[Chantier P2] Fil d'Ariane [Libre]

1er jour de la 1ère ennéade de Barkios, Second mois de l'Automne.
Les Hautes-Terres – « Le Vallon Hurlant »

Terrés dans le ventre de la montagne qu'ils avaient commencé à habiter, un contingent de deux-cents nains comportant cent civils pour cent soldats vivaient ensemble et sécurisaient au fur et a mesure de la progression du chantier. La nouvelle liste d'objectifs avait été dressée par Hjolgrim, liste ayant pour but de continuer à accueillir à chaque expédition nouvelle qui montait un mois après l'autre, encore plus de personnel. Il misait sur le fait qu'a force de travail, le personnel ferait effet boule de neige jusqu'à être en capacité de rester en permanence ici, ce qui accélérait le chantier de façon drastique.

Le froid était arrivé tôt, très tôt, et les premiers vents glacés commençaient à caresser la neige et a geler tout ce qui restait dehors la nuit. Cela avait clairement renversé les priorités et il allait falloir se terrer rapidement mais surtout faire une porte pour éviter que le froid ne vienne paralyser le travail des civils.

• Élargir le tunnel de l'entrée
  
• Mettre en place une porte renforcée d'une taille raisonnable se fondant dans la paroi
  
• Achever de creuser et de peaufiner la salle d'entrée, la convertir en garnison
  
• Creuser un couloir droit devant l'entrée qui accueillera des dortoirs pour les militaires
  
• Localiser et établir une seconde salle et y déplacer les fours, en faire une forge temporaire
  
• Solidifier toutes les salles en travaillant les parois intérieur pour en faire des murs
  
• Consolider une dernière fois la totalité des piliers et des sols pour achever les pièces
  
• Creuser ou trouver une salle adjacente à la forge et y établir des dortoirs
  
• Creuser des pièces uniques pour en faire le quartier des artisans
  
• Établir les chambrées des artisans ou à minima un dortoir commun dans un premier temps
  
• Établir une dernière salle pour futur projet
  
• Condamner sommairement les galeries qui descendent au cœur de la montagne
  

Il était possible de faire plusieurs points de la liste en même temps, et les nains s'activaient déjà quant à localiser les pièces assez larges pour étendre la forge et celle qui resterait vide pour l'instant, et également à boucher les tunnels parallèles pour éviter de tomber dans une embuscade qui remonterait du ventre de la montagne ; ils s'assuraient ainsi de n'avoir qu'un front à défendre : celui de l'entrée ; du moins tant que ce qui sortait de la terre ne défonçait pas les éboulements qu'ils engendreraient.

Les temps actuels n’étaient point parmi les plus stables au Zagazorn. L’expédition relancée dans les lointaines terres de laves, avait ramener son lot de terreurs et de mauvaises nouvelles. Outre les deux condamnés à mort, l’existence de Nains de laves, de rocs et de cendres, était une mauvaise nouvelle pour le commun des Nains… Et Hilda, guerrière née, voulait se battre pour les siens et le Zagazorn tout entier.

Mais voilà, elle avait donné sa parole : elle ferait partie des chantiers menés par Hjolgrim. Son cœur était partagé : tenir une parole était digne d’une Naine, et était sans doute l’un des plus grands honneurs de ce monde. Mais se battre auprès de son paternel, lequel avait demandé à ce que les armées se préparent, était un de ses buts personnels. En tant que soldate, c’était ce qu’elle désirait depuis longtemps : gagner sa chance au combat, et, si les dieux le demandaient, mourir la hache à la main, comme feu son frère ainé.

Seulement, une parole engageait l’honneur ; l’honneur engageait la vie. Elle était donc partie avec un petit contingent dans le lointain Nord, avec Hjolgrim, pour assurer la sécurité du chantier et de ce qui serait nommé plus tard selon son nom à elle. L’honneur était grand… mais son cœur, encore une fois, demeurait tiraillé.

8eme jour de la 1ère ennéade de Barkios, Second mois de l'Automne.
Les Hautes-Terres – « Le Vallon Hurlant »

Aujourd'hui, les travaux avaient bien avancé et Hjolgrim ne faisait plus rien d'autre que de miner et d'observer de temps à autre l'avancée de la réalisation de l'emploi du temps selon le cahier des charges. En sept jours, l'élargissement de l'entrée était déjà effective et les lourdes portes d'un bon mètre d'épaisseur étaient actuellement taillées directement à même la montagne.

Bien évidemment, leur effectif ne leur permettait pas pour l'instant de mettre en place d'imposantes portes naines telles que l'on en voyait à Kirgan et ainsi, celle-ci ne faisait que trois mètres de haut. Le reste de la porte bien plus haut dans la montagne était un trompe l’œil qui servirait plus tard de cartouche pour la vraie entrée. Il semblait cependant de loin que tout ceci était bien réel, le tout prenant forme au fur et a mesure que les artisans s'acharnaient à tailler le roc, dessinant des contours de porte et des motifs propres au Zagazorn.

Afin d'élever les portes de granit de près d'une tonne par montant, une épaisse chaine reliant deux colonnes de béliers passait par un astucieux mécanisme ancré dans la roche, faisant office de poulie naine. Les encoches étaient déjà réalisées et les rouages permettant son ouverture et sa fermeture étaient en cours de réalisation par une autre équipe.

Pour ce qui était de l'intérieur, les dortoirs avaient tous été creusés à même la roche pour les différents corps de métiers et des lits rudimentaires installés avec le matériel qui avait été apporté additionné au savoir de la section menuiserie du projet. Tous n'avaient pas le luxe d'avoir une chambrée indépendante, mais des baraquements tout au plus. Les dames pouvaient cependant choisir de dormir avec leurs gars ou bien en faisant chambre à part, l'intimité ayant été pensée rapidement.

Hors cahier des charges, les mineurs qui avaient élargi l'entrée s'était disputés afin de savoir si ils devaient faire une taverne, et n'ayant trouvé un terrain d'entente, ils décidèrent de creuser la taverne avant de prendre le tour de repos, piochant avec contrariété la salle déjà presque achevée.

Les artisans de la pierre étaient en train de paver le couloir de l'entrée, ceux qui étaient amateurs en la matière dans leur clan s'attelait à tailler le contour de la porte de la taverne nouvellement décidée par les gourmands.

Toutes les entrées vers les profondeurs avaient déjà été condamnées de façon rudimentaire, pensées pour être dégagées du côté nain avec facilité.

Hjolgrim quant à lui avait arrêté de piocher pour la journée, car il allait devoir le lendemain s'attaquer à la future salle des fours temporaire, qui sera sans doute convertie plus tard en autre chose au fur et a mesure de l'avancée. La garde se tenait à son poste habituelle et ils patrouillaient, tant dedans que dehors quand quelques expéditions pour obtenir le granit du sommet se lançaient.

Assis sur un cailloux servant pour l'instant de siège, il observait la porte se monter et assombrir les lieux. Déjà, les premières lumières dawi s'allumaient dans ce dernier pour permettre à tous de travailler. Il observait silencieusement Hilda, le projet actuel était bien loin de pouvoir accueillir ses hommes avec le confort qu'elle avait précédemment quitté.

- C'tait pas c'a qu'a quoi tu t'attendais pas vrai ?

Il passa sa lourde pogne sur sa face, haussant les sourcils et soupirant en gonflant ses joues.

- On est encore loin d'avoir fini tout c'chantier. T'as des installations à faire ou t'es bien contente ?

Hjolgrim s'inquiétait du confort de la garde et d'Hilda d'une manière générale et piocherait sans doute lui-même si il y avait des extensions à faire. La pioche n'était pas un travail fastidieux pour quelqu'un ne savant faire que ceci.

Les travaux avançaient bon train. Et cela, même pour un chantier de Nains. Les artisans étaient de véritables maîtres d’œuvres, devenant de véritables artistes lorsqu’il s’agissait de se surpasser dans leurs œuvres. Entre leurs pognes, chaque construction – même la plus minime – devenait une perfection architecturale et sculpturale.

En faction, Hilda regardait d’ailleurs les fameuses dalles dessinées dans le roc comme le ferait une amoureuse de l’art face à une tapisserie de luxe. Outre l’agréable sensation de se perdre dans ces traits, ces sillons et ces pierres grossièrement polies, voir les artisans avancer d’heure en heure était satisfaisant et lui faisait un petit peu oublier l’amertume de l’instant. Ses pensées, en effet, ne s’étaient point estompées dans les jours passés. Malheureusement pour sa tranquillité…

Soudainement, une voix la tire de sa rêverie contemplative mêlée de pensées plutôt négatives. C’était celle d’Hjolgrim. Ce dernier semblait lui aussi déjà épuisé, tandis que l’expédition minière ne faisait que débuter… Pourtant porteur du projet, et chef de toute cette expédition et de toutes les Braises-Vies qui vivaient et survivaient ici, on aurait pu le croire prompt au rire et aux sourires, alors qu’il vivait sans doute là l’aventure d’une vie. Mais ses épaules semblaient ployer sous le poids d’immenses responsabilités… La jeune guerrière posa alors sur lui des yeux couvant de bienveillance.

« A dire vrai, je ne savais pas à quoi m’attendre. A part à une autre aventure. » Dit-elle, quittant son poste de faction pour faire les quelques mètres qui la séparait du maître des lieux. « En ce qui me concerne, pis m’gars, on est plutôt bien. On n’a pas encore d’dortoirs à proprement parler, ni d’lieux d’casernements, mais on s’est répartis selon les zones de surveillance. Et là, on s’est fait quelques abris pour pouvoir pioncer et avoir du repos. » Expliquait-elle. « Pour c’qui est des soldats, on a pas b’soin d’lits bien dodus d’plumes et tout. On fait ce qu’on peut où on l’peut. Et pis bah… On fait le taf quoi. » Dit-elle, avant de reprendre. « Et toi ? C’est c’que tu attendais ? T’as l’air plus déçu qu’mon paternel quand il aura entendu les paroles d’Mogar dans la bouche du traître. »

Hjolgrim hocha la tête, le confort était rudimentaire mais certes présent. Ils avaient la chance d'être des dawis donc robustes, endurants et résistants à pas mal de maux. Malgré tout ils n'étaient pas non plus de marbre et appréciaient tout de même le confort d'un chez soi, qui était malgré tout bien loin, quoi qu'un nain était de facto chez lui dans sa montagne.

Face à la question d'Hilda, il souffla du nez bruyamment en observant à son tour les artisans aplanir le sol tout en traçant à l'aide d'outils les positions des pavés. D'autres passaient juste derrière et les posaient déjà ; là ou la pierre était trop haute, ils étaient taillés directement dans cette dernière par deux nains.

- J'sais pas trop, ton paternel quand il cause j'ai l'impression qu'tout l'monde l'écoute, pis que tout s'fait comme y veut.

Il arrêta l'espace d'un instant afin de regarder ses deux grosses mains gonflées par le travail.

- Quand j'suis v'nu j'avais un plan, pis les ingénieurs m'ont dit que c'tait pas possible alors on a tout modifié, on a pensé un ascenseur, pis des chaines épaisses à la place des fines, pis une descente par l'fleuve probable.

Hjolgrim s'interrompt, tirant une drôle de moue.

- Pis là ils sont encore en train d'débattre pour savoir quoi faire.

Il haussa les épaules mollement, l'air et la voix fatigué.

- J'suis pas un chef, au final les gars qui sont plus compétents pis qu'ont bossé dans les cités savent déjà tout qu'est-ce qui faut faire mieux qu'moi, j'admire ton père qu'a le savoir pis l'intelligence de tout manoeuvrer tout en gardant la tête haute, on dirait qui s'trompe jamais alors qu'moi j'ai b'soin d'l'aide tout l'monde.

La taverne, la distance des couloirs, les piliers, la sécurité, le pavage, la porte, les calculs complexes ; lui n'était qu'un mineur de fond dans le grand extérieur, dans un grand tout ou il fallait faire preuve de force et d'endurance plus que de cerveau. Sa spécialité, ses qualités n'étaient pas a la tête d'un chantier ; comment pouvait-il ordonner des artisans ? Comment pouvait-il conjuguer un tout alors qu'il n'en savait que trop peu ? Bien sûr comme tout dawi, il avait des rudiments dans tous les domaines, mais ce projet exigeait des savoirs trop pointus pour être sur tous les fronts.

Il souffla de nouveau avant de ricaner.

- J'ai l'impression qu'ça m'échappe, ça t'arrives pas toi ?

« Tout l’monde l’écoute, parce qu’il est le Roi. Faut dire qu’ça aide d’être élu par l’entière majorité d’thanes de notre monde, tu ne crois pas ? »

La question d’Hilda était tout à fait rhétorique. Bien-sûr qu’être le Roi d’une nation donnait autrement plus de pouvoirs, de prestance et de charisme qu’être le chef d’une expédition minière, aussi prestigieuse soit-elle. Bien-sûr, encore, qu’être le Roi d’un peuple aussi fort, fier, rustre mais honorable que le peuple Nain, donnait bien plus de facilité dans la mission de gouverner. Encore que les exemples récents de Braähm et d’Ararün étaient de contre-exemples à ces faits… Mais Hilda n’en avait point fini de répondre aux propos du triste Hjolgrim.

« J’sais pô… J’veux dire, j’suis qu’un soldat. Et l’seule responsabilité qu’on m’a filé en surveillant c’pont, lors de la première expédition vers la montagne d’feu, j’l’ai merdé… On a eu des morts, et on a failli s’faire déborder par de foutus Berserker… » Dit-elle, avouant alors sa première erreur de meneuse, lors de la seule mission où elle fut plus qu’un simple cognard. « Mon père il… Bah c’est un soldat, et surtout, il est d’venu Roi après avoir passé la moitié d’une foutue vie à commander des cognards et des têtes plus ardues qu’un foutu Bouc. Pis il a pu s’entraîner… Ongaraz, Gazanundi… Pis Groman-Rik. Mais surtout bah… Il n’sait pas tout. Fin… C’est le Roi : il décide d’la politique, des idées, d’là où qu’on va puis il délègue à ceux qu’savent quoi. Et toi bah… Tu d’vrais être content : si t’as pas à foutre ton tarin dans tout c’qu’il s’passe ou c’qu’il s’dit ici, c’est qu’t’as une équipe qui roule et pas des mauviettes moues du joufflu. »

Hjolgrim regarda fixement devant lui durant toute la durée du discours d'Hilda, l'écoutant raconter en détail son expérience ainsi que son point de vu vis à vis de son père. Alors qu'elle venait d'achever son explication, il continua à regarder en direction de l'entrée qui vint s'assombrir au fur et a mesure que le jeu entre les deux parties de la porte étaient comblés, sous les cris des nains organisant la manœuvre.

La dernière phrase de sa camarade lui avait mis une gifle sans qu'il ne s'en rende compte. De quoi se plaignait-il exactement si il n'avait rien à faire ? Avait-il déjà réfléchi autant en si peu de temps pour au final ne rien produire ? Les documents administratifs, l'inquiétude, le manque de sommeil, le travail acharné, les responsabilités ; au final tout ça ne lui avait pas réussi pendant une fraction de seconde et avait instillé en lui un doute duquel il n'était pas coutumier.

Hilda avait en cet instant précis parfaitement raison, et plutôt que de perdre la face à devoir s'excuser de son comportement de trousse-pet ou bien à devoir tergiverser une éternité, il préféra tout simplement balayer tout ça comme si de rien n'était.

- Bon, bah c'est pas qu'c'est pas drôle mais moi j'ai bin envie d'me renverser une bonne blonde derrière les oreilles, mais les gars z'ont pas fini d'tailler la salle alors on a qu'a s'en glisser une entre nous ici en attendant.

Il se leva en un râle et parcourut les quelques mètres qui les séparaient du tonnelet le plus proche. Il le secoua afin de constater qu'il en restait encore les trois quart, avant de remplir deux choppes de pierre polies, car bien évidemment ils n'auraient pas commencé le travail sans un minimum.

- T'veux qu'j't'apprenne une bonne chanson d'nous autre ?

Il tendit une des deux choppes a Hilda.

Le changement d’attitude du mineur fit tiquer Hilda. Avait-elle dit quelque chose d’intéressant ? Ou de pertinent ? Ou… De tout simplement utile ? Vraisemblablement ! En tous les cas, plutôt fière d’elle, elle redressa la tête et le menton en voyant que Hjolgrim n’allait plus de ses tirades tristes et dépressive… Au contraire, il propose de prendre une bière !

L’alcool étant souvent une réponse aux soucis, à l’ennui, à la tristesse et à la dépression, c’est également un bon – un excellent – moyen d’entretenir la joie et la bonne humeur. Le fait qu’il change d’attitude, et qu’en plus, le bavard et fêtard Hjolgrim propose une petite mousse… Était un signe de succès. Fière d’elle, Hilda en oublierait presque qu’elle était là en tant que garde, en faction, et qu’elle devait garder son attention focalisée sur les risques potentiels qu’offrent ces lieux désolés et dangereux.

« Une binouze, j’dis jamais non ! Et pis avec l’air plein d’poussière d’ces lieux d’travaux, faut dire que ça assèche le glissoir. » Dit-elle, saisissant alors la chope avant de trinquer et d’avaler aussi rapidement que possible une gorgée de cette ale précieuse. « Une chanson ? » Répétait-elle, autant pour elle que pour gagner du temps sur une réflexion, une pensée, sur cette question de Hjolgrim qu’elle n’avait absolument pas prévu. « Boh… Oui ? Enfin… Les chansons, c’toujours un truc plutôt cool. »

Hjolgrim ria à gorge déployée, les chansons et la bière, c'était effectivement des "trucs plutôt cool", car a vrai dire cette petite chanson là il ne l'avait jamais chanté en public, elle était propre au clan Brokkgog et à ses mineurs de fond. Au vu de l'ambiance plutôt positive qui se tramait dans les profondeurs d'une caverne qui sera bientôt une cité, un bon coup de chansonnette calmerait les ardeurs des différents partis.

Il se mit à chanter à haute voix.

Certains dawis disent qu'les nains sont nés d'la terre,
Mais ils sont fait d'muscles et d'sang,
Muscles, sang, peau et os,
Un esprit résilient et des épaules solides !

D'autres se mirent à reprendre également le rythme, surtout ceux le connaissant c'est à dire des mineurs du clan. Ils étaient ci et là, répartis dans divers postes et les échos des cavernes sombrent renvoyaient leur voix ou qu'ils se trouvent, chantant le prochain paragraphe en coeur.

T'as chargé seize tonnes d'azul, pour quelle récompense ?
Un jour passé d'autant plus loin dans les tréfonds,
Ikthor ne nous rappelle pas dans les halls, parc'qu'on peut pas partir,
On a donné nos vies au Zagazorn et à la mine !

Hjolgrim reprit seul la suite, donnant le rythme. Les pognes s'activent et les morceaux se dégagent petit à petit dans le long couloir, les chaines se tirent, les mécanismes et les runes s'activent alors que des cris en rythme se font entendre.

J'suis né un matin ou l'soleil n'brillait pas,
J'pris ma pioche pis j'ai marché vers la mine,
J'ai chargé seize tonnes d'azul,
J'ai chargé seize tonnes d'rubis pis d'émeraudes,
Pis l'chef des mines a dit "Une telle quantité c'pas commode" !

Le refrain recommença en coeur pendant une poignée de secondes, d'autres dawis se mirent également à le chanter alors que Hjolgrim lui se contentait de taper des mains jusqu'au moment du prochain vers.

J'suis né un matin ou l'voile couvrait tout d'son écrin,
La baston et les emmerdes sont mon surnom,
J'ai été élevé a la dur par une mère draconique,
Une bonne femme au ton dur ne m'fait pas rentrer dans les rangs !

Quelques rires gras de nains se firent entendre ci et là à la première entente de cette tirade qui faisait toujours son petit effet, glorifiant les mères à la dur et celles qui prétendaient l'être mais n'étaient que des petites cheftaines arrogantes. Au fond du couloir, une dizaine de dawis montaient sur la chaine afin de faire contrepoids et tirer des blocs.

Si tu m'vois v'nir reste en paix,
Plein d'elfes l'ont pas fait, plein d'elfes sont décédés,
Un poing d'fer, un poing d'acier,
Si le droite t'touche pas, le gauche va t'enterrer

Deux ou trois cris puissants se firent entendre des profondeurs afin de saluer la fin de la chanson tout en rigolant, alors que d'autres finalement commencèrent à chanter d'autres chants à la suite. Hjolgrim, riant, vint se rasseoir tout en levant sa bière.

- Allez fiers dawis, on va montrer aux aut' qu'on sait faire des cités pis qu'elles tiennent bon contre le feu des dragons pis les haches de sauvageons ! On va ramener des richesses qu'on peut même pas imaginer pis on va libérer nos terres ! On est chez nous !

Le moins que l’on puisse dire : Hilda ne s’y attendait absolument pas. Si, bien-sûr, elle espérait une bonne bière au goût prononcé, à l’amertume profonde et à l’alcool très fort, elle ne s’attendait pas à entendre un chant propre à un clan. Propre à ce clan. Et le moins qu’elle puisse dire, c’est que cette chanson était… Amusante ! Originale ! Et très drôle à entendre.

Peu à peu conquise, elle abandonna doucement son faciès dur et implacable pour un sourire timide, puis doux, devenant ensuite plutôt radieux à mesure qu’elle battait la mesure de cette chanson avec son boc, faisant fi de la bière giclant ça et là du rebord du contenant. Elle n’était point seule à se laisser conquérir par la légèreté ambiante : tous, et toutes, ici, battaient la mesure à grands renforts de bocs et de pieds, de poings sur les tables et de rires ponctués de hoquets. Oh oui, les Nains travaillaient dur… Mais ils festoyaient dur, aussi.

D’aucun adorerait aujourd’hui voir la présence d’un prêtre de Girdon. Nul doute, alors, que le représentant du culte du Ripailleur apprécierait tout cela, toutes ces visions, toutes ces choses à entendre et à comprendre. Oh, comme elle apprécierait un tel instant de communion dans le gras d’un gigot et d’un rôti et les fragrances d’alcool de boissons et de liqueurs maturées. Lorsque la chanson se termina, Hilda était aux anges, frappait dans ses pognes rendues caleuses par les efforts et les combats, et elle était heureuse. Oui, heureuse.

Lorsque Hjolgrim termina sa tirade, l’ambiance était comme transcendantale. Celui qui, pourtant, passait souvent pour un Nain patenté, calme mais immuable, s’était montré être un redoutable thane capable de transcender le roc et les Braises-Vies. Impressionnant… Même pour Hilda, pourtant habituée à voir et entendre son paternel combattre, s’entraîner, déclamer discours et audiences.

« Impressionnant ! C’était… Vraiment bien ! » Dit-elle, reprenant ensuite un peu de calme en finissant sa bière. « Ton clan, et les tiens, sont vraiment de dignes Braises. Je suis heureuse d’avoir pu assister à cela ! »

Hjolgrim riait grassement alors que les autres dawis chantèrent encore un peu le refrain pour eux même, puis finirent par se mettre à chanter d'autres chansons, telle un chant en entrainant un autre. D'autres clans de travailleurs prirent la relève et bientôt, chacun se mit à pousser sa voix. Certaines étaient connues dans Thanor, notamment le chant des forgerons ou des tailleurs de pierre, mais chacun avait sa propre version selon ses haut faits.

Déposant la choppe vide sur le sol, le dawi s'approcha d'Hilda d'un air décidé, le regard plein d'entrain ; voilà bien chose inhabituelle. Au rythme des coup de pioche a proximité ainsi que de quelques nains adossés à la pierre sur leur droite, discutant et observant la scène d'un œil à la fois curieux et un peu étonné, ils se jetèrent des regards interrogateurs et désignèrent la scène d'un mouvement de barbe.

Désormais assez proche de son interlocutrice, il se pencha légèrement afin de se mettre à sa hauteur, la regardant droit dans les yeux.

- Eh beh j'ai bien quelque chose à te d'mander d'ailleurs, voilà bien des ennéades qu'il faut qu'j'me confesse à toi.

Quelques sifflements se firent entendre en arrière et quelques rires gras et il y'avait de quoi, voilà donc une manière bien naine de potentiellement déclarer sa flamme ou du moins, l'on y pensait à première vue. Le regard franc, les pognes bien serrées, l'expression décidée, le temps semble s'arrêter un court instant alors qu'il cherche dans les pupilles de la fière fille du Groman-Rik une réponse quelconque.

- Pour tout t'dire, enfin...

Il leva une imposante main afin de chasser les quelques moqueries et se concentrer davantage.

- J'sais qu'c'est ptet honteux pour un brave mineur d'demander ça, mais j'aimerai bien m'entrainer un peu avec toi pis que tu m'apprenne à m'battre et quelques chants d'ton clan aussi.

Hjolgrim semble plutôt gêné avec cette simple demande, tout honteux de devoir troquer un peu de son temps de mine pour un peu de combat. Pourtant du combat ici ils en avaient bien besoin, car ils étaient en territoire hostile. Depuis l'époque ou Hilda avait décidé de sauver sa trogne d'une fessée légendaire, il avait réalisé qu'il ne savait absolument pas se battre correctement et qu'il serait un poids une fois sorti de la mine.

- Enfin hors des mines j'veux dire, t'sais on sait pas trop faire alors on fait comme dedans les tréfonds mais j'crois pas qu'ça marche bien, on a perdu deux gars pis j'voudrai bien qu'on puisse apprendre à être a vos côtés aussi.

Une chaussette naine vola dans la pièce afin de tomber directement sur une des épaules d'Holgrim, lancée par un nain qui semblerait-il était déçu de cette prestation et s'attendait à toute autre chose. Le remue ménage de la révélation dans la taverne avait fait son bout de chemin et d'aucun ne s'imaginait le regard flamboyant couché dans les livres des prophéties comme une demande d'entrainement.

Hjolgrim comme à son habitude ne percutait rien ni à l'ambiance, ni au quiproquos ou encore à ce qui se tramait. Il avait été très gêné par la demande après tout. Il renvoya la chaussette sur un nain proche qui riait avec les autres.

- Beh t'as qu'a t'battre toi contre les sauvageons dehors, tu vas nous montrer des manoeuv' de tailleur de pierre ptet ?

L’attitude de Hjolgrim et l’ambiance de cette salle au cœur de cette nouvelle place-forte en cours de construction, changea du tout au tout lorsque le chef de place avança droit vers Hilda, le regard déterminé et l’attitude autrement plus sérieuse. D’un coup, les regards se tournèrent vers Hilda et Hjolgrim ; les barbes s’agitaient, invitant au regard dans une direction précise alors que le Haut-Conseiller de Thanor parle, bredouille, fait des tours et des détours dans son phrasé pour demander finalement…

… A apprendre à se battre. Mais serait-ce métaphorique ? Ou serait-ce une réelle demande ? Car apprendre à se battre, apprendre des chants de clan, sont des choses que d’aucun pourrait comprendre comme une séduction cachée. Même chez les Nains, la séduction est… Affaire d’images, de métaphores, d’actions directes mais aussi, surtout, indirectes. Serait-ce… Ce qu’il se passe à l’instant ?

Mais si tel était le cas, que ferait Hilda ? Qu’est-ce qu’une fille de Roi, guerrière d’à peine 72 ans, pourrait bien faire avec un thane de deux fois son âge ? Certes, elle était en âge de procréer ! Elle était en âge d’être une Naine adulte, forte et indépendante ! Elle était capable de mettre au monde la génération de demain dans un monde où l’on vit aisément plusieurs siècles. L’âge n’avait rien à voir avec tout cela : elle aviat d’ores-et-déjà passé son Kumenouth voilà des années, et, si elle n’était point thane, elle demeurait adulte, et fille de Roi justement. Hjolgrim, lui, était dans la force de l’âge. Autrement dit, suffisamment stable dans sa vie d’adulte pour construire une famille. D’ailleurs, la jeunesse d’Hilda serait sans doute une aide de qualité lorsque viendraient les accouchements… Car mettre au monde un nouveau Nain était un combat bien plus difficile que celui d’un Troll… C’est dire.

La réaction de Hjolgrim la tira de sa rêverie, alors que ce dernier hurla sa gêne évidente et son anxiété latente à l’un de ses poilus. Piquant, acerbe et précis, il envoya ces mots comme l’archer envoie des carreaux : avec une précision chirurgicale. Il fallait dire que le vol de la chaussette droit dans leur direction avait de quoi éprouver durement les nerfs de n’importe quel Nain… Ou Naine. Alors que Hjolgrim s’éloignait de Hilda en hurlant, cette dernière se releva de son assise et finissait sa chopine d’une seule gorgée. Alors qu’elle avait l’air de perdre ses moyens, Hilda interpella Hjolgrim d’un geste sur son épaule.

« Il y a des soldats, tu sais. Mais… Enfin, mon père avait toujours fait en sorte de former les Nains de notre hameaux, même les simples brasseurs. Alors… Oui, je peux t’apprendre. »

La discussion en arrière plan semble se poursuivre, car évidemment tous les nains avaient du répondant d'une manière générale.

- C't'un bien beau marteau pour fendre des crânes de grobis, même si toi t'es habitué à leur agripper le fessier !

Un petit rire s'échappa en arrière plan alors que le barbu tapotait son marteau d'un piolet plat en métal noir.

- Des grobis ? Et pis t'en a vu beaucoup toi déjà des grobis ?

Hjolgrim rétorquait sourire aux lèvres, un tailleur de pierre n'évoluait pas dans les mines d'une manière générale et était bien souvent plus en arrière, si il y avait bien des corps de métiers qui savaient en général moins se confronter que les autres, c'était bien les artisans ; quoi qu'Hilda pourrait lui donner tort sur ce point.

- Ben tiens, quelques uns ouais, sur les fresques de Kirgan !

Cette fois-ci c'est un amusement général qui se fit entendre alors qu'Hjolgrim se grattait la barbe.

- T'es un p'tit rigolo toi !

- Pour tout t'dire à Thanos on m'appelle l'guignol !

Avant que la situation n'aille plus loin, c'est l'intervention d'Hilda qui le tira de ce débat stérile très dawi, alors qu'elle déposa sa main sur son épaule. Il ne se formalisa pas et se retourna, tout de même surpris du contact. Le silence était absolu et les regards de ceux qui ne travaillaient pas attirés par la scène.

- C'toi qui formait les soldats la dernière fois alors ça m'semblait évident, pis bon j'te connais bien comme ça j'aurais pas de surprise !, dit-il en riant.

- Pourtant avec toi c'est toujours plen de surprise !, coupa un des mineurs du clan qui venait de remonter, il déposa les deux pognes sur les épaules du thane pour le féliciter et lui fit une accolade. Hjolgrim resta béat, il ne comprenait vraisemblablement absolument pas la cause de ce raffut.

- Pis tu veux pas v'nir t'entrainer aussi ?
- Pas b'soin, j'ai bien assez d'travail comme ça pis Berthinde n'sera pas contente.
- Ah ouais bah alors 'vite d'la contrarier. Pis ca avance en bas ?
- On tape dans l'dur, c'compact parce que y'a beaucoup d'fer.

Hjolgrim afficha une mine surprise, il recula la tête et lui tapa l'épaule d'un coup sec pour le féliciter à son tour.

- J'm'en viens creuser !
- On a pas b'soin d'toi, reste donc en bonne compagnie pis on t'appelle si on arrive pas.

Il s'éloigna ensuite, attrapant une choppine au passage. C'était bien la première fois qu'on demandait à Hjolgrim de ne pas venir prospecter un filon. Il haussa les épaules, ca devait pas être si génial que ça, ou du moins pas au point qu'il ne se déplace. Son regard se porta de nouveau vers Hilda qui était alors juste a côté de lui.

- Alors Princesse on commence quand a taper ?

Le moins qu’Hilda puisse dire, c’est que l’ambiance était des plus survoltées aujourd’hui, dans cet endroit. Entre l’évidente masculinité virile des mineurs et des forgerons, joailliers et autres artisans qui venaient là pour se détendre et qui, en voyant l’attitude de Hjolgrim, se plaisaient à imaginer les-dieux-savent-quoi entre le thane et la jeune bavette.

Tous connaissaient Hjolgrim, cela était évident. Il fallait dire que le fier poilu était le chef de ces lieux et le dirigeant à l’origine de tout ceci : par sa vaillance, son courage et sa témérité – et d’aucun dirait un peu de clairvoyance – il avait su motiver ce projet auprès du Roi lui-même, et, ce faisant, avait rallié quantité de Nains dans cette initiative. Il était donc normal qu’il soit connu, et reconnu ; il était évident qu’il soit celui qui soit la caboche et la trogne de toute cette aventure. Les uns après les autres, les cogneurs qui remontaient des profondeurs défilaient pour l’embêter ou lui témoigner de l’affection. Hilda était tantôt souriante, tantôt désarçonnée. Ce qui se passait-là, entre les demandes logiques du Haut-Conseiller et l’attitude presque ambigüe avec laquelle il parlait et s’approchait d’Hilda, était vraiment déstabilisant.

Mais Hjolgrim su remettre quelques pendules à l’heure, lorsqu’il rappela à Hilda ce petit surnom qu’elle détestait tant. Princesse ? Le prenait-elle réellement pour une quelconque Umgi pathétique, patentée et franchement déshonorante ? Oh, elle lui apprendrait bientôt qu’elle n’était pas une princesse, et encore moins, une humaine. Alors, lorsqu’il lui demande quand est-ce qu’ils pourraient finalement se frapper l’un sur l’autre… Elle lui offre une magistrale, surprenante et tonitruante gifle. Tel un ouragan, une tornade et une apocalypse, elle lance son bras – alourdi par l’armure – et écrase une pogne aux doigts contractés et à la paume se plaçant pile entre la narine gauche et le dessous de la lèvre inférieure.

« Première leçon : je ne suis pas une foutue princesse Umgi. » Dit-elle, le regard ardent et les lèvres pincées. « Deuxième leçon, et celle-ci j’t’en fais cadeau : toujours être sur ses gardes ! »

La gifle arrive, mais il ne la voit pas. Il était censé être prêt mais il n'était pas un guerrier, et l'ambiance avait eu pour effet de le détendre ; inévitablement sa posture et ses muscles étaient tous aussi détendus.

Dans bien des peuples, des cultures ou des races, les femmes avaient bien moins d'explosivité que les hommes car ces dernières n'étaient pas tout à fait constituées comme les hommes. Elles étaient moins fortes sur le plan de l'explosivité musculaire à poids égal. Pour les dawis par contre il n'en était rien, ils étaient tirés de la roche, de la pierre la plus compacte des montagnes, qu'ils soient homme ou femme.

C'est donc avec une force similaire de celle d'un guerrier nain rompu a l'exercice qu'elle envoie une gifle - ce qui aurait pu être pire dans le fond - et cette dernière s'éclate contre la caboche de Hjolgrim dans un bruit sourd. Il recule d'un pas, titube. Les nains sont solides, par contre ils ne sont pas insensibles aux chocs contondants, encore moins quand tous les muscles du cou étaient relâchés. Sa tête tourne brièvement, il étend les bras afin de chercher un équilibre qu'il ne parvient pas à trouver, et c'est le poids des outils qu'il porte à sa ceinture qui, se conjuguant à une gravité certaine, finirent d'attirer son énorme fessard sur le sol de la mine mal lissé.

Dans un fracas métallique, Holgrim se retrouve étalé sur le sol comme le dernier des poivrots de bistrot, sous le rire commun et gras de ceux ayant assistés à la scène. Il lui fallut tout de même quelques secondes afin que la pièce arrête de tourner alors qu'il se secoue la tête comme si il venait de se réveiller d'un lendemain de cuite.

- EH BEH.

Il envoie sa main à droite a gauche afin de trouver une surface ou s'agripper et c'est finalement son comparse tailleur de pierre avec qui il s'était disputé auparavant qui vint lui prêter main forte, l'aidant à se relever, lui servant de support le temps qu'Hjolgrim retrouve tous ces esprits.

- Je suis bien désolé mon brave, je retire ce que j'ai dit j'aimerai pas me battre contre des sauvageons.

Un autre rire se fit entendre alors que le guignol venait de comparer Hilda à une sauvageonne que lui même n'affronterait pas.

- Bah elles ont du caractère les petite gemmes d'notre bonne capitale.

Il est intéressant de noter que le mot princesse n'était plus usité, sans doute que la claquasse de golgoth avait finalement achevé de le convaincre qu'il n'existait en Hilda aucune once de grâce féminine. Par contre le mot gemme se conjuguait facilement avec tout ce qui brillait, en plus d'être une bonne comparaison pour le tailleur de pierre.

- Celle la t'en iras la tailler toi.

Un tout petit attroupement s'est créé, et sans doute que l'égo d'Hjolgrim venait d'en prendre un coup. Sans prévenir dès lors que sa vision lui permit de voir droit, il fonça sur Hilda pensant (forcément à tort) la prendre par surprise. Ne souhaitant pas la blesser - Il ne se doutait pas qu'il n'y parviendrait de toute façon pas - il ne frappe pas mais se contente de préparer un plaquage en règle.

Hilda était prête. Elle se doutait, d’une certaine manière, que si ce n’était point Hjolgrim qui l’attaquerait ensuite, ce serait sans doute un de ses cognards, ou un autre mineur alcoolisé… Allez-savoir. Car, bien qu’elle soit une guerrière, elle avait elle-aussi compris et céder parfois aux humeurs de ces endroits troglodytes uniques au monde. Ici, tous les Dawis savaient qu’ils écrivaient l’histoire. Une histoire, dans la grande Histoire, décidée par le Roi sous l’impulsion géniale d’un Hjolgrim illuminé mais confiant en ses capacités minières et d’ingénierie. Ils écrivaient l’histoire, et, dans cette euphorie passive qui couvait, parfois, se congratulaient tous d’être ici, dans les plus hauts sommets du monde. Cette euphorie pouvait, parfois, faire pousser des ailes à certains…

Mais, encore une fois, ces ailes, c’était Hjolgrim qui les reçus. Il se mit à courir, avec la folie dans le regard – et cette espièglerie qui le caractérisait tant – droit sur Hilda qui l’attendait. Elle avait deux solutions… Soit utiliser sa force pour pouvoir le projeter, soit, le laisser passer et voir jusqu’où il pourrait foncer… Dans le mur, peut-être ? Non, décidément non, elle ne lui laisserait point cette bonté.

Elle ouvrit alors ses bras, et reçu l’épaule de son assaillant droit dans son plastron. Tel un bélier fonçant tête baissée, Hjolgrim avait l’attitude d’un bouc énervé et, de part la différence de gabarit, forçait la guerrière à faire quelques pas en arrière. Jusqu’à-ce qu’elle puisse se ressaisir, placer son pied directeur en appui, ses deux mains autour des côtes de Hjolgrim… Avant de faire basculer Hjolgrim le mineur par-dessus ses épaules dans une souplesse arrière. Geste technique typique de la lutte au sol, la « souplesse » était un moyen d’utiliser la force brute et la rapidité d’un être, à son propre avantage. Hjolgrim devait peser pas mal de kilos de plus qu’elle… Mais elle l’envoya pourtant au-dessus de ses épaules, avec l’aide de sa force à lui.

« Eh bien ! » Lui dit-elle, alors qu’elle se relevait et regardait le mineur, les quatre fers en l’air. « Tu es aussi fort que bête ! »

La souplesse était une chose tout à fait inconnue du mineur de fond, c'était une légende à ses yeux. Qui était assez atteint pour utiliser ce genre de techniques en combat ? Le salaire de cette ignorance venait de tomber, en même temps que la totalité de son poids tête la première sur une table improvisée ou quelques dawis dégustaient une brune qui finira bientôt étalée au sol.

Se relevant difficilement, Hjolgrim se saisit discrètement d'une choppe de bière et en jette le contenu au visage de Hilda afin de créer l'effet de surprise, puis recommence la même manœuvre. Si elle se battait avec son expérience du terrain, lui il se battait avec l'expérience d'un bagarreur de taverne.

Avant de rentrer en contact avec Hilda cependant il fut interrompu dans son élan par un choc latéral provenant d'un des hommes d'armes d'Hilda et les deux se retrouvèrent bientôt à terre. Cette intrusion lança les hostilités au sein de ce qui était une gigantesque taverne en construction et bientôt, des cris d'encouragement se lancèrent de part et d'autre au fur et a mesure que des dawis entrèrent dans cette bataille. Deux cognards se jetèrent sur le soldat ayant percuté Hjolgrim alors que d'autres encadrèrent la scène pour éviter que d'autres s'y joignent, mais bientôt c'est une bagarre généralisée qui se produisit. Des choppes de bière vide servaient de projectiles aux uns en hauteur qui tentaient de redescendre de leur échafaudage, ces derniers tanguaient de gauche à droite sous les mouvement de foule en contrebas.

- BAZRAM ! DU BAZRAM KHAZÂD-ÛL ! AKHÂDÂK KHAZÂD !

C'est sous cet élan d'appel à la baston (ou à la fête c'était selon la culture interprétant cette scène) que débutait une cacophonie de cris, et d'une façon ou d'une autre bientôt, tout le monde trouvait le moyen de se taper dessus, que ce soit les mineurs et les artisans ou la garde et a peu près n'importe qui. Seuls les plus âgés et sages continuaient près des portes à travailler à leur tâche, ne souhaitant pas que cette dernière cède à cause d'une erreur de calcul.

Nain:

Ainsi, l’affrontement se dessinait dans cette taverne en devenir où résonnaient autant les bruits des marteaux et de burins que ceux des chopines et des tonneaux mis en perce. Un affrontement amical, bien-sûr ; simpliste, évidemment ; sans rancœurs ni velléités réelles, sans haines ni violences autres que celles qui motive un cœur à faire preuve d’une détermination à combattre et battre un adversaire amical. La bière reçue en plein visage, Hilda arme ses poings, prête à en découdre et à encaisser, mais le bruit violent et sourd d’un corps endimanché dans une armure engoncée contre celui du Haut-Conseiller la ramène à la réalité : d’autres entraient dans la danse.

D’autres, donc, des deux côtés. Aussitôt se stoppa les échos des chantiers et de celles et ceux qui continuent de travailler en regardant de temps en temps le spectacle qui se joue, remplacés par les hourras, les applaudissements et autres bruits de chocs alors que volaient les choppes, s’effondraient les tables, se détruisaient les chaises et s’écrasaient les pieds de tables contre les dos, les casques, les bras et les murs de cette taverne en devenir.

Hilda rameuta alors autour d’elle trois autres cognards aux armures d’or et de blanc, signes qu’ils appartenaient à la garde royale. Disposés en carré, coudes serrés et gants prêts à frapper, Hilda démontra alors toute l’étendue de sa maîtrise des arts de la guerre et des combats.

« KHAZAD AF THRONGDURAZ ! »

L’ordre tomba tel un couperet, tel le verbe venteux, soufflé à grands renforts de colères aux oreilles d’un rejeton, ou, telle la célèbre hache au-devant de ses troupes prêtes à fondre sur l’adversaire quel qu’il soit. Tel un roc, le carré de soldat se mit en mouvements et avança, fendant alors la foule des mineurs, des artisans et des travailleurs qui se mettaient tous sur le coin du bec. Dès lors qu’une personne entrait de grès ou de force dans l’environnement proche de cette boule d’acier, ce dernier – ou cette dernière – était happé, frappé, projeté dans les pognes d’un second guerrier avant d’être frappé à nouveau puis projeter au sol. Pour les plus coriaces, plus jeunes ou fougueux, les coups étaient plus violents, mais surtout, il n’y avait pas de jeux, de passes, de pitié : coup de casque, de coudes ou de bocs… Tout était bon pour que la boule d’acier traverse le bâtiment et se retrouve aux côtés du tenancier, lequel regardait la scène avec un peu de pitié… Le mobilier, par ici, était importé, et difficile à produire étant donné l’avancée des travaux… Mais ainsi allait la vie dans ces contrées sauvages, dures et difficiles.