[HT Kiel] En tirer de quoi faire grandir le Feu

Sujet: [HT Kiel] En tirer de quoi faire grandir le Feu Sam 12 Oct 2024 - 20:32

Huitième ennéade de Karfias,
An 22 du Cycle XI,
Haut-Temple de Kiel, Puy d’Elda

La cellule n’avait pas de barreaux. Dans les entrailles du Haut-Temple, au fond de cette gorge sombre où naissent les Cris, il n’y avait qu’un carré de pierre lisse et nue, qu’un voile de glace recouvrait. Un prêtre gardait l’entrée de la cellule, les yeux rivés sur son sol. Il réagirait et donnerait l’alerte, si d’aventure le détenu s’essayait à une évasion. Mais d’alerte il n’y aurait pas, et l’adepte de Kiel ne trompait l’ennui qu’en animant périodiquement, d’une demi-rotation de son focalisateur autour de son pouce, le gel d’un pulse sadique qui venait faire s’ébrouer l’amas de chairs qu’il gardait.

Il en avait été comme le Haut-Prêtre l’avait annoncé : les geôles de la Maîtresse des Souffrances en anticipation des P’leik. La douleur insidieuse de la glace l’obligeait en permanence à mobiliser ses membres à vif pour ne pas y rester accroché et, donc, à se condamner au supplice du mouvement. Les prêtres du Cri avaient jeté toute leur vicieuse créativité dans le défi qui leur était donné de donner au traître un aperçu de son sort post-mortem. Ceux des Jumelles s’étaient assuré que cette éternité soit repoussée au plus tard. Ceux de Natha, Meingal et Teweion s’étaient faits forts que la postérité de l’apostat soit, pour tous, leçon.

Pyor’h contemplait, depuis le seuil de la cellule, la scène désolante de cette carcasse sanguinolente qui se traînait en léchant l’eau croupie suintant des parois. De celui dont il avait triomphé, il n’avait anticipé ressentir que mépris, mais la colère ardait en sa Flamme. Jamais n’avait-il vu drow plus misérable devant le regard d’Uriz. La vérité était que drow il n’y avait plus. Le colosse manchot n’avait plus rien de la race, avait perdu tout du peuple, avait oublié le plus petit fragment d’enseignement d’Elda. Et cette vision était terrifiante ; il n’y avait rien, à ses yeux, de plus terrible qu’un drow vaincu. Rien de plus pathétique. Rien de plus haïssable.

Une démarche que rythmait le cliquetis de bijoux se fit entendre dans le boyau. Pyor’h jeta un regard en arrière, se retourna franchement en reconnaissant le Hune'Baenre et le salua.

« – Sesmika. Je vous remercie d’avoir accepté de me rencontrer. »

Il se retourna sur Kerath, dont les gémissements étaient à peine audibles.

« – Affligeant spectacle. »

Le sourire satisfait du Haut-Prêtre ne l’avais pas quitté une seule seconde. Sak’Esh, en digne représentant de son culte adorait s’entourer d’Ilythirii empestant l’odeur de grands desseins, et Pyor’h était de ceux dont le fumet était à la fois immanquable et étouffant. Ainsi derrière l’imperturbable expression conquérante du Triumvir se dissimulait une certaine excitation à l’idée d’entendre s’épancher le juge en désirs.

Le parfum des poisons, du sang et de l’eau croupie. Les narines et la langue brûlées de Sak’Esh parvenaient encore à les savourer, tant les arômes caractérisant le labeur de La Maîtresse des Souffrances étaient puissants. Sans daigner fendre son silence d’un rire, le Triumvir n’en pensa pas moins : le Juge tenait à sa mise en scène. Loin du palais et loin du Temple où Sak’Esh régnait en maître, Pyor’h avait préféré le tirer dans un lieu symbolique de ses récentes victoires. Faire démonstration éhontée mais silencieuse de sa valeur. Cela, Sak’Esh pouvait l’apprécier.

- N’est-ce pas ?

Les lèvres du Hune’Baenre s’ourlent alors qu’il se poste à la gauche du prêtre de Meingal. Il était tombé bien bas, le guerrier ayant autrefois vaincu le feu d’Uriz. Voilà ce qu’il en coûtait de se laisser dévorer par l’hubris. Puisse son destin être un leçon à tous ceux se pensant plus sages que les dieux.

- J’ose imaginer que vous ne m’avez pas invoqué simplement pour que nous admirions le paysage.

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Ombre fugace
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-Crédits de l'avatar: ETERNAL RETURN - Art of pierre / Alain D.
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Le spectacle se jouait devant eux, prenant les silences de leur conversation pour seules opportunités de faire entendre ses dialogues ; bourdon sourd de gémissements monocordes. Le corps eut un spasme alors que la surface de glace était agitée d’un frisson cruel. Il tourna ce qui lui tenait de tête et les fixa. Ses yeux, un mois plutôt rouges annelés d’or, avaient perdu toute couleur et avaient tourné au blanc le plus insipide, le plus abjecte. Infâmie la plus patente, ils semblaient les supplier.

La rage flamba, avec l’envie de frapper, d’éteindre cette étincelle avilissante de ces pupilles répugnantes. Le constat que le peuple élu puisse faire naître une telle abjection était douloureux. Que l’on puisse être vidé de toute vigueur et tout honneur, que puisse être distillée du sang la liqueur divine jusqu’à la dernière goutte et en être réduit à cette existence, c’était une découverte effroyable.

« – En effet. »

Pyor’h lâcha le regard de la créature et fit l’effort conscient de reporter son attention à sa propre situation. Telle entrevue ne serait pas accordée deux fois et les circonstances ne se représenteraient pas de sitôt. Le kairos d’une vie.

« – En effet, j’ai une requête à vous présenter. »

Le Grand-Prêtre passa le bout de sa langue sur ses lèvres.

« – Sol’Dorn est, je le crois, le nouveau fer de la conquête eldéenne. L’Ithri’Vaan s’agite, notre regard se tournera à nouveau vers Varasthr et Sol’Dorn est le carrefour stratégique que nous devons exploiter. Elbel Deäl'Honn a prouvé être un gérant. Mais il nous faut plus. Il nous faut un initiateur. Je vous donc demande un appui, une approbation, quand je prendrai sa place. »

Fasciné qu'il est par cette créature à la fois trop honteuse pour lutter et trop fière pour se résoudre à mourir, le Triumvir se refuse à quitter des yeux l'ancien guerrier. Mais peut-être Pyor'h est-il aveugle à ce délicieux spectacle, car sa voix n'en semble que trop peu émue aux oreilles du prêtre d'Isten. L'ambition est une vicieuse maîtresse. De celles qui promettent le monde mais se ravisent une fois qu'elles vous ont tout pris. De celles qu'il faut savoir dompter s'il on veut qu'elles nous servent.

- Et pourquoi ferais-je cela ? le prêtre croise les bras sous sa poitrine en un geste presque lascif Elbel Deäl'Honn a toujours fait honneur à son sang. S'il nous faut qu'il soit plus, ne serait-il pas plus simple pour nous de simplement lui demander d'être plus ?

- De tout ce que j'en ai vu, Elbel n'incarnera jamais rien. Comme Voix, il ne sera jamais plus qu'un Murmure, à peine bon à faire écho à ce que vous lui ferez dire depuis Elda. J'ai cette conviction : nous devons investir Sol'Dorn, en faire plus qu'une interface entre le volcan et les doebs de Thaar. Je veux incarner ce nouveau Feu. Je veux être un Cri.

- Sol'Dorn est loin de faire honneur à son devoir, je l'entends. Mais rien pour l'heure ne me prouve que tu saurais mieux la mener que son actuelle Voix. Tu n'es pas le premier des ambitieux à avoir su attirer les yeux vers toi. Tu ne serais pas non plus le premier à faillir à la tâche. il sourit, sans détourner les yeux du prisonnier De quoi aurais-je l'air, si séduit par les mots du premier venu, je répudiais le Prime-Sang pour fortifier les prétentions d'une futur déception ?

- Je ne demande pas de répudiation. Pyor'h tourne la tête vers le prêtre d'Isten Si Elbel Deäl'Honn est trop stupide -- ou trop arrogant -- pour ne pas voir l'Eda Vengeur en marche et y trouver sa juste place... Cela se réglera dans l'arène, et le Prime-Sang coulera. Ce que je demande, c'est un appui, un appui à une Vision.

- Ainsi Elda perdra-t-il soit un gérant compétent, soit un ambitieux visionnaire. il soupire Mais ainsi soit-il. Si c'est ce que tu désires, puisse ta lame se faire preuve du tranchant de ton verbe.

- Puisse la Voilée lui prodiguer discernement. Le sang d'Elda versé est toujours un gâchis... sauf s'il l'est pour Elda. Pyor'h désigne la créature prisonnière du menton Sesmika.

Le prêtre de Meingal s'incline et se retourne. Le Triumvir laisse faire, toujours vacant en contemplation. Un ambitieux comme tant d'autres, à la Flamme bercée de rêves, et l'esprit discipliné, mais manquant cruellement de discernement. Grave défaut, pour qui se veut meneur d'Hommes. De si Pyor'h ou Elben triomphait, les dieux décideraient... Seulement, quoi qu'aient décidé les dieux, le Grand-Prêtre de Meingal avait encore beaucoup à prouver pour que le premier d'Isten cesse d'espérer que l'hubris l'amène au trépas, et plus encore pour que même victoire ne lui vaille véritable respect en tant que Voix.

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