Une pièce tout en couleur [LIBRE]

Une main sur son épaule, le regard d'Azralith vint se fixer dans celui du gladiateur. Elle ne pouvait être totalement certaine de ce qu'il ressentait, mais elle était particulièrement familière avec la colère et cette dernière ne semblait pas lui être destinée.

Combien de fois avait-elle été dans sa situation, sans réellement comprendre pourquoi l'on réagissait ainsi autour d'elle, sa fierté eldéenne suffocante prenant le pas sur sa réflexion. Mais ils n'étaient pas au Puy, ils n'étaient pas entourés de chevaliers péninsulaires ou même de guerriers Darthiiris. Ils étaient à Thaar, au milieu d'une foule dont la plupart n'avaient en cet instant aucun autre but que celui de se divertir. En ces lieux, ils n'avaient rien à prouver et encore moins à défendre.

Elle avait perdu bien trop de temps à confondre son respect pour les valeurs du Père avec l'adoration de sa propre braise.

Elle tourna alors soudainement la tête en percevant une voix plus proche que les autres. Tranchant avec la réaction et les encouragements du reste de la foule, une humaine à la chevelure rousse s'était approchée, s'inquiétant visiblement de leur état.

Une main lui était tendue. Un geste pourtant simple qui figea Azralith sur place un court instant. L'éclat écarlate scruta le visage de la rouquine, comme pour y chercher une émotion en particulier, quelque chose qui n'y figurait désespérément pas, comme pour donner un sens à ce qui n'en avait pourtant aucun. Mais elle cligna des yeux, reprenant ses esprits, son sang en ébullition ne s'était toujours pas calmé et frappait violemment à ses tempes, avide, affamé.

La guerrière empoigna alors fermement la main tendue et se releva, tirant soudainement sur le bras de l'humaine mais veillant à ne pas la faire s'effondrer en avant. Elle roula ses puissantes épaules avant de s'étirer les bras, ressentant l'écho lointain d'une légère douleur s'évaporer petit à petit. Ranadath lui, fixait le sol, le corps droit, dans une posture quasi identique à celle qu'il avait adopté lors de leur première rencontre.

Dressé comme un animal, les réflexes de ce qu'on lui avait inculqué refaisaient surface en permanence. C'était pour cette raison qu'il avait été laissé en liberté à Thaar car jamais il ne chercherait à trahir ses maîtres. Certains morgals avaient plus de libre arbitre.

Comprenait-il seulement réellement les nuances de la foi envers le Père ? Se contentait-il seulement d'obéir, d'appliquer sans vraiment comprendre, sans réfléchir au pourquoi de ses actions ? Azralith n'avait jamais eu d'esclave personnel, et cela ne l'intéressait guère. Désormais, le respect que l'on pouvait éprouver à son encontre, elle souhaitait le gagner.  

"Je t'ai pourtant déjà demandé de te tenir fièrement, Ranadath. Inutile de se comporter ainsi." Lâcha-t-elle à son encontre. Son visage se tourna vers l'humaine à la chevelure rousse, et elle s'apprêta à prendre la parole avant de subitement s'interrompre, ses longues oreilles se dressant vers le ciel.

Là, parmi le chaos ambiant et le brouhaha invasif de la foule, elle percevait quelque chose. Un rire. Son regard suivi son ouïe et la vision d'un homme rabattant tant bien que mal sa capuche sur son visage lui confirma ce que ses oreilles avaient pourtant déjà reconnues. Une lueur s'alluma dans ses yeux et un large sourire envahit son visage alors qu'elle se mit à charger en direction de sa cible.

Sans lui laisser le temps de réagir, elle attrapa Viliam par la taille et le souleva dans les airs, serrant de toutes ses forces et laissant s'échapper un rire bruyant. "Je savais bien que tu crèverais pas aussi facilement !"

Il avait vu le regard peiné de l’aubergiste, et lui avait répondu d’un clin d’œil et d'un sourire. Ils se reverraient c’était promis. Mais aujourd’hui il leur fallait disparaitre à nouveau.

Un cri de surprise échappa au bandit qui avait donc commencé à s’éloigner discrètement du lieu de chaos. A peine eu-t-il le temps de se retourner au son des pas tambourinant dans sa direction. L’expérience lui sembla similaire à celle de se prendre un mur en pleine face… Un mur qui riait fort.

Il battit des bras comme un enfant alors que la gigantesque drow le serrait de toutes ses forces, menaçant de lui briser quelques os qui lui semblaient presque entendre couiner. Ou alors c’était lui-même qui produisit ce son singulier…

-Là comme ça...j’sais pas trop si ça va pas arriver plus vite que prévu… Gémit-il avec le peu de souffle qui lui restait, sans trop situer de quoi elle parlait.

Il n’était pas à l’aise à être ainsi tenu. Non en réalité il détestait ça. Mais la joie d’Azralith était contagieuse et ses mains finirent par cesser de s’agiter dans tous les sens pour trouver le dos de la géante et donner quelques tapes amicales. Si on mettait de côté la brutalité de la scène, il y avait quelque chose de presque tendre dans cet improbable spectacle. Elle lui avait manqué la colosse venue d’Elda.

-C’est bon de te revoir Azralith…Mais si tu veux bien…me poser…Pitié. Aurait-il rit si ses poumons avaient eu assez d’air.

Clarisse, elle, n’était pas sûre de savoir quoi faire entre rire ou s’inquiéter de la scène qui attirait plus d’un regard, la fin du spectacle complètement abandonné au profit d’une passivité stupéfaite de la part des interprètes.

Ce n’était pas tant la scène de retrouvailles que les regards surpris, qui risquaient vite de devenir inquisiteurs qui inquiétaient la voleuse. A force de s’agiter dans tous les sens, il y en aurait forcément un pour les reconnaitre et même si la foule avait semblé de leur côté pendant le spectacle, elle ne tenait pas à faire une comparaison avec la réalité. Elle semblait tendue et eut un regard vers Esperanz, sans avoir l’air de trop savoir comment réagir et de chercher une réponse chez sa camarade. Il y en aurait au moins une un peu plus sage que les autres quand même...?

L'attention des gens n'était pas une bonne chose actuellement et, sur la scène au loin, les acteurs semblaient chercher un moyen de récupérer l'attention de la foule. Esperanz chercha Puiri du regard et lui fit quelques signes avec les mains. La gamine hocha la tête avec fierté et commença à courir partout dans la foule tandis qu'Espranz filait droit vers le metteur en scène pour l'attraper et elle planta un regard d'acier dans ses yeux, persifflant :

- "Écoute moi bien, si tu ne veux pas perdre ton public et rameuter la garde, tu vas demander à la grosse dame là de regarder dans sa poche. Elle va y trouver un objet qui appartient à quelqu'un d'autre. Trouve une petite gosse avec des cheveux noirs et courts, regarda où elle va, elle te fera des signes pour te dire quoi dire. T'as intérêt à me suivre sinon je m'occupe de ton cas c'est clair ? Dis leur que tout faisait partie du spectacle, pour détourner leur attention le temps de faire de la magie c'est clair ?"

Apeuré, l'homme hocha la tête et, tandis qu'Esperanz retournait discrètement près de ses amis. Elle attendit à peine une seconde pour que le metteur en scène reprenne la main sur l'événement et attire l'attention sur les objets échangés. La foule s'exclama et, s'il restait des curieux pour continuer de regarder dans leur direction, les acclamations des objets volés et échangés par Puiri les forçaient à se détourner peu à peu. Esperanz posa la main sur l'avant-bras de Viliam.

- "Clarisse a raison, Puiri fait diversion avec les acteurs, mais on devrait filer d'ici rapidement et discrètement. "

Après tout, l'échange d'objets ne tiendrait pas bien longtemps, même s'il s'agissait d'un autre divertissement.