qui me laisse avec un inconnu, après avoir montré en partie son lien avec lui. Pour tout dire, même si je n'émettais aucun son, je ne me sentais pas en totale sécurité. Pourtant, j'avais pleine confiance en cet ami et de plus je n'avais toujours eu que de bons retours sur ce qui pouvait se passer dans cet établissement - d'un point de vue espionnage, s'entend. Mais je ne me voyais pas parler de ma vie privée avec un étranger, même elfe, alors que je me retrouvais à être la tête du royaume. Et pour avoir l'avis d'Ust'kor, pas la peine, pour une fois que ce bougre dormais je n'allais certainement pas le réveiller ! Il serait autant capable des pires insultes que des plus passionnées volontés envers Andréa...

"Vu le temps... du thé serait parfait."

Dans un geste digne d'une danseuse, l'elfe se retourna et m'invita d'un signe à m'installer dans le petit salon, le temps qu'il prépare le thé. Cet être était... étrange. Vraiment. A la fois je ne pouvais savoir comment me positionner envers lui - d'autant plus qu'à y réfléchir, sa description m'avait déjà été faite... et si je me rappelais bien, il s'agissait du gérant de l'établissement ainsi que de ses filles - et à la fois il avait quelque chose qui attirait le regard. Dans sa manière d'être, pas son physique. Je ne dirais pas qu'il en était envoûtant mais il laisserait certainement une trace quelque part dans ma mémoire. Enfin... je n'étais pas du tout du style à forniquer comme ça. Ou juste me laisser aller. Je gardais donc instinctivement une certaine distance avec lui, ne répondant à ses questions en toute logique sans pour autant dévoiler le plus profond de moi-même.

"Asgëril ne fait jamais les choses par hasard... donc s'il m'a appelée ainsi devant vous, je suppose que c'est pour une bonne raison. Dans le fond, si ce surnom peut vous permettre de penser que vous ne parlez pas à votre reine, pourquoi pas.
Différencier l'elfe de la reine. Important.
- Pour ce que vous faites ici, il m'a été donné d'entendre que vous vous complaisiez à donner du plaisir aux personnes vous rendre visite, au sein de votre établissement. Et que vous semblez ne rien avoir à vous reprocher. Sinon je ne vous connais pas personnellement. J'apprécie en tout cas que vous proposiez à ce que notre... conversation reste entre les murs de cette pièce. Pour ce qui est de mes questions... Avez-vous une idée de pourquoi Asgëril m'a menée à vous ? Et me permettriez-vous d'en apprendre un minimum sur mon hôte ?"

A l'évocation de son titre, Andréa épousseta l'air près de son oreille, comme pour chasser une pensée qui n'était pas la sienne.

-Oh, ne vous inquiétez pas pour ça, Trésor. Vous pourriez bien être Arcam lui-même que je ne vous traiterai pas différemment. Ici, seul le plaisir compte. Tout qui m'intéresse c'est votre personne, pas ce que vous êtes à l'extérieur.

Les propos que la Reine tint ensuite au sujet de son établissement le fit quelque peu grimacer. On aurait dit un rapport, pas une description. Elle ne connaissait donc rien de son oeuvre et de son art. Elle était tel un diamant brut prêt à révéler toute sa beauté par quelques coups de ciseaux bien placés ou un bouton de rose qui n'attendait qu'un rayon de soleil pour s'ouvrir et s'épanouir...
Bien, bien...

Tandis qu'il l'écoutait, il achevait d'installer la théière sur la table. Le thé se trouvait déjà à l'intérieur et il ne doutait pas qu'il lui plairait. Il avait le don pour deviner ce que les gens aimaient et désiraient. Pour l'heure, Glinaina ne voulait que des réponses... Et il allait de les lui apporter. A sa façon.
Tout en disposant les tasses et en servant le thé, bien sûr.

-Pourquoi hésitez-vous sur les termes à employer concernant ce que nous allons faire ici ? Vous l'avez dit vous-même, notre souci est le plaisir de nos clients. Nous ne ferons rien de plus que ce dont vous avez envie. Si votre souhait est de discuter, nous discuterons. Si vous vous voulez déguster quelques mets ou nectars, nous vous servirons ce qui vous fait envie. Si vous désirez écouter ou observer quelques ébats, nous ferons en sorte que cela soit possible. Si vous souhaitez un peu de chaleur humaine, homme ou femme, nous avons ce qu'il vous faut. Qu'il s'agisse d'une simple étreinte, de quelques baisers ou de prendre du bon temps... que ce soit ensemble, pour lui, pour elle ou juste pour vous... avec ou sans pénétration... nous comblerons votre appétit.

Alors qu'il décrivait l'étendu de leurs activités, il était parfaitement à l'aise avec les idées et les termes qu'il exposait. Il ne connaissait pas la honte, se faire plaisir n'avait pas à générer ce genre d'émotion. Le but était d'atteindre la satisfaction et l'épanouissement, pas de se sentir plus mal en partant. Les désirs n'avaient pas a être mal vécu s'ils étaient réels.

-Et tout ceci sans que vous soyez la seule à en profiter. C'est le propre de mon établissement : le plaisir du client doit être le plaisir de son hôtesse -ou, dans mon cas, de son hôte. Aucune de mes filles n'est contrainte en quoi que ce soit, elles sont là parce qu'elles aiment ce qu'elles font. C'est une vocation, pas un bagne. Et je mets moi-même dehors ceux qui voudraient qu'il en soit autrement, clients compris.

Ayant achevé son ouvrage, il s'assit tandis qu'un sourire rehaussait ses pommettes au souvenir de la dernière scène qu'un opportun lui avait faite.

-La dernière fois, je n'ai même pas eu à intervenir. Ce sont quelques partenaires de mes filles qui s'en sont occupé. Il releva le regard vers Aina. Vous comprenez ?

Ce qu'il avait bâti ici, ses clients avaient fini par y adhérer et il en était plus que fier. C'était une chose de prendre du plaisir. C'en était une autre de le partager. Ils ne répondaient pas seulement à un appétit, ils satisfaisaient un besoin. Tendresse, passion, écoute ou bienveillance... Quand la faim, le froid et l'insécurité n'étaient plus un problème, il en naissait d'autres. C'était ceux-là qu'ils s'évertuaient à vouloir apaiser ici.

Les tasses étaient désormais pleines et encore fumantes. Andréa prit la sienne par la coupelle d'un côté et la anse de l'autre. Il souffla sur la surface pour en chasser la vapeur qui s'en dégageait. Il n'aimait pas que l'eau soit trop chaude, cela lui brûlait la langue et faussait toutes ses sensations. Cela pouvait gâcher son plaisir lorsqu'il était avec un(e) client(e).

-Quant à la raison de votre visite, tout le monde sait les épreuves que vous avez traversé ces derniers mois et les responsabilités qu'il vous incombe désormais de porter seule. Entre ces dernières années avec votre époux -paix à son Souffle- et les récents évènements, quelle est la dernière fois où vous avez pris le temps de vous faire réellement plaisir ?

Il laissa à la souveraine le temps d'y réfléchir. Il ne souhaitait pas réellement qu'elle y réponde, c'était son droit de garder le silence. Mais au moins qu'elle y pense.

-C'est ce qu'Asgëril vous offre aujourd'hui. Quelque soit le plaisir qui habite votre cœur ou bouleverse vos entrailles, je suis là pour l'entendre et tenter de vous combler autant que faire se peut. Peut-être pas aujourd'hui, vous avez peut-être besoin d'apprendre à me connaître mieux, mais quand vous serez prête.

Andréa approcha les lèvres de son thé et, au dernier moment, finit par reposer sa tasse. Non, décidément, c'était trop chaud. Il posa alors ses mains croisées au niveau de ses poignets sur ses jambes et se tourna vers son invitée.

-Vous voulez en savoir davantage sur moi, très bien. Mais j'aurais bientôt trop parlé après ça. Ce sera votre tour ensuite. Ordonna-t-il, un sourire en coin. Il se dandina d'une fesse à l'autre comme pour améliorer son assise et se redressa avant de commencer. Je suis né dans la principauté de Baaz'Hima. Mes parents n'étaient pas dans le commerce du sexe mais le plaisir occupe une place constante là-bas. Le sujet m'a attiré dès le début de ma puberté. Comme vous le savez, nous y avons des spécialistes en la matière. J'ai goûté à tous les plaisirs et vices qui étaient à ma portée et j'ai rapidement identifié ceux qui m'apportaient satisfaction ou non. Ce n'est qu'après quelques temps que j'ai compris comment les femmes qui m'enseignaient étaient traitées en réalité. L'esclavage... Il baissa les yeux. C'était un souvenir douloureux pour lui. S'il n'était pas victime lui-même, il avait suffisamment d'empathie pour avoir fait de cette souffrance la sienne à l'époque. Très vite, j'ai tenté de monter ma propre affaire dans le même esprit que ce que j'ai fait ici. Mais nous luttions afin de gagner seulement de quoi subvenir correctement à nos besoins. Ne pas faillir à nos principes s'avéraient plus difficile que je ne l'imaginais. Il s'est avéré que nous avions choisi le quartier où nous installer par manque de moyens... Et notre publique n'était pas le plus adéquat. Ils avaient d'autres besoins que ce que nous leur proposions. J'ai donc dû m'associer à un riche dignitaire de la cité pour pouvoir m'installer dans une rue plus adaptée. C'était bien, au début. Mais les âmes éphémères vont et viennent et je n'ai pas toujours eu la chance de retrouver un partenaire commercial qui comprenne aussi bien mes idées. Il y a quelques années, votre époux a conquis cette cité et son influence l'a métamorphosée... Il eut un sourire ému en repensant au jour où il avait décidé de déménager son établissement à Naelis et regarda dans le vide un instant avant de poursuivre. J'avais les moyens de me défaire de mon partenariat à Baaz'Hima et de refaire ma vie ailleurs alors j'ai racheté pour quelques pièces ce qui n'était qu'un lieu de débauche à l'époque. Je l'ai nettoyé, dans la forme comme dans le fond. J'ai ramené quelques unes de mes filles qui voulaient me suivre. J'ai eu plus d'une oreille à tirer pour me faire entendre mais ma philosophie a rapidement fait écho ici... Nous y sommes très prospères et plus heureux que jamais.

Il arbora alors une expression emplie de satisfaction et de fierté. Après des siècles de recherche, c'était dans une cité, seuil de la Péninsule et d'Ithri'Vaan qui avait atteint son objectif. Une ville en plein bouleversement et dont les principes allaient dans son sens. Il avait eu la patience de trouver le bon endroit, d'attendre le bon moment...
Andréa sortit finalement de ses rêveries et se tourna vers la souveraine.

-Satisfaite ?

Il aurait pu difficilement en dire plus sur son histoire et ses principes parlaient d'eux-mêmes pour qualifier l'homme qu'il était. Restait son androgynie accentuée par sa façon de se vêtir et de se comporter, à la rigueur... Si tant était que cela la perturbe toujours, il était prêt à y répondre.

Si je comprenais ? Oui. J'acquiescais juste, laissant mon hôte continuer dans sa lancée, sans le perturber outre mesure. Je n'étais pas là pour m'imposer. En vrai, je ne saais pas vraiment pourquoi j'étais là. Et cela ne me mettait pas en confiance, bien qu'Andréa m'assurait que les plaisirs qu'il pouvait m'offrir n'étaient pas forcément d'ordre sexuel. Une conversation si c'était ce que je préférais. Pour aujourd'hui - reviendrais-je seulement un jour ? - cela serait plus que suffisant, à mes yeux. Bref. Poliment je l'écoutais et certains de ses mots ne purent que résonner en moi : quelle était la dernière fois où je m'étais réellement fait plaisir ?

J'hésitais. La première image qui me vint à l'esprit fut celle de mes enfants en train de rire à des chatouilles. Ensuite, ce fut le tournoi de ti-à-l'arc. Puis... la forêt d'Anaëh. Ce temps avec mon père, où nous étions partis tous les deux sans les enfants, sans Ust pour râler à perte de temps. La dernière fois où je m'étais fait réellement plaisir, dans le fond... c'était avant qu'Ust ne naisse. Depuis... depuis... Punaise, que ma vie pouvait être triste ! Ust avait bien raison de vouloir partir avec les enfants et quitter toute charge politique ! Mais pouvais-je seulement les abandonner, tous ? Ne devais-je pas tout faire pour essayer de leur apporter cette vie promise il y a dix ans ? Quitte à me sacrifier, encore une fois ? Oui. Il fallait bien quelqu'un... ou bien ce rêve tant cherché ne deviendrait plus rien. Rien, juste des cendres et de la poussière. Et cela, je ne le voulait pas. Alors autant laisser Ust'kor vivre sa vie une fois qu'il possédera un corps. Et cela risquerait d'être la garde alternée pour les enfants. Au moins, si jamais Thaar nous tombait dessus... je saurai à qui confier les enfants.

J'écoutais, encore et encore, essayant de me rattacher à la présentation d'Andréa pour ne pas sombrer dans mes pensées. Puis vint cette question, m'annonçant clairement que c'était à moi de remplir ma part du contrat - ou de la conversation, plutôt. Je le regardais donc dans les yeux, quelque peu pensive, puis finit par lui répondre.

"Satisfaite ? Je pense oui. Mais j'ai une dernière question, si vous me le permettez : quel est ce don dont a parlé Asgëril ?"

Je le laissais répondre à ma question, ne m'attendant pas à ce qu'il soit précis. Dans le fond, il pouvait bien le garder comme un secret ou tout simplement ne pas savoir ce dont parler notre ami commun que je ne le prendrais pas mal. Nous avions tous nos secrets, je n'en étais pas exempte.

"A mon tour, à présent... Je suis née dans le sud de l'Anaëh, de deux parents guerriers. J'ai vécu mes premières décennies là-bas, à apprendre à vivre en elfe et à me défendre, sans avoir de véritables échos du monde extérieur. La vie est passée, j'atteignis mais cent vingt ans et un jour que j'étais un peu trop proche de la lisière, je me fis capturer par un groupe de mercenaires humains. Etrangement, ils ne me firent aucun mal. Ils étaient même plutôt curieux de savoir comment allait se comporter une elfe envers eux. J'avais beau être physiquement adulte, dans ma tête j'étais encore une enfant à l'époque. J'avais une opportunité innédite de voyager à l'extérieur de l'Anaëh, aussi je l'ai saisie. J'ai fini par rejoindre ce groupe de mercenaires quelque peu particuliers.

Le temps passa, je fis de nombreux voyages avec et parfois sans eux. C'est au cours de l'un de ces derniers voyages que je rencontrais Glenn. Je ne pensais pas le recroiser après la mission que nous avions eue en commun. Mais les dieux en décidèrent autrement et il se trouva qu'un jour je le recroisais. Les évènements firent que je le rejoignis et que, plusieurs années plus tard, nous partions pour Naelis afin de la libérer des Drows et des humains qui n'étaient qu'à leur botte. Ce ne fut pas très compliqué, la cité ayant été laissée à l'abandon. On s'installa, je devins lieutenant de la Garde... et je vis la cité se remonter petit à petit. Je vécus la bataille de Ruven, où il s'en fallut de peu pour que je ne meure. Il se trouva que tous les deux nous finissions par tomber amoureux et après plusieurs mois et un peu trop d'alcool, je me retrouvais enceinte de lui. Le pire était que j'étais en voyage chez mes parents lorsque je l'ai découvert... C'est ainsi que nous nous sommes mariés, sans grandes pompes, afin que les enfants soient reconnus comme il se devait. Les jumeaux sont nés, et Ydril demanda de l'aide à Naelis. Glenn ne pouvait qu'aider son ami, lui qui était venu nous aider à Ruven. Malheureusement l'Aduram n'est pas tendre, surtout envers des armées qui ne sont pas habituées à elle, et il tomba dans le coma. J'ai eu à gérer la cité pendant ce temps, et ce ne fut qu'un miracle qu'il ne revienne à lui. Pas pour longtemps malheureusement, tout le monde le sait. C'est ainsi que je me retrouve à nouveau à la tête de Naelis, sans mari."

J'eus un sourire nostalgique en pensant à Glenn... Et dire qu'il y avait tant de choses que je ne racontais pas.

"Cela vous suffit-il ?"

A la question sur son don, Andréa eu un sourire amusé alors que son regard était fixé sur le contenu de sa tasse. Il en avait plus d’un en définitive. Un que l’on qualifiait généralement d’Art dans le domaine des arcanes et qu’il n’utilisait pas très couramment et un autre qui tenait plutôt lieu de compétence sociale qu’autre chose. Mais, ce que les gens ne comprennent pas, ils l’identifient comme quelque chose de surnaturel. Cela l’amusait et il répondit de manière énigmatique en lui faisant savoir qu’elle le saurait bien assez tôt.
Puis il écouta son récit et, une fois encore, il semble dubitatif. Tout ceci ressemblait une fois encore à un rapport. C’était… très facultuel. Si l’émotion était palpable, les paroles étaient claires et plus que concises. Elle ne s’étendit sur aucun point en particulier, s’attachant à faire le récit le plus court possible et étant exhaustif dans les grandes lignes. Elle ne laissa transpirer aucun détail particulier, aucun point sur lequel il aurait pu se raccrocher, aucun creux dont il aurait pu se servir comme d’une prise. Alors, lorsqu’elle achevait la résumé de sa vie, il lui fit savoir que ce n’était pas tout à fait ce qu’il attendait d’elle.

-Repos soldat. Lança-t-il sur un ton rigide. Puis il lui sourit amicalement et poursuivit avec sa douceur naturelle. Vous n’êtes pas à l’armée ici, Trésor. Ni au Palais. Vous n’êtes ni Reine, ni Lieutenant, ni même mercenaire. Je m’adresse à la femme que vous êtes. Celle que vous avez enfouie au fond de vous afin que votre devoir passe avant toute chose. Profitez de ces quelques heures avec moi pour être celle que vous avez toujours été .Celle qui riait le coeur léger, celle qui faisait ce qu’elle avait envie sans avoir à se préoccuper de ceux qui l’entourent. Je suis honoré d’avoir rencontré l’autorité que vous êtes aujourd’hui mais je ne me satisferai pas de faire la connaissance d’une facette.

Voilà ce qu’il lui réclamait. Qu’elle retire ce costume dont elle était toute parée et qui lui collait tellement à la peau qu’elle le portait toujours, jusque dans l’intimité de cette chambre. Tout en formulant sa demande, il s’était penché dans sa direction, vrillant son regard d’un bleu plus clair que le ciel dans celui de la souveraine.

-J’ai conscience que tu n’as aucune raison de me faire confiance, nous ne nous connaissons pas. Pas encore… Corrigea-t-il car il avait bien l’intention de se lier bien plus avec elle que ce qu’elle s’imaginait possible. Mais s’il y a bien une personne qui puisse te prêter une oreille attentive sans jamais y apporter le moindre jugement et ne rien en révéler, c’est moi.

On dit souvent que pour croire en quelqu’un, il faut que cette personne croit en elle-même. Cela n’aurait pu être plus vrai pour Andréa. Il n’avait pas mentionné son âge mais Glinaina pouvait deviner à son récit qu’il était nettement plus âgé qu’elle pour avoir survécu à plus d’un investisseur alors qu’il vivait à Baaz’Hima. Il avait eu le temps d’accumuler sagesse mais aussi confiance en soi. Il connaissait ses talents et savait en user avec efficience.

-Je te parlais de ton dernier plaisir tout à l’heure, tu as pensé à quelque chose puis j’ai senti un grand vide dans ton coeur. Quel est ce poids que tu portes ?

Voilà, c’était ça son don. Lire dans les gens. Savoir à quoi ils pensaient. Beaucoup auraient utilisé cette faculté pour découvrir des secrets, mettre à jour des malandrins, manipuler ses ennemis… De tout cela, rien n’intéressait Andréa. S’il avait fini par ne plus manquer d’argent et obtenir un pouvoir sur les autres dont il ne faisait pas l’usage, aucun des deux ne pouvaient combler son âme. Seuls les visages détendus et heureux qui quittaient sa maison le ravissaient.

Comment répondre à cela ? Que répondre, simplement ? Je ne pouvais aucunement dire quoi que ce soit concernant Ust'kor... et voilà qu'il me demandait quel était ce "poids" qui alourdissait mon coeur. Sur l'instant, à cette question précise, j'eus l'envie de partir, claquer la porte et ne jamais remettre les pieds en cet endroit. Mais cela aurait été ne pas accepter la discussion, refuser ce que m'offrait gracieusement un ami. Et reconnaître de manière plutôt brutale qu'Andréa avait raison. Je regardais donc l'androgyne droit dans les yeux, le visage fermé, me demandant intérieurement ce que j'allais bien pouvoir lui répondre. Je finis, au bout de quelques secondes par laisser ma voix exprimer ce qui me venait à l'esprit.

"Les regards. Ne jamais pouvoir être vraiment seule, ne jamais pouvoir aller où bon me semble... Constamment être sous les regards de personnes vous aimant, vous détestant ou juste faisant attention à vous parce que vous êtes l'une des têtes les plus connues de Naelis. Devoir constamment être droite, fière, forte... même lorsque votre mari est décédé. Enfin non, dans ce cas, on attend que vous soyez la veuve éplorée. Et ensuite que soit vous restiez derrière le trône et preniez un nouveau mari, soit qu'au contraire vous vous asseyiez dessus et montriez quelle force vous habite, oubliant toute douleur. Et avec tout cela, vous prenez le temps d'écouter les doléances des uns et des autres, de régler les affaires qu'ils pourraient régler eux-mêmes en mettant chacun de l'eau dans leur vin..."

Je soupirais, prenant en même temps ma tasse de thé bien chaude. Un peu trop chaude, d'ailleurs. Mais cela ne m'empêcha pas de boire une gorgée après avoir soufflé dessus. JE me renfonçais dans le fauteuil et regardais à nouveau mon interlocuteur, tranquille. Dans le fond, il avait raison, cela faisait un peu de bien de parler de ce poids, du manque de liberté.

"Me permettre d'être moi-même, tout simplement, quand j'en ai envie. Ne devoir faire en fonction de personne. Ni plus ni moins. C'est d'ailleurs ce qui vous intéresse, n'est-ce pas ?"

J'agrémentais ma question par un sourire en coin. Allez, que me répondrait-il ? Que me proposerait-il de faire ? J'attendais désormais de voir et d'entendre... en refermant une partie de moi, à nouveau.

Andréa écouta la reine se soulager de son fardeau à ses oreilles. Elle pouvait tout lui dire, laisser échapper de ses lèvres ce que celles-ci retenaient en chaque instant. Il le lui avait promis, cela ne sortirait pas d'ici. Son établissement n'aurait pas un aussi franc succès s'il avait dû divulguer les secrets de ses clients. C'était l'occasion ou jamais pour elle de déverser toutes ces émotions et ces pensées qu'elle ne pouvait pas exprimer et il était ravi de voir qu'elle la saisissait. Affichant une mine satisfaite, il avait néanmoins le sentiment qu'elle taisait quelque chose d'autre. Il était évident qu'elle avait besoin de confiance pour pouvoir s'ouvrir davantage. Elle faisait déjà un grand pas en avant avec cette tirade aussi choisit-il de ne pas tenter d'aller plus loin pour l'instant.
A sa question, il répondit à son sourire en coin par un sourire satisfait et enjoué.

-C'est exactement ça. Tu peux être toi-même ici, ce lieu a été pensé spécialement pour ça.

Soudain, il pointa un doigt inquisiteur vers elle et la gronda du regard. Alors qu'elle venait à peine d'ouvrir les vannes, il ne voulait pas la voir les refermer si vite.

-Ne te referme pas comme une huître, je t'ai vue ! Tu as posé ta carapace, elle reste par terre.

Il semblait autoritaire mais sans l'être vraiment. Il avait apprécié qu'elle commence à se confier à lui, c'était une frustration de se rendre compte qu'elle faisait aussitôt marche arrière. Et la frustration, il ne connaissait pas tellement...
Son expression changea la seconde d'après alors qu'une idée lui venait en tête.

-Un massage, ça te dirait ? Je suis très doué. Sans même attendre sa réponse, il se leva et entreprit de passer derrière le fauteuil. Ne t'inquiète pas, tu n'as pas à bouger de là ni à retirer quoi que ce soit. Sauf si tu le souhaites bien sûr mais j'en doute.

Alors qu'il allait la dépasser, il s'arrêta et se pencha un peu en arrière pour l'observer, les mains laissées en suspension dans l'air dans une pose des plus élégamment féminines.

-Enfin, tu vas quand même me faire le plaisir de retirer cette veste, Trésor. Ce sera plus agréable pour toi comme pour moi.

Contrairement à son arrivée où il avait lui-même retiré le manteau de son invitée, il se contenta cette fois de simplement tendre la main dans sa direction pour récupérer le vêtement. Si elle devait commencer à se détendre, elle devait le vouloir un minimum, même s'il l'y contraignait à moitié. Lui prendre de force serait revenu à l'attirer à lui. Alors que, si elle le faisait, elle s'approcherait d'elle-même. La nuance était subtile et sans doute bien plus efficace.
A sa grande satisfaction, elle finit par s'exécuter, non sans avoir fait montre d'une certaine réticence au départ et avec une absence totale de motivation. Cependant, il prit sa veste et alla l'accrocher avec le manteau à l'entrée avant de revenir auprès de Glinaina, passant directement dans son dos. Là, il frotta ses mains les unes contre les autres comme pour les réchauffer avant de les poser délicatement sur les épaules de la souveraine. Cherchant les points de pression adéquats, il effectua quelques mouvements circulaires avec ses pouces tout en continuant d'interroger la jeune femme avec une voix plus douce qu'auparavant.

-Si tu pouvais réaliser une envie subite, satisfaire un désir immédiat, ou un fantasme, qu'est-ce que ce serait ?

Evidemment, il ne lui demandait pas de faire un voeu à un Eäla... A son ton, elle pouvait comprendre qu'il cherchait quelque chose qui soit réalisable, de préférence par ses soins. Dans le cas contraire, ce serait une invitation à poursuivre la conversation en essayant de la délester de sa charge pour les heures à venir.

Je restais complètement bête, à le regarder se lever pour venir me prodiguer un massage, alors qu'il venait tout juste de me gronder comme une petite fille... Non mais quoi ? Pour quoi... Non mais ! Zut ! Ma carapace, je la remets sur moi quand je veux ! Et je suis bien avec. Je ne fais pas exprès de l'endosser. Bref... pour le massage... hum c'était une mauvaise question, ça. Et le voilà qui se trouvait déjà derrière moi, à attendre que je lui passe ma veste. Bons dieux... Je restais un moment sans savoir quoi faire, n'ayant pas envie qu'Andréa pose ses mains sur moi mais sachant très bien que cela me ferait certainement le plus grand bien. Comprenant le regard appuyé de mon hôte comme une insistance, je finis par me détacher lentement du dossier du fauteuil où j'étais installée puis me défaisais de ma veste. Une fois qu'Andréa l'eut prise, je me laissais à me recaler contre le fauteuil. Malgré moi je sentis mes muscles se crisper quand les mains d'Andréa se posèrent sur eux et quand il commença le massage, je ne pus qu'essayer de réprimer une grimace de douleur. C'est qu'il savait où ça faisait mal !

"Si tu pouvais réaliser une envie subite, satisfaire un désir immédiat, ou un fantasme, qu'est-ce que ce serait ?
- Je ne sais pas..."

J'essayais de penser à une envie particulière, à quelque chose que j'aimerais faire et que je pourrais partager avec un inconnu soit-disant de confiance... mais rien ne me venait en tête. Absolument rien. Un vide immense des plus désagréables. Au bout d'un moment donc, commençant à me laisser aller à cet agréable massage, je finis par briser le silence qui s'était installé en nous.

"Auriez-vous une idée à me conseiller... à part un massage ?"

Andréa fut un peu déçu mais pas surpris de voir que Glinaina n'avait pas de réponse à lui fournir. A la tension dans ses épaules, il sentait qu'elle ne s'était pas détendue depuis bien trop longtemps. C'était à se demander ce que faisait Glenn au lit... Il avait été bon pour lui faire des jumeaux, mais ensuite ? Aux yeux de l'androgyne, une femme était telle une fleur. Délicate, il fallait la manier avec précaution, lui témoigner de l'attention chaque jour et en prendre soin. Les besoins de cette fleur-ci ne semblait plus intéresser personne depuis bien trop longtemps au point qu'elle avait appris à les éteindre en elle-même.

Finalement, alors qu'ils sentaient quelques muscles se relâcher très légèrement, la souveraine lui demanda s'il avait une idée. Il en avait bien quelques unes mais il doutait qu'elle fut prête pour cela. Pour ce qu'il avait en tête, il n'aurait même pas eu besoin de la toucher. Il se serait satisfait de la regarder tandis que sa magie faisait effet sur elle et que son souffle ou sa voix emplissait l'espace environnant. Mais il savait que, même cela, elle n'y parviendrait pas ou s'en sentirait honteuse une fois sa jouissance obtenue sous ses yeux encore par trop inconnus. Alors non, il n'émettrait rien de ses idées et les évoquerait une autre fois. Lorsqu'elle serait plus détendue et plus réceptive au désir qui pourrait naître de ses suggestions.
Alors, il se pencha à son oreille et lui souffla quelques mots.

-C'est à toi de trouver la réponse, je ne peux pas les apporter pour toi au risque de te déplaire. Je te laisse le temps de la réflexion, nous nous contenterons du massage pour aujourd'hui.

Et ce fut ainsi. Durant de longues minutes, il poursuivit ses gestes doux et relaxant, s'efforçant de dénouer chaque muscle de la reine. Elle se laissa faire mais ne se plongea pas pleinement dans l'évasion que cela aurait dû lui procurer. Lorsqu'il sentit qu'elle ne pourrait plus se détendre davantage, il mit lentement fin à son massage et posa ses mains sur ses épaules. Il lui proposa de finir son thé, de discuter encore un peu et, lorsqu'elle le déciderait, elle partirait. Hors de question de lui faire payer quoi que ce fut, et cela n'avait rien à voir avec son titre puisqu'il n'existait pas ici. Quand elle passa la porte de sa chambre, il eut un soupire de déception et d'agacement mêlés. Il était hors de question qu'il reste sur un échec.

Comme promis, Asgëril ne tarda pas à lui rendre visite à son tour. Il s'occupa de lui, y mettant autant de cœur qu'à l'accoutumé. Lorsqu'il fut pleinement satisfait, et avant qu'il ne s'en aille, ils discutèrent de Glinaina. Comme promis, Andréa ne révéla rien de la teneur de leur entretien mais il lui confia qu'il était assez mécontent du résultat et que la dame avait besoin de plus de séances pour qu'il parvienne à en tirer quelque chose (sans mauvais jeu de mots...). Ainsi fut-il convenu d'un rendez-vous auquel l'archer ramènerait de force son amie auprès de l'androgyne.
Le maître des lieux avait fait préparer pour l'occasion quelques biscuits elfiques. C'était pour lui une bonne occasion d'engager la conversation sur un sujet totalement anodin et malgré tout en lien avec le plaisir. Il lui demanda s'il avait la bonne recette, ce qu'il manquait pour qu'ils soient parfaits, s'il s'agissait de ceux qu'elle mangeait étant enfant. L'échange était un peu plus léger mais la souveraine avait encore bon nombre de réserves. Il lui fit un nouveau massage auquel elle fut un tout petit peu plus réceptive et il l'étendit des épaules au haut du dos. Et elle repartit... laissant Andréa avec son air encore insatisfait.
Les deux compères remirent ça, attirant Glinaina dans son antre à moitié contre son gré. Cette fois, il était parvenu à obtenir la recette des gâteaux d'enfance de l'ancienne mercenaire et les avait confectionné le jour-même. Il avait également rassemblé plusieurs jeux de carte et de société, certains humains, d'autres elfes. Il les lui proposa et ils firent ensemble quelques parties dans une atmosphère un peu plus détendue. Une fois de plus, il lui fit un massage et obtint qu'elle s'allonge afin d'avoir accès à son dos tout entier. Elle lui laissa même le choix de l'endroit, ce qui le surprit agréablement. Il lui offrit donc sa main et la conduisit, comme une femme le ferait, vers le lit. Lui demander d'ôter sa chemise aurait été de trop... Et c'était regrettable. Il ne manquait jamais d'huile et le peau à peau était bien plus agréable mais il comprenait qu'elle ne soit pas encore prête à se jeter à l'eau. Il prit également d'autres précautions durant son ouvrage, évitant d'approcher trop près des bordures de sa poitrine et s'asseyant à côté d'elle plutôt que de l'enfourcher pour la masser plus confortablement. Lorsqu'elle s'en alla, il la sentait bien plus détendue et en confiance. Il comprit qu'il avait fini par éveiller un quelconque intérêt en elle. Aussi, lorsqu'Asgëril revint le voir, il ne lui demanda rien, confiant.

___________________

Entendant des pas dans l'escalier menant à la double porte bleue, Leleth se tourna vers l'accès aux appartements d'Andréa et vit sortir une dame fort bien habillée qu'elle reconnut aussitôt.

-Alors Madame Montratier. Satisfaite ?
-Han, c'est toujours un délice.
-Oui, je sais. C'est à se demander comment il fait.
-C'est ça ! Vous avez essayé vous aussi ?
-A force de parler aux clientes et de voir leur mine satisfaite, on finit toutes par craquer et lui demander une séance... Un de nos hommes a essayé aussi. Il reçoit les deux sexes maintenant.
-Oh, j'en suis à peine surprise... S'il s'y prend aussi bien avec les hommes qu'avec les femmes, il a de quoi faire changer de bord plus d'un réticent.

Voilà la conversation qui se tenait près de l'entrée dans la salle commune lorsqu'une silhouette encapuchonnée entra et se dirigea vers l'escalier. Leleth la vit entrer mais fit mine de rien et détourna même l'attention de la dernière cliente d'Andréa afin qu'elle ne la remarque pas. Elle ignorait toujours qui était cette dame mais elle savait comment préserver l'intimité de la clientèle et était très douée pour ça.

-Vous devriez essayer avec lui à l'occasion, il a appris quelques bons trucs...
-Haaan... Je n'y crois pas, vous l'avez essayé lui aussi ?!
-Je plaide coupable. Et je vous invite à en faire autant.
-La prochaine fois, promis.

Tandis qu'elle prenait lentement congé de Madame Montratier, l'ombre encapuchonnée disparaissait à l'étage.
Dans sa chambre, Andréa rangeait les preuves de la dernière visite. Ayant servi verre de vin à chacun, il remit les verres dans le vaisselier, dans la partie sale qui était vidée une à deux fois par jour en fonction de l'activité. Il n'avait pas de lit à refaire, la dame n'en ayant pas eu l'utilité. En revanche, il changea l'une des couvertures qui servaient officiellement de décoration sur les méridiennes pour en mettre une propre. Si lui n'avait pas eu à se dévêtir, la cliente avait obtenu le plaisir qu'elle désirait. Il ne lui restait plus qu'à refaire sa tresse, à demie défaite par une main venue s'y agripper. Alors qu'il venait de s'asseoir, on frappa à sa porte et il demanda de patienter une petite minute. Un petit moment plus tard, il ouvrait pour découvrir son visiteur.

Un sourire lumineux se peignit sur son visage.

-Aina. J'espérais que tu ne tardes pas trop à revenir... Viens, je t'en prie.

Il s'écarta du passage pour lui permettre d'entrer et referma derrière elle. Comme à chaque fois, il lui retira son manteau et l'accrocha à la patère.

-Thé et gâteaux, comme la dernière fois ?

Un soupir. Les yeux fermés. Je me laissais aller, appréciant la chaleur des bras d'un ami. Juste ses bras, rien d'autre. Un câlin tout ce qu'il y avait de plus innocent, en somme. Rien de bien particulier. Je sentis son menton se poser sur mon crâne ; j'ouvris les yeux. Sa respiration était lente, la mienne aussi. Je me retournais un peu et je sentis ses bras se dé-serrer. Dommage...

"Cela faisait longtemps.
- Hum ?
- Que tu ne t'étais pas laissée allée dans les bras de quelqu'un. D'un ami, j'entends.
- Oui...
- Cela t'avait manqué ?
Je hochais lentement de la tête.
- Et tu voudras le revoir ?
- Qui ?
- Andréa.
- Je ne sais pas.
- Tu sais que je vais être absent quelques ennéades... à moins que la chevalière te fasse des câlins tout en armure, tu risques d'en être privée pendant quelques temps.
Il sembla attendre une réponse qui ne vint pas.
- Aina... arrête d'avoir peur. Tu es une femme comme il y en a peu, avec beaucoup de poids sur les épaules. Tu as le droit de faire ce qui te plait. Arrête de t'enfermer dans ta cage dorée, elle finira par te détruire. Tu as un peu changé, et en bien depuis quelques ennéades. Ne profite pas de mon absence pour revenir en arrière, d'accord ?"

Il n'eut pas de réponse. Pas de grimace, non plus. Il sourit franchement, sincèrement, ce qui eut le don de m'arracher un sourire bien plus petit. Il déposa un baiser sur mon front et se leva du lit sur lequel nous étions assis. Il lui fallait partir... et moi, à nouveau, j'allais être seule.

~~~~~~~~

Pluie de merde, encore ! Et journée tout aussi pourrie, en plus. Rageant intérieurement, je prévenais à demi-mot que je sortais, ne voulant pas être escortée, et partit sous la pluie avec juste de quoi me défendre et une longue cape à capuche. Plus le temps passait, plus je me permettais cette liberté dans ma propre cité. Plus les ennéades s'égrenaient, plus je sentais ma soif de liberté bouillir au plus profond de moi. Et là, en ce moment, je n'avais personne de suffisamment proche sous la main pour m'exprimer comme je l'aimerais. A part Ust'kor, mais lui il était énervant au possible sur certains sujets. Alors autant le laisser à son calme de cette fin d'après-midi, lui qui s'était tant énervé lors de la première réunion... puis endormi lors de la seconde. Bref, je marchais, je marchais, mais pour quoi faire au final ? Aller où ? Aucune idée. J'errais, incognito, jusqu'à me rappeler la dernière conversation que j'avais eue avec Asgëril. Peut-être n'avait-il pas tort, si je pouvais vraiment faire confiance en Andréa... Je décidais donc de me diriger vers la maison de plaisirs, me disant que prendre un peu de temps pour moi, loin de la politique et des poussées de dents des enfants me ferait le plus grand bien.

"Aina. J'espérais que tu ne tardes pas trop à revenir... Viens, je t'en prie. Thé et gâteaux, comme la dernière fois ?
- Je dois avouer que je serais plus vin, cette fois-ci... si cela ne vous dérange pas."

Comme d'habitude, Andréa se faisait un devoir de me défaire de ma cape pleine d'eau. Et comme toujours, il expliquait que je ne le dérangeais aucunement. Il semblait même plutôt amusé... ou ravi ? que je prenne autre chose que du thé. Un bon vin, blanc, rosé ou rouge, parfois il n'y avait rien de mieux - à part la présence aimante des enfants ou d'un amant. Pour ne pas salir sa chambre et aussi parce que je me sentais plus à l'aise sans, j'enlevais mes bottes avant d'aller m'installer sur un fauteuil et d'accueillir le verre que me tendait l'elfe. Je bus une gorgée, regardant en même temps mon hôte. La conversation qu'avaient eue les deux femmes en bas étaient limite amusantes, en le regardant bien.

"Je suppose que si je vous demande comment vous allez, vous allez rediriger la conversation sur moi, Andréa ?"

Un fin sourire en coin se dessina sur mes lèvres. Je commençais à le connaître et je me doutais déjà de sa réponse. Mais si j'avais besoin de prendre du temps, de faire quelque chose qui me plaise, je ne savais absolument pas comment aborder la chose.

A la demande Glinaina de prendre du vin plutôt de du thé, Andréa lui répondit par un gémissement de satisfaction. Enfin, elle se montrait un peu moins sage ! Il lui servait toujours des thés de qualité et différents à chaque fois mais, si cela contribuait à la détente, c’était fort peu récréactif. Après avoir posé le manteau, il se dirigea vers le meuble des alcools, laissant la souveraine s’installer toute seule. Elle connaissait les lieux après tout. Et cela fonctionna. Elle prit l’initiative d’aller s’asseoir sans même se l’être vu proposer. Un sourire en coin se dessina sur les lèvres de l’elfe blanc tandis qu’il sortait les verres.

Quelques instants plus tard, Andréa tendait un verre rempli non pas à la manière d’un soiffard (pas plus haut que le bord !) mais d’un spécialiste, avec seulement quelques gorgées à déguster. Il avait quelques bons crus à la fois parfumés et agréable en bouche. Il se servit ensuite son propre verre, posant la bouteille sur la table basse.

-Je suppose que si je vous demande comment vous allez, vous allez rediriger la conversation sur moi, Andréa ?

Le maître des lieux lui adressa un sourire en coin. Elle commençait à bien le connaître. Habituellement, il ne parlait pas de lui mais la méfiance de la reine était telle qu’il avait consenti à livrer quelques petites choses de lui. Cependant, il reportait vite la discussion sur elle : Elle était le centre de son attention après tout, et ce n’était pas lui qui avait du mal à se détendre.

-Je vis mes plaisirs chaque jour donc je vais très bien, je te remercie. Répondit-il simplement. Passant devant elle pour aller s’asseoir, il s’arrêta juste avant de la dépasser et tendit une main vers son visage. Dans une caresse, il souleva doucement le bas de sa mâchoire afin de voir ses yeux. Mais j’irais beaucoup mieux si tu te décidais à me tutoyer, mon coeur.

Il lui avait laissé l’opportunité d’y venir d’elle-même mais cela faisait la quatrième fois qu’ils se voyaient et elle continuait à lui parler comme à un étranger. Lui qui savait désormais tant de choses sur elle… Non pas sur les tragédies de sa vie mais sur ses joies, ses goûts… Ses désirs peut-être bientôt. Alors il jugeait qu’il était peut-être temps qu’il l’y invite.
Il lui adressa un doux sourire puis relâcha son étreinte dans une seconde caresse. Il se redressa et vit ses pieds déchaussés. Il ne cacha pas son amusement puis passa devant elle, évitant soignement de lui écraser un orteil tout en prenant une posture d’équilibre toute féminine. Retrouvant son siège, il s’y installa avec un soupire d’aise.
Il observa la jeune femme quelques instants. Il n’avait même pas réalisé qu’il l’avait appelé “mon coeur” au lieu de “trésor”. Pour lui, de base, tout le monde était “trésor”. Ensuite, il avait toujours des petits sobriquets à donner à ceux qu’il appréciait vraiment mais, “mon coeur”, c’était la première fois que cela lui venait en dehors d’une relation amoureuse.

-Tu m’as l’air mélancolique aujourd’hui. Je me trompe ?

Elle n’était pas obligée de lui répondre, ni d’entrer dans les détails, et elle le savait très bien. Il ne l’avait jamais forcée à quoi que ce soit, il n’y aurait aucun plaisir… De la main qui tenait son verre, il pointa Glainaina du doigt. Son regard semblait la sonder en même temps.

-Hm… Je remarque que tes épaules sont un peu moins crispées que d’habitude. On dirait que mes massages commencent à te faire de l’effet.

Il sourit en coin, laissant planer volontairement la tournure de sa phrase qui pouvait être prise au sens propre comme figuré. Ayant toujours été très sobre dans ses contacts physiques avec elle, il y avait peu de chances que lui soit né un désir soudain pour lui. Ou alors, elle aurait été vraiment en manque et il aurait eu un bien mauvais instinct pour ne pas le voir...

Si sa réponse ne m'étonnait que trop peu, le fait qu'Andréa me caresse le visage était tout l'inverse. Je ne savais ni quoi dire, ni quoi faire, et ce "mon coeur" m'était trop inattendu et étranger pour que je comprenne vraiment ce que mon vis-à-vis pouvait bien vouloir dire par là. C'était la première fois qu'il m'appelait autrement qu'Aina ou Trésor. Une fois qu'il se fut assis, je repliais instinctivement mes jambes de sorte à ce que mes pieds soient calés sous mes cuisses. J'étais à l'aise ainsi.

"Tu m’as l’air mélancolique aujourd’hui. Je me trompe ? Hm… Je remarque que tes épaules sont un peu moins crispées que d’habitude. On dirait que mes massages commencent à te faire de l’effet."

Je hochais la tête sur le côté, plus par rapport à sa remarque qu'à sa question. Oui, ses massages me faisaient du bien... mais était-ce cela qui me faisait paraître moins tendue à ses yeux ? Je n'en savais strictement rien. Peut-être avais-je juste suffisamment réussi à penser à autre chose depuis que j'étais sortie du conseil que les autres jours. Pour la question, je dus réfléchir un peu avant de lui répondre.

"Je le suis... pour la mélancolie. Pour les massages aussi, c'est vrai qu'ils me font du bien. Disons qu'après une journée peu agréable j'avais besoin de... comment dire..." Je grattais sans vraiment m'en rendre compte mon crâne d'une main. "J'avais besoin de faire complètement autre chose, de prendre du temps pour moi, comme vous hum... tu le dis. Aussi je suis venue."

Mon sourire était presque désolé : je n'avais jamais aimé considérer une personne comme une option. Je me penchais pour prendre le verre de vin posé sur la table, fit discrètement tourner le liquide dans le verre, en sentit les bonnes odeurs et enfin y trempais les lèvres. Il était bon. Très raffiné. Je levais le verre vers mon hôte pour le lui signifier avant de m'adosser contre le dossier du fauteuil, le récipient tenant dans mes deux mains entre mes jambes. Je regardais distraitement Andréa, plongée dans une pensée liée à sa question. Etais-je mélancolique ? Oui, on pouvait dire cela comme ça. Avais-je besoin de quelque chose, à part un verre de vin ? Oui...

Je sortis de mes pensées au son de la voix d'Andréa. Lisant en moi comme dans un livre ouvert, ce qui était perturbant, il me demandait avec sa douceur habituelle s'il y avait quelque chose que je souhaitais dire, ou si j'avais besoin de quelque chose... Je me mordis les lèvres. Oui ? Non ? Peut-être ? Allez Aina, tu en as besoin, arrête d'être timide ! Même si ce n'est pas ton ami... c'est d'ailleurs parce qu'Asgëril n'est pas là que tu en as besoin, non ? Allez, ma grande... vas-y, il n'y a pas de mal à cela, normalement. Normalement.

"Je..."

N'arrivant pas à trouver les mots et ne me voyant pas faire la demande, je finis avec un soupir par poser le verre sur la table et me lever. Puis m'approcher de lui. Avec une once d'hésitation je m'asseyais à côté d'Andréa et me blottis contre lui, appuyant ma tête contre son épaule. Sans rien dire.

Oui, un câlin. Un simple câlin. J'en avais vraiment besoin.

Aina admit ce qu'il savait déjà. Cela n'était peut-être rien aux yeux de certains mais, étant donné la lente progression de leur relation, c'était beaucoup aux yeux d'Andréa. Après tout, elle reconnaissait ne pas être au mieux. Avouer ses faiblesses n'avait pas été chose facile pour la dame jusque là. Et la voir accepter l'idée qu'il puisse lui faire du bien, même au travers d'un simple massage, c'était un pas en avant vers l'objectif même de leurs rencontres : qu'elle parvienne à se détendre, à se libérer de son quotidien, à travers lui.
Les paroles suivantes surprirent un peu l'elfe blanc qui se montra intrigué par le sens caché de ses mots. Elle n'avait pas besoin de le dire pour qu'il comprenne qu'elle avait besoin de plus aujourd'hui... Elle en avait conscience, ce qui était un bon point, et elle était venue le voir dans cette optique, ce qui était encore mieux !

Tenant son verre en hauteur, Andréa l'observa un moment tandis qu'elle tentait une fois encore d'esquiver ses propres désirs en dégustant son vin. Après un long silence lourd de sens, il profita d'une seconde où la reine le regardait pour plonger ses yeux dans les siens.

-Je suis là pour toi, Aina. Mais je ne peux pas t'aider si tu ne me dis pas de quoi tu as envie.

Il vit alors toutes les réponses possibles et imaginables défiler dans les yeux de la jeune femme. Sa première pensée était qu'elle avait effectivement besoin de quelque chose et, même si elle chercha à se raviser presque aussitôt, la voir ainsi commencer à lutter pour accepter de s'écouter le ravit intérieurement. Finalement, après un long silence et une tentative morte née de formuler une phrase, Glinaina posa son verre et se leva. Andréa l'observa se mettre debout et s'avancer vers lui sans un mot. Lorsqu'elle s'assit à ses côtés, il lui adressa un sourire satisfait. Jamais encore elle ne s'était autant approchée de lui, outrepassant le politiquement correct, franchissant les limites de l'intimité. Et puis... Elle se pencha et vint se blottir contre lui.
L'elfe blanc fut certes surpris mais il réagit aussitôt en appliquant une main sur son épaule. Puis il posa son verre sur le guéridon à proximité et usa de ses bras pour envelopper totalement la jeune femme qu'il sentait soudainement si vulnérable.

-Oh, Aina... Dit-il tendrement.

Il déposa un baiser sur le sommet de son crâne avant d'y placer sa joue, l'enserrant dans une douce étreindre. Si c'était ce dont elle avait besoin, alors c'était ce qu'il lui donnerait. Il n'était pas de ce genre d'homme qui en profiterait pour obtenir davantage. S'il était vrai qu'il vivait pleinement ses désirs, ce n'était pas en allant à l'encontre de ceux des autres pour autant. De plus, obtenir un câlin d'Aina, c'était déjà plus que ce à quoi il s'attendait.

Ils restèrent ainsi de longues minutes, sans que l'un ou l'autre ne rompe le silence qui les entourait. Et puis, la voix d'Andréa raisonna à nouveau. Douce, faible, comme un murmure. Il fredonnait un petit air aussi paisible et doux que cet instant. Lorsqu'il en eut achevé la mélodie d'un couplet, il entonna les paroles qui l'accompagnait. C'était un chant elfique connu mais assez peu usité. S'il n'avait jamais vécu en Anaëh, l'androgyne n'était pas pour autant ignorant de la culture de son peuple. La chanson était une comptine attendrissante sur une petite fille qui observait une fleur s'ouvrir lentement à la lumière du jour pour grandir toujours plus et s'épanouir jusqu'à devenir aussi radieuse que les rayons du soleil eux-mêmes. Ce n'était qu'à la fin du dernier couplet que l'on comprenait qu'en réalité, cette fleur n'était autre que le reflet de la petite fille traversant les ans sous le regard bienveillant des siens pour devenir une ravissante jeune femme. Outre la mélodie et la tournure des phrases, Andréa l'aimait beaucoup pour cette idée que l'on ne pouvait pleinement s'accomplir et s'épanouir qu'avec l'attention que les autres nous portaient. Cette attention dont Aina manquait ou qu'elle mettait de côté à cause de ses obligations. Cette attention qu'il voulait lui offrir, sans contrepartie aucune. En effet, elle était la seule cliente dont il n'avait jamais fait régler les séances car elle était celle qui en avait sûrement le plus besoin dans toute cette ville... Et celle qui pourtant ne voulait pas en bénéficier.

Tout en chantant, les mains de l'elfe s'étaient mises à caresser tendrement le tissu qui se trouvait sous ses doigts comme on caresserait quelqu'un pour le consoler. Sa voix était à son image : aussi douce que ses gestes efféminés et pourtant rugueuse par moment, comme pour rappeler que, malgré les apparences, il restait un homme. Simplement, un homme avec une attention et une bienveillance toutes féminines.

Que pouvais-je bien vouloir, exactement ? Je n'en savais rien. Un câlin. Juste un câlin. Mais quoi comme câlin ? Juste poser ma tête contre lui ou bien avoir des bras pour m'entourer ? Sotte question à laquelle je n'avais aucune réponse... pas besoin de quelque chose de grandiose, je dirais. Alors je fermais les yeux, appréciant le contact chaud du corps d'Andréa contre le mien. Quand je sentis ses bras m'entourer, instinctivement je me blottis contre lui, petite fille cherchant du réconfort entre les bras de son paternel. Paternel qui me manquait, d'ailleurs...


"Papa, regarde !"

Sous le couvert de deux yeux emplis d'amusement autant que d'attention, l'enfant montrait du doigt avec un immense sourire la fleur qui était prête à éclore. Se laissant tomber à genoux dans l'herbe fraîche, la petite blondinette penchait sa tête vers la fleur, suivant les paroles de la chanson sans s'en rendre compte. Qu'elle était impatiente de voir cette création de Kÿria fleurir ! Et qu'elle était impatiente de grandir, elle aussi ! Se doutait-elle des nombreux vents qui souffleraient durement sur la feuille de son Souffle ? Oh que non, la douce Mère lui en était témoin. Encore toute jeune, la petite fille s'émerveillait devant cette fleur qui laissait ses pétales s'ouvrir un à un. Et ces pétales, tous portaient un nom : Drows ; Namarië ; Peur ; Famille ; Devoir ; Casoair ; Voyage ; Guerre ; Combat ; Glenn ; Naelis ; Sang ; Ust'kor ; La Blanche ; Boldjiv'elg ; Liberté ; Aldarian ; Ehleria ; Mort... et toutes encore n'avaient pas encore éclos. Si seulement elle décidait de rester en Anaëh, d'entrer dans l'armée en tant qu'archère, comme sa mère, que se passerait-il ? Ce sourire si innocent reviendrait-il un jour, loin du poids d'une cité humaine ?



Je bougeais un peu pour me blottir encore plus contre Andréa. Pas que la main parcourant mon dos me dérangeait plus que de raison. Mais cette chanson, je la connaissais bien, ma tante me la chantait pour me rassurer lorsqu'arrivait la nuit. Et entendre ma langue natale...

Une première larme coula sur ma joue. D'autres suivirent, réchauffant mon visage sans que je ne cherche à les arrêter. Je préférais les sentir couler le long de mes joues, ne me rendant pas compte qu'elles finissaient par atterrir sur la robe d'Andréa, plutôt que d'éclater en sanglots. En fait, ce qui me manquait, ce dont j'avais besoin... c'était cette petite fille qui était toujours au plus profond de moi.

A mesure que Glinaina venait se coller un peu plus contre lui, Andréa resserrait doucement son étreinte sur elle. Fragile. Oui, c'était bien le terme qui la décrivait en cet instant. Il avait l'impression de tenir contre lui une enfant qui avait besoin d'être consolée, rassurée. S'il n'en montra rien, il ne manqua cependant pas de remarquer les quelques gouttes venues s'écraser sur les pans de sa robe et sur sa manche. Il eut un sourire doux en comprenant qu'elle se laissait aller dans ses bras, et pas de manière dont ses clients habituels aimaient à le faire.
Lorsqu'il eut achevé sa chanson, il en trouva aussitôt une autre. Même si elle restait dans le thème de l'enfance, celle-ci était plus joyeuse. Elle racontait l'histoire de deux garçons qui passaient leur temps à se faire des farces dont certaines étaient à la fois amusantes et touchantes aux yeux des adultes. Pourtant, leurs parents les grondaient, plus pour la forme que pour le fond, ce qui ne l'es empêchaient pas de recommencer dès le lendemain. Andréa se plut à modifier son intonation pour imiter la voix des protagonistes mais aussi à marquer quelques brefs arrêts pour accentuer les effets de suspens ou d'humour. C'était comme si la scène se déroulait sous ses yeux. Lui-même était amusé de s'imaginer ces petits garçons tour à tour tapis dans l'ombre pour surgir d'un coup afin d'effrayer leur camarade ou se frayer silencieusement un chemin jusqu'à ses affaires pour y placer son piège. Mais, encore une fois, cette chanson avait une morale. Ces deux garçons ne se le disaient jamais mais ils s'aimaient comme des frères. Et l'on embête jamais personne mieux que ses frères et sœurs...

Se tirant de son propre songe éveillé, il baissa les yeux vers Aina. De là où il était, il ne pouvait pas voir son visage, bien sûr, mais il remarqua que sa robe n'était pas plus humide qu'avant sa dernière chanson. Il s'était donc apaisée et il sourit. Avec douceur, il se dégagea de son étreinte et se leva. Debout face à elle, il tendit une main dans sa direction.

-M'accorderas-tu cette danse ?

J'ouvris les yeux, surprise de sentir mon hôte bouger. Déjà. M'étais-je endormie ? Etait-il temps que je parte, qu'il accueille un client prévu ? Je le regardais, tout en essuyant d'une main les traces des larmes qui avaient coulé plus tôt le long de mes joues. Je ne m'attendais pas spécialement à ce qu'il se retourne pour me proposer une danse, aussi ma première réaction fut de regarder sur le côté avant de tendre une main docile vers Andréa. Avoir pleuré m'avait fait un peu de bien mais m'avait vidée d'une partie de mon énergie. Ce fut donc avec une certaine timidité que je le laissais poser une main délicate sur ma taille alors que l'autre tenait toujours la mienne. Automatiquement je posais ma main libre sur son épaule, même si je ne savais aucunement quelle pouvait être la danse qu'il avait en tête. Pour tout dire, je m'attendais à ce qu'il me demande ce que je souhaitais danser ; cela lui aurait bien été. Mais non : ce fut lui qui mena la danse, avec des pas simples, lents et souples. Je me calais sur lui, reconnaissant sans trop de problème la danse, et me laissant emporter par le chant qu'Andréa entonnait. Trois pas en arrière, trois pas en avant, appui sur la pointe des pieds, pas de valse, arrêt et la cavalière se laisse à faire trois tours sur elle-même, guidée par la main du cavalier. Et on recommence la même chose tout en bougeant dans l'espace de danse, avec à certains moments les trois tours en moins, sans jamais coller les corps. Espace un peu petit mais raisonnable où nous étions, dans la zone "lit" de cette chambre.

J'étais à l'aise en danse. Avec un compagnon plutôt bon danseur, cela devenait même un passe-temps agréable. Avec Glenn, j'avais plusieurs fois ri. Il m'avait fallu l'accommoder à cet art plus qu'il ne l'était déjà, une fois que nous étions mariés... il n'avait pas été l'homme le plus doué en ce domaine... surtout du point de vue d'une fille d'Ardamir, même si mes parents étaient tous deux soldats. Et là, dans cette chambre, le petit plus qui me manquait était une robe. J'adorais voir le bas de la robe tourner au gré de la danse... Ironie de la situation, c'était le cavalier qui portait la robe et moi le pantalon. A croire que les rôles étaient inversés pour l'occasion, ce qui avait tout de même sa beauté. Cela ne me dérangeait pas, au contraire même cette pensée m'arracha un sourire en coin que mon hôte remarqua certainement. Un sourire à la fois amusé et mélancolique.

Fin de la danse. Répondant à la coutume, je m'inclinais légèrement face à mon partenaire, un sourire un peu faiblard sur les lèvres mais des plus sincères. Avec toujours cette couche de timidité, due au fait que je n'étais plus habituée à demander ce genre de choses, j'osais demander une seconde danse à Andréa.

"Je sais que... tu n'as pas vécu en Anaëh mais connaitrais-tu une danse ardamirie ? A tout hasard... Si besoin, pour l'air, je peux toujours chanter..."

Non, nulle visite prévue pour venir troubler ce moment. Et quand bien même, la priorité allait à la personne qui se trouvait déjà sur place. On n’interrompait pas une séance quoi qu’il arrive et même si elle n’était pas planifiée. Et les clients comprenaient. Eux-mêmes ne voudraient pas être stoppés alors que qu’ils achevaient de se rassasier de leur plaisir ou que leur orgasme était proche. Il y avait de quoi ruiner tout le bienfait du temps passé avec leur hôte. Andréa était donc tout à elle et aussi longtemps qu’elle en aurait besoin.
L’androgyne choisit une danse où les contacts entre les deux danseurs se réduisaient au minimum. Pas de collés-serrés, pas d’étreinte, pas de gestes tendancieux, ni même d’effleurement de leurs deux poitrines. Ce fut une danse très chaste. Quant à la chanson, elle se voulait plus légère encore que les précédentes. Celle-ci parlait d’une femme amoureuse d’un homme mais leur histoire faisait parler tout le quartier parce que…

Elle l’aimait...
Même s’il était un peu simplet !

L’homme faisait plein de petites bourdes et ne comprenait pas toujours ce que sa compagne essayait de lui dire. Elle l’avait dû l’éduquer, autant pour les relations sentimentales, que pour la chaire ou savoir se faisaient les enfants. Ainsi, au prix de longs mois, elle était parvenu à lui faire comprendre qu’il devait lui offrir des bouquets de fleurs et non de poireaux en se disant qu’au moins elle pourrait les mettre dans sa soupe. Elle était parvenu à faire de leurs étreintes des moments de plaisir, mais en lui disant chaque fois ce qu’il devait faire pour s’occuper d’elle correctement. Elle était même parvenu à faire en sorte qu’il la demande en mariage, même s’il n’avait pas vraiment réalisé que c’était ce qu’il était en train de faire…

Elle l’aimait…
Même s’il était un peu simplet.

Finalement, après des années de vie commune, elle commença à se lasser un peu de son époux et à faire les yeux doux à un autre qui se trouvait être plus audacieux et plus habiles. Elle aimait qu’il la surprenne sans avoir besoin de lui dire ce qu’il devait faire pour la faire gémir. Jusqu’au jour où ce fut son mari que les surprit à demi-nue dans la grange… Elle commença à lui dire que ce n’était pas ce qu’il croyait. Et lui de répondre : “Il est pas en train de regarder si tu as un bouton ?” Abasourdie, elle répondit “oui oui” et son mari partit, les laissant continuer ce qu’ils avaient commencé.

Elle l’aimait…
Parce qu’il était un peu simplet.

Là-dessus, la chanson s’acheva et ils se saluèrent. Aina avait souri pendant qu’ils dansaient mais il ne sut si c’était l’histoire qui l’amusait ou autre chose. Lui en tout cas avait pris grand plaisir à partager ce moment avec elle. Il aimait également le comique de la chanson qu’il avait sélectionné. Elle était bien tournée avec des rimes bien choisies et un rythme adapté à son contenu.
Alors s’apprêtait à devoir trouver une autre mélodie ou ramener Aina à l’espace salon, cette dernière le surprit en lui proposant une danse d’Ardamir. Il sourit en la voyant proposer spontanément quelque chose qui lui faisait envie, satisfait par sa démarche. Il répondit sans rien cacher de son enthousiasme.

-Hélas non mais je serais ravi si tu voulais bien me montrer. J’apprends très vite.

"Ah..."

Je me mordais les lèvres, un peu gênée, ou plutôt ne sachant pas tout à fait comment me placer. J'avais envie de danser, cela me faisait toujours un bien fou, et la petite fille qui existait encore au fond de moi ne demandait qu'à ressurgir. Juste une fois. Je m'écartais un peu de mon partenaire, réfléchissant un instant, puis finit par lui expliquer ce que j'avais en tête.

"C'est une danse simple. Le principe est de tourner sur quatre pas vers la gauche, se séparer d'un pas en arrière, revenir d'un autre pas ensemble, ils tournent à nouveau ensemble puis le cavalier fait faire deux tours à la cavalière sur elle-même. Puis on recommence. La seule difficulté est de suivre le rythme qui évolue au fil de la chanson."

Je me rapprochais à nouveau d'Andréa, prête à mettre ma main dans la sienne et la seconde sur son épaule pour lui montrer comment il fallait faire. Une fois, deux fois... il avait compris quels étaient les pas et étapes de la danse, aussi je me permettais de commencer à chanter à partir du troisième cycle. C'était l'histoire d'une dryade vivant non loin de la frontière, vivant auprès de l'arbre auquel elle était liée. Puis un jour un humain entra dans la forêt et l'entendit chanter. Subjugué par sa voix, il revint plusieurs fois et finit par la désirer... Elle qui ne pouvait expliquer pourquoi elle ne pouvait pas quitter la forêt, il abattit l'arbre auprès duquel elle restait et l'emmena au-delà de la frontière afin d'en faire sa femme. Pauvre être doux et innocent, la dryade ne survécut pas à la séparation à la fois de son arbre, à la fois de la forêt qui l'avait vue naître. Elle tomba pour ne jamais se relever, autrement qu'en devenant une magnifique fleur que l'humain ne pouvait plus trainer. Cette chanson contenait deux leçons : faire la différence entre aimer et désirer, et prendre garde aux désirs humains. Cela me rappelait la première fois que j'avais appris cette danse à Glenn, où j'avais chanté la même chanson - de toute façon je n'en connaissais pas énormément. Il s'était interrogé sur le pourquoi de mon chant... cela avait ensuivi une discussion entre nous, une mise à plat quant à notre amour naissant. Un moment de discussion comme je les aimais bien.

Au fur et à mesure que je chantais, je me laissais inspirer par les paroles et toute la mélancolie que pouvait provoquer cet acte que de chanter dans ma langue natale tout en dansant une danse traditionnelle. Les paroles revenaient d'elles-mêmes, pas besoin de réfléchir avant de les laisser s'échapper de ma bouche. Plongée dans mes souvenirs, je ne faisais pas attention au fait que nous nous rapprochions de plus en plus au fil de la danse. Ou bien m'en rendais-je compte ? Je ne savais pas. Quoi qu'il en soit, après un dernier tour sur moi-même, je me retrouvais accolée contre lui, buste contre buste et yeux dans les yeux. Mes lèvres se fermèrent alors, la chanson désormais terminée. De même, nos pas s'arrêtèrent. A nouveau je sentis la fatigue morale m'assaillir et le besoin d'affection qu'elle provoquait. Mon regard bloqué dans celui d'Andréa, j'étais incapable de faire quoi que ce soit... ou, plus précisément, de savoir ce que je voulais.

Car une partie de moi aurait dû se sentir mal-à-l'aise d'être si proche de quelqu'un.
Car une partie de moi me criait de ne plus être la mère de tout un peuple mais de redevenir l'adolescente qui ne désirait qu'apprendre et découvrir.
Car peut-être que mon esprit n'osait pas se l'accorder, tout simplement.

Andréa comprit bien vite ce qu'il avait à faire pour respecter la chorégraphie que lui expliquait sa partenaire. Mieux encore que cela, en danseur et musicien d'expérience, il devinait le rythme de la mélodie qui l'accompagnait. Il imaginait une chanson lente et douce à l'oreille. Mais il n'eut pas besoin de l'imaginer très longtemps... Pour son plus grand plaisir, la voix d'Aina se vit à raisonner dans la pièce. Un sourire satisfait se dessina sur le visage de l'androgyne tandis qu'elle entamait ce chant qui venait de loin et qu'il ne connaissait pas encore. Il était ravi de voir la jeune femme assez à l'aise avec lui pour lui dévoiler sa voix. Une voix qu'elle avait très belle d'ailleurs...
Au fur et à mesure que la mélodie progressait, Andréa intégrait les pas si bien qu'il n'avait plus besoin de réfléchir pour les réaliser. Il observait donc la souveraine avec un peu plus d'attention, écoutant le chant dont elle le gratifiait pour mieux en interpréter toutes les nuances. Peu à peu, elle sembla partir dans son monde, dans sa petite bulle bien à elle, et sa voix hésitante s'affirma, prenant de plus en plus de charme à son oreille. Elle dansait sans s'apercevoir qu'ils se rapprochaient davantage à chaque séquence. Lui le voyait mais il ne fit rien pour l'empêcher en sachant que cela perturberait peut-être Aina lorsqu'elle s'en rendrait compte. Ce serait pire qu'elle s'en aperçoive maintenant alors qu'elle se sentait si bien...

Andréa découvrait une nouvelle facette de la reine qu'il n'avait encore jamais vue. Elle était calme, posée, détendue. Il parvenait à s'imprégner tant de sa douce voix que de ses gestes gracieux. Il réalisa alors qu'en lui s'éveillait quelque chose qu'il n'avait plus ressenti depuis longtemps. Contrairement à la majorité des gens, il n'était pas du genre à détourner les yeux ou à ignorer ce qui l'habitait. Ce serait aller à l'encontre de son mode de vie. Il savait reconnaître lorsqu'il se trouvait sous le charme... Sans même y prêter attention, ses mouvements se firent plus doux encore que d'ordinaire, évoquant désormais la tendresse.

Par sa fragilité dissimulée et sa détresse, elle avait touché son âme.
Par sa douceur et sa grâce, elle venait d'atteindre son cœur.

La chanson prit fin et Aina scella ses lèvres. Elle était tout contre lui et il ferma délicatement ses bras autour d'elle. Elle aurait pu s'échapper sans le moindre effort, il n'avait jamais retenu personne. Cependant, il priait Arcam pour qu'elle n'en fasse rien. Il lisait dans son regard l'incertitude qui était la sienne. Ce n'était pas à lui de brusquer les choses. Il avait œuvré durant tant d'heures pour en arriver au peu de confiance qu'elle voulait bien lui accorder, il n'allait pas prendre le risque de tout gâcher en tentant sa chance. A l'image de cette chanson, il ne mettrait pas son désir avant tout le reste. Malgré cela, il ne pouvait s'empêcher de la couver d'un regard nouveau...

Finalement, après un moment, l'une de ses mains remonta jusqu'au visage de la belle, effleurant sa joue du revers de ses doigts. Sa voix perça le voile du silence qui venait de s'installer dans la pièce. Elle se fit murmure pour n'être entendue que d'Aina seule de manière à ne pas briser la magie de cet instant.

-Si tu voulais m'envoûter, c'est chose faite...

Il fallut qu'il eut ce geste, un mouvement dérangeant la bulle dans laquelle j'étais emprise, pour que mon esprit s'éveille à autre chose que juste ses yeux. Ses yeux étaient beaux, certes, mais... son regard. Il y avait des émotions dans ses yeux, un mélange auquel je ne m'y attendais absolument pas, que mon esprit se refusait à lire, qui me laissait des plus pantoises. Je n'arrivais à le lire. Et pourtant, mes sens commençaient à s'éveiller pleinement, si bien que je ressentais désormais nos souffles se mêlant ainsi que son bras enserrant ma taille. Mon coeur battait plus que d'habitude, me désorientant.

"Si tu voulais m'envoûter, c'est chose faite..."

Souffle fragile, parole caressant aussi agressivement que tendrement mes fines oreilles. Qu'ai-je fait ? Ce regard... mélange d'amour et de tendresse. Différent des autres fois, différent de tout à l'heure. Mon coeur qui bat, fort. Très fort. Ma respiration qui se fait un peu plus rapide alors que mon esprit, toujours, essaie de comprendre où il se trouve, dans quelle situation et comment réagir. Le tout en étant aussi dénuée d'énergie qu'après ce câlin où je m'étais mise à pleurer. Il aimerait bien... mais il attendait une réponse de ma part.

Je n'étais pas prête. Ou pas. Je n'en savais rien. Je voulais fermer les yeux mais n'y arrivais pas. Je voulais me retirer tout en me réconfortant dans cette chaleur qu'Andréa me donnait de par sa présence. De l'amour, de la douceur aussi. Quelque chose qui me manquait tellement... Non, aimer était un art, se donner et accepter l'autre entièrement, pas s'approprier une personne juste parce qu'une partie manque. Cela, en quelque sorte, était du désir. Ressentais-je du désir ? de l'affection ? de l'amour même ? ou autre chose ? J'essayais de fermer les yeux, de comprendre, de ressentir, de laisser mon cerveau se décider sur ce qu'il voulait. Mais non, j'étais toujours bloquée sur ses yeux si clairs, contemplant un regard plus perçant que je ne l'avais jamais imaginé. Comme s'il m'avait jeté un sort.

"Je crois que c'est moi qui suis envoûtée..."

Ce fut la seule chose que mon corps réussit à faire, à savoir si mon esprit était derrière cela ou non. Un murmure, un seul, dans le plus simple des pragmatismes, sans tonalité particulière. Je ne me rendais même pas compte que ma main s'était réfugiée sur son torse.

Dans un discret soupir de soulagement, un sourire se dessina sur le visage d'Andréa. Un sourire où se mêlaient le bonheur et la tendresse. Il sentait sa main sur son torse si largement découvert que quelques phalanges reposaient à même sa peau. Une peau douce et veloutée. Il prolongea la caresse sur sa joue à l'aide de son pouce. Puis, son index et son majeur suivirent le contour de sa mâchoire pour se glisser sous son menton. D'une infime pression, il l'invita à relever un peu la tête. Puis il se pencha de manière presque imperceptible au début. Son regard ne quittait plus celui de la souveraine... jusqu'à ce que la proximité l'y oblige. Là, ses paupières se fermèrent tandis qu'il continuait sa lente progression, ses lèvres se dirigeant vers celles de la belle avec l'intention d'y déposer un doux baiser.

Si elle avait su créer quelques étincelles dans son cœur au fil de leurs séances, elle venait de les transformer en flamme. Une flamme belle, douce mais aussi fragile. Elle pouvait décider de se laisser aller à cet instant pour la rendre plus forte ou bien de encore l'éteindre pour n'en laisser que des braises... Ce choix lui appartenait et jamais il ne lui en tiendrait rigueur. Il ne saurait lui forcer la main si ce n'était pas ce qu'on son cœur désirait vraiment.

S'il y avait un temps pour tout, alors ce dernier ne devait pas savoir où se placer en cet instant précis. Ou, peut-être, avait-il juste décidé de s'arrêter. Un coeur battant fort sous ma poitrine, l'autre se faisant ressentir sous mes doigts. Deux regards ne pouvant se décrocher l'un de l'autre, jusqu'à ce que la distance ne les y force. Le silence, la noirceur des yeux se fermant. La fragilité d'une jeune femme sortant à peine de l'adolescence. L'étonnement, l'incertitude, le questionnement. Mon esprit qui tente alors de réfléchir à toute allure, de savoir ne serait-ce que comment réagir, ne serait-ce que si, finalement, je devais quitter les bras d'Andréa ou plonger un peu plus dedans. La respiration lourde, saccadée... de celle qui a peur.

Les questions s'enchainaient dans ma tête : voulais-je partir ? voulais-je rester ? voulais-je être avec lui ? l'aimais-je ? étais-je prête ? Peut-être, peut-être et encore peut-être. Je n'en savais rien, absolument rien. Pas de non, un seul oui. Oui, j'étais bien auprès de lui, j'étais bien entre ses bras. Partir avant qu'il ne soit trop tard ou rester pour l'éternité, si infime soit-elle. Se décider. Tout simplement.

Le contact de lèvres chaudes sur les miennes, la douce sensation de leur toucher à cet endroit tant particulier au regard de nombre de cultures. Quelques secondes, à peine quelques grains de sable dans un sablier. Un tressaillement, les lèvres se séparant... comme si... comme si cela n'était plus que le fantôme d'un passé, une ombre s'éclipsant dans la lumière. Nos souffles se mêlant, l'un attendant que l'autre réponde. Réagisse. Seul un goût amer restait, celui de souvenirs désirant ardemment redevenir réalité. Depuis mes yeux océan, des larmes salées tombèrent sans prévenir. Il ne s'y attendait pas, peut-être pensait-il que cela venait de lui. Son visage se recula, du moins en eus-je l'impression. Sans même réfléchir ma main se posa sur son cou, mes doigts caressant avec timidité mâchoire comme joue, le pouce s'arrêtant à la base de son menton. Ce n'était pas vraiment une caresse... c'était bien plus un appel. Non, ne pars pas. Alors, les questions ne furent plus. Juste le coeur orchestrait le concert de mes émotions. C'est ainsi que mes lèvres rencontrèrent celles d'Andréa, à nouveau, en un baiser chaste et timide. Mais sincère.

Alors, une voix au fond de moi parla. Enfin...

Glinaina aurait pu s’échapper à tout moment des bras de l’androgyne. Il la sentait fébrile, presque effrayée, sans parvenir à se l’expliquer vraiment. Et indécise, aussi. Il ne la retenait pas tout à fait, de par la faible pression que son bras autour de son corps. Elle avait toujours le choix.
Si Andréa avait craint que la souveraine ne se dérobe à son étreinte, elle n’en fit rien alors que son visage de trouvait si près du sien qu’il ressentait la chaleur qui émanait de la jeune femme irradier sa peau. Il déposa ses lèvres sur les siennes dans une caresse. Un baiser furtif qui ne dura que quelques brèves secondes. Elle lui avait répondu, à peine. Puis il resta là, tout près d’elle, s’imprégnant de ce faible contact à présent passé afin d’en savourer chaque nuance. Rouvrant à demi les yeux, il la regarda et aperçut ses larmes. L’elfe blanc en fut un peu surpris mais il savait que les blocages que lui opposaient Aina depuis leur rencontre ne partiraient que difficilement sans heurt. Elle s’était laissée aller à un baiser et il en était déjà heureux…
Il fit mine de s’éloigner pour lui laisser son espace. Elle avait peut-être besoin d’un peu de temps pour accepter ce qu’il venait de se passer. Et il le lui laisserait.

Il ne s’était pas éloigné de dix centimètres que la souveraine l’arrêta d’une main venant au contact de sa peau pour l’effleurer. Une expression de bonheur illumina son visage tandis qu’il comprenait qu’elle ne voulait pas qu’il s’en aille. Puis il la vit s’approcher de nouveau et il ne se fit guère prier… S’il avait le coeur en fête de la voir ainsi céder à ce que son coeur lui commandait, il mesura grandement son enthousiasme dans ce second baiser, lui répondant avec la même intensité qu’elle voulut bien lui donner. Il savait sa chance qu’était la sienne et ne voulait en rien la brusquer par une trop grande ferveur. Mais la tendresse de ce moment le comblait tout autant.

Et la petite flamme dans le coeur d’Andrea de se faire un peu plus grande qu’auparavant…

Lorsque ce second baiser prit fin, l’androgyne profita à nouveau d’un instant de silence sans plus tenter de s’éloigner d’Aina. Puis sa voix ne se fit murmure, tel un souffle échappé.

-Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas ressenti cela…

Une main vint se poser sur la joue de la jeune femme dans une caresse, effaçant une des larmes qui y avait perlé. Ses doigts allèrent jusqu’à se glisser dans sa nuque, se mêlant à ses cheveux.

-Je savais que j’avais un penchant pour toi pourtant… Ajouta-t-il avec un sourire mi- tendre, mi-amusé. Je n’aurais pas pensé qu’il s’éveillerait si tôt.

Andréa se redressa de quelques centimètres. Pas assez pour s’éloigner vraiment mais suffisamment pour pouvoir à nouveau plonger son regard dans le sien.

-Si j’espérais obtenir ta confiance, je ne l’avais pas envisagé de cette manière. Son pouce effleura sa joue avant de revenir à sa place initiale. Mais c’est peut-être encore mieux ainsi.