Vermillon [Colporteur & Herboriste]

Vermillon est né au sein d'une caravane de saltimbanques, d'un père humain, bateleur, et d'une mère elfe, herboriste et guérisseuse. Tandis que son père était d'un caractère retors voire sournois, sa mère, souvent soucieuse, préférait se retirer dans le silence et la discrétion ; une différence flagrante de natures qui n'empêchait pourtant pas le couple de s'entendre à merveille, d'apparence tout du moins.

Le jeune Demi-Elfe grandit sur les routes, apprenant les us et coutumes des gens du voyage ainsi qu'à se méfier des sédentaires. Solidaires les uns des autres, les habitants du petit village ambulant qu'était la caravane mêlaient presque toutes les races ; des humains, des elfes, des nains et même des demi-drows : deux danseuses au sourire aigu comme celui de requins femelles. Pour les forains, les querelles entre ethnies n'avaient que peu ou pas d'importance, chacun se définissant par le rôle qu'il tenait dans la communauté. Ceux qui vendaient leurs charmes, ceux qui travaillaient différentes matières comme le fer, le bois ou encore le cuivre, ceux qui jouaient de la musique, ceux qui guérissaient, ceux qui amusaient - et trompaient - les habitants des villes et villages dans lesquels ils faisaient escale. Le père de Vermillon appartenait à cette dernière catégorie. Excellent comédien et tricheur de renom, qu'il s'agisse des cartes, des échiquiers ou des innocents jeux de dés, il emportait toujours la mise contre ceux qui le défiaient - d'une manière certes douteuse, mais suffisamment subtile pour que personne ne s'en rende compte. S'il apprit quelques ficelles du métier à son fils, il s'avéra bien vite que le jeune Vermillon répugnait à manipuler les gens (ce en quoi son apparente timidité et la douceur de sa voix l'aidaient énormément, car inspiraient confiance à ceux qui l'abordaient) ; l'art mystérieux de sa mère le séduisait bien plus. Elle lui enseigna les propriétés des plantes et des fleurs, ainsi qu'à plier la terre à certaines de ses volontés. Dans ce domaine-là, Vermillon excella bien vite.

Lorsqu'il parvint à l'âge adulte, le Demi-Elfe fit construire sa propre roulotte afin de prendre la place qui était la sienne au sein de la communauté. Une belle habitation que celle-là, toute d'arceaux de bois poli, peinte de noir depuis la coque jusqu'aux rayons des roues, une simple bande rouge vif barrant les flancs - c'est encore la roulotte dans laquelle il se déplace aujourd'hui. Vermillon devint herboriste au même titre que sa mère, même s'il lui arrivait parfois de s'improviser raconteur d'histoires lors des veillées, ou bien d'assister les autres forains dans leurs ventes.

Et les années passèrent, les routes succédèrent aux routes, les villages aux villages, les villes aux villes. La petite communauté foraine vivait sa vie hors du monde et hors du temps, avec ses feux nocturnes, sa musique parfois plaintive, parfois enjouée, ses danseuses toutes de rouge vêtues aux bras ornés de bracelets et de foulards tourbillonnants.

Un soir, alors que la caravane faisait halte près d'Ydril, le père revint en possession d'un long paquet enroulé dans diverses étoffes, la voix excitée et les yeux brillants.

" Regarde, dit-il à son fils. Je l'ai gagnée aux dés tout à l'heure. "

Il déballa sous le regard perplexe de Vermillon une longue rapière, très fine, d'une garde très banale mais au fer noir et mat comme de l'obsidienne ou de l'onyx poli. Il s'agissait bien de métal cependant, de ce qu'il put en juger au bruit et au tranchant de l'arme ; un métal qu'il n'avait pourtant jamais vu auparavant.

" Qui pourrait bien miser une chose pareille ? fit Vermillon en haussant les épaules. Nous avons tous des poignards pour nous défendre, ceci ne nous sert à rien... Fais-la fondre, peut-être peut-on faire de ce métal un autre objet plus utile. "

" Certainement pas, rétorqua le père. Elle est belle, je la garde. "

Après ce jour, la mère de Vermillon, déjà fort silencieuse, cessa totalement de parler.

Deux semaines plus tard, au réveil, le Demi-Elfe s'aperçut que les roulottes de ses parents brillaient par leur absence, tandis que tout le monde dans le camp évitait son regard. Seul le diseur-d'avenir, un vieil homme presque aveugle au visage raviné par des centaines de rides, accepta de s'adresser à lui.

" Tes parents, dit-il, avaient le mauvais oeil. Voilà pourquoi ils sont partis. Toi aussi, maintenant, tu as le mauvais oeil. Toi aussi, tu dois t'en aller. "

" Mais pourquoi ? le pressa Vermillon, désorienté. Qu'est-ce qui s'est passé ? "

Pour toute réponse, le vieil homme lui remit entre les mains une forme raide et longiligne, enveloppée de sombre, que le jeune Demi-Elfe reconnut pour être la rapière que son père avait gagnée aux dés - et dont il avait oublié l'existence.

" Emmène ceci avec toi. Lorsque tu auras lavé l'honneur de ta famille, alors seulement tu pourras revenir parmi nous. "

Sachant qu'aucune explication supplémentaire ne lui serait fournie, Vermillon n'insista pas. Il prit sans un mot le présent du diseur-d'avenir, attela sa roulotte, et quitta la caravane. Personne ne le retint, personne ne lui souhaita bonne chance.

Si dans les premiers temps Vermillon tenta bien de retrouver la trace des siens, d'autres nécessités telles que la survie le poussèrent vite à abandonner sa quête. Il utilisa l'art légué par sa mère pour confectionner et vendre des simples et des onguents, employa même parfois les astuces de son père - oh ! si peu - pour se faire un peu d'argent, acheter diverses denrées qu'il revendait ensuite à d'autres villages au gré des routes. Outre son matériel d'herboriste, s'accumula bientôt dans sa roulotte un petit trésor de colporteur : divers ustensiles, des étoffes ou des peaux, une meule à aiguiser, du suif et de l'amadou, quelques épices, même du sel, denrée rare et précieuse à l'intérieur des terres. C'est de la vente et du troc qu'il vit désormais, incapable d'abandonner la vie de voyage qui a toujours été la sienne. Bien sûr, il a gardé la rapière et pose parfois quelques questions distraites, concernant deux roulottes disparues, aux gens qu'il rencontre ; mais tout ceci n'a plus vraiment d'importance.