[Lörn] Tomber à pic | Libre

Troisième ennéade
Eté, Karfias 21:XI

L'atmosphère est très étrange...
Le chant de la Symphonie est doux, appelant à l'apaisement et au repos. Mais il y a quelque chose qui ne convainc pas la petite elfe, accroupie sur une large branche en hauteur. Elle a mis un petit moment avant de comprendre... A s'apercevoir qu'il n'y a que les arbres qui chantent. Les oiseaux et les insectes se sont tus. Pourquoi ?

Depuis son perchoir, le casque abaissé sur son visage, Cilastiel guette en contre-bas. Il doit forcément se passer quelque chose.
Il est surprenant de voir comment la citadine, encore exempte de Souffle trois ans et demi plus tôt, s'est adaptée à son nouveau mode de vie. Elle évolue désormais dans la forêt comme si elle y était née. Elle comprend la Symphonie comme si elle avait toujours fait partie d'elle. Elle capte les changements dans le monde sauvage comme si c'était inné. Ceux qui ont connu l'étrange "Macabre" ne sauraient la reconnaître aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle elle porte si bien son nom : "celle qui renaît de ses cendres".

Les yeux inhabituels de l'Ornedhelle sillonnent entre les branches et les racines, cherchant au sol des traces d'une quelconque présence qui dérangerait les habitants de cette partie de la forêt, ce qui expliquerait le silence qui y règne. Près d'elle, un furet attend. Aux aguets, il sent le changement de comportement de sa compagne. Elle d'habitude si joviale et espiègle est bien sérieuse en cette heure... Il doit donc se passer quelque chose qu'il ne capte pas.
Soudain, un craquement attire l'attention de la frêle elfe. Elle tourne alors sa tête vers ce qu'elle pense être le point d'origine de ce son... Mais il n'y a rien. En revanche, elle croit percevoir un mouvement, plus haut, presque à sa hauteur. Elle lève alors lentement les yeux vers les branches voisines... et aperçoit une masse qui sort de derrière le tronc qui le cachait. On dirait un celmoth mais quelque chose ne colle pas.
Comme s'il avait senti les regards posés sur lui, il oriente sa tête vers l'improbable duo et Cilastiel écarquille les yeux. La créature ouvre sa gueule à quatre fentes pour crier d'un air menaçant en direction de l'intruse puis s'élance dans sa direction. Aussitôt, l'ornedhelle attrape le furet dans ses bras et se jette dans le vide. L'instant d'après, elle disparaît dans les ombres... juste au moment où la Trame décide de faire des siennes.

~~~~~~~~~

A quelques kilomètres de là, une masse semble sortir de nulle part, non loin d'un chemin tracé par les Taledhels. Alors qu'elle est apparue à plusieurs mètres de hauteur, elle s'écrase sur le plancher de terre, de mousse et de feuilles dans un bruit sourd, accompagné d'un cri étouffé.

Sonnée, Cilastiel peine à ouvrir les yeux et plus encore à les maintenir ouverts, avant de sombrer dans le noir. Le furet -qu'elle tient encore dans ses bras et qu'elle a protégé de son corps dans sa chute- s'anime presque aussitôt. Il quitte son étreinte et reprend sa forme originale. Un visage elfique doté de cornes au milieu de sa courte chevelure blonde se penche sur elle. Il hésite pas poser ses mains sur son corps inerte. Il est effrayé... inquiet... et ne sait pas quoi faire pour l'aider.

La saveur lointaine d’un sang passé. Les espoirs naïfs d’un monde nouvellement né. Les deux sentiments contraires cohabitent ici dans un équilibre précaire, alors que petit à petit, les pouvoirs de l’Estel rendent au Lörn sa gloire passée.
Perché sur une haute branche d’un arbre aux dimensions dignes d’Anaëh, tu détaillais de ton regard changé ce paysage changeant. Là-bas les flots mouvants de la Mer du Nord. Là-haut les neiges montagnes d’Almis rongées par l’été. Ici, la Prime-Œuvre retrouvant sa Voix.

Respirant lentement, te laissant bercer par l’étrangement paisible pulse de ce petit coin de monde, tu te laisses aller à imaginer les événements ayant secoué ces lieux, il y a maintenant des Cycles de cela. Les runes brillant sur les haches naines, offrant leur dévastateurs pouvoirs aux fiers guerriers arrachés à leurs montagnes. Les sorciers elfes tendant l’oreille à la Sylve en colère, et maudissant ceux qui impunément osaient la menacer. Deux peuples se faisant face, la déception en travers de la gorge, persuadés d’avoir été trahis, après de longs siècles de coexistence, par ceux à qui ils avaient la sensation d’avoir trop confié.

Tu respires lentement, mais ton cœur se laisse emporter. L’anneau d’or entourant tes iris brille d’une larme retenue, reflétant le soleil couchant, et un sourire mélancolique se dessine sur ton visage. Tu pensais t’y être fait, mais deux décennies ne sont finalement pas grand-chose devant les siècles que tu as passé presque Sourd. Il est difficile parfois, de se rappeler d’à quel point ce que chante Liltalaïma peut être lointain. De ne pas se laisser envahir par des affects d’un autre temps. De ne pas se perdre dans des sentiments qui ne sont pas tiens. Surtout lorsque la journée s’était parfois faite un triste rappel des raisons ayant pu vous mener là.
Alors quitte à te laisser emporter par la fausse quiétude animant les Chants, tu te raccroches à celle de la Trame. À cette image du vivant que seule toi connaît, et à tous ces ersatz de cœurs, battant en harmonie jusque là où porte le regard.

Ta poitrine est animée d’un sursaut et ton front se plisse brusquement. D’un bond, tu quittes ton perchoir avant de t’élancer à pas de course à travers le Lörn. Tes longues jambes avalent la distance à toute vitesse, tandis que déjà, avant même que tes yeux ne voient ce que tu cherches, ton sceptre te danse entre les doigts et entre en résonance avec l’écaille d’Or à son bout, les écailles d’Or dans ton dos, et les flux qui vous entourent.
Quand enfin ton objectif arrive en vue, les aurores dansent déjà autour de toi, et il ne te reste plus qu’à nouer les ficelles de ton sortilège pour que les radiances aillent fleurir autour de l’elfe endormie. Et alors qu’en réponse à ces premiers tours de sceptre, les fractures dans l’os se résorbent, deux de plus ordonnent aux autres tissus de se réassembler et aux plaies invisibles de se  refermer. Tu termines ton approche à pas plus lents, essayant de comprendre la scène qui se jouait devant toi.

Ton visage se referme alors que tu essaies de comprendre le rôle de la nymphe dans ce qui est arrivé à Cilastiel. Innocente ? Coupable ? Témoin ? Tu ne saurais le dire. Car ces créatures ne sont pas simplement faites de chair, d’os et de sang comme vous l’êtes, les lire comme tu lirais un elfe t’est difficile. Au moins pour ce que sa gestuelle affiche, elle ne semble pas chercher à mal. Elle semble effrayée plutôt, inquiète. Oui, elle est inquiète. La chose finit par t’apparaître comme une évidence, une évidence murmurée par les arbres qui vous entourent.

La nymphe s’éloigne de quelques pas alors que tu t’approches, et t’offres un regard hagard quand tu te baisses et prends la petite elfe dans tes bras. Intimidée ou désespérée, tu ne saurais pas vraiment dire ce qui motive ses décisions, mais elle ne t’arrête pas, se contentant de te suivre.

- Ne t’en fais pas. Elle ne risque plus rien. tu confies à la créature avec un doux sourire J’ai fait le plus important. Mais maintenant il vaut mieux la ramener quelque part où on pourra la soigner plus convenablement.

La tenue du moment:

Alors que le colosse apparaît, la nymphe se baisse subitement dans un mouvement de peur. A mesure qu'il approche, ses oreilles descendent. Il aperçoit l'aura autour de lui et reconnaît une manifestation magique pour en avoir vu tellement depuis qu'il voyage avec la petite elfe. Mais, finalement, le géant vient si près que la créature recule de plusieurs pas, comme pour respecter une distance de sécurité. Il meurt d'envie de s'en aller mais son lien avec Cilastiel l'en empêche. Il s'inquiète trop pour elle et rechigne à la laisser, d'autant plus avec un inconnu. Un inconnu qui semble s'intéresser à elle plutôt qu'à lui... Que va-t-il lui faire ?

Soudain, il le regarde soulever son amie de terre, la retirant de cette traînée qu'elle a creusé dans le sol à son atterrissage. Ses cheveux et ses vêtements sont incrustés de mousse et de feuilles. Sa peau si blanches est teintée de marron et de petites perles de sang provenant d'égratignures.
Une fois contre Artion, l'Ornedhelle gémit légèrement, comme dans un soubresaut de conscience. La nymphe s'approche de ce bras qui pend dans le vide et prend délicatement sa main dans les siennes pour la porter à sa joue et l'y serrer doucement. Marque d'affection ou façon de lui signifier qu'il est là, peu importe. S'il lui voulait du mal, il n'aurait pas un tel comportement...

Lorsque le Taledhel se met en route, la créature lâche subitement son amie dans un geste craintif et se met à le suivre, prudemment. Qu'il garde sa forme ou en change pour prendre l'apparence d'un animal tantôt agile, tantôt volant, il ne le quittera jamais de vue. Il meurt d'envie de venir s'installer sur le ventre de son amie mais s'y refuse, de peur de lui faire du mal... Après tout, elle ne se réveille pas et cela l'effraie. Tout au plus remue-t-elle parfois la tête en essayant de soulever faiblement ses paupières mais il ne peut discerner ses iris grises que, déjà, elle sombre de nouveau. Tout ce que Cilastiel peut percevoir lors de ces si brefs instants de conscience, ce sont les branches qui défilent au-dessus d'elle, des pas réguliers sur le sol de la forêt et une profonde respiration qui ne lui appartient pas... Le reste est flou ou noir. Son corps reste là, immobile contre le souverain, si ce n'est ce bras qui se balance au même rythme que ses immenses enjambées.

- Tiens bon Cilastiel, on est bientôt arrivés.

Les paroles censées rassurer la petite elfe ne sont qu’un murmure, soufflé – tu l’espères – trop bas pour l’arracher au sommeil. Car tu ne veux pas qu’elle se réveille. Pas encore en tout cas. Il reste très peu à faire pour totalement la tirer de là, et ce qu’il reste à faire, tu préfères autant qu’elle n’ait pas à le vivre les yeux grands ouverts. Alors le pas rapide mais les foulées légères, c’est aussi vite que tu le peux sans trop la brusquer que tu la ramènes jusqu’au campement.

Manquant de te cogner contre la toile à ton arrivée, tu te recroquevilles in extremis, te glissant le dos voûté sous le « toit » de l’espace servant d’infirmerie. Anedhels et Ondurs en présence n’ont pas l’habitude de grand-chose d’autre que des blessures mineures dans cette zone historiquement tout compte fait paisible. Aussi les yeux curieux commencent à s’amonceler autour de toi, mais heureusement la réaction des guérisseurs est rapide. Tous se murent dans le même silence que toi, et en réponse à tes signes te sont rapidement préparés une table et de quoi opérer.

Agenouillé face à la table où tu venais d’allonger la petite elfe, ton dernier réflexe est de chercher le regard de la nymphe qui l’accompagnait, pour essayer de la rassurer sans mots. Si la blessure de Cilastiel l’inquiétait, alors l’agitation du campement Elfico-Nain devait probablement ajouter à son anxiété. Alors tu espérais seulement que le peu de baume au cœur que tu pouvais lui offrir suffise à ce que la créature ne perde pas pied.
L’opération était tout compte fait simple. Les os s’étant brisés après sa chute, et les tissus déchirés dans le même temps, ta magie les avais déjà réparés. Mais Cilastiel avait eu le temps de saigner. Et près de son flanc, sous la peau, là où le sang avait coulé, un hématome conséquent s’était formé. Tu t’étais donc simplement muni d’un couteau pour le percer, et libérer le petit corps de la poche de sang vicié. Tu t’étais ensuite saisi de ton sceptre, et apposant ta main contre la plaie que tu avais toi-même ouverte, tu avais terminé d’effacer toutes les lésions affectant l’Ornedhelle.

Cilastiel finit par complètement s’endormir. Mais elle respirait. Elle dormirait le temps que son corps se remette du choc, et reprenne assez de force pour qu’elle reprenne contenance. Là encore, tu aurais pu accélérer les choses. Tu aurais pu forcer son réveil de ton Art, mais à quoi bon ? Cela n’aurait été qu’un risque inutile, quand tu pouvais te contenter de la veiller, et de surveiller que son état ne se dégrade pas, jusqu’à ce qu’elle ouvre les yeux.

A l'approche du camp, la nymphe s'arrête. Ayant pris l'apparence d'un renard, il s'aplatit sur le sol, craintif et hésitant... Mais le géant continue à avancer d'un pas assuré, menant son amie loin de lui. Alors, il le suit de regard et, lorsqu'il le voit entrer dans une tente, il prend alors la forme d'un moineau et vole à tire d'elle sous la grotte de tissu. Il se pose à l'abri des regards, sur une poutrelle de bois, et observe. Mais lorsqu'il voit le couteau s'approcher, il piaille et hurle de toutes ses forces pour que le colosse ne fasse pas ça !!

Cilastiel dort d'un sommeil agité. Malgré les soins, son corps va encore mal mais son esprit ne peut s'éveiller. Lorsque la lame l'entaille, elle gémit de douleur et remue avec faiblesse, levant un bras dans une direction indéterminée. Le sang s'écoule sur sa peau de neige, ce contraste le rendant plus sombre qu'il ne l'est déjà. Devant cette vision, le faible petit oiseau descend de son perchoir et, avant d'avoir touché le sol, se transforme en un loup qui grogne et montre les dents. Cela ne dure qu'un instant car, déjà, une main recouvre la plaie, une autre prend celle de la petite elfe pour la serrer et la poser sur la table où elle l'y maintient avec douceur. Rapidement, le corps de l'Ornedhelle se calme. Ses jambes s'affaissent. Sa respiration ralentit.
Les grognements du loup cessent alors car, quoi que ces bipèdes aient fait à son amie, il est déjà trop tard. Celui qui tentait d'apaiser la souffrance de la petite elfe s'écarte et la nymphe peut enfin retrouver ses traits. Il s'approche d'un air inquiet. Il sent sa main et la pousse de sa truffe humide. Devant l'absence de réaction, il reprend sa forme initiale pour pouvoir se redresser et observer son visage. Après avoir regardé le sang sur son flanc provenant d'une blessure qui n'existe déjà plus, il la détaille avec inquiétude et puis semble finalement remarquer quelque chose... Il pose soudain la tête sur son buste... Il peut ainsi entendre son cœur battre avec régularité et sa respiration tranquille, caractéristique de son sommeil... Il reste ainsi quelques instants, comme si ce son l'apaisait, plaçant sa main sur le ventre de la Noss avec délicatesse.

Finalement, la créature à la fois elfe, bouc et serpent se relève. Il regarde le géant, plein d'espoirs et de gratitude. Ses doigts signent quelque chose puis il se rappelle qu'il n'y a qu'elle qui le comprenne parce qu'elle a appris. Alors, il fait autre chose... Quelque chose qu'il les a déjà vu faire. Il pose sa main sur son cœur et baisse légèrement la tête, espérant être compris.
Mais la nymphe s'agite de nouveau et s'écarte... Quelqu'un vient de retirer le casque de son amie. Un linge humide vient nettoyer la terre sur ses bras et le sang sur son flanc. On enlève les feuilles et la mousse de ses cheveux. Puis on la soulève encore mais pas pour l'emmener bien loin... On l'installe sur un lit de fortune, quoi que plus confortable que les creux des branches dans lesquels elle aime s'assoupir. On place un drap sur elle. On dépose sa coiffe à ses côtés... et on la laisse enfin tranquille.

D'un pas prudent, la nymphe s'avance. Elle change de forme pour revêtir l'apparence d'un chat sauvage, au gros matou au pelage gris. Il vient s'installer le long de ses jambes et ainsi ne pas s'approcher de là où on lui a fait mal, par pure précaution... Il ne bougera pas d'ici et, s'il s'assoupit, cela ne sera que d'un œil afin de veiller à ce que personne ne lui fasse encore du mal. Elle, qui l'a protégé pendant leur chute pour tout endurer à sa place...

~~~~~~~~~~~

La conscience de Cilastiel émerge enfin. Sa première impression... C'est qu'elle se sent fatiguée alors qu'elle est certaine d'avoir fait une longue nuit. Mais... quand s'est-elle couchée ? Elle réalise soudain que son corps repose sur une surface inhabituelle et émerge tout à coup ! Elle se redresse alors dans un sursaut. Ses muscles ayant été raidis par l'effet de sa chute, ils sont courbaturés et tirent douloureusement, aussi son élan est aussitôt arrêté dans une grimace et un gémissement. Le long de ses jambes, le chat s'est mis sur ses quatre pattes et vient déjà trouver son visage pour le couvrir le léchouilles, trop heureux de la voir enfin ouvrir les yeux ! La petite elfe ne met pas longtemps à comprendre de qui il s'agit et vient le caresser d'une main.

-Tu es là ? Fait-elle d'une voix surprise et fatiguée tout en lui témoignant une affection rassurante. C'est qu'il n'aime guère s'approcher des groupes étrangers, qu'ils soient Noss ou Taledhels.

Mais où est-ce "là" ? Elle lève alors les yeux et couve l'endroit du regard, cherchant à comprendre où elle se trouve. Elle a mal un peu partout mais ce n'est rien en comparaison de ce par quoi elle est passée... et dont elle n'a pas le moindre souvenir pour l'instant.

- On lui a préparé un lit.

Tu acquiesces. Te laissant l’occasion de souffler un peu, quelques uns de tes Frères prennent le relai, et offrent de débarbouiller la petite. C’est toi cependant qui au moment de la coucher, la prends à nouveau dans tes bras pour aller la border. Une fois l’Ornedhelle apparemment confortablement installée, tu te saisis d’un tabouret, et t’assieds face à elle pour la veiller.

Rapidement la nuit avance, et la petite elfe ne semble pas prête de se réveiller. Quant à toi, la fatigue commence à te rattraper à ton tour. Tes yeux te piquent et peinent à rester ouverts. Ta nuque flanche, ton visage tombant régulièrement vers le sol. Tu luttes tant que faire se peut contre le sommeil, mais après t’être résolu à constater que la blessée allait bien, et que quelqu’un d’autre veillait déjà sur elle, tu as fini par accepter de te laisser sombrer. Ainsi, t’affalant sur ton inconfortable assise, tu t’étais laissé emporter par Maurquimëlle.

C’est la brûlure des premiers rayons du soleil contre ton dos qui finit par te réveiller. En même temps que toi, le reste du campement commence à sortir de sa torpeur. Elfes et Nains partagent la boisson et le repas du matin. Les odeurs du meroca, du pain de farine, du  miel, du fromage et des fruits d’été se mêlent en une agréable mosaïque d’arômes.
Aussi agréable que soit l’ambiance matinale du campement, c’est en grommelant que tu étais allé chercher de quoi te sustenter, et nourrir celle que tu avais veillé. Déjà ta position de sommeil n’avait pas été particulièrement clémente avec ton dos, mais maintenant, la bâche trop basse qui te forçait à rester voûté sous les installations du campement faisait tout sauf aider. T’asseoir à nouveau, même sur ce tabouret trop bas, t’avait été d’un immense soulagement, et ta première bouchée de méroca et de fromage n’aurait pas pu plus tarder.

Tu avais presque terminé de manger quand enfin, la petite Ornedhelle émergea de son sommeil, évidemment déstabilisée et désorientée. Son premier réflexe au réveil confirma – si un doute subsistait encore – la nature de son lien avec la nymphe. Et le second fut l’occasion pour toi d’attendre que son regard trouve le tien, pour répondre aux questions qu’elle se poserait immanquablement.

- Si vous avez faim... tu l’accueilles d’une voix matinale encore graveleuse ...je vous ai apporté de quoi manger et boire. tu pointes du doigt les victuailles posées sur un autre tabouret près du lit N’hésitez pas à vous servir.

Tu laisses s’installer le silence un instant, le temps que Cilastiel continue de reprendre ses esprits, et qu’elle s’imprègne de l’endroit où vous vous trouviez. Mais pour ce qu’elle te laisse apercevoir, elle n’a pas l’air de reconnaître quoi que ce soit.

- On est dans le Lörn. Dans un campement qu’on a bâti avec les nains. Je crois que tu as fait une mauvaise chute pas loin d’ici. tu souris à la petite Ce n’était rien de grave j’espère ?

Les étranges iris de la petite elfe trouvent sans mal l'imposante carrure qui se tient près d'elle. Elle n'a aucun mal à le reconnaître et, se sachant en sécurité, elle se détend aussitôt, ses épaules s'affaissant dans un soupir tandis que ses lèvres s'étirent dans un discret sourire. Même si elle est encore en pleine confusion, ne se souvenant pas de tout, elle est soulagée de croiser un visage connu et heureuse de le revoir.

-Je crois qu'il est peut-être temps que j'apprenne la géographie... et que je découvre mon sens de l'orientation. Dit-elle en réponse au nom de ce lieu qui ne lui évoque absolument rien.

Sa réponse est très légère et teintée d'humour. Elle repose cependant sur un fond de vérité. En tant que Macabre, elle n'a jamais appris à se diriger en forêt et la carte d'Anaëh n'avait que peu d'intérêts à ses yeux. Lorsqu'elle est devenue Cilastiel, elle avait bien d'autres choses en tête pour se préoccuper d'une chose aussi futile, comme s'adapter à son don et à trouver qui elle était désormais. A présent, il est clair que tout ceci est acquis. Alors, pourquoi ne pas essayer de se rendre capable de reconnaître les endroits où elle se trouve ? Cela la rendrait peut-être moins facile à surprendre.

La question du Roi l'amuse déjà nettement moins. La réponse est bien plus complexe... Et on ne peut pas vraiment parler d'une "mauvaise chute". Cette dernière lui revient d'ailleurs en mémoire. Elle n'a jamais eu peur de la hauteur mais, là... Elle n'a même pas pu se replonger dans une ombre, elle a tout juste eu le temps de protéger la nymphe... Elle pose d'ailleurs son regard sur elle et lui caresse la tête. Puis elle fait deux signes avec sa main libre. La créature descend alors du lit et reprend sa forme initiale. Ainsi, elle peut lui répondre de la même manière et la petite elfe pousse un soupir soulagé : elle a été la seule à être blessée. Elle prend alors un fruit sur l'assiette et la donne à son compagnon qui se met rapidement à manger tandis que l'Ornedhelle reporte son attention sur Artiön. La petite elfe est désormais une jeune femme, capable d'humour mais aussi de sérieux. Assis en tailleur sur sa couche, le dos droit et les mais posées sur ses chevilles, cela lui donne un air presque solennel.

-Vivre en Anaëh a toujours comporté des risques. Mais cela comporte à présent des dangers plus imprévisibles que jamais. Depuis la Lune rouge, même moi je ne suis plus certaine de rien... La Symphonie dit que tout va bien alors que les animaux disent le contraire. Les animaux sont différents, plus agressifs... Plus dangereux. Même la Trame a perdu sa constance... et ne me permet plus de me protéger. Voilà ce qu'il s'est passé. Puisque l'on ne peut rien y changer, doit-on juger que cela est grave ?

- Significatif. tu termines d’avaler ta dernière bouchée de pain Déterminant peut-être… tu hausses les épaules ...mais pas « grave ».

Pourtant « grave » semblait approprié. La forêt devenue plus féroce, la trame devenue plus fugace, la renaissance de grandes menaces nées autrefois pour protéger l’Anaëh des assauts de Calimenthar lui-même, la perte de familiarité avec un environnement resté presque inchangé durant des millénaires… n’étais-ce pas « grave » ? Ce nouvel état de la Sylve ne serait-il pas source de fâcheuses conséquences pour votre peuple ?

- Tu l’as très bien dit, nous n’y pouvons pas grand-chose. tes épaules retombent et tu souris Tout ce que nous pouvons faire, c’est essayer de nous adapter à ce nouvel état de fait, et nous laisser porter par les Chants.

C’est un constat que tu refais aujourd’hui, mais il est une chose qui – quel que soit le sujet que vous pourriez aborder – te restera certainement à la fois amusant et étrange chez la petite Cilastiel pendant de longues années, si ce n’est de longs siècles encore. Elle revient de loin. Elle a longtemps vécu loin de chez elle. Tant de corps que de coeur. Mais aujourd’hui, elle est probablement l’une des jeunes elfes les plus fortes en assurance que tu connaisses. Et finalement, peut-être son absence de véritable passé en ces lieux en était-elle une raison.

- Il fut un temps où nos ancêtres disputaient l’Anaëh à de puissants béhémoths. Par le passé, les sorciers elfes ont bâti des reliques assez puissantes pour guider les mouvements de la Trame à travers Anaëh tout entier. Il fit un temps où nos arts étaient tous à la fois profondément marqués par l’Art et par les Chants, tant et si bien qu’aucun elfe aujourd’hui ne saurait reproduire ce que nous avons autrefois bâti et lui rendre justice. ton regard se perd dans le vide, et tu soupires Alors plus le temps passe, et plus je me dis que peut-être qu’en réalité, tout va bien. Qu’il faut avoir confiance en les Chants et bien vouloir croire que tout va bien. ton sourire retombe du côté droit de ton visage, te faisant l’air un poil mutin Peut-être que tout va bien, et que c’est nous qui allons mal, au final.

Après le Voile, la Lune Rouge. Avec le Voile, un nouveau souffle pour la Sylve, avec la Lune Rouge, une nouvelle fougue offerte à ceux qui l’habitent. Au milieu, vous. Vous les Elfes, à qui a été offert le Souffle et sur qui par conséquent, La Mère n’a pas plus de pouvoir que celui que vous voulez bien lui donner. Alors peut-être était-il temps de simplement suivre. De laisser faire. Et de survivre le temps que vous ayez réappris à pleinement vivre.

- Peut-être que c’est la manière de L’Aînée de nous dire qu’il est temps pour nous de redevenir ce qu’étaient nos ancêtres.

Cilastiel étire un discret sourire amusé.

-J'ai connu pire changement de mode de vie. Je m'adapterai... et aiderai les autres à faire de même.

Elle, autrefois douce enfant d'Ardamir, devenue esclave sans Souffle, puis Taledhelle perdue, avant de transiter vers le monde des Noss... Qui mieux qu'elle pouvait apprendre à vivre différemment, à évoluer ? Une chose qui semblait pourtant impossible alors qu'elle a passé des années à observer ce qui l'entourait sans jamais parvenir à l'appréhender et à s'y insérer. Il aura suffit d'une rencontre et de plusieurs ennéades de labeur pour tout changer. Aujourd'hui, elle est des plus à même, parmi les Ornedhels, à trouver comment continuer à habiter dans ces bois plus hostiles que jamais. Et, bienveillante, elle assistera les plus réfractaires au changement.

La petite elfe observe le géant, silencieuse et concentrée. Ils sont respectivement les opposés d'un même peuple.
Lui, le plus grand, le plus solide. Elle, la plus petite et la plus fragile.
Lui, le roi des citadins. Elle, l'une des Noss les plus indépendantes qui soit.
Mais avec un point commun : leur ouverture d'esprit.

-Je croyais que nous étions d'accord... pour dire qu'Anaëh a besoin autant de la forêt que de la pierre ? Dit-elle en se désignant puis en le montrant, lui. Je ne prétends pas savoir quel message les Dieux veulent nous transmettre mais je n'ai pas changé d'avis sur ce point. Nos peuples ont des qualités bien différentes mais elles sont complémentaires. Et toutes contribuent à protéger la Prime Œuvre. Nous devons peut-être évoluer afin de faire face aux récents changements qui ont manqué de me tuer hier... mais nous ne devons pas perdre ce qui fait notre force afin qu'Anaëh reste inviolée. Cela demande parfois de se spécialiser. C'est ainsi que je vois les Taledhels et les Ornedhels.

Tout comme certains choisissent la voie de la chasse, de la magie ou de l'artisanat, pourquoi ne pourrait-on pas choisir son mode de vie ? Certains le font d'ailleurs. Même s'il est assez rare qu'un Noss quitte la forêt pour les murailles, il n'est plus aussi rare de voir un citadin rejoindre un clan. C'est une décision que la petite elfe ne différencie pas de celle d'un choix de carrière. Une décision qu'elle a prise aussi, il y a quelques années déjà.

-Et qui sait... Notre Mère essaie peut-être simplement de rendre à Anaëh la possibilité de se défendre par elle-même. Les Sombres ne renoncent jamais...

Face à la petite elfe légèrement décontenancée, tu ris. Elle te le fait remarquer sans te le dire, mais grâce à elle tu le vois maintenant. « Redevenir ce qu’étaient vos ancêtres » peut être interprété de bien des manières, dépendamment de qui l’on veut bien appeler ses ancêtres.

- Quand je parles de redevenir ce qu’étaient nos ancêtres, je voulais surtout parler de nos héros de légende. tu souris, pensif Qu’ils soient Ornedhels ou Taledhels, ils ont connu une Anaëh au summum de sa puissance, et y on ttout de même naturellement assis leur place. Comme l’a vouluL’Aînée.

Tu t’avachis légèrement vers l’avant, songeur, réfléchissant à l’interprétation de Cilastiel des choses. Et tu te demandes ce qu’il a pu en être pour le reste du monde. La Lune Rouge semble avoir été comme le Voile, imposant ses effets à Miradelphia tout entier. Alors si chez vous les créatures d’antan et les anciennes magies se relevaient lentement, qu’en était-il ailleurs ? Qu’en était-il des Sombres ?
Votre Mère aurait-elle insufflé de nouvelles forces à son Œuvre en prévision de batailles à venir ? Les dieux Sombres leur avaient-ils fait un don auquel elle s’était forcée de répondre ? Ou alors n’étais-ce là que la suite de l’inexorable processus de restauration de la Prime-Œuvre, et de la magie qu’elle avait au cours des Cycles perdue ?

- Mais tu as peut-être raison. tu hoches la tête Les Sombres sont tenaces, et malheureusement pour nous, des adversaires puissants. Peut-être que La Mère cherche à rendre à la forêt ses forces d’antan, dans l’attente d’un nouvel affrontement avec l’Aveugle et ses fidèles.

Tu jettes ta tête en arrière et souffles. La guerre. Toujours la guerre. Tu aurais aimé pouvoir oublier la guerre ne serait-ce qu’une seconde. Que tout ce qui se passe au sein de vos frondaisons ne concerne que vous. Création de La Première. Mais les drows ayant été votre sang autrefois… ne seraient-ils pas toujours concernés même dans ce cas ?

- Raah… tu pestes J’aurais aimé pouvoir juste y voir le retour de la magie que la forêt a perdu au cours des derniers Cycles. Seulement si tu as raison, alors faire honneur à nos héros risque de devenir d’autant plus crucial. tes yeux retrouvent les siens Parce qu’il est hors de question que l’on laisse à la Sylve seule la charge de se défendre. le coin gauche de tes lèvres se soulève Si elle gagne en force, alors en ses dignes protecteurs, nous ferons de même. ton regard se pose sur la dryade pour laquelle Cilastiel avait pris tous ces risques Et certains ne s’en sortent déjà pas trop mal sur ce plan là on dirait.