Changement de stratégie : pion en F4.

4ème jour de la 6ème ennéade de Bàrkios.
Second mois de l’Automne | Année XXI | XI Cycle.
Océan d’Eris | Une île isolée où se trouve une épave à moitié brûlée et immergée.

Adriano lui-même n’aurait point parié un seul écu sur l’entrevue entre lui et le capitaine pirate désormais célèbre, le Rokvenha. Les raisons de ce manque de foi sont évidentes… Celui que l’on nomme « Rokvenha » est le responsable de l’enlèvement d’Adélina, voilà maintenant deux mois, alors que cette dernière lui offrait les soins et l’attention que tout Souffle mérite en ce monde, surtout en cas de blessure. La « Rose de Lodiaker » d’alors, fut enlevée par le pirate, voyant ici une opportunité de gagner non seulement beaucoup d’or, mais aussi, de se faire un nom dans la société Mécane… Et sans doute y gagner un peu plus de pouvoirs. Ainsi allaient les hommes.

Adriano avait alors fouillé la moindre bâtisse, le moindre boutre, le moindre navire de pêcheur ou de contrebandier ; envoyé tous les navires de l’incroyable armada du Soltaar dans les eaux côtières et fluviales ; fait épingler le portrait supposé du capitaine pirate dans toutes les capitaineries, tous les navires de l’armada, tous les bâtiments officiels et les bureaux des fonctionnaires. Il avait même offert 20 000 souverains pour retrouver sa promise… Et avait, au final, sauvé cette dernière d’un autre équipage de pirates que celui qui l’avait enlevé en premier. Et cet équipage, ils le détruisirent ici, sur cette île choisie expressément pour cette rencontre. Car si le capitaine plaçait cette rencontre sous le signe d’Eris, Adriano, lui, la plaçait sous le signe de son propre contrôle, de sa propre autorité. Les cadavres à demi-immergés et les os blanchis par le sel et la décomposition, témoignaient de l’affrontement qui avait eu lieu ici.

Conformément à sa parole, Adriano était venu seul. Enfin, avec un seul navire. Sa sublime et impressionnante caraque renfermait toutefois plusieurs dizaines de soldats dans ses ponts inférieurs, des munitions et des vivres. Au loin, à une demi-journée de navigation, se trouvaient d’autres navires qui n’attendaient qu’un pigeon, ou de ne point revoir le navire amiral au lendemain de la rencontre, pour fondre sur l’île et attaquer le moindre navire pirate qui se présenterait devant eux. Une sécurité retardée, mais qui était tout de même nécessaire. Evidemment.

Mais Adriano désirait en apprendre un maximum sur cette rencontre, celui qui lui ferait face, et ceux qui naviguent avec lui. Il ne voulait point d’affrontement, pour la simple et bonne raison qu’il savait Adélina absente de cette rencontre – ou du moins il s’en doutait grandement – et que l’enchaînement des évènements passés trahissaient aussi d’autres choses… Peut-être qu’Adélina avait choisi sa nouvelle vie. Auquel cas, Adriano ne la voudrait plus vivante, ni à ses côtés, ni en Péninsule. D’aucune manière que ce soit. Aussi, aujourd’hui, il désirait pouvoir comprendre, apprendre… Et reprendre une vie un peu plus normale en reprenant la main sur ses eaux, son duché, et son commerce.

L’île était petite, et exposée aux vents d’un hiver un peu trop précoce. Aussi Adriano fit-il montrer une tenture de plusieurs épaisseurs, afin de conserver un peu de chaleur et de couper les vents. La situation fut choisie pour éviter d’être emporté par la marée, car cela serait dommageable pour les deux camps. Et, dans cette tenture où il n’y avait que quelques serviteurs triés sur le volet et des soldats d’élite destinés davantage à sa garde qu’à un combat, le Duc attendait, à l’abri.

Si bien d'événements ont marqué l’histoire et sont connus de tous, il y en a d’autres qui se sont déroulés dans l’ombre, sous le regard des Dieux comme uniques témoins. La rencontre qui allait se faire en plein cœur de l’Eris sur une petite île choisie était de ceux-là. Rares étaient ceux en avaient connaissance et encore plus ceux qui pouvaient raconter ce qu’il allait s’y dire et s’y décider.
Les deux hommes qui allaient se rencontrer en ce jour étaient des ennemis et ce n’était pas un secret. Tout le duché au sud de la Péninsule avait entendu parler des actes du Rokvenha à l’encontre du Duc lui-même, l’humiliant et salissant son nom. En réponse, Adriano avait fait couler le sang de nombreux mécans en se cachant derrière le nom du capitaine pirate pour justifier ses actes cruels. De leur affrontement distant, beaucoup d’hommes et de femmes avaient péri.

C’est donc avec une certaine appréhension que Rokvenha avait préparé cette rencontre, prenant la menace de son adversaire au sérieux. Si le pirate n’avait pas une imposante force de frappe égale à celle du Duc, en tant que flotte, il disposait d’une réputation et d’un arsenal bien moins commun - du moins d’après les racontars et les rumeurs - qui jouaient en sa faveur. Le “Fidèle de la Médée” comme le nommaient certains insulaires, avait décidé de placer cette rencontre sous le regard de la Noyée, comme un symbole, voir une menace, à l’encontre d’Adriano en lui disant qu’aucun acte hostile ne serait toléré par la Déesse des Abysses.
Rokvenha avait même demandé à son nouvel allié Eylohr, capitaine de l’Abyssale, de l’accompagner. Bien qu’Adriano avait suggéré de venir qu’avec un seul navire , il ne faisait pas totalement confiance au Duc et préférait savoir que des renforts de poids étaient dans son dos en cas de danger. Les ordres avaient été simples, suivre le “Second Souffle” jusqu’à voir l’île puis, s’en écarter pour sécuriser les eaux environnantes, sans montrer un quelconque signe d'agressivité, simplement être présent. La caraque noire aux voiles carmines savait être intimidante rien qu’en naviguant et c’était bien suffisant.

Pour cette rencontre exceptionnelle, Rokvenha n’avait pas décidé d’emmener Adélina. Il ne lui avait même pas annoncé la raison de son départ, prétextant une simple expédition en mer en compagnie de son allié. De la même manière que la première fois où les deux hommes avaient décidé de fêter leur alliance nouvelle, pillant un navire ensemble. Bien sûr, il n’avait pas su la convaincre totalement, mais la Rose avait fait comme si elle ne soupçonnait pas quelque chose, le laissant alors prendre la mer.
Caleb se doutait bien qu’un des sujets importants de cette discussion avec le Duc serait Adélina, ancienne baronne péninsulaire et ex-épouse de ce même Duc, que le marin a à deux reprises soutiré des bras du Soltari. Et s’il lui fallait dire la vérité, Rokvenha le ferait. Il dirait alors qu’Adélina n’avait aucune envie de se marier à cet homme, qu’elle doutait de son innocence quant à la disparition de son premier mari et plus encore, qu’elle avait s’était offerte de Corps et de Souffle au mécan lors de leur première rencontre. Rokvenha le dirait, non pas pour narguer et humilier une seconde fois l’homme devant lui, mais bien pour lui faire comprendre qu’elle lui était perdue définitivement.

Alors, quand les navires approchent enfin de l’île, que la caraque aux voiles rouges dévie de sa trajectoire, Caleb, sur la proue, inspire profondément avant de donner les derniers ordres à son équipage. Lentement, le boutre s’approche de la petite île et une barque est jetée à la mer. Accompagné de sa seconde et de son maître d’équipage, Rokvenha accoste sur le rivage. Le lieu choisi par Adriano l’interpelle, il témoigne d’un combat acharné, une épave éventrée, des os rongés par le sel marin. Mais il avance, confiant.

Sous son manteau et sa capuche, le capitaine a peint de nombreux vévés en symbole de protection. L’un d’eux sur son front, fait d’un pigment vert mousse, symbolise un E croisé de deux piques en symbole de protection, là encore, d’Eris. Par cette peinture tribale, le mécan s’assure alors Son regard, mais il perpétue aussi l’imaginaire péninsulaire concernant son peuple, ces êtres sauvages et sanguinaires, primitifs et dangereux.

Il avance alors, la démarche assurée et s’arrête à distance, se faisant remarquer des hommes montant la garde devant la tente du Duc. Ceux qui l’accompagnent se tiennent légèrement en retrait, bien sûr, des lames sont visibles à leur ceintures y comprit les Crocs Jumelles de Caleb. Il patiente alors, les bras croisés sur son torse, secoué par le vent salé et iodé. Un murmure se lit sur ses lèvres. “... Mère d’Mers, garde moi de la tempête.”

« Votre Altesse ? » Dit le nouveau capitaine de la Guardia Soltaari, un noble – bien-sûr – choisi parmi les rangs des forces armées du Soltaar pour ses aptitudes martiales, son expérience du combat et sa loyauté sans faille. « Un navire vient d’arriver. Deux hommes et une femme en sont descendus, dont l’un ressemble trait pour trait au Rokvenha. Ils sont armés. »

« Bien. Allons saluer nos invités fort particuliers. »

Le Duc se leva de sa royale assise en cuir et en fourrures, se dégageant de cette fourrure d’ours chassé dans le Nord qui couvrait ses épaules, son dos et une partie sa taille et de ses jambes. Bien au chaud jusqu’alors, le Duc ressentit l’assaut mordant d’un froid qui ne demandait qu’à croitre et grandir, encore et encore. Sa tenue de velours était chaude, mais point suffisante… Retourner à l’abri de sa fourrure lui donnait nettement plus envie que d’aller saluer celui qu’il avait tenter de balancer au bout d’une corde durant des ennéades entières.

Il se plaça devant la sortie de la tente, dépassant alors trois épaisseurs tendues par des piques et des pierres pour supporter les bourrasques salées de cette partie du monde. Se plaçant à la gauche, et au-devant de son capitaine, le Duc croisait ses mains devant sa taille. Aucune lame ne transparaissait, mais il en avait bien une : une dague courbée, placée à sa ceinture, sous l’épaisseur du pourpoint de velours. Point l’endroit le plus évident pour dégainer rapidement, mais une défense efficace tout de même.

« Capitaine ? » Dit-il, s’attendant à voir s’avancer l’homme en question. Et, lorsqu’enfin il pu le dévisager, et même, en reconnaître les fameux traits, le Duc poursuivit par quelques mots. « Bienvenue. Vous pouvez laisser un de vos marins en arrière, et placer le second à la place d’un de mes gardes, en signe de bonne foi. Ainsi, cette tente ne sera point uniquement gardée par mes gardes, par les vôtres aussi. Mon garde restera à la droite de l’entrée : le vôtre n’aura qu’à se placer à la gauche. Si cela vous convient, je vous invite à entrer sans plus tarder. »

Puis, voyant que la réticence laissa place à l’exécution, Adriano entra, suivi peu de temps après par Caleb. Une table ronde avait été dressée. Adriano était à l’autre bout, de l’autre côté de la tente, tandis que Caleb, lui, était du côté de l’entrée. Les deux disposaient de fauteuils de cuir ; les deux disposaient de fourrures chaudes ; les deux disposaient d’un verre de cristal, d’une assiette d’argent et de quelques couverts. Une chopine de bois avait été déposée également, en plus d’un troisième verre d’argent. Un serviteur se trouvait-là, et, une fois les deux protagonistes installés, prit la parole dans une déclame sobre et sans fioritures.

« Votre Altesse, Capitaine, souhaiteriez-vous un petit rafraichissement ? » Débuta-t-il. « Si l’envie vous en dit, nous disposons d’un vin du Soltaar, fruité et acidulé ; d’un vin du Nord, fort et amer ; d’une liqueur de Thaar et d’une autre d’un artisan du Soltaar, toutes deux parfaites pour la digestion. Pour du plus chaud, nous vous proposons un thé, un grog, ou une boisson torréfiée venant des sables chauds d’Ithri’Vaan. »

« Excellente proposition. Pour ma part, je vous prendrais cette boisson torréfiée, et un verre de vin de notre contrée. Ouvrez les bouteilles et les ingrédients ici, que notre ami ici présent puisse constater qu’il n’y a ni manipulations ni entourloupes. »

Le serviteur prit alors la commande du pirate, et, sans demander son reste, quitta la tente pour se rendre jusqu’à la petite dépendance qui avait été débarquée. Elle aussi sous toile de tente, elle aussi protégée du froid, des serviteurs faisaient des allés et retours jusqu’au navire amiral pour rapporter et déposer des ingrédients, et faire parvenir également les ordres entre la terre et la mer. Tandis qu’ils s’affairaient à préparer les boissons, Adriano pu débuter son oratoire.

« Capitaine, je vous remercie d’avoir fait le déplacement jusqu’ici. J’imagine sans difficultés que vous vous demandez pourquoi cet endroit, et pourquoi ce décorum… C’est ici qu’Adélina aura recouvré la liberté. Ces corps, et ce navire brûlé, sont ceux des pirates qui, d’après ce que j’ai compris, auront ôté Adélina à votre garde, après que vous l’ayez ôté à celle de sa famille. J’imagine que ces… Flibustiers, vous auront trahit d’une quelconque manière, car ils auront été nettement moins respectueux envers elle, que vous l’avez été. D’après elle. » Dit Adriano, expliquant alors l’histoire de ce lieu, et indiquant également le début de sa pensée. « Je considère donc que cet… Affrontement, vous aura certes enlevé votre… « Rose »… Mais il vous aura aussi ôté une large épine de votre pied. Considérons donc ceci comme le premier acte d’une future entente, voulez-vous ? » Une question qui, en réalité, ne souffrait d’aucune réponse. Du moins, point une réelle. Adriano établissait là un cadre aux futures discussions, qui ne laissait point de place à d’autres discussions ni autres ajouts. A ce moment, le Rokvenha ne pouvait qu’accepter, et entendre la suite ; ou refuser, et repartir de suite. Mais Adriano savait le Capitaine trop curieux pour partir de suite. Aussi continuait-il, sans trop laisser de temps au Rokvenha de prendre la parole. « Car si je vous ai contacté, c’est bel et bien pour vous proposer une entente, des plus officieuses. J’ai, je pense, de belles opportunités à vous proposer, en échange de votre participation active et sincère à cette entente. Acceptez-vous de parler de tout ceci ? » Demanda-t-il, avant de reprendre, un air mesquin dans la voix et la mimique. « Vous… Savez sans doute que l’un de ces points concerne Adélina. N’est-ce pas ? »

Devant la tente, dressée pour l’occasion, les gardes s’activent et finalement le Duc se présente à l’entrée. Les trois marins s’avancent alors et, profitant d’être encore à distance Croqueuse lance une remarque à mi-voix, profitant d’un patois insulaire propre aux mécans.

“L’est pas bien grand l’Duc… J’l’imaginais pas comme ça.” Un sourire amusé se dessine alors sur le visages des forbans, bien que Rokvenha tente de garder son sérieux pour ne pas éclater de rire. La Seconde n’avait pas tort, lui-même s’était imaginé le Duc d’une autre façon, bien plus “imposant” par son physique. Cependant, la taille ne fait pas l’Homme et le Rokvenha, bien qu’amusé par la petite pique se reconcentre aussitôt en approchant.

Quand Adriano le salue, cherchant le capitaine, il avance aux devants des autres pour se montrer. Lentement, il retire sa capuche et dévoile alors son visage aux vévés tribaux. Ses iris clairs toisent un instant le Pair et dans un péninsulaire approximatif, il s’essaye à une salutation entendue d’expérience.

“Mes salutations.” Sa langue claque contre son palais et il reprend alors en Olyan bien mieux maîtrisé quand le noble exprime sa volonté de neutralité. Un instant, le doute s’empare de lui, pourtant la proposition est équitable, puis il regarde vers les siens et opine. “Aye, on va l’faire comme ça… Rocaille tu t’met à l’entrée, Croqueuse t’restes là et t’tiens compagnie à l’un des hommes.” Alors qu’il avance vers l'entrée, il se retourne une dernière fois et pointe les deux marins de son index. “Pas d’conneries, pas d’vagues… Même si on vous emmerde, essayez d’vous tenir un p’tit peu, j’reviens.” Puis il disparaît à l’intérieur, suivant Adriano.

Il observe alors l'intérieur de la tente et ce luxe tranchant avec l’ambiance sinistre de l’île. Enfin, il vient s’installer à la place qui lui est attribuée. Rapidement, il prend ses aises et s’enfonce contre le dossier du fauteuil, manquant même de poser ses pieds sur la table par habitude, se retenant de justesse. Quand un des serveurs s’approche pour demander les commandes, il opine simplement pour signaler qu’il suit le Duc et vérifie bien que les bouteilles soient ouvertes devant ses yeux.

Puis la discussion débute, les affaires sérieuses. Adriano, en bon Pair de la Péninsule, ne perd pas de temps et entre dans le vif du sujet. Silencieux, Rokvenha le fixe, sa main soutient son menton et son regard perçant se fige sur l’homme en face de lui. Le visage du marin montre son attention à l’écoute tandis que peu à peu, lorsque la situation est détaillée, un sourire se dessine aux coins de ses lèvres.

L’histoire de l’équipage semble l'amuser et le satisfaire, Adriano y voit là une sorte de “geste” fait à son encontre sans émettre le fait qu’il avait surement penser tuer le Rokvenha étant donné qu’il avait été déclaré mort en Péninsule. Puis vient ensuite un début d’affaire, qui pique le marin qui se replace alors plus en avant sur son fauteuil. Finalement, quand le Duc de Soltariel finit l’introduction à cette rencontre, le capitaine laisse un court silence et reprend alors.

“J’vais pas vous mentir, j’étais plutôt surpris d’recevoir vot’ missive et vot’ demande de s’retrouver pour discuter, mais j’vois là une occasion pour tous l’deux d’trouver une … entente comme vous l’dites qui pourrait nous êt’ profitab’, aye.” Il renifle alors et hausse finalement son sourcil droit. “J’veux bien vous écouter, pour sûr, j’ai pas naviguer jusqu’à vous pour rien et j’jugerai d’l’intérêt d’votre offre quand j’l’entendrai.” Il sourit alors, tenant cependant à remettre l’église au centre du village. “Aucune épine retirée d’mon pied, Duc. Parlons sincèrement, j’aime pas l’belles paroles d’vous aut’ les péninsulaires. Vous avez cru m’trouver sur c’navire et vous avez cru m’avoir envoyé par l’fond nourrir l’poiscaille. M’faites pas croire qu’c’était pour me rend’ service, même si ça m’a pas mal facilité les choses, aye.” Puis enfin, quand tout ceci est dit, il termine. “J’me doute qu’vous voulez parler d’Adélina, j’vous répondrai sans détour et… pas comme l’reste d’vos serviteurs, j’ai pas l’habitude d’faire des manières avec des nobles. Et qu’ça vous plaise ou non à entend’, faites en d’même.”

Ainsi le ton est donné, Rokvenha n’a pas un ton méprisant, au contraire, il semble vouloir parler en toute franchise et sans fioritures, ce qui peut déranger le Duc et il le sait, mais il n’est pas dans la nature du marin de “respecter” ou de simplement faire des courbettes à des puissants d’une terre qui n’est pas la sienne. La nature du forban veut aussi que l’appel de l’or est plus forte que tout et qu’une telle discussion mérite d’être faite et les offres réfléchies malgré le passé houleux.

Les mots du Duc furent à peine terminés que le serviteur entra à nouveau sous la tenture dressée en multiples épaisseurs. Des deux mains, il tint un plateau d’argent finement ciselé sur lequel trônaient deux bouteilles de ces mets commandés par le Duc, et acquiescés par le capitaine pirate. Dans un cérémoniel habituel à la cour ducale, il présenta d’abord la bouteille – puis l’autre – au chef de maisonnée, puis à l’invité. Dévoilant que ni le cirage ni le bouchon n’avaient été retirés et replacés ; que la bouteille n’avait été ni vidée ni réutilisée, il retira les multiples sécurités faites de papiers, de lin torsadé et d’une cire rouge et noire, pour, finalement, retirer le bouchon dans un bruit typique invitant à la célébration pour ce qui était du vin, et à la contemplation – pour la boisson torréfiée. Il servit tout d’abord le Duc, puis le Rokvenha. En signe de respect – mais surtout de paix – le Duc leva d’abord son verre de boisson torréfiée et en prit une bonne gorgée – quand bien même la chaleur de cette boisson le poussa à souffler un peu après ladite gorgée. Il passerait au vin plus tard… Le temps que celui-ci s’aère. Et il montrerait à nouveau qu’il n’y avait ni poison ni entourloupe. Pour l’instant, la boisson torréfiée était inoffensive pour l’un comme pour l’autre.

Les mots crus, rustres et sans fioritures du Rokvenha animèrent soudainement la tente. Adriano entendait sa voix… Entendait son bagou, sa gouaille – comme disent les marins. S’il était évident bien avant tout cela que les deux hommes étaient issus de milieux différents et bien peu compatibles, l’expérience des marins devait sans doute les rapprocher, ne serait-ce qu’un petit peu. Un tout petit peu.

Toutefois, la demande du Rokvenha était honnête. Pas de fioritures, pas de chichis, pas de mensonges non plus. Soit. Mais Adriano considérait tout de même que le Rokvenha lui était redevable, et cela, qu’importe le pourquoi des motivations derrière la destruction des pirates sur cette île. Aussi reprit-il la parole, après une seconde gorgée de boisson chaude.

« Pas de manières ? Bien. » Recommençait-il, se réinstallant dans son assise confortable. « C’est peut-être vous que je cherchais à détruire ici, pour récupérer ma promise, Adélina. Jusqu’alors, les informations dont je disposais vous incriminaient vous, et vous seul. Ai-je été déçu ? Oui. Bien-sûr. Toutefois, comme vous le dites-si bien, cela vous aura facilité la tâche plus tard. Je considère donc que, bon gré, mal gré, cela fut une épine ôtée de votre pied. Et, pour les embêtements que vous m’avez causés en enlevant Adélina une première fois, puis… Une seconde fois, je considère que vous m’êtes redevables au moins sur ce point. Comprenez cela : mes actions, bien que ciblées contre vous, ont finalement provoqué la destruction d’un adversaire qui vous aura enlevé Adélina, et, de ce que j’ai compris, causé bien d’autres soucis avant que vous ne parveniez à vous relever Tyra-sait-comment. Vos actions, en revanche, du premier enlèvement jusqu’au second du mois dernier, n’auront rien apporté de positif ni à moi, ni à mes troupes, ni à mon duché. Bon gré… Mal gré… Vous avez bénéficié de vos actions, de vos investissements et de leur fructus. Il est normal que, puisque vous et moi désirons faire affaire ensemble, nous recommencions sur une base équitable. » Dit-il, posant la situation en des termes autrement plus clair, autrement plus crus aussi. « Là où je peux vous rassurer, c’est que je ne demande ni noms, ni morts, ni or. Je ne vous demande qu’une chose : la vérité concernant Adélina. L’avez-vous kidnappée ? Ou vous a-t-elle rejoint ? Et si oui… Depuis quand a-t-elle débuter la trahison à mon encontre ? »

Première demande, première question, premier état des lieux. Adriano voulait des réponses, afin de remettre les compteurs à zéro. Par cette aide, les deux marins seraient ex-aequo, et pourraient ensuite négocier de manière équivalente et sans doute équitable. Aussi, cela permettrait à Adriano d’avoir un semblant de confiance en la parole d’un pilleur, menteur et meurtrier.

Caleb réceptionne les verres ainsi proposés par le serviteur, qu’il regarde alors qu’il s’éloigne finalement. Bien que les bouteilles soient ouvertes en sa présence, il porte le tout à son nez, reniflant alors un verre après l’autre et grimaçant légèrement sous l’odeur amère de la boisson torréfiée. Il lève alors son verre en réponse et le porte à sa bouche, prenant une gorgée de cette boisson jusqu’alors inconnue de son palais. Il grimace encore et passe la langue sur ses lèvres avant de laisser entendre une expiration amusée. Soit il n’était pas habitué à des mets aussi fins, soit alors la boisson ne lui plaisait pas, il ne savait le dire, mais gardait le silence alors qu’Adriano reprenait la parole.

Le Duc est un homme fier et sait ce qu’il veut. Il persiste à dire alors que le Rokvenha lui est redevable, d’une quelconque manière en y mettant les arguments. Il est vrai que la destruction du navire du Vengeur avait été une bonne chose pour le Rokvenha, il ne le nie pas, mais de là à être redevable à un Pair pour ça, le mécan y voyait une exagération qui ne servait que l’intérêt du Duc à obtenir une réponse positive à ses futures demandes.
Puis vient alors la demande, la vérité. La simple vérité quant à cette histoire d’enlèvement. Adriano semble vouloir des réponses et éclaircir sa vision des évènements, Caleb pose alors la tasse devant lui et se râcle la gorge.

“Ni l’un ni l’aut’.” Dit-il dans un sourire narquois, prenant à contre-pieds le Duc à cet instant. “Elle ne m’a ni r’joint, ni a été enlevée. J’l’ai secouru.” Il hoche simplement. “Un mécan d’nom d’Holden, qu’vous devez sûr’ment connait’ car il rôdait pas mal vers chez vous et a dû pas mal finir en geôle aussi - avant qu’vous ne massacrez tout l’monde à vue - * Souffle le capitaine dans une petite pique. Montrant cependant que cette facette là d’Adriano n’avait pas été oublié. “C’gars-là est v’nu m’trouver à Méca pour m’dire qu’Adélina avait d’gros soucis et qu’sa vie était en danger. Aye, vous allez vous dire qu’est ce qu’la vie d’une nobliaude pour un gars comme moi? Et bien, j’lui ai donné ma parole qu’elle pourrait compter sur moi, simplement et j’tiens mes promesses.” Il se redresse dans son fauteuil, ajustant sa position pour poursuivre son récit. “On m’a dit donc qu’elle avait des ennuis avec des types d’Ydril, des barons ? J’sais pas comment vous les appelez vous aut’ et qu’l’un d’eux allait la faire exécuter pour piraterie.” Il parle d’un ton calme tandis qu’il reprend une gorgée de la boisson chaude. “C’est pour ça que j’suis revenu dans vos eaux, pour la sortir d’là… J’suis tombé sur son cousin qui m’a raconté un peu plus d’l’histoire et par chance, ou p’t’êt’ qu’l’Impétueuse l’a voulu ainsi, j’l’ai retrouvé dans la cale d’un navire vaani en partance pour Thaar.”Il fixe de nouveau Adriano, ses yeux se plissant dans son silence, comme s’il semblait chercher les mots suivants. “A bord, elle m’a dit qu’elle pouvait pas r’tourner en Péninsule, qu’vous la ferez exécuter aussi pour cette rumeur d’piraterie. J’allais pas non plus la faire débarquer à Thaar alors qu’on v’nait d’lui faire passer l’pires jours d’sa vie, en lui arrachant aussi un chiard à v’nir. J’pouvais pas. Alors j’l’ai prise avec moi et j’l’ai ram’né à Méca.”

Il reste alors silencieux une nouvelle fois, semblant cette fois-ci considérer la seconde partie de la question. Il y avait beaucoup à dire à ce sujet, mais “trahison” était peut-être un peu fort au goût de Caleb et il brise alors sa réflexion en agitant son index, duquel scintille la bague en mozalite pure, pour reprendre le Duc.

“Pas une trahison, Duc, naye… Enfin pas d’vous, p’t’êt’ d’la Péninsule, j’saurai pas dire.” Il hausse les épaules. “Mais l’Rose vous a jamais trahi, car pour trahir il faudrait qu’y’ait d’la confiance et y’en avait pas.” Il lâche alors ça de cette manière et reprend aussi sec. “Ou qu’elle vous soit loyale ou appartient, c’qu’était pas non plus l’cas.” Et une seconde remarque qui semble cinglante, mais encore une fois, le ton employé est sérieux et ne semble pas chercher à humilier ou piquer au vif. “L’Rose s’est offerte à moi d’Corps et Souffle… Pas dans l’sens qu’vous l’imaginez, y’a jamais rien eu ent’ nous. Mais pour l’bien d’son fils qu’est né sur mon navire, Gabriel. J’vous apprend rien en tant qu’marin, en vous disant qu’un nouveau-né sur un pont appartient au cap’taine est une nobliaude fait pas exception. En échange d’son fils, l’baronne s’est offerte. Pas d’menace, pas d’chantage, juste l’loi d’la Mer et une parole faite d’vant l’Mère d’Mers.” Finalement, il prend une troisième gorgée de sa boisson. “Pas d’trahison, naye, car l’Rose vous sentez pas d’puis l’début non plus et ‘core moins vot’ mariage… J’m’en fous d’vos histoires ent’ nobles et j’me doute qu’vous êtes tous pas tout aussi prop’ qu’vous voulez l’faire croire et l’Rose s’posait pas mal d’questions sur vous.”

Il s’arrête finalement, il avait sûrement devancé quelques questions de la part d’Adriano, ou pas, mais il avait lâché la vérité, ce que la jeune femme lui avait dit en privé sous forme de confidences et si le duc voulait la vérité, il était maintenant servi.

« Bien. »

Adriano dit ces mots avec un calme presque surnaturel. Son visage, impassible, se para soudainement d’un rictus s’apparentant à un sourire – ou serait-ce une grimace. D’une main ferme il prit à nouveau son verre à la boisson chaude, et le vida d’une traite. Habitué à cette boisson torréfiée, le Duc n’en ressentait plus ni les affres ni l’amertume, ne profitant que de l’effet sur la vigilance et l’éveil.

Il avait eu ses réponses. Ainsi, s’il n’était point possible de parler de trahison en l’état – du moins du point de vue du pirate – il s’agissait bien d’une trahison, du point de vue de la Péninsule, d’Adriano, du Duché, et du mariage. Car peu importe les questions qu’Adélina aurait pu se poser ; peu importe les doutes ; peu importante le fait qu’elle se soit donnée sur le pont du navire de ce pirate pour la protection de son fils, les serments, les accords, les paroles données par la belle aux diverses occasions avaient valeur d’engagements, et de loi. Elle avait juré devant Néera, lors du mariage ; elle avait donné sa parole, quant au mariage ; elle s’était engagée dans la guerre contre les cultistes… Et Adriano aussi. Il s’était engagé auprès de la famille de Lourbier ; lors du mariage ; en faisant tout pour la libérer… Qu’importe les doutes, la politique portée à un tel niveau de responsabilités impose des concessions, et souvent ces dernières passent par le mariage.

Il y avait donc trahison. Et Caleb venait de le certifier, selon ses propres mots et sa propre diction. Selon sa propre vision des choses. Pour lui, il ne s’agissait que d’un sauvetage ; pour Adriano, il s’agissait d’un coup monté. Les rumeurs de piraterie d’Adélina ne seraient point suffisantes pour condamner la Duchesse. Il aurait fallu créer un tribunal, enquêter, et Adélina aurait eu mille fois l’occasion de plaider sa défense… Elle le savait.

« Par ces révélations, nous voici, je trouve, sur un pied d’égalité. Nous allons pouvoir entamer la suite de nos discussions d’égal à égal, en ce qui me concerne. » Dit-il, laissant passer un court silence qu’il utilisa pour prendre une gorgée d’alcool. « Qu’importe les lois de la mer, celles-ci ne sont point aussi fortes que les lois nobiliaires. Et, en tant que Duchesse, Adélina était protégée par son statut, face à ces accusations. Il aurait fallu enquêter, longuement. Très longuement… Mais voilà : ce que vous qualifiez de sauvetage, raisonne tout à fait autrement chez nous autre. Car Adélina s’était engagée devant les dieux, les prêtres et le Roy ; car je m’étais également engagé devant ces gens. N’en déplaise aux doutes… Ceci reste une trahison. Mais point la vôtre. Je vous remercie donc pour ces informations. »

Ceci fait, Adriano ferma la parenthèse liée aux questionnements quant aux évènements d’Ydril. L’heure était maintenant aux accords entre les deux partis. L’ancienne duchesse avait creusé sa tombe… Adriano parachèverait de l’enterrer.

« Venons-en à nos discussions, voulez-vous ? » Reprit-il, relançant donc le cœur de l’entrevue. « J’aimerais négocier l’arrêt de toute attaque et déprédation contre mon territoire, par vous, votre équipage et vos associés. Je souhaiterais également m’arroger vos services pour déplacer ces attaques et pillages sur une autre terre d’intérêt. Si vous êtes d’accord, je vous dirais laquelle, et sans doute pourquoi. Je suis prêt à entendre vos demandes pour la négociation de ces accords. »

La réaction d’Adriano ne surprend pas Rokvenha, les deux hommes se ressemblent, du moins, bien plus qu’ils ne le veulent et l’imaginent. Même si l’un est un noble de la péninsule désireux d’être bien vu par ses compatriotes et le second un forban écumant les mers, les deux hommes ont de l’ambition et ne semblent reculer devant rien ni même éprouver de remords à manipuler ou se salir pour arriver à leurs fins. La seule différence réside dans l’art et la manière, le premier se cache, le second en fait son image.

La conclusion apportée par Adriano laisse échapper un rire sincère de la part du capitaine. “Qu’importe les lois de la mer” avait-il dit en mettant les siennes par-dessus et cette façon, là encore, de se mettre en avant pour ne pas comprendre la réelle motivation des propos du Rokvenha le fait finalement rire un bref instant. Le forban regarde le capitaine, en gardant son air enfantin et amusé, complètement différent de celui d’auparavant et reprend alors.

“J’veux pas vous manquer d’respect, Duc, mais…” Il se force à reprendre une expression plus que sérieuse. “Vous v’nez cracher sur mes lois en m’disant qu’les vôt’ sont plus importantes… J’trouve ça plutôt amusant quand ça vous permet d’garder l’bonnes choses qu’vous arrange.” Il lève la main en guise d’excuse et secoue la tête. “Ent’ nous Duc… Vous aurez vraiment fait un procès ?” Il le regarde d’un air presque complice, un sourire aux lèvres. “J’sais pas l’temps qu’ça prend et l’argent, mais… J’sais qu’pendant tout c’temps, vot’ nom s’ra pas couvert d’gloire et d’honneur alors qu’si Adélina disparait… HOP” Il mime de ses mains une “explosion”. “C’est bien plus facile d’la décréter traît’ et d’vous laver d’tout déshonneur…” Il penche alors la tête. “Allons Duc… Adélina l’savait bien qu’elle aurait jamais r’trouvé Soltariel. A dire vrai, elle vous craignez dès lors qu’vous lui aviez proposé l’mariage avec son ancien époux assassiné. ” Il secoue la tête. “Moi j’vous en veux pas d’le faire de cette manière, j’préfère ça aux procès à rallonge qui laisse l’place aux rumeurs et aut’ conneries bien plus dures à effacer ou d’l’attente interminable qu’les choses s’défassent d’elles-mêmes. On s’sert, c’est bien mieux puis bon… Ca semb’ des fois faire l’bonheur d’certains Nobles quand d’aut’ disparaissent en Péninsule.”

D’une certaine manière, il se riait bien des façons de faire des nobles péninsulaires, qui étaient tout aussi sombres et malfaisants par moment que les “vermines” de Méca. Il n’accuse pas Adriano, non, car même si ce dernier venait à lui avouer, il en aurait que faire, mais que cet homme lui parle de loi et de respect de ces dernières, semble l’amuser à cet instant encore une fois. Rokvenha vient se cacher dans sa tasse une nouvelle fois en y buvant plusieurs gorgées, terminant son breuvage avant de reporter son attention sur le Pair.

Le véritable sujet de la discussion allait enfin arriver. Rokvenha renifle en écoutant alors Adriano en sentant venir comme une odeur qui lui plait, l’or et le sang. Finalement, il reste silencieux jusqu’au bout et opine en conclusion des propos.

“Vot’ territoire ? Soyez plus précis… Car moi j’veux bien plus m’attaquer à vos gens et aux navires qu’portent vot’ pavillon, pour l’reste…” Il dodeline de la tête l’air de sous-entendre que c’était une autre affaire à conclure. “Si j’m’engage, aye, mais ma parole n’vaut pas celles d’tous les mécans Duc. Elle n’concerne qu’mon navire et m’flotte, pour l’reste c’est pas mes affaires et j’négocie pas en leur nom qu’ça soit bien clair.” Il humidifie ses lèvres et finalement d’une attention plus prononcé termine. “Avant d’négocier quoi qu’ce soit, j’veux savoir quelles terres et pourquoi m’jeter là-bas surtout. Car si c’est pour m’mettre un autre Noble à dos juste pour qu’vous trouvez un allié pour vous et m’couler ensuite par l’fond, comprenez qu’j’vais pas forcément accepter.”

Il semble vouloir un peu détendre la situation en jouant d’un peu d’humour avant de jouer gros sur les prochaines paroles.

Les réponses apportées par le capitaine étaient à la fois amusantes et inattendues. Adriano comprit une chose : s’il pouvait lui-même être imprévisible, calculateur, menteur et cruel, l’autre face à lui pouvait en faire tout autant. Et si certaines analyses demeuraient primitives et simples, elles n’en demeuraient pas moins issues des entrailles de ce prédateur des mers. S’ils se ressemblaient sur certains aspects, Adriano se refuserait à l’évoquer à voix haute, ou même à voix basse… L’extraction de Caleb était autrement moindre que la sienne.

« Je ne… « crache » pas sur vos lois. Je vous indique seulement qu’entre ce qui se passe sur un navire considéré comme ennemi à la Péninsule, et ce qui se produit à l’intérieur de mes terres, n’ont point les mêmes valeurs ni les mêmes conséquences. Point d’insulte, ni même de pique… Seulement une hiérarchisation des faits. » Expliquait-il, avant de chasser cela de la main comme on le ferait d’un insecte nuisible. « Quant à ce procès, bien-sûr que je l’aurais ordonné. Cela aurait été une obligation en tant que mari, mais surtout Pair du Royaume. Une duchesse ne disparaît point comme cela, ni n’est accusée ainsi facilement… Le Roy lui-même aurait fait dépêcher ses limiers pour tirer tout cela au clair. Mais je ne peux contredire votre analyse… La… Disparition d’Adélina… » Reprit-il, un signe de main mimant la fameuse explosion mimée par Caleb tout à l’heure. « Rend les choses bien plus faciles. Pour vous, et pour moi. Vous comprenez cependant que la vie d’Adélina est plus qu’en danger si elle revenait un jour sur le territoire Péninsulaire. Par cette fuite qui nous arranges, elle est devenue un des ennemis publics prioritaires, et cela, y compris aux yeux du Roy. Elle ne doit jamais revenir en Péninsule… Ou ni vous, ni moi, ne pourront l’empêcher de valser au bout d’une corde. Car la seule chose qui la protège encore, est notre mariage. Et ce dernier est désormais caduque. Elle n’est plus duchesse, ni même dame… Mais Adélina, Rose d’un capitaine pirate, ennemi de la Péninsule… Vous comprenez tout cela, je le sais. Je le vois. »

Adriano ne faisait point la leçon au capitaine pirate. Au contraire, il devait sans doute lui confirmer ses doutes, ses pensées, et ses présomptions. D’une certaine manière, Adriano ne faisait que confirmer des faits et des idées que Caleb et Adélina auront déjà eu, entre eux, ou séparément. De la même manière que le Rokvenha indiquait que la disparition d’Adélina était un avantage pour eux deux, Adriano indiquait que cette disparition sur le long terme devait être prioritaire pour eux, mais aussi pour elle.

Pour la suite, Adriano eut une moue curieuse. Le pirate demandait des précisions, et cela était logique. Il confirmait aussi qu’il possédait bien une flotte – ou était à la tête de celle-ci – et Adriano en prit bonne note. Pour le reste, le Duc reprit la parole.

« Faites passer le mot à un maximum de vos compatriotes : attaquer les navires battant les pavillons du Soltaar, militaire, commercial ou civil, les exposerait à d’horribles représailles. Que vous vous gardiez d’attaquer me convient parfaitement. Que vous fassiez courir le mot, me suffit également. Les pirates qui ne naviguent point sous votre pavillon ne sont point sous votre responsabilité. En tant que marin, je le comprends mieux que quiconque. » Répondit-il, avant d’écouter ce que le capitaine avait à dire et de lui répondre tout-de-go. « Il s’agit ni plus ni moins que le Langehack. Et, rassurez-vous : si la Marquise et toute sa clique étaient les adversaires d’Adélina, ils sont aussi définitivement les miens. Ceci est un accord martial, capitaine. Point une entourloupe : si j’avais voulu vous détruire, j’aurais fait cerner l’île et les eaux par l’entière armada à ma disposition. »

Alors que le Duc s’explique, Caleb saisit le verre de vin et pendant un instant porte son attention sur le liquide, détaillant alors la couleur de sa robe, reniflant les arômes qui lui remontent aux narines. Durant ce temps, il semble ne plus écouter le Duc, comme si le désintérêt venait de le saisir. Les explications quant au non-retour possible de la jeune femme ne l’intéressent visiblement pas, ou du moins, il feint une sorte d’indifférence. Après tout, il n’avait pas besoin de savoir qu’elle ne pourrait pas revenir sur ces terres car à aucun moment, il ne l’avait envisagé, c’était aussi simple que ça.

Sans quitter le verre de ses yeux, il répond alors au Duc. “Si ça peut vous rassurer, j’compte pas ram’ner la Rose chez vous aut’. Et j’crois bien qu’elle aussi n’compte pas y fout’ un pied. Pour vot’ mariage, c’est une bonne nouvelle, aye !” Il reporte alors son attention vers son interlocuteur, un petit sourire en coin, satisfait de l’idée. “Elle aussi cherchait à l’romp’ mais par chez nous les Prêtre d’vôtre “DameDieu” n’courent pas les rues … Et j’aurai été bien obligé d’prend’ une décision plus radicale pour lui en ram’ner un. J’sais juste qu’elle Lui a parlé ou j’sais pas trop comment ça s’passe chez vous aut’, peut-êt’ qu’elle pensait pouvoir l’faire d’elle-même ?” Il hausse les épaules, pour lui, l’annulation du mariage était déjà faite, mais que le Duc le fasse aussi de son côté permettait ainsi que ce soit davantage officiel aux yeux d’Adélina.

“Dites voir… Vous comptez la faire passer pour morte ou simplement la jeter en pâture aux reste d’Nobles d’vôt’ Royaume ? Ca s’rait pas plus simp’ pour vous et vot’ famille d’simplement dire qu’le Rokvenha est v’nue finir l’boulot ? Et qu’est c’qui va s’passer pour son chiard Gabriel ?” Il penche alors la tête, cherchant une véritable réponse. L'intérêt n’était pas de passer pour un monstre cruel, encore une fois, mais il pense qu’agir de la sorte pouvait servir les intérêts communs des deux marins sur le moment.

Puis quand viennent alors les premiers éléments de l’accord, il étire à nouveau un large sourire. Le Langehack, une terre que le forban connaissait peu, mais qui avait eu son lot d'aventures avec le Rokvenha par la proximité avec Thaar. Il feint cette fois-ci la réflexion. “Langehack… Mmh… C’est quand même bien moins riche qu’vos terres et qu’tout c’qu’on peut y trouver.” Il le regarde, amusé. “Qu’est c’que vous voulez qu’j’fasse là-bas ? Et surtout… Pourquoi m’vouloir dans ces eaux ?” La question est simple, mais il se doute que le Duc ne dévoilera pas son réel but, ou du moins, pas totalement.

Puis enfin, il repose son regard sur le vin et décide d’en boire une gorgée, laissant l’alcool un instant dans sa bouche pour en savourer les saveurs. “J’ferai passer l’mot, aye…” Dans cet accord, il y a un trou dans la raquette, un petit point qui n’échappe pas au Rokvenha. Adriano négocie et parle de pavillon soltaar, aucunement ydrilote ou de toute autre nations parcourant cette voie. Peut-être est-ce voulu, mais quoi qu’il en soit, le forban le prend alors pour acquis.

“On va l’faire d’une aut’ façon… Si vous m’permettez. Exposez-moi toutes vos envies m’concernant, c’que j’dois y faire et l’pourquoi, puis… à vous d’juger d’la valeur d’cet accord. Pour sûr qu’j’ai des d’mandes qui m’viennent, mais j’suis curieux d’savoir jusqu’où vous, vous êtes prêt à aller pour c’genre de chose car… Soyons franc, après êt’ l’ennemi presque numéro un d’Soltariel, vous m’demandez d’l’êt’ d’l’aut’ côté d’la Péninsule, comprenez qu’pour encaisser c’rôle il m’faut d’quoi me motiver.”

Il garde son sourire, l’idée ne semble pas le déranger, il est ouvert à la discussion et à la suite.

L’information selon laquelle Caleb ne comptait point ramener la douce Adélina sur le territoire Péninsulaire tombait sous le sens, évidemment. Le pirate était peut-être un criminel patenté, et un être abject, il n’en demeurait pas moins un meneur de forbans et un combattant doté d’un certain sens stratégique. Inutile de sortir des grandes écoles militaires royales, et d’obtenir quelques agrégations militaires que ce soit par de grands pontes, anciens sénéchaux ou que sait-on encore, pour se douter que ramener Adélina en Péninsule était la pire idée du monde. Surtout, si l’on ajoutait à cela l’aspect sentimental… Après tout, Adélina n’était point « Sa » Rose ?

Satisfait, Adriano reprit une gorgée de ce vin du Sud qu’il connaissait par cœur mais qu’il appréciait toujours autant. La liqueur passa sur sa langue, chatouillant ses papilles, réveillant alors ces cours d’œnologie qu’il avait pu avoir en accédant à la cour ducale alors qu’il n’était qu’un prince. Devenir Duc demandait bien des sacrifices, et bien des apprentissages, en comparaison de l’héritage d’une simple maisonnée seigneuriale locale, versée davantage dans la marine de guerre et marchande que dans le règne d’une terre richissime, et la gestion d’un pouvoir qui ne diffère de celui du Roy que par le titre.

Il avait fallu apprendre le cérémoniel, et l’apparat ; l’œnologie et la gastronomie ; la bienséance et les coutumes ; rendre la justice et gérer l’économie ; rédiger des décrets, sceller une missive, éditer des lois ducales, participer aux conseils des Pairs. Tout cela n’était ni inné, ni prévu au cours de sa jeunesse qui ne le prédestinait qu’à une cour seigneuriale de basse extraction, et de basse ampleur, et à un rôle d’officier dans la marine n’excédant sans doute point celui de capitaine, ou d’Amiral, en cas d’extrême honneur.

La première question le fit sourire. Que faire du cas d’Adélina ? La laisser pour morte ? Pourquoi pas… Après tout, cela ne ferait que clore ce dossier, ne jetterait point l’opprobre sur son fils Gabriel et permettrait à Adriano de faciliter toute cette gestion à postériori. La jeter en pâture, toutefois, permettrait d’exercer une certaine vengeance… Adélina sera définitivement connue comme un ennemi du royaume, l’empêchant de revoir son fils, de revenir sur ces territoires Péninsulaires sans risquer la potence, et ferait d’Adriano un Duc trahit. Cela pourrait lui porter préjudice… Mais la vengeance serait assurée. Et assumée…

« Son… Avenir, au regard de la Péninsule, n’est pas encore décidé. Vous êtes intelligent… Et vous et moi sommes similaires. Si de votre côté, Adélina est une survivante plaçant davantage sa confiance en vous qu’en moi, de mon côté, elle m’a trahi. Vous le savez… Bien que l’admettre soit peu agréable. Mais vous le savez. La jeter en pâture serait une douce vengeance. La laisser morte, autrement plus simple. Nous verrons cela… A l’issue de notre rencontre. » Dit-il, tranchant ainsi cet aspect de la discussion. « Gabriel est désormais sous la protection de Charles de Lourbier, oncle d’Adélina. Lui seul hérite des terres d’Alonna. Il est donc… Loin de tout cela. »

Oh, Adriano pourrait toujours atteindre le bambin. Il pourrait le faire assassiner s’il le désirait, et accuser Prudence en créant de fausses preuves. Mais à quoi bon ? La vengeance devait se faire sur Adélina, et éventuellement Caleb. Le bambin, lui, n’y pouvait absolument rien. Et un futur Baron ne serait jamais une menace, si loin dans le Nord, surtout après que son géniteur ait renié ses prétentions sur la couronne Langecine. D’ailleurs, en parlant de Langehack, le pirate voulait plus de précisions, et aussi, moins de brouillard… Très bien.

« Non, non. » Dit-il, d’un ton qui, s’il n’était pas sec, ne laissait tout de même point la place à une discussion. « Ce petit jeu ne reprendra pas. Vous avez déjà essayé une fois de me faire estimer moi-même la valeur que j’accordais à Adélina, en me laissant moi-même décider du montant de la rançon qui, de toute manière, ne vous aurait jamais laissé insatisfait, ou jamais totalement satisfait. Aurais-je proposé un écu que vous auriez agi différemment à l’encontre d’Adélina ; aurais-je proposé 100 000 souverains que vous en aurez demandé 20 000 de plus, pour faire bonne mesure. Non, je ne déciderais pas de la valeur de ce que je vous demande. Ceci est une négociation, pas une prise d’otage. » Dit-il, martelant alors ses mots en illustrant du passif entre les deux hommes, indiquant au pirate que, sur ce coup au moins, il n’avait ni l’avantage ni la prérogative. Les deux hommes étaient égaux dans cette négociation : Adriano avait besoin du pirate, et le pirate, besoin du Duc. « Pour reprendre… » Il s’humecte la gorge de la dernière gorgée de vin, avant de racler ce même organe. « Je veux affaiblir le Marquisat, pour m’en emparer ensuite. La Marquise de Langehack aura tenté d’assassiner Adélina, et sans doute plusieurs fois. Elle aura assassiné feu son premier époux, afin de garder son pouvoir. Elle aura également pactisé avec quelques fanatiques et autres sectes, qui massacrent bien des gens sous ma protection. Enfin, elle et son paternel ont failli précipiter la Péninsule dans une guerre meurtrière, évitée de justesse par le conseil de régence. Elle est un danger, une pieuvre dont les tentacules ont eu le temps de s’étendre. Votre mission : l’affaiblir le plus possible. Détruisez ses navires militaires et commerciaux ; détruisez ses importations et exportations. Et, si vous le pouvez, infiltrez ses bas quartiers : si vous m’obtenez des informations sur les membres de son culte, ses fidèles et autres suiveurs aveugles, et participez à l’affaiblissement sur terre, je n’en serais que plus généreux. Quel sera votre prix ? »

Alors que les premiers instants de la discussion entre les deux hommes avaient vu Rokvenha légèrement détaché de la discussion, bien que sincère dans ses propos, l’entame des négociations le change du tout au tout. Sa posture se veut toujours lancinante, mais son regard est cette fois-ci bien ancré vers son interlocuteur et ses sourcils légèrement froncés laissent penser à d’intenses réflexions quant à ce qu’il entend et prévoit de dire.

Lorsqu’Adriano évoque les avenirs possibles de l’ancienne duchesse, une grimace déforme les traits du visage du marin. Si cette moue n’est pas tant liée aux sorts réservés, elle est sa réaction quant à l’indécision de son interlocuteur. Si Rokvenha apprécie la franchise en cet instant du Duc quant à sa possible envie de vengeance, exprimant ce sentiment par un sourire aux coins des lèvres, il se permet de rétorquer à sa suite.

“J’me doute qu’l’idée d’vous venger doit vous titiller… J’pense même qu’vous tenir là d’vant moi sans m’mett’ une lame sous la gorge en fait tout autant partie, mais, vous êtes un homme qui sait s’servir de sa tête et vous savez faire l’bons choix quand il faut. Et j’doute pas qu’vous ferez l’bon.”

Le regard et la posture de Caleb tranchait avec le ton qui, si ce n’était pas une négociation sérieuse et délicate, pourrait être perçu comme une menace sourde. Rokvenha n’avait pas énoncé quel choix il estimait être le meilleur, mais l’évidence était là, il préférait savoir qu’Adélina de Lourbier était considérée morte et oubliée plutôt que traîtresse car cela pourrait porter préjudice au marin en rencontrant quelques souffles courageux de faire payer l’ancienne baronne - ou d’obtenir quelconque récompense - .

Enfin, un sourire amical se dessine aux coins des lèvres quand Adriano impose ses règles et parle de l’ancienne rançon demandée. Rokvenha se déhanche sur son assise et finit par masquer ses lèvres narquoises dans son verre en l’écoutant. Une fois que le Duc a terminé, il abaisse son verre, prenant une gorgée de son vin et rétorque.

“Allons… C’n’est pas un jeu. Au risque d’vous surprend’ qu’importe la somme qu’vous comptiez mett’ pour récupérer la Rose, j’l’aurai accepté… Mon but n’était pas d’m’enrichir sur vot’ dos - même si en tirer quelques souverains était un plus - Naye !” Il continue de sourire, amusé de lui-même et de cette idée. En effet, si Rokvenha avait enlevé Adélina s’était avant tout par instinct et sans réflexion au préalable, mais aussi pour être le premier mécan a ainsi atteindre une noble. La réputation et la renommée, voilà tout ce qu’il avait cherché dans cet acte. Puis peu à peu, il voulait aussi montrer certaines choses à Adélina, en l’occurence répondre aux questions que la jeune femme avait quant à l’intérêt du Duc sur sa personne - elle doutait de la sincérité -

Puis viennent les explications, l'ennemi commun et les objectifs établis. Rien de bien compliqué, agir sur mer, piller des navires et être cette épine dans la botte comme il l’a l’habitude d’être. Pour la partie en terre, Rokvenha verrait et y réfléchirait, mais ce n’était pas l’essentiel de la demande.

“Mmh… Ça peut s’faire, aye, c’est dans mes cordes.” Il opine. “Vu qu’vous parlez d’accord martial vous savez c’que ça vaut d’entretenir des hommes, des bâtiments…D’enrôler d’mercenaires en somme.” Il se frotte les mains et se redresse légèrement. “Voilà mon prix. D’abord, déclarez Adélina d’Lourbier morte… Tuée par l’Rokvenha même si vous l’voulez.” Il agite sa main en l’air, comme un “bon” prince. “Ensuite… Tous l’mois, l’temps qu’cet accord ent’ nous tiendra, vous m’paierez 10.000 souverains. Et j’veux qu’vous arrêtiez d’massacrer l’miens pour vot’ plaisir et qu’tous ceux qui sont dans vos geôles soient libérés… Bien sûr, en leur disant qu’leur liberté leur est d’mon fait et pas juste d’vot’ bon cœur. Voilà tout.”

Il fixe alors Adriano, guettant ses réactions et surtout, attendant ses réponses. L’offre paraît juste dans l’esprit du marin, car il ne demande pas la somme exacte pour payer sa flotte en intégralité et surtout, le massacre des marins lui servirait autrement car ces anciens prisonniers lui seraient redevables d’une dette de vie.

Le Duc eut un sourire entendu, et un petit rire hoqueté alors que le capitaine pirate honni qui se trouvait face à lui mentionnait l’attrait quant à la vengeance. Oui, Adriano avait pensé faire passer Adélina pour morte, et tendre un piège immense à Caleb, plaçant tout autour de l’île l’entière armada composée des dizaines de navires. Il n’aurait fallu que quelques minutes pour détruire l’entière flotte du capitaine… Ou plutôt, les quelques broutilles de bric et de broc qui naviguaient sous ses ordres, si tant est qu’il en ait une, de flotte.

« Hum… » Laissait-il encore échapper dans cette phase de rire hoqueté. « Vous détruire ici serait bien plus facile que vous ne le pensez, capitaine. Quant à Adélina, vous comprenez, je pense, que ses pensées, ses actes, ses… Tout ce qui l’aura poussée à faire ce qu’elle aura fait, n’ont aucune importance me concernant. Le fait est qu’une duchesse possède bien plus de responsabilités en Péninsule que vous ne pouvez l’imaginer, et donc, que ses actes, ses actions, ses pensées et même la plus petite chose, ont des répercutions immenses. Ce qu’elle aura décidé à Tylère fait déjà parler dans tout le Soltaar, et jusqu’à la cour royale. Lui laisser la part belle est bien difficile… Je pense que vous pouvez le comprendre… »

Mais, quand bien même l’homme se mit à discourir sur le pourquoi il aurait accepté n’importe quelle récompense pour la récupération d’Adélina, le voici qui, ensuite, reprend pour répondre à la proposition d’Adriano. Et la question d’Adélina revint… Et d’une négociation martiale, voilà que le capitaine plaçait le sort officiel d’Adélina dans la balance, négociant alors cette image… Cela irrita bien-sûr Adriano, encore une fois. Le capitaine qui se faisait passer pour un électron libre venu in-extremis aider Adélina qui allait être laissée en pâture, était en réalité un être doué de sentiments. Il aimait Adélina, cela ne pouvait point en être autrement, étant donné ce qu’il demandait. Ou plutôt, ce qu’il tentait d’imposer.

« Le sort de l’image d’Adélina vous intéresse tant que cela ? » Dit-il, l’air médisant et hautain. Il eut un petit rire calculé, absolument point sincère, avant de reprendre, la suite de la demande étant des plus… Osée. « Massacrer ces pirates n’était point pour mon plaisir, mais pour la politique. Lorsqu’un ennemi perd le seul levier sur vous, vous usez de tous les vôtres pour reprendre le dessus. Vous en auriez fait autant. Je n’ai pas oublié ce capitaine d’un navire tout à fait innocent que vous avez épargné, en lui crevant les yeux, brûlant son navire et massacrant tout son équipage. Etait-ce… Pour votre bon plaisir ? Ou un geste politique ? » Les mots, toujours les mots… Adriano montrait là que le capitaine ne pouvait point exiger du Duc plus que ce qu’il avait lui-même déjà commis. La mort des pirates était nécessaire, au moins autant que le massacre de ce navire de pêcheur qui n’avait rien à voir dans toute cette histoire. « Ne jouez pas aux justiciers de dernière minute, je vous prie, capitaine. Sauver la face d’Adélina au regard de tout un royaume déjà au courant de ses agissements ; m’accuser de tuer vos semblables par pur plaisir ; ne vous sera d’aucune aide, et ne possède aucun fondement. Vous avez enlevé Adélina alors qu’elle vous offrait l’aide salvatrice, au lieu de vous emprisonner ; vous avez massacré un équipage de pêcheur et torturé son capitaine bien avant que je n’ordonne ces exécutions. Vous avez débuté tout cela, capitaine. Et que vous le vouliez ou non : une partie de ce qui s’est produit avec Adélina est de votre faute. Ses doutes me concernant, ou quoi que cela puisse être – et pour le peu que cela m’importe – n’empêchaient aucunement un mariage politique où elle et sa progéniture aurait été en sécurité, ce qui, à cet instant, lui importait le plus. Mais le fait qu’elle eut à faire avec ce… Holden – un Mécan – et qu’elle fut toujours en contact avec quelques pirates – des Mécans – et qu’elle soit l’héroïne d’une comptine de flibustiers – des Mécans – et qu’elle se retrouve à porter une de vos dagues sous ses jupons – une dague Mécane – est de votre faute. Vous voyez ? » Dit Adriano, exposant alors une situation qui, même selon lui, était plutôt objective. Il admettait ses torts, mais exposait aussi ceux du pirate face à lui. Qu’il l’accepte ou non, il était au moins autant responsable des déboires et des souffrances d’Adélina que ne l’était Adriano. « Vous avez débuté tout ceci à votre manière… Vous me pardonnerez si j’y met un terme à ma façon. » Conclut-il, sonnant alors une petite clochette. Le même serviteur réapparut alors, et au geste de commandement du Duc, resservit les deux verres de vin avant de disparaître à nouveau. « Je libérerais les pirates maintenus dans les geôles, en plus de ceux déjà libérés pour vous ramener le message vous invitant à cette entrevue. Si je ne m’abuse, les effectifs seront suffisants pour armer deux boutres ce qui devrait augmenter votre flotte. Et je le ferais en votre nom, pour vous arroger la fidélité de ces gens le temps que vous puissiez continuer à vous la payer par les actes de piraterie que je vous demande. Pour ces actes, je vous paierais 3000 souverains par mois. Mais, je vous offrirais une prime de 500 souverains par navires coulés ou arraisonnés ; 500 souverains par renseignements vérifiés quant à l’hérésie Prudence ; 500 autres souverains, pour chaque identité vérifiée de ceux faisant parti des sectes et/ou de ses soutiens les plus forts. Le paiement se fera ici, tous les mois ou tous les deux mois, sur présentation des preuves. Livrets militaires, témoignages vérifiés, pavillons Langecins… Bref, tout ce qui attestera que vos dires sont réels. » Proposait-il en contre-réponse. « Je suis prêt à rajouter 300 souverains en plus des 500 premiers, si vous coulez une caraque, ou un navire amiral – commercial ou militaire à votre convenance. Qu’en dites-vous ? »

Rokvenha est étrangement silencieux et inexpressif alors qu’il écoute, d’une oreille, le Duc. Son attention semble s’être portée sur ce vin qui arrive pour un second verre et le serviteur qui va et vient en tel un Souffle errant, sans se faire remarquer ni faire le moindre bruit.

Le Duc annonce tant de choses, vraies ou non, comme le fait qu’un piège aurait pu être tendu sur cette île et que détruire le capitaine aurait été simple. C’est vrai. S’il ne s’agissait que de détruire un homme. La réalité l’était moins et Rokvenha sourit alors en laissant son esprit divaguer un instant. Il reprend alors sa parole après avoir entendu les nombreux points évoqués et les écoutant avec mesure, bien que sa posture semble penser l’inverse.

“M’détruire s’rait facile pour sûr…” Il hoche en se grattant la joue de son index. “Mais vous n’imaginez pas à quelle conséquence vous seriez exposé par l’suite…” Il le fixe à nouveau, résolu, ce qui allait suivre est un mensonge - du moins en partie - mais il sait être convaincant dans sa manière de continuer. “Si vous, me voyez comme un simp’ pirate… La Méca n’est pas d’même avis. Vous connaissez une partie d’mes … exploits… Mes p’tits noms vous sont sûr’ment venus aux oreilles, mais j’en dispose d’aut’ qui n’concernent qu’les miens.” Il étire un fin sourire, aucunement moqueur, mais triomphant. “Si vous m’faites disparaît’ ici aujourd’hui… Ce n’est pas une tempête qui s’abattra sur vos eaux, Duc… Mais Sa colère et les miens en seront ses bras armés. Et bien qu’vous disposez d’une armada conséquente, laissez-moi vous dire que vous ignorez tout de la puissance dont dispose Méca.” A ces derniers mots, il se replace contre le dossier de son fauteuil et laisse un court silence durant lequel il laisse Adriano réfléchir à ces derniers mots. Oui les mécans sont des pirates sauvages et arriérés, dans la vision commune, tout comme ils semblent être désorganisés ou agir en petite flottes disparates, mais dans la réalité rien n’est plus faux que ça. Certes les Seigneurs Mécans évitent de se marcher sur les pieds, mais un ordre, une réunion, suffirait à assembler une des plus grande flotte mécane - et toute nation confondues - sur l’Eris avec une ennemi commun. C’est à la suite de son silence qu’il reprend alors. “Mais vous n’comptez pas m’faire disparaît’ Duc, alors… Rien d’tout ça ne vous concerne pour l’heure.

Le forban porte le verre à ses lèvres et en boit une courte gorgée avant de continuer son discours. “Son sort m’intéresse, aye. Pas qu’j’veux la savoir sans danger ou aut’, mais bien parce qu’il s’rait dommage qu’certains d’vos limiers, à vous, ou ceux d’vot’ Roi s’retrouvent sur ma route. La déclarer morte empêcherait donc toute tentative d’poursuite d’la part d’la Péninsule et d’nombreux risques de d’voir à nouveau s’salir les mains sur d’pauv’ gens qui auraient pu rester sur leurs terres par une d’vos décisions. Voilà tout.” Son visage se pare alors d’une expression froide et carnassière. “J’n’ai fait aucune politique encore pour l’heure.” Il le regarde, laissant encore une fois Adriano conclure certains sujets avec cet élément. Lui qui avant même cette histoire avec la Péninsule avait la réputation parmi les ports péninsulaire d’être sanguinaire et barbare. “... Mais ça n’serait tarder encore une fois. Vos massacres, nécessaires ou pas, font gronder Méca et des veuves implorent nos Seigneurs d’venger leurs époux… Si vous pensez qu’à Méca on me tient responsable de tout ça, vous vous trompez et là encore en vous d’mandant d’arrêter et d’les libérer, c’est un service que j’vous rend d’une certaine manière. Un service qui s’ra bénéfique à tous l’deux, j’en suis persuadé.”

Enfin, il se met de nouveau à sourire en revenant sur le cas d’Adélina et de sa sécurité. “Aye, l’poignard m’appartient, c’était une façon d’assurer sa sécurité chez nous pendant qu’elle marchait libre d’tous mouv’ment et d’faire c’qu’elle désirait faire. Quant à l’comptine ?” Il fronce les sourcils comme pour fouiller dans sa mémoire et laisse échapper un rire sonore. “La p’tite chansonnette là ? …Sa rose alors à ses côtés…” Il se met à chantonner, amusé. “Je n’sais pas pourquoi vous m’en parlez car elle ne concerne que ma prise que vous connaissez déjà.” La comptine en question racontait simplement le kidnapping d’Adélina par le Rokvenha, une façon détournée d’attiser la curiosité des marins de la cité insulaire, elle ne semblait porter aucun préjudice au Duc de Soltariel. “Puis vous m’parlez d’sécurité…” Il dodeline de la tête et grimace un instant. “Mais c’n’est pas sur vos terres qu’Adélina s’est faite enlevée par vot’ prop’ vassal ? Qu’elle s’est r’trouvée enfermée et qu’on lui a r’tiré l’chiard à viv’ ? Vot’ chiard. Et ça… C’n’est pas d’mon fait.” Ses paroles étaient froides et remuées un couteau dans une plaie peut-être encore ouverte, mais le Duc n’avait pas été tendre juste avant, ce n’était qu’un simple retour de flamme.

Voulant changer de sujet pour ne pas courroucer son interlocuteur, il coupe son geste de vouloir reprendre une gorgée et poursuit directement. “L’reste m’plait bien, on tâchera d’vous apporter l’nécessaire sur cette île et même si rien n’est trouvé ou abattu vous trouverez toujours quelqu’un pour vous tenir au courant de la situation, pour n’pas que vous pensez que je vous oublie.” Il sourit à cette idée car il se doute que l’oublier serait difficile pour le Pair. “Pour c’qui concerne les affaires sur terres, je n’promet rien… J’verrai pour vous rend’ service si ça m’est possible.” Il semble finaliser sa prise de parole, mais une dernière remarque lui vient et il lève sa main en guise d’attente pour Adriano. “Dites m’en plus sur cette… hérésie ? Que j’sache un peu à quoi m’attend’ quand j’vais fouiller dans c’qui faut pas et aussi savoir c’que j’dois chercher.”

Les deux marins arrivaient vraisemblablement à un point de discorde semblable à un point de non-retour. Chacun voyait les choses à sa manière, et si Adriano avait tenté d’expliciter les choses avec un regard à minima objectif, évidemment que son postulat partait d’un regard partial et biaisé. Alors, la réaction du capitaine le fit sourire, du sourire suffisant et supérieur qu’il pouvait avoir et cultiver dans les moments où il avait le pouvoir. Les mots du capitaine semblaient soudains irréalistes, irréalisables et profondément faux. Lui ? L’envoyé de Tyra ? Le maître du Wagyl ?! Foutaises… Il bénéficiait d’une aura impressionnante auprès des gens de chez lui, et avait sans doute su contenter quelques chamanes ou autres prêtres honnis qui auront dit ce que les gens voulaient entendre, le Rokvenha en premier lieu.

« Inutile de tenter de m’effrayer. Plusieurs fois, par le passé, les forces Péninsulaires auront massacrées les vôtres ; auront manqué de vous faire disparaître, et jamais, ô grand jamais, vos seigneurs auront réussi à s’unir. Vous n’êtes pas capables de créer une force telle que la nôtre. Mais, je dois bien l’avouer : vous savez être une épine dans le pied. C’est à la fois la force et la faiblesse des pirates, et vous le savez. Alors… N’essayez pas de me faire peur, voulez-vous ? Je n’ai point essayé de vous effrayer non plus. » Dit-il, faisant alors bien comprendre que l’argumentaire du capitaine était tombé à l’eau. « Quant aux évènements d’Ydril… Il m’était impossible de la protéger plus que ce que je faisais déjà. Après tout, elle s’était rendue elle-même jusqu’au palais du traître, pour l’aider dans sa tâche de nouveau Comte. C’est là qu’il l’aura emprisonné. Point chez moi ; point sur la route. Mais dans son palais à lui. Alors, encore une fois… Revoyez votre copie. »

Le capitaine avait définitivement craqué pour la belle noble d’Alonna. Et si cela aurait pu être d’une quelconque aide avec Adélina encore présente dans le palais de Soltariel, ce n’était pas le cas, puisqu’elle demeurait maintenant à Méca. Toutefois, dans tout cet argumentaire dépareillé, un seul parvint à faire son effet dans l’esprit du Duc : des innocents pourraient mourir. Et puis, toutes les démarches associées au fait de faire d’Adélina un paria, une traîtresse, jetteraient l’opprobre sur Adriano et du Duché qui, pour la 2ème ou troisième fois en quinze ans, voyait un Duc ou une Duchesse choir dans la traîtrise et le parjure. Adélina morte était donc infiniment plus simple… Mais à un prix.

« Bien. Je ferais croire à la mort d’Adélina. Mais en échange, vous devez la tenir éloignée de toutes nos discussions, de toutes vos actions, de tous nos accords. Elle est une femme intelligente, et si elle venait à comprendre nos machinations, cela serait un problème pour nous deux, car cet accord deviendrait alors caduc. Acceptez, et Adélina sera décédée aux yeux de toute la Péninsule, éloignant alors les limiers et autres chasseurs. » Dit-il, rajoutant une ligne aux discussions, avant de répondre à la question du Rokvenha. « Ils vénèrent les anciens dragons, pour certains. D’autres, vénèrent Arcam, le dieu qui aura corrompu les hommes durant le Voile. D’autres, enfin, sont des adeptes du Karamstra. S’ils sont discrets… Les différences avec ce que vous connaissez seront flagrantes. Ils sont toutefois armés, surtout pour les cultes draconniques et du Karamstra. Attendez-vous à de la résistance. »

Aux mots du Duc, Rokvenha sourit. Il sourit non pas pour se moquer, mais bien parce qu’il voit là une certaine naïveté qui rend son interlocuteur sûr et sincère dans ses propos. Il est vrai que la Péninsule - et plus précisément Soltariel - dispose d’une flotte conséquente et d’une force importante. Bien évidemment que dans le passé, les forbans ont plusieurs fois subi de lourdes défaites dans les quelques affrontements militaires, mais tout ceci était avant son arrivée. Tous ces évènements étaient avant la montée en puissance du Rokvenha et de son statut particulier ainsi que ses exploits.

S’il ne cherche pas à effrayer le Duc, du moins directement, il lui offre là un précieux conseil et avertissement. Adriano ne le saisit pas et préfère ne pas y croire, tant mieux pour le mécan qui sourit alors et opine simplement. “Aye, aye…”

Quand viennent les explications sur la situation à Ydril, là aussi Adriano trouve des arguments pour se décharger de toute responsabilité. Ce n’est pas chez lui, en effet, mais n’est-il pas le seigneur de ses terres tout de même ? N’a t-il pas de garde quand ses proches s’éloignent de chez eux ? Là encore Rokvenha ne surenchérit pas, aucune raison de jouer à ce petit jeu là dans les négociations.

Finalement, le Pair finit par accepter le sort d’Adélina en y posant ses conditions. Légitimes en effet, la jeune femme ne doit pas revenir sur les terres de la Péninsule et ne pas être au courant de l’arrangement en cours. Si le forban est du même avis en ce qui concerne la présence de l’ancienne baronne, il ne l’est pas pour la seconde partie. La Rose n’a pas sa voix au chapitre quand il s’agit des affaires du capitaine et ce dernier lui a fait comprendre pas mal de fois, si d’aventure elle venait à être mise au courant, Rokvenha sait qu’elle ne pourra rien y faire et ne fera rien. Enfin, d’après leurs discussions, Prudence n’était pas en haute estime alors, pourquoi s’offusquerait-elle que cette dernière soit la cible commune de cet accord ?

Il continue de rester silencieux en écoutant enfin les précisions concernant l’hérésie sur les terres du Langehack. Diverses sectes et autres adorations particulières, il ne semble pas complètement en saisir les subtilités lui qui en tant que Mécan laisse le libre choix de croyances à ceux qui foulent sa terre, bien qu’une religion plus officielle est mise en place. Il finit par inspirer profondément et finit son verre de vin qu’il repose sur la table. Puis dans un dernier signe d’approbation reprend.

“N’ayez crainte, Adélina ne posera pas l’pieds sur la Péninsule… Ca s’rait une bien belle connerie d’ma part. D’plus, Adélina n’est plus, il n’y a qu’la Rose.” Dit-il dans un petit sourire semblant marquer la confidence et l’acceptation du cas Adélina de Lourbier décédée. “Pour vos sectes là… J’vais voir c’que j’peux faire, mais j’peux moins vous assurer d’réussite qu’sur les flots. On verra ça.” Immédiatement, ses pensées vont vers des souvenirs encore frais. Un nain et un groupe, peut-être qu’il pourrait en tirer profit, il verra le moment venu.

Ajustant sa position sur le fauteuil, il questionne Adriano d’un sourcil haussé. “Bien… Vous avez aut’ chose à m’dire Duc ? D’aut’ demande ? Profitez-en… J’apprécie discuter et faire affaire avec vous et j’doute qu’on puisse s’revoir d’si tôt. Puis vot’ vin est excellent.” Il sourit amusé par sa dernière remarque en levant son verre vide.

Curieusement – et cela fit arquer un sourcil au Duc, le capitaine pirate fut le premier à faire preuve de silence face au jeu puéril du « c’est pas moi, c’est toi » quant à la sécurité d’Adélina, et aux évènements passés. S’il pouvait le prendre comme une victoire, Adriano n’oublierait point que, face à lui, se trouvait un des marins les plus rusés de Méca et un des pirates les plus sanguinaires et connus. Sa réputation le précédait, bien-sûr, mais qu’il abandonne aussi vite cette bataille d’égo n’était pas forcément une bonne nouvelle… L’avenir dirait si Adriano avait raison ou non.

La suite le fit tiquer à nouveau. Le pirate semblait omettre sciemment la notion de secret de cet accord même pour Adélina, sans quoi l’accord serait caduc. Il venait pourtant de le dire, de manière très précise… A nouveau, le pirate étonna le Duc : s’il savait faire preuve de silence pour ne point entretenir un combat d’égo, il savait aussi passer sous silence la partie qui ne l’arrangeait point. Alors, lorsqu’il demande à Adriano si ce dernier avait d’autres questions, Adriano sourit.

« J’insiste sur le fait qu’Adélina ne doit point être informée de toute ceci. Qu’elle fasse ses suppositions en voyant vos marchandises Langecines si elle le souhaite, mais notre accord doit rester entre nous deux. Sommes-nous d’accord ? » Insistait-il, avant d’ordonner que l’on resserve le verre du pirate, et le sien, par la même occasion. « Je vous ai tout dit, autrement. Et vous ? Une dernière chose demander ? »

« Hum… » Adriano eut un petit rire entendu lorsque le Rokvenha mentionna le prix qu’un tel vin pourrait avoir sur l’île des pirates. « Pour cela, il faudrait faire commerce… Et pour cela, il faudrait que nous puissions nous entendre commercialement, en plus d’une entente martiale. Mais… Si vous tenez parole, et que nos navires sont en sécurité vous concernant… Peut-être l’avenir pourrait-il être favorable à un tel commerce. »

Adriano pouvait ressentir l’intérêt du capitaine pirate à pour le territoire du Soltaar, et, surtout, les richesses qu’il pouvait contenir et offrir. Richesses qu’il pouvait obtenir jusqu’ici en terrorisant les marins et pillant leurs navires, mais qui, aujourd’hui, ne lui seraient plus aussi facilement accessible. S’il semblait le comprendre, son instinct était encore en éveil… Était-ce une bonne idée de lui laisser une porte ouverte quant à un commerce possible ? L’avenir allait le dire.

« Vous l’avez dit tout à l’heure : je ne lui fais pas confiance, et elle non plus. » Dit-il, pour reprendre les propos de tout à l’heure. « L’avenir d’Adélina ne m’intéresse pas, je n’en ai que faire. Je ne peux toutefois oublier le fait qu’elle fut élevée dans la tradition nobiliaire Péninsulaire, et donc, que même déclarée morte, elle reste un danger potentiel pour mes projets – et par extension les vôtres bien que ce danger soit autrement moindre. Je ne dis pas qu’elle vous trahira vous aussi… Mais si elle fut capable de fuir le territoire de ses ancêtres pour vous, imaginez ce qu’elle pourrait trahir aujourd’hui pour quelqu’un d’autre ? Quelque chose d’autre ? Un… Idéal ? Un… Amour ? Un… Enfant ? » Dit-il, laissant planer le doute, tentant de l’immiscer dans l’esprit du capitaine. « De la même manière qu’elle ne fut pas au courant de notre rencontre, et, je le pense, qu’elle ne soit point informée de bien des choses vous concernant, je ne souhaite pas qu’elle apprenne sciemment cet accord, et quoi que ce soit d’autre concernant mes terres. Que cela reste, au mieux, des supputations en son esprit. Rien de plus. Rien de précis. Acceptez, et cet accord sera scellé. »

Il ne l’avait pas envisagé, mais l’idée de commercer avec le territoire Soltaar ainsi énoncé fait tiquer le capitaine mécan. Les richesses de ce Duché sont prisées des insulaires et la proximité, ainsi que la voie commerciale s’y trouvant est un terrain de chasse lucratif, peut-être qu’une nouvelle approche peut-être une idée exploitable, mais ce n’était pas à l’ordre du jour. Il sourit en retour et opine simplement aux propos du noble péninsulaire et finit son verre de vin d’une traite, semblant signifier à son interlocuteur une sortie prochaine.

Lentement, le Rokvenha se redresse en prenant appuie sur les accoudoirs du siège et une fois levé se penche vers l’avant, pour tendre sa main en direction d’Adriano. La poignée ainsi offerte est franche, mais le regard de ce dernier pétille d’un amusement certain, une sorte de malice, qui accompagné de son sourire carnassier rend parfaitement indescriptible. Rokvenha le sait, l’accord est intéressant pour lui et pour les siens. Il ne risque pas grand chose à l’accepter et même s’il fait courir le mot quant à l’idée de faire descendre les attaques sur les eaux Soltaar, le Seigneur Mécan en charge de ce territoire comprendra aisément qu’il vaut mieux pour lui qu’il saigne en petite quantité en prenant son temps, pour calmer un peu les ardeurs du Pair. Une approche diplomatique qui ne semble pas trop mauvaise dans l’esprit du forban, mais seul l’avenir lui dira.

Il y a tant de choses à prévoir maintenant et à faire. Préparer ses hommes - comprenant alors Eylohr et les prochains forbans à le rejoindre - pour qu’ils mettent les voiles vers le Langehack. Il doit tenter de joindre Nimir aussi et surtout, trouver une bonne excuse tout en tirant profit, pour que l’attention de sa belle soit portée ailleurs que sur ses futurs délits.

Alors il garde sa main tendue, jusqu’à ce qu’elle soit saisi par le Duc et il scelle officiellement cet accord par ses derniers termes. “Aye, j’accepte… Toute façon, l’est pas bête, elle comprendra p’t’êt’ d’elle même, mais c’qui m’concerne j’dirai rien.” Il profite de tenir la main de l’homme et semble vouloir éclaircir un dernier point avec ce dernier. La possibilité de trahison de la Rose pour diverses raisons. C’est une hypothèse qui ne semble pas encore avoir fait son toru dans l’esprit du Rokvenha, mais il y répond comme s’il y avait déjà songé. “J’réserve un bien triste sort à ceux qui m’trahissent… Et sachez qu’vous recevrez la preuve d’tout ça, pour vous prouver d’mes bonnes intentions quant à cet accord, s’il fallait en arriver jusque là..” Il n’en dit pas plus, mais le message est clair. Lui qui avait fait écorcher vif son ancien Second et ami de longue date pour des suspicions de trahison ne semble éprouver aucun doute quant à agir encore une fois de la même manière, même pour celle qui semble être sa compagne.

Finalement, il se détache d’Adriano et commence à sortir de la tente. “Vous aurez un d’mes gars l’mois prochain, ici-même comme conv’nu, il s’ra reconnaissab au p’tit drapeau en symbole d’ma flotte et s’ra l’porteur d’vot’ cylind’ d’métal qu’a servit à m’contacter, histoire d’êt’ sûr d’avoir l’bon gars en face.. Qu’l’Impétueuse vous soit clémente et vos voiles toujours dans l’sens du vent Duc.” Il sort et tape sur l’épaule de Rocaille pour lui signifier sa présence. Il en fait de même en hélant sa Seconde plus loin et s’adresse à eux dans ce patois mécan si reconnaissable des Soltaar. “On y va, on à fort à faire.”

Ainsi donc, l’accord semblait naître, et les demandes de chacun des deux participants furent écoutés, parfois acceptés sans discussions, parfois objet de négociations plus ou moins ardues. Mais, au final, toute cette journée fut une énorme surprise. Qui aurait pu croire un seul instant qu’Adriano Cortès di Alcacio, Duc de Soltariel et Seigneur d’Alcacio, ancien Amiral de l’armada du Soltaar et adversaire incisif et violent de la piraterie, puisse un jour rencontrer pacifiquement et sortir quelques accords que ce soit, face au Rokvenha, capitaine du Second Souffle et auteur des pires déprédations sur le territoire du Soltaar depuis des générations ? Personne… Peut-être pas même les deux êtres susnommés… Et pourtant, c’est ce qu’ils firent.

Adriano se leva, et serra la main ferme et décidée de celui qui le toisait de deux têtes supplémentaires au moins. A bien des égards, ces deux êtres étaient tout autant impressionnants mais point de la même manière. Il émanait du capitaine pirate une force passif qui conférait au charisme puissant, et une attitude qui invitait soit au respect, soit à la crainte. Il était grand, physiquement impressionnant, et semblait d’une confiance à toute épreuve.

Adriano, lui, était de plus petite et fêle stature en comparaison, mais il jouissait d’une prestance tout à fait particulière. Sa réputation le précédait assurément : il était le Duc dont la famille avait été massacrée par des cultistes violents ; il était le Duc font l’ascension – faite par le paternel – avait été confirmée non point par le conseil de régence – comme ce fut le cas pour son paternel victorieux – mais par le Roy ressuscité lui-même. Il était le Pair le plus puissant de Péninsule, à la tête des terres les plus au Sud et les plus riches. Il était l’ancien Amiral de la flotte du Soltaar, qui aura apporté la victoire au Duché contre le Comté de Merval au travers d’un siège maritime aussi fort que les racines d’une montagne.

Mais, à cet instant, ni le Rokvenha ni Adriano n’avaient pris le dessus l’un sur l’autre. Au contraire, ils avaient remis les pendules à l’heure, et, surtout, s’étaient assurés une paix productive et suffisamment forte pour ne plus avoir à sans cesse regarder par-dessus son épaule. En soi… L’histoire venait d’être écrite, mais cette histoire ne serait pourtant jamais rendue officielle. Le capitaine pirate eut quelques derniers mots, confirmant alors son engagement sur la toute dernière demande d’Adriano. Adriano n’eut rien à redire, et prit lui aussi la direction de son navire.