Les chantier de Molgrunn

Si les choses avaient bien changées, Haldin quant à lui n'avait pas voulu suivre le temps, et avec lui ses déboires, de fâcheux événements qui une fois encaissés lui auraient irrévocablement déchiré le cœur à n'en point douter. L'An Dix-huit avait accueilli un hiver froid, et c'est donc à Molgrunn que Haldin passait ses jours de retraite méritée, enfermé dans une bulle où le Zagazorn malheureusement restait – le concernant –, en arrière-plan. Il n'y avait plus de plan sur la comète, il n'y avait plus de projets rocambolesques que ses vieux amis aimaient à lui rendre séduisant, plus d'aventure, que des souvenirs.

Souvenirs de son vieil ami Hardrek, de son regretté Morek, et de tant d'autres dawis rendus aux Halles bien avant lui, ainsi le nain se questionnait lorsque son esprit retraçait la trame dans laquelle bruissait sa Braise-Vie. Il repensait souvent à son dernier voyage à Kirgan et c'est armé du bouclier de l'inadmissible qu'il se revoyait aux chevets du Poing-de-fer, l'un ravagé par la maladie, l'autre par la tristesse. Lorsque son ami fût fatalement emporté laissant derrière lui ses victoires, ni une ni deux le vieux dawi rassembla ses affaires et quitta tant bien que mal la capitale en direction de sa petite cabane dans les Vallons perchés de Molgrunn, sa nouvelle demeure, où il se confina quelques enneades en proie à de nombreuses réflexions. On l'entendit parler aussi peu que Mirza, c'est-à-dire point, le mutisme régnant dans leur foyer pour autant ne se fit ni pesant ni oppressant, plutôt roboratif.

Lorsque l'hiver installé vit la nouvelle année faire irruption dans un morne deuil, le vieux nain saisissant le symbolisme d'un changement calendaire, on le vit alors sortir de sa déchirure, quelque peu recousue, en son fort intérieur toujours béante. Voilà pourquoi, il se protégeait, comme oeillères la désinvolture et l'impression d'être bientôt le prochain, plus rien n'avait d'importance sinon la joie et les petits moments présents, de détente, de transmission, et d'humour.

On le voyait déambuler de partout depuis quelques jours, des traits presque joviaux occultant des mires lourdes, sépulcrales.
C'est après avoir rendu visite aux jeunes gens oeuvrant au Perchoir de la cité – inconsciemment dans l'attente d'une quelconque missive de son ami runiste que le cœur escomptait ardemment de revoir – qu'il déambulait donc en cette troisième enneade de Karfias, à la recherche d'autres conversations à mener. Singulièrement, il n'avait jamais été autant lui-même qu'en ces temps adverses, où il ne faisait plus partie des grands acteurs du Royaume Dawi, seulement une petite pièce dans l'échiquier que probablement leur nouveau suzerain menait comme il se devait, d'une paterne poigne.

Non loin des Faubourgs on le héla de loin, avec courtoisie.

Il répondit en défiant le vent, avec une gracieuseté toute urbaine, comme à son habitude !

« Eh, oh ! Quoi !? Que m'vaut tes pleurnichements, pisse-lait !? » Tharkûn, sa canne forgerunée balayant l'air menaçante en direction du dawi en approche.

Enfin, ils étaient de retour. Enfin, Yggdar était chez lui. Que de chemin parcouru ces dernières ennéades ! Que d’actes réalisés, que de pensées assumées, que d’évènements vécus, aujourd’hui, devenus histoire avec un grand H, une saga, avec de grands récits.

Le vieux runiste entamait sa 253ème année d’existence, le cœur empli d’une fierté toute Dawi du devoir accompli. En tant qu’ancien et Zagaskroni de son clan, père du thane, trop occupé à panser ses blessures pour pouvoir se rendre à Kirgan, il avait offert a feu Hardrek Poing-De-Fer, une hache forgerunée à la puissance implacable, résultat de plusieurs mois de labeurs, de fruits de plusieurs échecs. Il avait assisté le vieux Roi sur son lit de mort, voyant de ses propres yeux la pogne de fer du Roi au nom de clan éponyme, tenir le manche de sa nouvelle arme jusqu’à-ce que sa braise le quitte. Attristé, le cœur en peine, l’âme morne, il voulut toute fois que ce dernier cadeau soit celui qu’il emporte dans son tombeau, qui fut construit en toute hâte, sur les derniers ordres du mourant. Le tombeau, immense, recouvert d’or et d’offrandes, portait un gisant à la gloire du défunt, et sous celui-ci, se trouvait la hache. Yggdar était on-ne-peut-plus fier, car il savait désormais que sa hache servirait à la Braise-Vie de Hardrek. Lorsque son chemin vers le monde du Dessous le menait alors devant le regard du Gardien du Pont, Heidum, il pourrait assurément lui montrer et lui donner la fameuse hache afin que le dernier fils de la première forge, puisse l’ajouter à son trésor. Ainsi obtiendrait-il son passage vers le monde de Dessous – ci celui-ci n’était point déjà garanti par sa vie de combattant, de héro, et de père de toute une nation – et ainsi irait-il festoyer avec les anciens de son clan, les aïeux des siens, les ancêtres du Zagazorn. Ainsi prendrait-il place à l’immense tablée, aux côtés des souverains des temps jadis, aux côtés des siens.

Il avait également assisté à l’élection d’un nouveau Grand-Roi, le soixante-huitième Groman-Rik du Zagazorn bien aimé, Harald Barbe-Sanglante. Il avait assisté à son élection donc, mais aussi, à son discours inaugural, au banquet royal et au concours de boustifaille concocté par Glumtol Barbe-De-Fer, lequel ne tarderait point à se faire surnommer « la panse de Girdon », étant donné la quantité incroyable de nourriture et de boisson qu’il est capable d’ingurgiter, sans jamais défaillir ni rendre à la table. De ce concours, Yggdar en avait des souvenirs cocasses et heureux, bien qu’il fût un des premiers à perdre, chutant joyeusement sous l’emprise de l’alcool, rendant le contenu de son ventru d’estomac, sous l’impulsion nauséabonde d’une flatulence bien grasse.

Enfin, il avait vu se lancer la quête du Mogarium, et les anciens et thanes des clans de mineurs et de forgerons faire front commun pour confier à un jeune à peine devenu maître, les rennes de cette quête, sous l’œil du Groman-Rik.

Mais il n’était pas peu content d’être enfin rendu chez lui. Arrivant en vue de la grande porte de Molgrunn, il s’était empressé de la traverser, la garde locale reconnaissant son faciès buriné peu enclin à l’ouverture d’aucune sorte. Son premier reflexe fut de rejoindre l’étude des sages, et d’en attester l’avancée. Certes, elle n’avait rien d’aussi grand ni fringuant en comparaison à l’ancienne Grandsalle des Scriberunes, mais elle se remplissait tout de même d’un peu plus de runistes jour après jour, ceux-ci, acceptant plus ou moins facilement, plus ou moins totalement, de coucher sur vélin et tablettes, les savoirs de leurs clans, afin de les garder ici, comme ce fut le cas jadis lors de la grande époque de Kirgan. Les ouvrages se comptait en quelques dizaines, mais il y avait encore beaucoup de travail à faire. Beaucoup de clans de runistes étaient encore éparpillés ça et là dans le Zagazorn tout entier. Il faudrait les réunir, obtenir leur confiance et leur approbation, si Yggdar désirait faire de cet endroit le véritable cœur runique du royaume. Une Grandsalle ne sert à rien si elle n’est point reconnue comme telle par ceux-là même qui peuvent l’enorgueillir de savoirs ancestraux.

Certains érudits furent surpris de le revoir aussi tardivement, d’autant avec la tripotée d’ingénieurs et d’ouvriers qui le suivirent de prêt. La Grandsalle allait subir des changements, et ceux-ci étaient ardemment désirés. Cependant, les apprentis et néophytes furent heureux de voir revenir d’aussi loin, l’un des derniers forgerunes du Zagazorn. Heureux, car son savoir était incommensurable et indispensable. Heureux, car certains tentaient d’obtenir sa confiance, afin d’être l’apprenti du vieux Rhunki. Une mission que Yggdar relèverait tôt ou tard.

Puis, c’est vers sa forge qu’il se rendit. Fermée, poussiéreuse, elle aurait bien besoin d’un coup de balais afin d’être de nouveau reluisante, mais tout était là. Le foyer, l’enclume runée, les marteaux et cisailles, les pointeaux et graveurs… Tout était là, prêt à l’emploi, n’attendant que le vieux forgerune afin de donner l’éther à la prochaine pièce d’acier qui y serait forgée.

Et enfin, il se rendit dans ce qui servait maintenant de loge clanique. Comprenez qu’une demeure avait été rénovée et quelque peu agrandie, afin d’accueillir les quelques nains du clan qui s’étaient déplacés jusqu’à Molgrunn. Son fils, le thane du clan, ainsi que l’ancien du clan, y demeuraient sur place, ainsi qu’un jeune Nain, une jeune bavette, et un petit dernier d’a-peine quelques années.

Ainsi retrouva-t-il son fils, qui gambadait dorénavant. Sa barbe avait en grande partie repoussée, bien qu’il eût adopté une manière de la tressée qui pouvait porter à confusion concernant sa taille. Son visage avait cicatrisé, mes sa peau, brulée en profondeur, s’en trouverait à jamais modifiée. Sa main droite, celle qui tenait le stylet, avait également guérie, et il pouvait utiliser son pouce et son index seulement. Les trois autres doigts ayant été placés dans une position utile, devaient encore être maîtrisés afin qu’il puisse reprendre sereinement ses gravures. Enfin, il réussissait de mieux en mieux à se mouvoir et se déplacer, et à user des ustensiles à sa portée, malgré son œil droit rendu aveugle. Ces derniers mois n’avaient pas été de tout repos pour lui.

Les quelques heures passées en la compagnie des siens, eurent tôt fait de faire disparaître ses craintes et ses peurs. Lorsqu’il eut fait le plein d’énergie – cette énergie fraternelle, familiale, qui vous requinque un nain – il se mit en quête de retrouver Haldin, son ami. Il loua encore une fois Yaron d’avoir placé un tel Nain sur sa route, alors que ce dernier fut envoyé à Molgrunn voilà bien des lunes, afin d’aider la cité à cultiver et gérer ses élevages, à faire du Vallon un endroit productif. Sans cette mission donnée par feu le Grand-Roi Poing-De-Fer, jamais ô grand jamais, il n’aurait rencontré ce poilu à la trogne sympathique et à la présence si chaleureuse.

Se doutant qu’il se trouverait sans doute du côté du Vallon, le vieux runiste entreprit de grimper jusqu’à sa demeure, d’une allure faible et claudicante, sa condition de vieux nain se rappelant sans cesse à lui alors que sa jambe ne lui était plus d’une grande utilité. Heureusement, il pouvait compter sur sa fidèle canne forgerunée, celle-là même qui avait inspiré celle de Haldin, après qu’il soit devenu, à son tour, handicapé d’une jambe.

Alors qu’il arrivait dans le Vallon, Yggdar jetait un œil un peu partout, espérant apercevoir le vieux gredin sous n’importe quelle pierre. Même impotent, ce dernier restait un éternel vadrouilleur.

Ah, que cela lui avait manqué ! Oh oui, cela lui avait réellement manqué ! L’air du Vallon, cette enclave rocailleuse fortifiée par des dizaines d’à-pics montagneux, pur et aux fragrances de verdure et de neige, était une source infinie de jouvence et de plaisir. Yggdar comprenait pourquoi Haldin avait choisit d’y vivre, construisant une demeure tout à fait agréable, tout à fait typique, tout à fait Dawie. Il faut dire que s’endormir dans cet environnement paisible, et se réveiller tous les matin ici, les doigts de petons en éventail, un bière et une bonne pièce de viande sur la table tandis que la vie dans le Vallon s’éveil, était aussi unique que féérique.

Cependant, grimper jusqu’ici, puis se mouvoir et rechercher Haldin en vadrouille, n’était point chose aisée, même avec une canne forgerunée sous la pogne. L’allure était lente, la démarche claudicante, mais l’envie était sincère. Le vieux runiste avait le visage tourné vers le sol, cherchant une prise solide dans la neige, lorsqu’il entendit la voix de celui qu’il reconnut comme étant Glumtol Barbe-De-Fer, l’architecte royal.

L’ignorant un instant, trop occupé à s’assurer de rejoindre tout ce petit monde sur cette place du Vallon qui nécessitait, non de l’escalade, mais au moins quelques enjambées, il pu enfin tourner son attention vers son interlocuteur :

- Ip… Ip Il est quelque peu essoufflé, visiblement, l’excitation des retrouvailles de son ami Haldin était bien trop grande pour ses capacités de vieillard claudiquant dans ces reliefs rocailleux enneigés. Je serais… Ravis… De vous aider… Maître architecte… Vous avez besoin… De… De nous deux… De nous deux ? Il ne comprenait pas pourquoi parler de « nous deux » alors qu’il était seul avec Glumtol. Il n’y avait personne… Lorsque soudain. Haldin ! Mon vieil ami ! Vieille branche ! Ha ! Haha ! Tu m’as manqué mon ami, que cette aventure fut longue sans toi !

Il ignora sans réellement le vouloir le pauvre Glumtol qui n’en demandait pas tant. Passant devant lui, le vieux runiste se précipita de telle sorte à étreindre son impotent ami, chose qu’il fit avec vigueur, manquant de les faire rouler tous les deux dans la neige tels deux amants se retrouvant après une absence bien trop longue.

- Comment tu vas vieille branche ?! L’air pur d’la montagne te sied à ravir, d’après c’te trogne bin’ rouge que j’vois là ! Et Mirza, ta douce, comment va-t-elle ?

Le pauvre Barbe-De-Fer était passé aux oubliettes, lui qui, sans avoir demandé quoi que ce soit, s’était retrouvé au milieu de retrouvailles ardemment désirées par deux vieillards aux Braises-Vies liées entres-elles par une amitié ardente. Pourtant, Yggdar ne pensait point à mal. Il s’agit seulement de l’orgueil de la vieillesse.

Cette voix lui disait fort bien quelque chose... Elle dénonça alors son propriétaire, Glumtol Barbe-de-Fer ! Ah voilà donc l'identité de l'hystérique responsable de l'interpellation ; enfin Haldin en fût convaincu pour de bon lorsqu'il vit la masse imposante s'approcher de lui à toute vitesse.

« Allons, allons, Glumtol, ne ressassons point le passé ! Bah ! Pouah ! Mouarf ! Comment vas-tu cher Glumtol ? J'ai entendu dire que les travaux d'amélioration à Fort-Harald, se passent pour le mieux... Conte m'en un peu... Il dit cela en repensant à tous les travaux qu'il avait lui-même entreprit ici au Vallon et à Molgrunn en général. Lorsque le Barbe-de-fer tendit à Haldin un message provenant de son neveu, surpris, le vieillard se gratta une tempe franchement dégarnie. Ahum... Une lettre, dis-tu ? Tiens donc, ahum, voyons voir cela... Il s'empara de ladite lettre, tandis que le plus gros nain à des kilomètres à la ronde, évoquait Athbor et la catastrophique relation qu'il entretenait avec son oncle Barbedrue. L'hiver n'est qu'une saison parmi d'autres, Barbe-de-fer... Seul lui comprit probablement le sens de ses paroles.

Le Bouc de Thanor manqua se perdre dans ses pensées, lorsqu'une soudaine irruption l'en sorti de justesse, de ses profondes réflexions que le nom de son parent avaient provoquées. C'est donc un vieux nain claudiquant qui interrompit le Haut-Conseiller de Thanor, en omettant royalement sa demande, tout comme Haldin qui à l'instar du premier se précipita à la rencontre de l'autre ancien. Ils s'etregnirient avec force vivacité pour deux nains sérieusement rouillés tels qu'eux deux, manquant de tomber à la renverse ou de se broyer de tendresse.

« Yggdar ! Ahah ! Ip, pour sûr, quelle surprise ! Ainsi donc, le retour du vieux prodigue, formidable ça, formidable. Je connais une forge qui va tempêter du feu de dieu. Leurs discussions lui avaient manqué, leurs balades, leurs beuveries, bref toutes ces activités et moments que les deux vieux dawis avaient l'habitude de partager ensembles. Ah bah la vieille...! Elle va bien, nous allons bien, si l'hiver semble féroce, c'est dans nôtre cabane que nous réchauffons le soir nos vieux os... Et cela suffit, tant que les tempêtes se tiennent à l'écart ! Et toi aussi dis donc, tu as bonne mine ! Tu sembles rajeuni ou alors bouger semble te convenir, mon vieil ami, ahah ! Il reporta son attention sur l'Architecte Royal qui, gêné n'osait interrompre les deux vieilles branches, les sachant probablement grinçantes ou grincheuses. Hm... Glumtol, que disais-tu ?[/color]

Malgré l'heure, Haldin ne rêvait que d'une chose, se délecter de délicieuse bière en compagnie du runiste afin qu'il lui conte les dernières ennéades passées dans la capitale, jusqu'à maintenant. Or leur plus jeune homologue semblait avoir besoin d'eux. C'est un Haldin curieux mais assoiffé qui les mains sur les hanches attendit patiemment la suite.

« Bon, alors !? » Enfin, la patience chez le vieux dawi était des plus subjectives.

Les deux vieux Gromtrommi se donnèrent l’accolade, se gratifièrent de petites caresses des pognes caleuses sur les épaules, alors que les mots tentaient – parfois vainement, parfois avec une profondeur sentimentale insuffisante – d’expliquer, de faire part, d’annoncer à l’autre et au monde entier, le bonheur de ces retrouvailles. Glumtol Barbe-De-Fer, l’architecte du Nord nommé par la couronne et investi d’une mission royale, s’en était trouvé oublié, que dis-je, effacé. La manœuvre n’était point réellement voulue, non. Les deux anciens – bien plus âgés que Glumtol, et donc, méritant respect et honneurs – savaient reconnaître chez leurs cadets, la valeur d’une mission, la force d’un courage. Aussi, effacer ainsi Glumtol n’était point une insulte, ni réellement voulu.

Après quelques embrassades et quelques accolades, ils échangèrent quelques mots.

- Ah ça ! L’air du Karaz, ça forge son Dawi teh’ ! Mais j’suis bin’ heureux que Yaron ait béni ce voyage, car mon antre, mon clan, Mirza et toi, vous m’avez manqué ! J’sens que j’suis ici chez moi, ma mission, c’est ici ! La Grandsalle m’attends mon ami ! Haldin tourne alors la conversation vers Glumtol, et Yggdar, se rendant compte que l’envoyé du Roi s’était retrouvé oublié, se tourne également vers lui. Et lorsqu’il propose de discuter des améliorations de la cité, et de la Grandsalle, autour d’une bonne pinte… Ah ! Ha ! Aaaaah bin’ oui ! Une bonne binouze pour parler de tout ça ! On vous suit maître architecte, et c’est moi qui invite !

Il suffisait de parler de réaménager la grandsalle, pour rendre Yggdar aussi heureux qu’un marmot.

Les deux vieillards claudicants, menèrent la marche du trio en direction de la taverne la plus appréciée du duo : la chope runée. Ah ! Qu’est-ce qu’ils en ont passé, du temps, dans cette demeure bénie par Girdon lui-même ! Haldin et Yggdar pourraient en raconter, des anecdotes ! Et le tenancier aussi, sans doute aucun ! Pauvre Mirza qui avait dû faire face aux affres des beuveries des deux vieux. Elle était d’une patiente légendaire, et d’une gentillesse incroyable. Pour sûr, Yggdar les aimait, ces deux-là !

Après cette course – un peu d’humour – ou plutôt, cette lente, très lente marche jusqu’à l’endroit désiré, Glumtol se fit largement entendre et voir, alors qu’il entrait dans la taverne, tel un Nain conquérant. L’on sentait bien là qu’il était dans son élément ! Si l’on ne savait point qu’il était Maître des Mines et des Carrières au Haut Conseil de Thanor, l’on pourrait sans mal penser qu’il était un maître dans l’élevage et la brasserie, la culture et la malterie, et même, qu’il serait un Haut-Prêter de Girdon lui-même ! Yggdar avait dit qu’il offrait la tournée et le repas, mais en cet instant, c’était bel et bien Glumtol qui menait la danse !

Ainsi, il commanda pour tout le monde. Repas et bières, et les meilleurs que le tenancier puisse servir ! Nul doute maintenant : cette réunion serait aussi productive qu’elle serait succulente ! Ne boudant pas son plaisir, Yggdar s’installa, ses yeux légèrement plissés par un sourire couvert par sa barbe. Il était rare de voir le vieil ours sourire, lui qui était si souvent grognon.

Six premières chopines arrivèrent – donc deux par personnes pour les moins matheux – et Yggdar bu immédiatement une grande goulée. Ecoutant le récit de Glumtol, il ne put réprimer son avis quant au nom du premier fortin :

- Fort Harald ! Teh ! Que v’la un bin’ bel hommage pour c’lui qui nous aura conduit jusqu’ici voilà trois années ! Et l’fort aux Runes ! Pour la cité des Runes ! Ha ! C’est qu’tas été bin’ inspiré maître Architecte !

Une autre gorgée gouleyante vint terminer cette phrase comme elle avait commencée. Puis, Glumtol présenta plusieurs vélins qu’il disposa sur la table, et poursuivit son récit. Il était donc là pour la cité, sa protection, sa fortification, son aménagement, et son développement. Une foultitude d’idées traversa la caboche vieillie du vieillard runiste. Il en avait des idées, ah ça oui ! Pour la Grandsalle, principalement, mais aussi pour la cité et sa protection. Agrippant un vélin, il griffonna rapidement l’architecture de la Grandsalle des Scriberunes actuelle, puis, d’un trait plus épais, les ajouts qu’il souhaitait voir. Une fièvre s’était emparée de lui, et il griffonna encore et encore, jusqu’à-ce qu’enfin, il ait terminé. C’est tel un marmot émerveillé, et un vieillard passionné, qu’il prit de nouveau la parole :

- V’la ! A droite d’l’étude des sages, j’veux un long couloir, et d’chaque côté, plusieurs salles d’études, de conférences et de travaux. L’couloir s’rait large, suffisamment pour servir lui aussi d’salle à part entière ! Tout à gauche, la bibliothèque ! Elle s’ra pas aussi grande qu’celle d’Kirgan, mais par Yaron, elle s’ra magnifique et tout aussi fournie ! J’la veux haute, et pleine d’alcôves et ovalaire, d’telle sorte qu’aucune hiérarchie n’existe entr’ les savoirs qui s’y trouvent ! Et enfin… En bas… j’veux une tour. Une tour qui s’enfonce dans l’sol sur plusieurs étages, et qui s’rait la tour des Archirunistes ! Oui ! La tour du conseil des Archirunistes !

Un gosse, un vrai gosse !

L’Architecte Royal s’était emparé du gribouillis réalisé par Yggdar, et se mit immédiatement au travail. C’était intéressant, quelque part, de le voir travailler sur cette pile de vélins. Il s’appliquait, très certainement, et il tentait avec un pragmatisme tout à fait Nain, et un professionnalisme impressionnant, de reporter sur son vélin, les traits enfantins d’un forgerune bien trop vieux pour faire des dessins bien droits. Et puis, Yggdar avait surtout l’habitude de manier le marteau et le burin, le marteau et le poinçon, le marteau et l’enclume… Pas vraiment le vélin, et le crayon de charbon.

Puis, viennent les explications de l’Architecte en chef. Et celles-ci sont, pour le moins, passionnantes, et réellement ingénieuses. Tout d’abord, l’idée d’une porte unique empêchant toute intrusion et protégeant le secret, plût à Yggdar bien plus qu’il ne saurait le dire. Mais ce socle, qui tourne sur lui-même en fonction de la présentation d’une rune, ne lui plaisait pas trop. Non pas qu’il n’ait aucune confiance en Glumtol, ni aux capacités des ingénieurs de créer rouages et rails afin de faire coulisser ladite pièce. Il trouvait plus simple de créer une large porte runée, qui ne s’ouvre qu’en présence d’une rune sœur et complémentaire. Le reste des informations dispensées pour décrire cette tour des Archirunistes, étaient suffisamment intéressantes pour qu’Yggdar gratifie l’Architecte d’un signe de tête approbateur, et d’un sourire sincère.

- Maîtl’ Glumtol, s’vous l’permettez, changeons la porte pour une porte faite d’un bloc, runé d’une rune d’terre le rendant indestructible, et qui ne s’ouvre qu’lorsqu’on présente une rune sœur complémentaire. L’endroit s’rait inviolable, et n’pourrait être ouvert qu’part ceux qui possèdent c’te rune complémentaire. Pour tout l’reste, vous avez mon entière approbation !

Puis viennent les fameux projets de défenses de l’antique et noble cité. A cette indication, Yggdar se positionna avec sa bière, prêt à écouter tout ce que l’architecte aurait à dire.

C’est que des idées, il en avait à la pelle, l’architecte royal ! C’est à peu près ce que se disait Yggdar, le vieux forgerune. Face à l’engouement, et surtout, au professionnalisme du Haut-Conseiller et maître des mines et des carrière, Yggdar ressemblait à un marmouse attendant son cadeau.

Il faut dire que ce qui se passait là, en ce jour, était l’aboutissement de prêt de deux décennies de travail. Dès lors que Kirgan, capitale du royaume Nain, cité des Rois sous la montagne, descendante du premier royaume d’Ankorong, eut été détruite par la vengeance cruelle et aveugle du Père des Batailles, Yggdar s’était évertué à redorer le blason du savoir runique, partout en Zagazorn. La mort des Archirunistes avait été une véritable calamité pour les Nains du Nord… Perdre ainsi les Nains les plus âgés de ce monde, véritables ancêtres vivants, et tout le savoir qu’ils possédaient, toute cette maîtrise, condamna la voie du Mentor à tout jamais. Il n’était plus possible pour quiconque d’apprendre une magie différente de celle du clan de naissance. Yggdar, qui avait bénéficié pourtant de cette voie, et qui avait apprit sous l’égide d’un maître Archiruniste, s’était évertué à rouvrir cette voie d’apprentissage, et à rendre au Zagazorn, et aux runes, toute leurs splendeurs.

Mais ce n’était pas tout. Avec la destruction de la cité, ce fut l’anéantissement de cycles de connaissances inscrites sur des vélins et gravées dans la pierre, qui furent tout simplement détruits. Perdre ainsi cet amoncellement de savoirs, fut un véritable désastre, un affreux cataclysme, pour Yggdar le forgerune.

Aujourd’hui, les choses étaient enfin en bonne voie. Aujourd’hui, tout allait mieux pour le Zagazorn. Aujourd’hui, la Grandsalle allait renaître, et le conseil des Archirunistes, redevenir l’entité fondatrice et l’autorité du monde des Runes.

- Maître Barbe-De-Fer, c’passage qui fut utilisé par la sombre pour retrouver la cité, doit-être scellé. C’t’un étroit passage, qu’il faudra condamner. Un fortin, c’t’une bonne idée, mais construisez le d’sorte qu’personne aut’ qu’un nain, puisse se rendre au-d’là d’la forteresse. Et c’t’arme pour balayer la zone d’escalade, c’t’une bonne idée ! Pour sûr maître Haut-Conseiller, vos œuvre ici sauront impression l’gardien du pont et vous octroyer une place dans l’monde du Dessous !

Ainsi, l’histoire venait de s’écrire.