[Libre] Au crépuscule d'une décennie

2nde ennéade de Bàrkios
21e année du Onzième Cycle
Début d’après-midi

Un éclair d’argent traverse les rues d’Alëandir à grands pas, séparant la foule dans son sillage. Régulièrement, les yeux de Kaëlistravaë se perdent en direction du lointain, admirant les nuages blancs et la poudreuse qui y scintille comme s’il s’agissait de la plus belle des promesses. Car à ses yeux, aujourd’hui, pour elle, il s’agissait bel et bien de la plus belle des promesses.

Si les peaux des elfes ne sont pas encore prises de frissons, les brumes réchappant d’entre les lèvres des bavards en disaient long sur les réalités de cet automne. Un nouveau Longhiver arrivait. Il n’y avait là pas de doute. Les feuilles des sempervirentes se froissaient, le pavé des rues au petit matin était déjà glissant, l’Elorëa chariait à l’occasion déjà des glaciers arrachées aux montagnes de Mera… la neige tomberait bientôt à nouveau sur Alëandir. Et Kaëlistravaë ne pouvait pas en être plus heureuse.

- Du poisson et du gibier. la Reine consort appuie d’une voix douce, mais autoritaire Et pas besoin de drastiquement changer nos habitudes de chasse. La délégation Daranovanne devrait pouvoir nous dépanner d’une bonne quantité en arrivant.

La course de la Dame Yasaïrava à travers la Cité ne semble pas connaître de ligne d’arrivée. Et plus elle souffle à l’oreille de l’un ou de l’autre, plus les passants semblent lui ouvrir la voie. Eux aussi, sont importants. Elle ne peut pas prendre le temps de s’adresser individuellement à chacun d’entre eux, mais à eux aussi, leur participation est capitale. Elle ne peut qu’espérer qu’à force qu’elle ne le dissémine, le message fasse son chemin jusqu’aux oreilles de tous.

Une décennie. À un mois près. Cela faisait une décennie que son époux avait pris place sur le Trône Blanc. Une décennie qu’elle l’avait vu se tuer à la tâche, parfois presque littéralement. Une décennie qu’elle avait passé à porter le Royaume avec lui, elle qui était aussi devenue l’un de ses grands piliers. Elle qui l’a vu douter, elle qui l’a vu manquer de s’écrouler, elle qui l’a vu prendre son mal au corps, et se relever, encore et encore, pour toujours faire de son mieux pour son monde.
Une décennie. C’était déjà plus que plusieurs de ses prédécesseurs. Car depuis le Voile, la Couronne n’avait jamais été aussi lourde. Alors aujourd’hui, Kaëlistravaë était fière de son époux, et elle voulait le faire savoir. Et les premières neiges étaient aux yeux de la Dame l’occasion parfaite pour rendre honneur à l’Aran venu des montagnes.

- Il faut encore que je passe par l’Académie et par la caserne de la milice. l’elfe soupire, puis sirote un peu de son bol de soupe Avec un peu de chance, j’aurai réussi à tout organiser avant qu’il revienne.

- Tu n’as pas peur que la nouvelle s’ébruite ?

- Non. elle sourit Je fais confiance à la Cité pour garder le secret. Maintenant… j’espère juste que tout se passera bien.

Assise à la table d’une auberge de l’Est du Teluïme, et à moitié perdue dans ses pensées, la magicienne contemple la masse de travail que représente une telle organisation. Bientôt il lui faudrait probablement mettre en lien nombre de tailleurs et de couturiers entre eux pour qu’ils se partagent les charges, puis voir avec les maîtres d’armes dans quelle mesure sa vision était-elle réalisable, et puis… et puis il faudrait qu’elle réfléchisse à quoi dire. Car il lui reviendrait certainement à elle d’ouvrir les festivités.

Comme colportés par le vent, les on-dit et les racontars ont tendance à se répandre entre les murs de la Cité Blanche aussi rapidement qu'une crue déborde d'un lit de rivière. Ils passent de lèvres en oreilles et deviennent le sujet de conversation du moment, un amusement suscitant l’excitation dans le cœur de l’un ou l’autre citadin, trop heureux à l'idée d'un événement à venir.
T’sisra s’est laissée emporter dans cette brise rafraichissante, motivée par des regards moins durs et plus curieux que méfiants depuis son retour, depuis Tête de Souche et sa floraison singulière. Alors comment résister ? D'autant qu'elle a bien une idée en tête, des pensées qui la taraudent et restent tapies dans un coin de son esprit quand bien même, elle s'affairerait à autre chose. Le plus étrange est de ne pas savoir si sa motivation trouve son origine dans la simple volonté de vouloir faire plaisir à un ami, ou si elle nait de l'envie de participer à quelque chose en compagnie d'autres taledhels. À moins que les deux soient simplement liés ?

Vêtue de ses atours habituels, simple pantalon de cuir et chemise de lin, elle quitte rarement la maison sans un manteau, depuis que les premiers vents froids soufflent entre les branchages de la Prime Œuvre. Le manteau du jour en est un qu’elle a « emprunté » à IIthìliur. S’il taille un peu trop grand, il est tout à fait confortable et, surtout, elle en apprécie l’odeur.
La noirelfe, accompagné de Non, bat le pavé de la cité en demandant de temps à autre la direction à emprunter à l’un ou l’autre citadin qu’elle croise sur son chemin, jusqu’à enfin pouvoir poser les yeux sur celle qui fait l'objet de tant d’émules. La daedhelle approche à pas feutrés, arrivée à sa hauteur, elle s’immobilise, hésite un instant, recule d'un pas puis avance à nouveau et finit par se pencher vers l’avant en se parant d’un sourire discret, mais sincère.

- Kaleis… Kalis… Son index pointe timidement en direction de l’elfe, alors qu’elle prend une grande inspiration et souffle le nom qui peine à sortir d’une seule traite. Kaëlistravaë ? Sa mine se pare d’une mimique incontrôlée démontrant parfaitement qu’elle a pris la mesure de ce premier contact maladroit, elle reprend cependant vite de l’aplomb et désigne la chaise vide d'un geste de la main. Vous permettez ? J’ai entendu parler de… Enfin, comme c’est le sujet de discussion principal... Je me suis demandée si, éventuellement, je pourrais... L’index de la noirelfe vient tapoter sa tempe. Disons qu’une idée m’est venue et j’aurais bien voulu vous en faire part, si ça ne vous dérange pas ?

Le chien de savane est quant à lui d'ores et déjà en train de renifler avec entrain l'interlocutrice de sa maîtresse. Bien que son regard frénétique ne laisse aucun doute sur son hésitation entre l'elfe et le petit tas de poudre blanche qui semble l'appeler.

Quelle puissante symphonie les entourait en cet instant. Pas celle que seuls certains des leurs pouvaient percevoir, ce sixième sens qui en avaient emportés tant durant la Malenuit. Non, là il s'agissait bien de cet art mélodieux, cette cacophonie chaotique et pourtant si bien ordonnée, ce bruit invasif et assourdissant, pourtant si silencieux dès que l'attention de l’ouïe s'en détournait.

L’œuvre vivait, elle respirait, elle pépiait. Et au milieu de ce désordre ordonné, mélodie pourtant si douce à l'oreille pour tous les enfants de Kÿria attentifs, il était presque possible d'imaginer un murmure, un fredonnement lointain, celui de la Mère elle même. Elle venait compléter de son chant cette ode à la vie fleurissante au plus profond de son œuvre.

C'est en tout cas ce que la guerrière aimait à s'imaginer. En ces lieux, elle ressentait un apaisement tout particulier, quelque chose que même sa chère patrie dans les montagnes ne pouvait lui apporter. Car parmi les racines, entre les arbres encore jeunes, les marques profondes laissées dans la terre suite à l'invasion noire étaient toujours partiellement visible. Ici, là où tant de souffles s'étaient éteints dans l'espoir de préserver ce qui leur était cher, la forêt n'avait pas plus de quelques siècles. Mais elle vivait, grandissait et se renforçait petit à petit, jusqu'à ce qu'un jour peut être, elle parvienne à complètement faire disparaître les traces de ce cauchemar.

Mais la guerrière daranovane n'oubliait pas. Et tant que son souffle subsisterait, elle n'oublierait jamais.

Levant les yeux, Norne aperçut au loin à travers les branchages, les épaisses murailles blanches d'Alëandir se dessiner. A la tête de la délégation en provenance de Daranovar, sa venue dans la capitale n'avait pour une fois, aucun caractère officiel ou urgent. Celle qui appréciait tant se murer dans une solitude contemplative se retrouvait au cœur d'un projet dont elle aurait pourtant préféré s'isoler.

Et rien ne l'empêchait réellement de le faire une fois qu'elle aurait fait acte de présence. Sa nature et son instinct revenaient si rapidement reprendre les rênes en toutes circonstances. La simple idée de participer à cette délégation en ces temps incertains lui paraissait plus qu'aberrante. Il y avait tant à faire, tant de dangers rôdant au sein de l’œuvre, tant de risques et de problèmes que cette simple escapade pouvait aggraver.

Et pourtant, elle était là.

Et si ce n'était pas tant par simple respect pour son Cintanno, ça l'était tout particulièrement pour une réflexion qu'elle avait grandement apprécié poser à l'écrit, la voir prendre forme tangible sous ses mots. Solitaire, disciplinée, inflexible, elle avait pourtant ses doutes, elle avait peur pour elle, elle avait peur pour les siens. Elle ne pouvait se refaire.

Mais à quoi avait bien pu servir tous ceux qui avaient sacrifiés leurs souffles s'il n'y avait même plus le temps pour célébrer les vivants ?

Un sourire se dessina sur le visage de Norne lorsqu'elle sentit un vent froid souffler en direction de la grande cité. Les daranovans apportaient avec eux l'hiver glacial des montagnes.

Kaëlistravaë avait largement assez entendu parler de la Daedhelle pour comprendre ce qui l’avait motivée à venir ici. Pour autant, l’Etoile du Matin – soudainement fascinée par ce qui lui reste de soupe – espérait profondément se tromper. Si son époux avait le contact facile, ce n’était pas son cas. Patiente, certes. Aimable, certes. Attentionnée, il en était peu comme elle. Seulement, plus que tout cela, Kaëlistravaë était farouche.
Ainsi lorsqu’il lui fut prouvé que ses doutes étaient avérés, et que l’Eldéenne continua de s’approcher d’elle, et alla jusqu’à tenter – c’est du moins ce qu’il semblait – d’attirer son attention, toutes les qualités de l’Ardamirie furent mises à rude épreuve.

- C’est bien moi.

Même trahie par l’attitude qu’elle avait eu durant les quelques secondes d’avant, une fois mise face à une discussion qu’elle ne peut plus éviter, Kaëlistravaë se métamorphose. Le visage doux et avenant, le timbre de voix mesuré, la posture posture détendue... battement de son coeur lui-même n’aurait su traduire sa gêne. Habituée aux manèges mondains depuis la plus tendre enfance, l’Etoile du Matin était de ceux dont les véritables pensées ne sont jamais apparentes qu’à ceux qu’ils veulent bien les laisser paraître.

- T’sisra j’imagine, donc. elle termine de siroter sa soupe, se rendant pleinement disponible auprès de celle qu’elle aurait préféré éviter Toute idée est bonne à prendre et j’ai un peu de temps avant de retourner à l’organisation donc je suis toute à toi. Dis-moi.

La situation a beau être inconfortable, elle n’en reste pas moins une occasion en or pour la Sylvaine d’étudier un peu l’étrangère. Elle qui avait gagné son droit de séjour en revendiquant la sympathie de l’Aran, à quel point le connaissait-elle vraiment ? C’était l’occasion de le découvrir.

La daedhelle se fend d’un sourire et s’installe dans la chaise en face de l’elfe. Non commence son manège et passe entre les pieds de la table, il s’en va renifler sa trouvaille avant d’éternuer brusquement. Il piétine avec un air vengeur ce qui semble être un petit tas de farine, l'étalant un peu plus sur le pavé.

- En réalité, j’avais deux idées. Le geste imite la parole, puis ses mains retournent sur ses cuisses. La première, c’est Naélis. L’hiver approche. Et l’hiver, c'est aussi… Notre victoire là-bas. Face aux armées qui avaient assombri les plaines du royaume. Son regard quitte un instant celui de Kaëlistravaë, son expression change l’espace d’un battement de cils, puis comme si de rien n’était, T’sisra esquisse un sourire semblable au précédent. Je ne dis pas qu’il faille inviter le gratin politique de la cité, pas du tout, ç'aurait probablement tendance à gâcher la fête si vous voulez mon avis. Mais, il y a des arïns et des taledhels qui, là-bas, ont tissé des liens. Des liens qui, même s’ils furent forgés dans la douleur, sont tout autant porteurs d’espoir pour l’avenir. J’aime à penser que les vétérans de ce monde comme de l’autre seraient ravis de se revoir. De se retrouver dans des circonstances… Elle claque des doigts sans parvenir à trouver le mot. De se voir offerts un bon moment et de se rappeler que ce chaos terrible aura créé malgré tout des amitiés uniques et singulières.

Non revient auprès de sa maîtresse, le museau blanchi, avec une fourchette entre les dents. Il se hisse à l'aide de ses pattes avant au-dessus des genoux de la noiraude et laisse sa trouvaille quitter sa gueule. T’sisra baisse les yeux sur l’offrande baveuse qu’elle saisit entre le pouce l’index.

- Merci Non. C’est… Gentil. De sa main libre, elle gratte vigoureusement le crâne de l’animal visiblement très heureux, quand, de l’autre, elle dépose la fourchette sur la table tout en offrant un sourire désolé à son interlocutrice. Et la seconde idée… Je ne sais pas si c’est envisageable, je n’y connais pas grand-chose, je dois bien l’avouer. Mais, pensez-vous qu'il serait possible de convaincre Vìrin de bien vouloir se joindre à la fête ? Sans elle, je n'aurais pas rencontré « Noruì » et nous n'aurions pas vécu nos aventures thaaries. La noirelfe laisse échapper un gloussement en se rappelant du drôle de bonhomme s'étant entiché de l'animal. Thaar... Soupire-t-elle en secouant la tête. Cette ville ne me manque pas, pourtant, c'est bien là-bas qu'on y fait les rencontres les plus étranges. Et elles méritent toutes d'être vécues.

Les appréhensions de Kaëlistravaë s’effacent peu à peu, pour finalement être remplacées par un presque amusement. L’Eldéenne en sait à la fois tant et si peu sur son époux qu’elle en rirait presque. Preuve s’il en est finalement, que « Noruî » et « Elnoruì », séparés par des centaines miles, par les frontières d’un monde, et par les grondements de la guerre, sont presque deux personnes différentes.

- Je pensais bien lancer les festivités aux premières neiges… la main de Kaëlistravaë se pose contre l’encolure du canidé, tant pour la flatter qu’espérant le calmer un peu ...parce qu’Artiön est né au début d’un longhiver. elle sourit La neige a le don de lui rappeler son foyer d’enfance. Ça et il passe son temps à se plaindre qu’il fait trop chaud à Alëandir. le gloussement de Kaëlistravaë carillonne doucement Que des vétérans Naélisiens viennent partager un moment en son honneur pourrait effectivement être une bonne idée… elle soupire ...à condition que ces « nouvelles amitiés » leurs soient plus chères que les souvenirs de la guerre qu’ils ont livrés. Les responsabilités de l’Aransont lourdes à porter, alors le moins que l’on puisse faire, c’est autoriser Artiön à oublier les décision difficiles qu’il a dû et qu’il devra continuer de prendre au moins le temps d’une nuit. elle retire sa main pour servir deux verres d’une liqueur douce Pas qu’il ne soit pas du genre à fêter une victoire, mais à chaque pensée son moment.

Les batailles qu’il a menées, les chantiers qu’il a lancé, les Cités laissées en arrière, les clans avec lesquels il a parlementé, son lien avec les dragons du Sanctuaire même… Victoires comme échecs, ces sujets seraient certainement impossibles à totalement éviter. Seulement, Kaëlistravaë tenait à ce que s’ils l’étaient, les conversations ne se finissent pas par se transformer en une longue tribune, et que ce qui devait être une fête ne se transforme en jour de travail.

- Pour marquer ses dix premières années de service, j’aimerais juste faire en sorte que pendant une soirée, il n’ait pas grand-chose d’autre à faire que de se sentir apprécié. elle se saisit de son verre et sirote quelques gorgées avant de reprendre Quant à Vìrin… tout dépendra d’elle. Si elle est d’humeur sociable, elle arrivera avec la délégation Daranovane.

Un sourire nait sur le visage la noirelfe. Ce sourire se fait discret, sans doute parce qu’il est, en vérité, alourdie d'un peu de tristesse. Elle opine lentement du chef en observant les doigts de l’elfe courir dans le pelage du chien venus des savanes.

- On ne l’oublie jamais vraiment, la guerre. Et lorsqu’on en parle, c’est souvent avec une certaine distance désinvolte. On s’accroche aux vivants pour ne pas avoir à penser au reste alors… Il ne faut pas vous en faire. Elle se laisse aller à un vague haussement d’épaule, ses yeux lorgnent sur le liquide grimpant la flûte de verre. Il ne faut pas.

Ses doigts courent jusqu’au pied finement ouvragé et finissent par s’enrouler autour. Portant le verre à hauteur d’yeux, elle finit par en humer les odeurs avant d’y goûter. Dans un geste de tête affichant autant la surprise que la satisfaction, elle en boit finalement une véritable gorgée.

- Ne me reste plus qu’à espérer que Vìrin soit d’humeur alors. Je suis certaine qu’elle serait contente de me mâchonner les cheveux. Encore une fois. Les yeux rieurs, un gloussement s’échappent à nouveau d’entre ses lèvres, puis elle se redresse dans son assise. Qu’aviez-vous en tête pour la fête ? Si ce n’est indiscret. De la musique ? Du théâtre ? Des poèmes ? Des démonstrations de magie ? Elle boit une gorgée de liqueur. Mh ! Un spectacle de lumière, ça, c'est le genre de choses que les enfants aiment voir.

T’sisra pose son verre sur la table et fronce légèrement les sourcils. Elle penche la tête sur le côté et vient à se gratter la tempe, le visage soudainement pris d'une hésitation certaine. La noirelfe semble ne percuter que maintenant, et c’est bien parce qu'on le lui dit que cette réalisation la frappe alors que l’excitation et le désir de participer avaient, jusqu’alors, empêché ce genre de pensées de s’immiscer.

- Les daranovans… Les délégations… Des elfes de toutes les cités vont bientôt affluer ? Est-ce qu’ils sont déjà… Au courant ? L’eldéenne se désigne de l’index tout en plongeant son regard dans celui de Kaëlistravaë. J’imagine que oui. J’espère.

- Tout Anaëh est au courant, pour le meilleur et pour le pire. le regard de Kaëlistravaë fuit vers le lointain un instant Maintenant, la balle est dans ton camp.

Savoir, croire et voir de ses yeux sont trois choses différentes. L’Anaëh sait. Mais une part d’Anaëh est toujours incrédule. Et une part plus grande encore attend de poser ses yeux sur la vérité pour savoir qu’en penser. Protégée par les lois régissant les murs, l’Eldéenne a peu de craintes à avoir, mais beaucoup de choses à prouver. Là se trouvait une première occasion.

- Mais pour en revenir au programme, oui, musique et théâtre sont des incontournables de toutes nos fêtes. elle rit doucement Ça il vaut d’ailleurs mieux que je ne m’en mêle pas, les bardes sauront très bien mettre en œuvre leurs talents, et il n’est pas bon de les contrarier. elle a une pensée pour Kireth, qui doit bien se languir de son absence depuis son départ d’Ardamir Pour ce qui est du reste, j’organise un grand bal. Près de l’Amphithéâtre. Et avec un peu de chance il fera assez froid pour patiner sur une partie des canaux du Teluïme. elle sourit, rêveuse Mais avant de le lancer, j’ai obtenu une oraison de quelques personnes proches d’Elnoruì. Histoire de le gêner un peu pour commencer la soirée.

Il y avait elle, l’épouse, et il y avait Cìryon, Maltlin et Norne, ses plus proches amis d’enfance. Pendant l’espace d’un instant, Kaëlistravaë avait espéré que les patriarches Laergûl et Hrònmectar disent quelques mots, en vain. Mais qu’importe, ils seraient bien assez de quatre pour ennuyer toute l’assistance et couvrir de honte l’invité d’honneur.

- Puis parce qu’on ne refait pas les Daranovans, je me suis arrangé avec les maîtres d’armes et les milices pour proposer un tournoi de lutte le lendemain. elle roule des yeux En espérant que ça ne finisse pas avec les ressortissants des différents protectorats qui se disputent à savoir quel style est le meilleur. elle souffle des nasaux, à la fois amusée et dépitée, puis reprends Ma prochaine étape d’aujourd’hui était d’aller négocier leurs services aux Clercs de l’Académie. Il n’y a pas que les enfants qui aiment les jeux de lumière.

Ce qu’il reste dans le fond de son verre est vidée d’une seule traite. La noirelfe passe l’index sur sa mâchoire, l’esprit tiré dans quelques pensées. Son attention revient bien vite au reste des activités prévues qu’on lui présente. Un sourire sur les lèvres qu’elle ne peut cacher ni réfréner s’élargit à lui en faire rougir les joues.

- Que serait une fête sans un endroit où jouer à la bagarre ? Lâche la noirelfe en reprenant une prise sur le réel. Je m'en passerai volontiers mais… Tout ça m’a l’air de promettre de bons moments à passer. Et je n'ai aucun doute sur le fait qu’il en restera de beaux souvenirs.

T’sisra pianote sur la table, affichant désormais une moue hésitante. Ses oreilles s’affaissent légèrement et ses sourcils se froncent. Tout ceci est excitant, pourtant il y a bien un « mais » qui se terre quelque part.

- À quoi est-ce que ça ressemble un bal ici ? Comment ça se déroule ? Enfin, je veux dire… Je sais ce que c’est évidemment, elle se racle la gorge puis glousse nerveusement, j’ai déjà vu des soirées dansantes en Ithri’Vaan. Mais j’imagine que c’est un peu différent à Alëandir. Elle marque un instant de silence qui lui paraît bien trop long et finit par jouer des sourcils et faire claquer sa langue contre son palais. Auprès de qui pourrais-je apprendre la danse lëandrine ? Demande l’eldéenne en pointant machinalement un index en direction de Kaëlistravaë tout en se parant d’un air détaché qui ne trompe pas grand monde. Au moins les bases. Histoire d’éviter de ressembler à un artichaut défraîchi sur le parvis. Sa remarque s’accompagne d’un rire, mais il est aisé de lire sur son visage qu’elle est motivée par une inquiétude bien réelle.

Non a tôt fait de revenir aux côtés de T’sisra, il pose son museau sur ses genoux tandis que les doigts de la noirelfe viennent glisser dans son pelage. Elle cajole l'animal qu'on pourrait presque voir sourire, ce qui amuse la noirelfe au point lui en arracher un, de sourire.

- Je ne sais pas à quoi ressemblent les soirées dansantes en Ithri’Vaan… Kaëlistravaë se pare d’une moue pensive ...mais je ne pense pas que celles d’Alëandir aient quoi que ce soit de compliqué. Il y a de la musique, et ceux qui le souhaitent dansent. Ni plus ni moins.

Rin Berith sourit, masquant habilement sa gêne de son sincère amusement face aux remarques de l’Eldéenne. Vers qui la diriger pour qu’elle apprenne les danses locales ? Kaëlistravaë n’en avait strictement aucune idée. Non pas qu’elle ne connaisse pas quelques bons danseurs dans la Cité, certains qu’elle savait pertinemment être de bons professeurs. Mais y en avait-il un seul d’entre eux qui se sentirait à l’aise à l’idée d’enseigner un peu de leur art à une drow ? Elle en tout cas ne s’en sentait ni l’envie ni l’énergie.

- Si cela peut vous rassurer, vous ne serez probablement pas la seule à faire preuve de maladresse. L’Aran lui-même n’est pas le danseur le plus talentueux. Mais heureusement pour lui, il a une épouse pour le guider et rattraper la casse. l’Elfe se lève, son regard partant un instant en direction de l’Académie, avant de retourner à la drow Vous connaissez certainement quelqu’un qui puisse faire ça pour vous.

Quelques pas en arrière, et une courte révérence plus tard, l’Étoile du Matin se met en position de départ. Un dernier regard en direction de l’Eldéenne, et les raisons pour lesquelles son époux a pu se prendre de sympathie pour elle lui deviennent évidentes. T’sisra – à première vue – semble curieuse, enjouée, et facile à vivre. Mais aussi sympathique qu’elle puisse se donner l’air d’être, aux yeux de la Reine, elle restait une Eldéenne. Bâtie par un monde qui n’est que violence.

Peut-être pas de la même manière que Telrunya avant lui, mais Kaëlistravaë ne pouvait s’empêcher de penser que sans elle pour lu maintenir les pieds sur terre, la gentillesse de son époux finirait par le perdre.

- De mon côté, il est temps pour moi de retourner à mes devoirs. elle s’incline à nouveau Puisse I Ëmel vous garder, heri T’sisra.