[Audience chantier] Raviver la flamme [PV Harald]

6ème ennéade de Karfias | Second mois de l’Eté.
Année XXI | XI Cycle.

Une sacoche en cuir dans sa pogne gauche et une choppe dans la droite, Hjolgrim s'avance dans la salle du throne. Ses vêtements sont étonnamment neutres, le dawi ayant décidé de voyager a dos de bélier depuis Thanor, il avait préféré faire ça léger pour ne pas fatiguer la bête. Chose encore plus étonnante, il est parfaitement seul sans aucun ancien pour représenter la voix des différents membres de sa famille, sans doute car les choses se sont faites en amont si l'on se réfère aux us habituels.

Pendant plusieurs énnéades, ingénieurs et sachants s'étaient penchés sur la réalisation de plans techniques afin de transformer le rêve en réalité, et ce qui était jusqu'alors une idée avait pris forme d'abord dans le cerveau d'ingénieux dawis, puis sur des papiers dont Hjolgrim ne comprenait que ce qu'on lui avait expliqué. Pour lui, les choses étaient très simple : Tendre un cable d'un point A à un point B. Pour d'autres clans instruits aux arts de la science plus qu'a l'artisanat, ca avait été l'occasion une fois de plus de se moquer ouvertement d'Hjolgrim avant de reprendre les choses en main. Ingénieur, c'était un métier mine de rien.

Le bruit de ses bottes résonne dans la salle dénuée de festivités alors qu'il capte la présente du Roi, il manque de tomber en l'interpellant, se rattrapant uniquement grâce à sa petite taille.

- BARUK HARALD ! lança t-il avec entrain et sérieux.

Hjolgrim écarta un bras, balayant la salle de ce dernier.

- On n'sait plus recevoir a Kirgan, ou est donc l'accueil habituel ? demanda t-il le visage rieur.

Il rabaissa son bras bruyamment, ce dernier vint se heurter sur sa tunique a moitié ouverte. On se demandait d'ailleurs pourquoi il portait un haut tant ce dernier contenait peu de tissus ; il n'était visiblement pas habitué du tout aux fortes chaleurs, c'était à se demander comment il avait vu le volcan.

- J'suis venu quémander ta sagesse et ton expertise, mon clan r'fuse de trancher et Thanor n'bougera pas sans l'aval du Haut Roi du Zagazorn, j'vais d'voir prendre pas mal d'ton temps, mais c'pour la bonne cause.

Hjolgrim ne lança pas de suite le mot "chantier" car malgré tout, ce sera exactement ce dont il allait être question. Un chantier colossal, d'une façon ou d'une autre, permettant entre autre de ramener les richesses perdues de la montagne. Il ne donna pas plus de détails pour l'instant, se refusant à assommer Harald d'un trop plein d'informations dès le départ, préférant attiser sa curiosité.

- A la tienne ! lâcha t-il en finissant sa choppe qu'il déposa dans un claquement sur une table de banquet non loin.

A cette heure précise d'ailleurs, la petite équipe de mineurs et de spécialistes restée a l'avant poste devrait bientôt être de retour avec les premières nouvelles quant à savoir ce qui pourrait être trouvé dans le cœur de la montagne et comment procéder pour l'extraction.

La salle du trône était dans un état d’effervescence depuis l’annonce de l’Althinkalan. Si, au départ, les gardes royaux et les quelques clans de brasseurs et de cuisiniers de Kirgan, s’occupaient surtout à préparer les cuisines, les saloirs, les fumoirs et les cagibis, bien vite, les questions des logements et des placements furent au centre de toutes les prises de décisions.

Mais, soudainement, une musique différente de celle des derniers jours, commença à jouer sur le pavé de la salle du trône. Des pas, rapides, pressés, déterminés aussi… Puis presque fuyants, avant d’enfin reprendre un rythme normal. Quelqu’un venait… Et cette presque-chute fit relever la tête de Harald, qui eut un petit sourire face à tant d’empressement maladroit.

« Baruk ! Hjolgrim ! » Dit-il, reconnaissant le thane d’un des clan de mineurs qui fut envoyé dans le Nord. « Pardonne ce manque d’accueil… Comme tu le sais, nous avons bien des choses urgentes à régler dans les prochaines ennéades. Et ce faisant, du travail m’attend. Mais j’aurais toujours le temps pour répondre aux questions et aux attentes de mes frères et de mes sœurs. » Dit-il, dans une promesse solennelle. Prenant une chopine, il en avala la moitié d’un trait, écoutant les propos du thane tout en répondant à sa salutation à la beuverie. « Tes propos m’intéressent ! Et je suis curieux d’entendre la suite de ton projet qui semble inquiéter et ton clan, et ta cité. Parle, mon ami ! »

Hjolgrim lâcha un rire gras amusé face à la situation tout en déposant la paperasse sur la table. Il réfléchissait déjà quant à savoir par ou il allait commencer, car comme on s'en doutait, il n'y avait pas forcément réfléchi à l'avance. Face à d'autres, il aurait pu improviser, mais ici même, il allait devoir se montrer méthodique dans son approche.

- Chacun fait c'qui peut mais ca m'assure presque d'savoir qu'j'suis pas l'seul a pas m'reposer.

Une petite phrase afin de rebondir tout en gagnant un peu de temps. Il avait décidé de commencer par la situation actuelle, la problématique, la solution puis la conclusion. Une approche somme toute logique.

- Mes gars prospectent encore dans les montagnes pis ils sont pas prêt de trouver les premiers gisements, la roche est dur et on peut pas progresser comme on veut. Alors pour pas s'tourner les pouces nous aut' on a commencé à réfléchir à l'acheminement du minerai vers la plaine.

Prenant le premier document sur le dessus, on y découvrait une carte avec la position approximative du volcan, le relief ainsi que différentes mesures.

Carte:

- Comme tu peux l'voir, la progression avec les bêtes passera pas sur des chariots plein, le poids de l'azul est trop lourd alors on va tout exploser, pis les chariots passent pas facilement. A l'aller on a pris du temps avec les bêtes, on s'est retrouvé embourbé a plusieurs reprises pis après le pont c'était compliqué de progresser, par endroits on pourra pas s'croiser non plus pis ca va foutre l'bordel. Pourtant y'a pas mal de choses à récupérer dans ces montagnes, si ce n'est la terre, ou même acheminer des vivres ou des soldats.

Il tapota du doigt sur la carte, sans doute car il y'avait là des informations qu'il allait devoir expliquer.

- Alors on s'est dit qu'on allait tendre un grand câble avec un chariot depuis le sommet d'la montagne jusqu'à la pleine ou on récupèrera l'tout en bas, mais les ingénieurs qu'on a vu entre deux yeux y nous ont rit à la figure, parce que ca s'fait pas comme ça. Mais y ont eu une idée presqu'pareille à la nôtre.

Le mineur prit un autre document de la pile, cette fois-ci quelque part en dessous après quelques recherches hasardeuses. Il s'exclama d'un rire satisfait dès lors qu'il mit la main dessus, très content de ces ébauches.

Plans mécaniques:

- Alors y z'ont dit qu'on peut mettre des renforts dans la montagne avec un mécanisme rotatif afin qu'la corde soit pas trop longue pis qu'elle casse pas, si c'est bien placé avec des calculs exacts ben on pourra relier des pans de montagne entre eux ou bien longer la montagne sur la descente. Y'a aussi la possibilité de mettre des grands pylones pour garder le cable tendu. Dessus on colle des chariots pis ca va monter et descendre, on peut faire monter des nains, ou des victuailles, ou de l'azul ou ce qu'on veut tant que ca rentre, ptet même des projectiles si on fait une place stratégique dans les montagnes.

Il reprit la première carte et tapota le doigt sur le centre de tri.

- Pour l'azul dans l'idéal il ira jusqu'au centre de tri là, comme ça on pourra trier le minerai pour garder que les morceaux purs, ici il sera lavé pis ca fera travailler des petites mains ou des apprentis mineurs qui veulent apprendre à reconnaître les bons filons, avec un superviseur.

Son doigt continua de descendre jusqu'à l'avant poste en contrebas.

- Si on peut s'permettre, on agrandit l'avant poste en bas pis on réceptionne tout la bas une fois qu'on l'a équipé, comme ça on peut directement réceptionner depuis la route. Si on peut pas sortir tant de câble, faudra réhabiliter la première partie du trajet pour qu'on puisse faire des aller-retour depuis l'centre de tri.

Pour l'instant, Hjolgrim n'a pas encore parlé de l'implication que cela nécessiterait en fer ni même en matériel. Mais il allait y venir avec le dispatch des tâches final.

- Les minerais partiraient pour Thanor, les hauts fourneaux feraient fondre ce qu'on peut, pis ensuite tout ce qui n'est pas nécessaire à la ville remontera sur Kirgan pour qu'les artisans puissent travailler. Les gemmes et ce qu'on pourra pas tailler si y'a trop d'filon, on r'montera tout ici, pis si on trouve quelque chose de très rare, on l'fera directement monter sur la capitale aussi.

Le dawi se gratte le front dans une profonde réflexion.

- Tout l'métal qu'on trouvera qui rentre dans la composition d'alliage sera r'dirigé vers la capitale jusqu'à ce que l'investissement initial soit remboursé pis les stocks refait, ensuite on s'partagera le reste mais faut encore qu'j'vois avec ce bon vieux Barbe-de-Fer dans quelle mesure. Ca d'mandera un petit... euh...

Une hésitation se fit entendre.

- 72 lár de cable en alliage renforcé. Pis des pognes. Pis des ingénieurs. Pis des chariots et quelques bêtes. Pis c'est tout ?

Cette phrase avait été prononcée à voix basse, comme un enfant coupable d'une énorme bêtise. En prenant d'abord le pari de venir voir le Roi, il avait d'ailleurs court-circuiter l'autorité de la voix de Thanor, mais a vrai dire il n'avait pas spécialement envie que toute la ville se mette en tête que ce projet serait possible, pour ensuite se voir essuyer un refus. Connaissant la Voix de Thanor, il allait prendre une sacrée soufflante malgré tout.

- Qu'en pense le Groman-Rik ?


Il déposa ses deux pognes sur la table, avant de prendre la poignée de la choppe entre ses doigts, son regard s'est détourné, sans doute parce qu'il se rendait compte de la longueur du cable nécessaire que maintenant.

72 lár = 72 lieues = ~350 kilomètres réels.

L’attitude d’Hjolgrim avait quelque chose d’amusante. Bien que l’heure était grave dans l’esprit de Harald, et bien que les ennéades passées avaient été à la hauteur de cette pression et de la gravité ambiante, l’empressement du thane du clan Brokkgog à dévoiler un projet vraisemblablement dantesque créa l’émotion et l’intérêt dans l’esprit de Harald. De plus, le fait que ledit projet mette à la fois la cité de Thanor sur l’attente d’une décision royale, et que le clan Brokkgog tout entier soit en attente d’une décision d’arbitrage, prouve l’immensité du projet à venir…

… Et Harald avait raison. A mesure que le thane mineur de fond exposait l’immensité de son projet, le cerveau de Harald abandonna l’inquiétude d’un mois dédié à un Althinkalan de plus sombres, pour l’excitation d’un projet incroyable ! Un projet digne des plus grands, comme les fameuses Grandes Voies Souterraines qui, depuis des années déjà, demandent de grandes quantités de matériaux, matières premières, consommables, mains d’œuvres… Et de métaux. Etayer toutes les voies souterraines, les agrandir, les améliorer, les rendre plus profondes… Tout cela demandait des outils, forgés bien-sûr ; des étais ; des chariots pour évacuer les gravats ; des forges pour pouvoir réparer les outils brisés… Bref, de grandes quantités de matériaux et de matériels, et, pour pouvoir rendre tout cela possible, il fallait creuser toujours plus profond dans les montagnes déjà occupées, et surtout, il fallait trouver de nouveaux gisements. Des gisements toujours plus lointains dans le Nord, toujours plus profonds dans les montagnes, toujours plus difficiles à atteindre à cause des menaces des Sauvageons, des Berserkers, et des créatures ordinaires qui avaient toujours hanté les monts du Grand Nord.

Mais voilà : ces conquêtes minières étaient difficiles à relever. Chaque expédition menée vers le lointain Nord, rapportait son lot de sacrifices, de blessés et de morts… Et, bien que les minerais rejoignissent rapidement les cités, les quantités rapportées n’étaient jamais suffisantes pour pouvoir réellement accepter de tels sacrifices… Ou du moins, pour pouvoir en minimiser les impacts psychologiques.

Et voilà qu’un projet permettait de transposer les immenses infrastructures des hauts fourneaux intérieurs aux cités de Kirgan et de Thanor, aux reliefs montagneux des monts du Septentrion. Grâce à une inventivité d’ingénierie, un esprit d’initiative et un sens du défi, une révolution technologique permettrait de ramener d’énormes quantités de métaux, minerais, rocs et autres filons prélevés par les mineurs de fonds, avec bien plus d’efficacité et de sécurité que les moyens traditionnels, à savoir les caravanes militarisées.

« Par la barbe des Jumeaux ! » Dit-il, regardant les plans, réécoutant dans son cerveau les explications orales couplées aux schémas et aux explications écrites. Le thane avait visiblement travaillé son sujet ! « Ce projet est… Impressionnant ! Mais bon-sang ! Il éviterait bien des pertes dans nos caravanes ! Et dans les quantités ramenées dans les cités… Les ingénieurs pensent cela faisable, tu dis ? » Redemande-t-il, comme pour s’assurer avant de reporter une trogne illuminée vers l’auteur de ce projet. « Je veux dire… Bien-sûr, ces câbles supportent d’incroyables quantités de matériaux, et des tonnes et des tonnes passent au-dessus de nos trognes tous les jours rien qu’à Kirgan… Mais dans les monts ? Supporteraient-ils les tempêtes ? Les piliers supporteraient-ils les avalanches ? Quel serait l’entretiens de telles infrastructures ? Bien-sûr… Il y’a l’opportunité de les graver de runes, qui nous aiderait à rendre tout cela indestructible pour bien des années et des années… Mais avez-vous pensé à tout ? »

Hjolgrim fût surpris de la réaction d'Harald qui ne voyait que le bénéfice sans prendre en compte les coûts initiaux, il était sans doute aussi motivé que lui au départ. Si le travail avait eu autant de précisions et de faisabilité, c'était uniquement après de nombreuses réunions et un travail acharné, le tout à la barbe de la voix de Thanor.

- C'est c'qu'ils disent oui sur le papier, ils ont effectivement dit qu'ce serait faisable, mais y'a d'autres problématiques auxquelles on s'attend pas. Au départ j'voulais mettre des bêtes, pis finalement avec les runes ce serait faisable comme tu dis.

Le thane prit une gorgée de son ale avant de se gratter la tête.

- L'mécanisme n'sera vulnérable qu'aux endroits les plus vulnérables de ses parties, c'comme pour la mine de filon.

Quand on minait en sous sol, on connaissait bien ce principe. L'on pouvait extraire un matériel extrêmement solide, cela n'avait aucune importance si on minait le matériel qui le maintenait en place sans piocher directement dans le filon.

- J'peux pas garantir qu'y'aura pas de pertes, mais si l'matériel est fait avec des alliages qui permettent une souplesse pis que ca casse pas, les avalanches n'emporteront rien. Pour les points de renforts qu'on mettra sur la falaise, pas b'soin qu'ils soient souples, faut qu'ils soient très solides d'un matériel inébranlable pis que la fixation soit faite en profondeur dans la roche pour pas qu'ca emporte le bloc.

Il leva sa chope un court instant avant de la reposer en face de lui avec plus de calme cette fois.

- Pour les pylônes on s'en sert que quand y'a pas de falaise, donc on s'ra en plaine et donc y'aura pas d'avalanche j'crois, mais ptet que nos ingénieurs peuvent mettre quelque chose pour laisser passer la neige sans mettre en danger la structure. Par contre si y'a une avalanche ou une catastrophe, même si l'mécanisme risque pas grand chose à moins que la montagne explose, les chariots risquent de d'dérailler ou le poids d'la pression peut les arracher du câble ou endommager les roulements.

Quand il y'avait une pression de neige colossale qui s'abattait dans un contenant en suspension, on pouvait se douter que ce qui lâcherait en premier serait le chariot et pas le câble en alliage, à une condition qu'il énumère d'ailleurs :

- Mais pour ça faut qu'l'chariot soit pas solide, faut qu'il casse en premier pour pas emporter l'mécanisme. Faut accepter d'faire des transports de maigre qualité pour sauver l'reste, on a qu'a utiliser l'travail des apprentis forgeron. Tant qu'la benne permet l'transport et qu'le mécanisme est impeccable, on s'en fiche que ca cède en cas d'avalanche ou que y'ait des défauts mineurs, ca va pas servir à renforcer l'plafond d'la capitale.

Il donna un petit coup de tasse sur la table, l'air tout de même interloqué.

- Par contre beh ca veut dire qu'faudra d'la maintenance pis pas transporter d'dawis, ou alors en cas d'urgence d'assumer l'fait que y'a rien d'garanti sur les incidents qui arriveraient. Faudra ramasser les bennes qui tombent, les remplacer régulièrement ou alors juste les laisser en bas avec l'azul. Mais j'te rassure on transportera le plus précieux par bélier si c'est trop important.

De toute façon, même si ils venaient à faire un chariot solide pour le transport de vivres ou de nains, la finalité serait qu'une avalanche pulvériserait le contenu de la benne, vivant ou vivres. Ceux qui acceptaient de se servir de ce mécanisme comme moyen de transport allaient devoir assumer le fait qu'ils n'arriveraient peut être pas vivant en cas de tempête.

- Pis enfin faut pas qu'la montagne de feu explose, parce que beh on peut rien garantir dans c'cas même avec tout l'savoir faire. Mais ca s'réparera peut être. Pis l'dernier point c'est qu'on sait pas encore ce qu'il y'a en haut, si y'a rien ca sert a rien, sauf si on veut s'projeter plus loin et continuer d'excaver, ca fera un raccourci. Si on compte pas les berzerker et toutes les saloperies qui vivent la haut.

Au final il n'y avait pas que du bon ou que du mauvais, tout dépendait de savoir si le bénéfice valait le risque.

- Et enfin ben faut qu'j'rentre en contact avec les clans de mineurs, de forgerons et d'autres pour qu'ils acceptent de se lancer dans c'projet, mais tu sais qu'ils voudront leur part. A moins que Kirgan ne se porte garante et avance les fonds nécessaires, mais a ce moment là c'est toi qui devra les convaincre.

Il haussa les épaules, ce n'est pas comme si la situation d'Harald était tendue en ce moment, mais presque. Tout dépendra peut être de l'issue de l'Althinkalan.

Les explications redonnées par Hjolgrim étaient globalement complémentaires aux demandes formulées par Harald, mais des incertitudes demeuraient. Certes, un tel chantier représentait un nouveau défi, un investissement conséquent, et de grands risques… Mais le Zagazorn ne s’était point propulsé au rang de nation la plus évoluée sans prendre quelques risques, parfois grands, parfois petits… Régulièrement dantesques. Mais il manquait une étape cruciale à tout cela…

« Hum… » Grondait-il, grattant sa barbe dans un mélange d’impatience et de réflexions intenses. « Rien de cela ne verra le jour, sans prospection efficace… Ne nous emballons donc pas. Toutefois, je suis ravi de savoir qu’un tel projet est émergé de ta caboche, et de celles des certains ingénieurs. J’ose espérer que tu puisses en parler avec le Haut-Conseil, ne serait-ce que pour pouvoir avoir leur soutien dans cette entreprise… Quelques ingénieurs, cela est bien… Mais si le Maître Ingénieur pouvait valider ce projet et nous y aider, nous en sortirions grandis. Tu sais donc ce qu’il te reste à faire mon ami ? »

Peu de choses avaient émergées de la caboche de Hjolgrim si ce n'était une idée au départ stupide, mais il était quand même ravi de recevoir le compliment ; après tout, cela le faisait se sentir un peu plus intelligent et grâce à ce qui pensait désormais être son ingénieuse caboche, il allait pouvoir se servir de cet argument d'autorité afin de lancer tout un tas de petits projets personnels qui seront sans doute une catastrophe pour lui. Pour l'instant cependant, ce projet là était entre des mains expertes qui n'étaient pas les siennes et donc, sans doute voué à réussir.

Hjolgrim se gratta l'oreille entre son pouce et son index, réfléchissant aux morts pourtant simples que venaient de prononcer Harald.

- Les ingénieurs de Thanor ? demanda t-il bêtement, ben j'peux d'mander mais pour ça faut qu'jpasse par Glomtul pis il est pas mal fâché en c'moment avec tout c'qui s'passe.

Ce dernier appréhendait sans doute vis à vis de la position du Roi, mais aussi de par la missive qu'il avait reçu. Comme tout le monde finalement.

- Tu aurais des gens a qui j'peux m'adresser pour l'matériel ou bien tu veux que j'passe d'abord par la validation du projet là ?

L'administration et Hjolgrim était une grande histoire d'amour. Il aimait repousser les choses encore et toujours et de fait, n'avait absolument aucune expérience dans les livres et autres bizarreries qui ne portaient pas sur son rayon d'action direct. Sans doute était-ce pour cela qu'il ne parviendrait jamais à comprendre Rubissea, a son grand dam cependant.

Sa pogne passe sur son visage alors qu'il renifle un peu perdu. Il savait ce qu'il devait faire, aller voir Glumtol et lui demander quoi faire. C'était déjà un point de départ.

- Bon, ben j'vais d'mander son aval dans c'cas.

Hjolgrim se gratte la tête, balayant la pièce du regard.

- Pis elle est pas là la princesse ? demanda-t-il d'une traite en parlant d'Hilda

C'était une question très brute de décoffrage même pour un nain. Hjolgrim le tapeur de pierre demandait directement au Haut-Roi si sa fille était dans le coin comme l'on irait boire un verre avec un mineur du fond de la mine. C'était si mal amené que c'en était merveilleux.

- C'pour la remercier parce qu'elle a sauvé ma triste caboche aux septentrionales, j'pas eu l'temps d'lui en toucher un mot alors j'voulais boire une bonne bière avec elle et les gars.


Avec ou sans les gars, au final ce n'était qu'un détail, tant qu'il pouvait la remercier correctement et faire un gueuleton.

« Oui… Fâché, oui. » Répondit Harald, un sourire dans la voix et un léger hoquet de rire secouant son poitrail. « Je connais bien Glumtol… Le chef des Ventres-de-Fer. Sa réputation de caractère tempétueux n’a d’égale que sa capacité à mettre à genoux les tavernes de tout un royaume en une seule soirée… » Dit-il, riant alors à gorge déployée avec un tel entrain que lui-même s’en trouvait vivifiait, soudainement. « Il aura sans doute encore bien des raisons d’être en colère, à l’avenir… Oui, sans aucun doute d’ailleurs… Mais je ne doute point de sa promptitude à avoir la caboche éclairée, au moins autant que son ventre qui crie famine. »

Harald se leva alors. Plaçant ses pognes sur ses reins, il s’étira de manière bien peu gracieuse, dans un craquement osseux bien commun et quelques râles typiques de ceux qui commencent à ressentir peu à peu les affres des âges vénérables. Se remettant enfin droit, il plaça rapidement sa pogne principale – la droite donc – autour du boc qui était à ses côtés, et le tendit aux cuisiniers et autres maîtres taverniers qui s’affairaient toujours entre les cuisines, les réserves et les tablées de la salle du trône.

Sitôt fait, un tavernier vint promptement. Lui aussi avait un sourire au coin de sa barbe, et il servit Harald avec plaisir. Le Grand-Roi, alors, prit un second boc propre qui se trouvait non loin, et fit signe au tavernier de se servir à son tour. Enfin, d’un geste de la pogne, il montra Hjolgrim et, sans besoin de mots, fit comprendre que lui aussi devait avoir le gosier sec, et le glissoir en quête de bière.

« Parles d’abord de ce projet à ceux qui peuvent t’aider à le concrétiser. Ensuite, ils te donneront ensuite tout ce dont tu as besoin. »

Levant sa chopine, il trinqua avec le tavernier encore présent et Hjolgrim, au faciès visiblement chamboulé. Sans doute s’attendait-il à ce que seul l’accord du Grand-Roi soi suffisant pour pouvoir réaliser tel projet… Mais non. Car Thanor possédait – tout comme Lante – une certaine indépendance depuis les évènements du Voile. Une indépendance qui permettait à son Haut-Conseil de prendre ses propres décisions et, si l’envie le leur prenait, de faire sédition avec la couronne. Car depuis l’An VIII, et la réélection du premier Grand-Roi d’après le Voile, feu Hardrek Poing-de-Fer, les cités de Lante et de Thanor reconnaissent l’autorité royale et l’acceptent, en souvenir de onze cycles d’histoires d’un royaume unifié. Mais demain ? Allez savoir.

Vint ensuite un aspect de cette discussion qu’Harald n’avait point anticipé. Il comprit, bien-sûr, que ladite princesse n’était autre que sa propre fille, Hilda. Ses mires devinrent alors aussi rondes que des billes de jeux de tavernes, et ses iris se dilatèrent comme celles des prédateurs observant une proie. Il avala cul sec l’entièreté de son boc – fort malheureusement pas assez profond. Et, ensuite, vint l’explication.

Hilda avait donc sauvé la vie de Hjolgrim lors de l’expédition dans le lointain Nord, aux abords de la montagne détruite et en proie aux flammes. Il fallut quelques secondes à Harald pour faire taire ses instincts de père, et laisser ensuite s’exprimer le guerrier heureux d’avoir telle guerrière sous sa bannière.

« Elle est en entraînement, avec les gardes royaux et les régiments en postes. Tu la trouveras dans les quartiers des armées, dans les profondeurs. Attention toutefois : c’est elle qui entraîne aujourd’hui. »

Un son de réflexion sous la forme d'un "Hmmm" profondément impliqué sortait de la bouche d'Hjolgrim à chaque explication d'Harald. Toute sa matière grise était rassemblée afin de mettre de l'ordre dans tout ça. Glumtol, c'était un specimen à lui tout seul et d'ailleurs l'un des seuls que Hjolgrim craignait vraiment. Thanor l'avait accueilli après tout et il devait beaucoup de choses à la cité, mais en prime la voix de thanor était forte et tempétueuse, plus ardue que le dawi moyen et la tête plus dure que beaucoup d'entre eux.

Le mineur ria à son tour dès la fin de la tirade de Harald.

- J'ai hâte d'voir sa trogne quand j'vais lui annoncer qu'il va m'falloir plus de métal et d'azul qu'un va t-en guerre cherchant à équiper une armée de cul nus. Y va m'bouter jusqu'à Almis en me trainant par la barbe.

Hjolgrim observa sa choppe se remplir et, chose commune en ces occasions, afficha une mine tout à fait satisfaite. Celui qui servait la bière était aussi respecté que celui qui frappait le fer, et l'échange s'étant bien passé, il avait toutes les raisons de se montrer bien plus que heureux du dénouement de la chose. Du moins pour l'instant. Il leva sa choppe en guise de remerciement.

- J'y manquerai pas dans c'cas, merci bien Harald.

Alors que Harald s'énervait dans son for intérieur comme tout père gardant sa fille - et quelle fille -, Hjolgrim, le visage béat avec la caboche remplie de bienfaits buvait sa choppe cul sec le bras gauche bien écarté comme pour fêter cette entente. Il ne vit évidemment pas grand chose des attitudes d'Harald si d'aventure quelques signes auraient pu trahir sa pensée, mais quand bien même il n'en aurait pas vu grand chose fusse t-il concentré à cette tâche.

- T'aurais dû voir ça, elle a courru a travers l'champ d'bataille et elle a abattu son arme dans un cri à m'en faire tremper mes bas, l'autre abrutis qu'était sur moi il a volé sur dix mètres désarticulé comme une poupée de chiffon. Pis elle avait dû réduire quelques neuronnes en bouillie avant ça parce qu'elle était déjà couverte de sang, j'ai pas vu d'dawi charger avec autant d'entrain vers leur gloire !

Hjolgrim semblait aux anges, racontant cette histoire en se tapant sur le ventre, tout sourire, comme un enfant ayant assisté à une fête ou quelques magiciens faisaient spectacle. Il avait bien pensé y passer sur l'instant et n'en avait alors tiré pas large, mais l'adrénaline ressentie, le bruit du fer s'entrechoquant et le fait que son clan ait pu assomer un ou deux sauvegeon était déjà une belle gloire pour les défunts, même si ces quelques accrochages étaient bien maigres pour un grand guerrier, eux en étaient tout de même assez fiers pour en assomer tout le monde lors des banquets.

- Bon, j'prend pas plus de ton temps, les affaires du Groman-Rik sont importantes j'imagine, merci pour c't'accueil pis merci bien pour la boisson, je vais pouvoir m'en aller compter mes histoires aux fameux guerriers de Kirgan et remercier la princesse sauvageonne en personne !

Hjolgrim fit un signe de la tête respectueux à Harald afin d'annoncer son départ imminent.

Hjolgrim avait cette attitude à la fois ferme et forte des Nains têtus et bornés, et à la fois amusante et légère de ceux qui réfléchissent autant avec leurs caboches qu’avec leurs panses. Selon l’organe qui entrait en réflexion, le Nain était différent… Et donc, il fallait d’autant s’adapter, et préparer des réactions parfois différentes.

Là, la bière semblait avoir fait son effet, son office. Léger, sans doute l’esprit un peu embrumé – au moins au même niveau que sa panse devait être emplie – il avait été à la fois simple et direct ; habité et léger ; pensif et bectant. D’ailleurs, s’il ne vit rien des changements d’attitudes de Harald eu et gare à sa fille Hilda, la chose fit sourire le souverain… Hjolgrim avait quelque chose de satisfaisant, tant dans le regard que dans l’attitude. Oui… En un sens, si quelqu’un devait s’intéresser à sa fille, ce pouvait être quelqu’un comme Hjolgrim. Ou lui-même, sans doute.

« Je reconnais bien là ma fille ! Et les enseignements de l’infanterie lourde Lantaise… Aller, va ! Et si d’autres grandes idées traverse ta caboche, je serais honoré de les entendre ! Au revoir, Hjolgrim ! »

Et il lui offrit à la fois le coup de bras sur le plastron, et l’accolade amicale, clôturant alors la rencontre dans la bière et la solennité.