Dans l'ombre des rues... [Ceryn]

Gwen sentit l'odeur de deux humains, de deux ivrognes complètement soûls. Elle s'adossa au mur, et sa main buta sur un corps, chaud. Elle voulut donner un coup de coude dans la personne, mais son bras fut stoppé par l'étreinte forcée qu'on lui donna. Une main douce se colla à ses lèvres rouges brutalement, et les effluves de la peau remontèrent à son nez, qui se plissa de dégoût.
L'odeur sucrée et écoeurante d'un elfe. Ou, plus probablement d'un demi-elfe.
Une voix grave et musquée, mélodieuse, résonna à son oreille :

- Ne parlez pas, je ne vous veux rien, restez calme.

Rester calme ? Facile à dire ! Cependant, même sans voir son visage, Gwen ne pouvait qu'admirer le geolier de ses mouvements. Lui, il avait une maîtrise parfaite de ses gestes. L'odeur sauvage de la demi drow avait dû saisir ses naseaux et lui donner des envies de meurtres. Mais il était stoïque. Le veinard.
Sans le vouloir, Gwen fut agitée d'un spasme. Pourquoi diable avait-elle rangé son poignard ? Desarmée et entravée, elle avait trouvé son maître.
Le temps que les deux compères traversent la ruelle, rigolant comme les deux imbéciles qu'ils étaient, parût à la demi-drow une éternité.

- Qui êtes vous ?

Murmura-t-elle difficilement, ses lèvres appartenant toujours à cette main masculine. Elle tenta de jeter un coup d'oeil à la dérobée à celui qui la tenait, bien serrée.
Grand. Brun. Les cheveux longs. Séduisant. Mais il sentait l'elfe. Ça gâchait tout le reste. Gwen n'ignorait pas que les humains adoraient cette odeur sucrée. Certains drows aussi. Elle, ça lui donnait envie de partir en courant. Ça la stressait. Comme une musique désagréable, oppressante. Et le fait qu'il la tienne lui rappelait désagréabkement le jour où sa vie avait pris un brusque tournant, celui d'assassin. Un homme la serrait, par derrière. Et l'autre s'était approché. Tournant un poignard entre ses doigts fins. Aujourd'hui, ce poignard se trouvait dans son corset. Elle détestait autant qu'elle adorait cet objet, et la dépendance qu'il avait créé. Qu'elle s'était créée toute seule, mais elle préférait mettre ça sur le compte de son métier. Assassin. Tueuse. Bourreau... Mercenaire. Elle vendait la vie des autres, et ça lui donnait à manger. Pour qu'elle, elle vive.

Les deux compères passèrent, rigolant et rôtant, devant eux, sans même soupçonner leur présence. La coeur de l'assassin battait à tout rompre, et son sang était rempli d'adrénaline.

Son odorat s'habituait plus ou moins à la fagrance trop douce et trop sucrée dégagée par l'inconnu qui la tenait toujours aussi fort. Elle remua les doigts, pour s'assurer que le sang n'avait pas séché. C'était assez délicat à enlever après.

Il lui murmura près de l'oreille une réponse laconique à sa question, sur son identité. Quelqu'un qui ne lui voulait pas de mal. Qui, comme tout un chacun, lui était indifférent. Le souffle chaud du métisse lui chatouilla l'oreille, et Gwen frémit.

- Désolé pour cette posture des plus délicates mais je ne voulais pas que l’on nous surprenne à quelques mètres d’u
ne scène de crime…

Sa voix s'éteignit délicatement.

- Comme c'est sympathique d'avoir soin de moi.

Ironisa-t-elle, froide comme la glace. La poigne chaude du demi-elfe était, à son goût, bien trop serrée autour d'elle, et elle répugnait de devoir avouer qu'elle avait trouvé son maître. Il était plus fort qu'elle. Ça la dégoûtait, que malgré tout le temps passé à s'entraîner, un homme puisse la surpasser en ayant passé sans nul doute trois fois moins de temps qu'elle à suer toute l'eau de son corps avec une épée. Tout ça parce que c'était un homme, et que la nature en avait décidé ainsi.

- Si je vous lâche, resterez vous tranquille ou dois je encore vous tenir prisonnière de mes bras jusqu’à ce que vous soyez totalement calmée ?

Sussura-t-il, sensuel à souhait, à l'oreille de la jeune mercenaire.

- Vous pouvez me lâcher.

Souffla Gwen, vaincue. Elle baissa sur l'obscurité de la ruelle sombre et sale ses yeux gris clairs.

Le métisse la lâcha, gardant cependant sa main pâle dans le dos de Gwen, qui ne tenta même pas de se soustraire à ce contact. Elle savait pertinemment qu'il était plus fort qu'elle, et que tenter le diable en provoquant un combat n'était pas la meilleure des solutions, loin de là. Il se présenta d'une voix toujours aussi mélodieuse. La mercenaire était sur ses gardes. Quelqu'un qui lui avait saisi les bras dans le dos ne lui inspirait pas confiance. Peut-être - sans doute - avait-elle été traumatisée par sa rencontre avec Clark. "Choisis : putain ou assassin"... Gwen eut un faible spasme au souvenir de ce moment.

- Je suis Ceryn Celiand, désolé d’avoir été aussi brutal avec vous mais comme je vous l’ai déjà dit, je ne vous voulais aucun mal.

S'expliqua-t-il, baissant le regard sur la jeune meurtrière. Il semblait curieux. Curieux de quoi ? Gwen l'ignorait. Peut-être d'elle ? Toutefois, cela l'aurait étonnée.

- J'ai bien compris ce dernier point. Auriez-vous des instincts de valeureux chevalier, ou c'est une habitude que de secourir les donzelles égarées à la faveur de la nuit ?

Fit Gwen, sans changer sa voix. Elle était douce, et legèrement aiguë. Incroyablement mélodieuse. Une voix de soprano. Qui contrastait avec son ton froid, ironique. Ce bouclier, cette barrière derrière laquelle elle aimait à se protéger. L'ironie était son amie.
Elle ne savait pas s'il l'avait vu tuer l'humain, mais préférait toutefois donner une réponse neutre afin de parer à toute éventualité. Il s'éloigna de Gwen, comme pour la regarder. En effet, ça ne loupa pas. Le regard vert foncé du jeune homme courut sur les courbes voluptueuses de la meutrière comme un gamin court dans les plaines d'Atral.

- Puis je vous poser une question ?

Demanda-t-il, inclinant sans s'en rendre compte la tête sur le côté. Sans attendre la moindre petite réponse, il enchaîna aussitôt :

- Comment se fait-il qu’une femme telle que vous tuiez ? Cela ne me regarde peut-être pas, mais ce n’est pas banal de voir une femme habillée de cette façon tuer un homme aussi rapidement.

Cette question paralysa son interlocutrice. La discrétion ! La discrétion était le crédo des assassins. Une autre question surplanta presque aussitôt cette pensée : habillée de quelle façon, exactement ? Elle avait pris la première tenue qu'elle avait trouvé à chaparder ce matin-là. Elle baissa ses yeux gris, de la couleur du cristal, pour contempler ses atours. En effet, elle ressemblait plutôt à une putain des basses rues. Plus qu'à une femme de bonne famille, ou encore à un mercenaire. Non, en fait, elle ne correspondait pas du tout à l'idée que les honnêtes gens se faisaient d'eux ; premièrement, elle n'était pas un homme. Deuxièmement, elle n'était pas habillée exclusivement de noire : sa peau blanche comme la neige ajoutait une touche de blanc, et des rubans rouges, et dentelle assortie parsemaient sa tenue.
Néanmoins, elle était heureuse de savoir que son talent d'assassin était reconnu. Tuer un homme aussi rapidement... Ben oui, l'habitude, mon grand.
Elle redressa la tête en un regard de défi, et dit, en s'approchant de lui jusqu'à ce que leurs deux corps se touchent presque :

- Ça vous regarde ? Et habillée comment, puis-je savoir ?