Tout commence par la Douleur... (Kha'linas)

Voilà maintenant plusieurs ennéades que Vel’drin avait fait son retour dans les sombres entrailles du volcan. Sous les regards à la fois curieux et intéressés des autres eldéens, il parcourait à de nombreuses  reprises, ces vastes galeries en s’efforçant de préparer aux mieux ses hommes pour les futures expéditions dans les Terres Stériles, sous l’impulsion du Senger du IIIème.

Les retardataires de la mission divine avaient eux aussi fait leur retour - pas Azralith et il pensait s’occuper de cette partie-là une prochaine fois - Il n’avait pas cherché à s’approcher de son épouse et du vaisseau de Kiel, non pas pour la laisser se reposer, mais par obligation et aussi crainte.

Après quelques jours à s’éviter, le Streea Jabbuk décide finalement d’aller à la rencontre de Kha’linas, profitant qu’elle soit dans sa demeure et non au temple pour l’approcher d’une manière bien moins officielle et personnelle. Il pénètre alors dans la pièce dans laquelle elle se trouve et s’arrête un instant, laissant son regard la détailler des pieds à la tête, cherchant un quelconque signe des conséquences de la Croisade.

Lentement, il baisse ensuite la tête en signe de soumission comme si la réelle nature de celle qui se tient en face de lui le ramenait subitement à la raison. “Tu es finalement rentrée.” Ces quelques mots auraient pu être perçus comme un soulagement, dans le commun des foyers d’une autre race, mais dans la bouche de l’Ilythiiri elle sonnent comme un reproche, une déception ou pire encore une dégoût.

Alors qu’il obtient finalement l’attention de la drow, il relève son visage et poursuit. Il n’est pas là pour simplement parler de la réussite de la mission, il n’en doute aucunement, ni même pour prendre des nouvelles de l’état de celle qui lui est liée. Il a quelque chose d'autre en tête à cet instant.

“Raconte-moi ce qui s’est passé et avant de te perdre dans tes délires dont toi seule te comprend, où est ma soeur Gul’Uss ?” Le ton presque insolent du Streea Jabbuk est une sorte de liberté qu’il prend quand il s’adresse à Kha’linas dans l’ordre du privé y comprit ce surnom insultant. La relation entre les deux est particulière depuis les premiers jours et ce n’est que dans l’intimité que le Zaurahel parle ainsi à celle qui n’est en rien une Prima Sanguis à travers son regard.

«Ori'gato lil' ul'nusst mrimm uns'aa»
«Ori'gato lil' ul'nusst mrimm uns'aa»
«Ori'gato lil' ul'nusst mrimm uns'aa»
«Ori'gato lil' ul'nusst mrimm uns'aa»
Laissez le cri nous guider…


Elle le murmurait encore et encore alors que ses griffes d'acier se promenaient sur sa chair grisâtre. On aurait put dire qu'elle ne portait guère attention à la personne derrière elle. Et pourtant, difficile de manquer la froideur dans le ton de celui qui devait être son époux. L’obok Yatharil pouvait même entendre les reproches dans le son. Une discrète ode au fait qu’elle soit malheureusement vivante, et ce, même si elle s’était couverte de gloire, là, dans les forêts du Nord. Elle leva doucement la tête, les yeux se fermèrent doucement alors que l’odeur de sang venait emplir ses narines. Pendant une seconde, elle eut presque l’impression de sentir cette excitation, cette énergie qui l’aurait fait vibrer à nouveau… Mais non rien… Ses épaules s’affaissèrent alors que les griffes argentées laissaient son poignet maintenant ensanglanté. Sans porter attention à Vel’drin, elle leva son bras ensanglanté, sa tête se penchant sur le côté alors que les traces rougeâtres coulaient sur sa peau. Puis, il reprit la parole…


Sans attendre, l’Obok Yatharil se retourne, agrippant le cou de son mari, ses mains se resserrent contre sa peau d’ébène, alors que ses griffes s'enfoncent dans sa chair, laissant perler une minuscule goutte de sang. Le masque s’approchant de son visage, la voix caverneuse s’échappa, trahissant la colère qui grondait derrière l’impassibilité. « Je n’ai pas accompli la mission du visage hurlant pour me faire traiter comme une moins que rien. » Les prunelles laiteuses observaient Vel’drin, un regard absent, mais qui par les paupières plissé de l’eldéenne n’était pas moins révélateur. Bien que masqué, il comprendrait. Kiel Elamnishae relâcha rapidement son époux, un mouvement presque dégoûté alors qu’elle retournait à son autel, reprenant la parole alors qu’elle semblait mettre de l’ordre sur l’offrande à sa déesse.


« Elle est rentrée avec nous au Puy. Mais je ne l’ai pas revu depuis. » Répondit-elle simplement. Le voyage de retour s’était fait difficilement pour elle. La douleur avait été véritablement atroce, tellement qu’elle n’eut pas l’impression de se rappeler comment elle était rentrée au Puy. Sa belle-sœur avait été le dernier de ses problèmes. Les voix semblaient s’être calmées depuis que l’Orthae Dek’za était rentré. Elle ne les entendaient plus et surtout elle ne l’entendait plus, Elle. Les doigts grisâtres de l’Ilythiiri se posèrent sous sa chevelure d’un blanc immaculé, détachant habilement les sangles de cuir, enlevant son masque avant de le déposer sur l’autel. Impassible, les yeux à demi fermés, elle observait ce qui lui semblait être son expression, d’un air presque las. Maintenant, que sa mission était réussie, le visage hurlant ne lui avait guère donné de tâche, la laissant vaquer à ses occupations - et surtout se remettre de ce voyage. Mais Kiel Elmanishae savait que ce n’était que le début. Kiel avait été clair… Lui faire prendre un premier plan. Les dernières conquêtes puysarde avaient toutes été un échec ces dernières années. Il était temps que cela change, temps que quelqu’un prenne réellement les devants. L’Elda avait besoin de changement, et elle était là pour cela… Sa voix se fit entendre de nouveau, beaucoup plus clair. Un ton sec, presque arrogant qui pour une fois n’était pas entravé par le masque d’Onous Delab.  « Mais je suppose que tu n’es pas venu que pour ça… » Kha’linas se retourna finalement vers son mari, l’observant avec froideur. Elle le connaissait trop bien. Vel’drin n’était pas venu pour passer du temps avec elle. Il avait besoin de quelque chose… et cela tombait bien, puisque ce sentiment était réciproque.

Il l’observe dans ses moindres mouvements, laissant ses iris glisser sur le corps meurtrie de sa liée et les perles de sang qui s’écoulent de son bras. Dire qu’il en avait peur est exagéré, mais il la craint bel et bien. Non pas pour ce qu’elle inflige aussi bien aux autres qu’à son propre corps, mais pour ce qu’elle est et représente. Le vaisseau de Kiel, la Mère de la Douleur.

Lorsque Kha’linas se saisit de sa gorge et laisse ses griffes argentées tailler sa peau doucement, le Zaurahel se laisse faire. Le visage redressé de force, son regard est néanmoins vers le bas pour observer son épouse. La douleur n’est rien, elle ne cherche pas à lui infliger et lui-même en a connu bien d’autres. Non, ce n’est pas la Douleur qui parle en cet instant, mais l’égo de Kha’linas, l’envie de ne pas se voir retirer le bonheur d’une mission divine amplement réussie. Alors Vel’drin étire un léger sourire, visiblement peu dérangé par la prise, habitué à ce petit jeu là avec elle. Un sourire qui n’est ni de la moquerie, ni une manière dissimulée de cacher une envie perverse. Non un sourire presque franc et sincère, marquant une certaine fierté.

Finalement, lorsqu’elle le relâche et s’en écarte, il continue à garder le silence en la voyant retirer son masque sombre. Sans le regarder elle lui apprend finalement que sa sœur avait suivi jusqu’au Puy. Cette annonce arrache une brève grimace au capitaine qui finit par expirer sèchement du nez, portant sa main à son visage d’un air épuisé. Puis finalement, vient la prise de parole de la sombre, qui l’arrache à ses furtive pensées. Pendant un court instant, il avait presque oublié la véritable raison de sa venue. Ce n’était pas l’envie de revoir son épouse, ni même celle de fêter sa victoire – quoi que – c’était avant tout pour lui et ses propres projets.

Laissant passer un court silence, attendant qu’elle se tourne vers lui. Il opine en sa direction avant de poursuivre. « Tu vois juste. » Il s’avance alors de quelques pas en sa direction et reprend. « Il est grand temps que je reprenne ce qui m’appartient. Mon ost a passé bien trop de temps sans un Zaurahel à sa tête et ça ne peut plus durer. » Etrangement, même si leur relation peut paraître froide et étrange, Vel’drin a toujours eu une certaine confiance envers son épouse, une confiance qu’il estime réciproque. Les deux Ilythiiris connaissent les raisons de leur union et semblent en tirer profit et même s’aider à la tâche. De ce fait, le capitaine n’éprouve aucun mal à lui expliquer sans détour ses desseins et ses ambitions. « Tu n’es pas la seule à revenir victorieuse et je compte en profiter tout autant. J’ai encore à faire pour montrer aux miens que je suis maintenant prêt à débarrasser le Premier de son Obok Senger actuel et pour cela j’ai besoin de toi… » Il lève sa main gauche en sa direction, la pointant de son index, puis se reprend aussitôt. « De toi… et d’Elle. »

Sa main s’abaisse lentement et il s’écarte de sa compagne déambulant un instant dans la pièce dans laquelle ils se trouvent tout deux et finalement se plante à nouveau face à Kha’linas, les mains jointes dans son dos. « J’ai besoin de légitimer ma place aux devants des Dieux aussi. Même si Elle n’est pas celle qui représente le plus ma famille et même mon ost, Elle est pour l’heure, celle qui marche parmi nous et je ne peux l’ignorer. »

Lentement, il se baisse, venant poser son genou droit à terre, le regard fixé vers le sol en signe de soumission et de dévotion. Après un dernier court silence il reprend d’un ton plus révérencieux. « Je cherche à obtenir bénédiction de Kiel Elmanishae pour récupérer la tête du Premier ost, ordonne et j’exécuterai. » Il se doute bien qu’obtenir qu’un témoin de cette envergure ne se ferait pas aussi aisément, ainsi, il semble être prêt à réaliser tout ce qui pourrait lui être demandé afin de l’obtenir, bien qu’il soit lui aussi un participant à la dernière croisade, mais… Il ne se permettrait pas d’exiger devant un Dieu.

Voir juste ? Non. Le terme était erroné. Après toutes ces années, elle avait appris à le connaître. Cette union n’avait guère été appréciée, mais étrangement, les deux êtres savaient que leurs duos étaient nécessaires pour pouvoir avancer. Les Zauharel gagnaient l’avatar du visage hurlant dans leurs rangs, Kha’linas gagnait de la certitude sur ses origines Primas, au grand daim de Vel’drin, qui ne pouvait tout simplement pas passer outre son dégoût pour sa liée. Néanmoins, l’Obok Yatharil ne l'interrompit pas, vacant à ses activités comme si l’ilythiiri lui parlait de la pluie et du beau temps. Le succès de leur mission n’avait pas été un secret. Après des années à subir une humiliante défaite après l’autre, l’Orthae Dek’za avait finalement réussi son but avec la nouvelle avatar à sa tête. Le vent semblait tourner en leur faveur, et tout ceux qui avait été présent s’apprêtait à prendre leur part. Puis lorsque sa voix s’éteignit pour laisser place au silence, Kha’linas planta sa lame cérémonielle dans la table de bois, se retournant vers Vel’drin. Elle l’observa quelques secondes de ses pupilles vides, semblant réfléchir à ses prochains dires, puis sa voix brisa le silence, semblant résonner sur les murs de pierre. « Et si je te refuse cette bénédiction ? » Commença-t-elle un sourire mauvais aux lèvres, elle retourna son regard vers l’avant, semblant ignorer le Straae Jabbuk derrière elle avant de reprendre ; « La fierté des Zauharel… » Elle souffla du nez, secouant légèrement la tête. Kha’linas n’avait jamais réellement ambitieuse - du moins jusqu’à maintenant.



Elle attrapa une coupe finement taillée, ornée de nombreuses pierres précieuses, avant de la porter à ses lèvres. Pour enfin se retourner vers son interlocuteur. Son air était froid, presque sans émotions, comme si cette dernière s’apprêtait à lui révéler la plus ennuyeuse des nouvelles. « Pourquoi être Obok Senger lorsque l’on peut être Karliik Glenn? » L’Obok Yatharil prit une gorgée de darnab avant de dardé son regard dans celui de son mari avant de rétorquer; « Car là est la place qu’un Zauharel mérite…» Il devinerait le changement de ton lorsqu’elle prononça son nom, il verrait son regard qui semblait s’être acéré… Kiel Elamnishae n’avait pas terminé… Il y avait un très long chemin à parcourir devant elle et Vel’drin avait une place des plus importantes à ses côtés.

Vel’drin reste dans cette position, prosterné devant celle qui représente le plus haut rang du clergé de la Douloureuse. Son visage fait toujours face au sol et il l’écoute, alors qu’elle semble vaquer à ses occupations comme s’il n’était pas là. Intérieurement, le Zaurahel sent monter une vive colère à l’encontre de sa liée qui cette fois-ci est en position de force face à lui et qui semble en profiter. Cette colère brûle davantage sa Flamme quand cette dernière suggère de lui refuser la bénédiction de Kiel.
Vivement, il relève la tête, la défiant du regard et avant même qu’il ne puisse prendre la parole, le Vaisseau divin reprend la parole et coupe toute volonté de représailles en évoquant le titre de Karliik Glen.

Le guerrier se relève alors, regardant la Prima aux yeux laiteux en avançant vers elle. Elle n’avait jamais nourri d’ambition à son encontre et voilà que maintenant elle lui soufflait la volonté de le voir au plus haut rang militaire du Puy. Le Zaurahel fronce les sourcils en continuant d’avancer vers elle, un brin suspicieux, mais néanmoins souriant. Quand il n’est plus qu’à quelques pas d’elle il reprend la parole. « Je prendrai tout ce qui me revient de droit et de mérite, y comprit ce rang si les Dieux le veulent… » Son ton ne peut dissimuler un certain amusement à cette situation qui le surprend. Sa main se lève et vient arracher le verre d’alcool puysard délicatement des mains de sa compagne avant d’en partager le contenu. « Mais ne vois pas trop loin, trop hâtivement, les autres Obok Senger se méfieront de moi dès lors que je prendrai la tête du Premier ost car je ne compte pas rester passif à attendre la gloire. » Après avoir bu quelques gorgées de darnab, il rend la coupe à sa propriétaire.

Ce changement de ton, d’intérêt et de volonté semble éveiller un désir dans le regard du Streea Jabbuk qui pose ses iris pétillantes d’envie sur le corps de la Prêtresse. « Tu me surprend, Kha’linas, presque oserai-je dire que tu me plais de la sorte… Mais je ne suis pas dupe, qu’attends-tu en retour ou comment comptes-tu profiter lorsque j’atteindrai ce rang ? » Il hausse un sourcil, attendant la réponse avec intérêt, car si elle pouvait changer en son encontre et nourrir des ambitions pour son époux, elle ne pourrait jamais cesser d’en avoir pour elle-même.