Où l'on écrase la bienséance | Thibault

Les jardins d’Odélian étaient réellement de toutes beautés. Le parfum des fleurs embaumait l’air crépusculaire de cette fin de journée légèrement éprouvante pour la jeune marquise. Depuis que la grâce du roi l’avait désignée pour réveiller Sainte Berthilde, elle croulait tellement sous le poids de sa charge qu’elle craignait parfois de s’écrouler. Mais le droit ne lui était pas offert d’ainsi abandonner sa couronne. Néanmoins, elle voulait se détendre, oublier durant quelques heures ces épreuves qui l’attendaient encore. Se faire connaitre et se présenter a ses voisins était une tache fastidieuse qui aiguisait son sens de la diplomatie et de l’intrigue, mais tout cela était il une bonne chose ? Emma n’osait réellement répondre a cette question.

Reynald demeurait dans l’ombre contre l’un des murs entourant ce jardin d’intérieur. Ombre silencieuse garantissant sa réputation et sa personne. Parfois, la jeune femme se demandait si il n’était pas las de ce rôle mais jamais elle n’osa lui poser la question, peut être la crainte d’un hochement de tête sec. Sans doute même. Pensive, elle marchait dans les allées, tenant sous son bras un carnet de lin d’où dépassaient quelques feuilles.

Le repas avait été détendu et aucuns sujets critiques n’avaient encore été abordés. Le Comte et la Comtesse était un couple fort disparate, elle fine et jolie, délicate, lui plus massif, plus brute mais non dénué d’une certaine finesse. Mis a part ça, elle ne savait encore cerner son hôte et peut être ne l’aidait il pas dans cette entreprise.

D’un mouvement de tête léger, elle chassa ses pensées, elle n’était point venue ici pour y penser encore et encore. Juste une parenthèse de calme et d’insouciance, chose qui lui manquait en cet instant. Terriblement.

Ses pas ralentirent lorsque son regard avisa un petit banc de pierre aux reflets presque carmin sous le soleil du couchant. Elle s’y installa, étalant les plis de sa robe azurée. Avec un soin presque maniaque, elle ouvrit doucement son carnet a croquis, dévoilant ici et là quelque dessins et esquisses…Elle les mit de coté et prit une feuille vierge, puis, elle ferma les yeux, le fusain a la main.

Il ne pouvait s'empêcher, en arpentant les jardins, de songer que c'était sans doute la dernière fois qu'il s'y promenait avant bien longtemps. Il avait rendu son uniforme d'officier de l'armée du comte. Son frère lui avait demandé de rester à Assar, de rattraper les années perdues en assumant enfin sa place. Mais quelle place? Celle d'éternel second de cadet sans avenir propre, sinon de servir son ainé? Il ne voulait pas de cet avenir, ne l'avais jamais voulu et avait essayé de le fuir. Jusqu'à ce que la réalité le rattrape... Marion assassinée, le clan Rochefort se devait de s'unir pour trouver pourquoi. Pour châtier les exécutants de cet assassinat. Loup avait tué la main qui l'avait égorgée. Mais peut-être n'avait-il fait que couper la tête d'une hydre. D'autres ennemis se cachaient peut être et cherchaient à nuire à Assar. Ce n'était qu'une possibilité, mais il ne fallait surtout pas l'exclure.

Terminée son indépendance... Pour Marion, il resterait donc à Assar. Pour sa mémoire, pour lui faire justice... C'est alors qu'il avisa une silhouette familière. Emma de Sainte Berthilde... Il l'avait pensé simple noble, avant de s'apercevoir de sa méprise quand elle avait rendu visite au Comte la première fois, se retrouvant à escorter une Marquise... Il avait été idiot de croire en ses mensonges et il s'était montré froidement poli avec elle, avant de s'éclipser, sans la revoir. De toutes façons, sa présence avait été demandée à Assar et il y avait apprit le décès de sa sœur.

Décidément, chacune de leur rencontre était émaillée de drames... La première fois, son père venait de décéder. La seconde, il découvrait qu'elle lui avait menti. Et aujourd'hui, il quittait sa vie suite au meurtre sanglant de sa sœur. C'en était presque effrayant. Le jeune homme était vêtu de noir et d'or, sobrement et l'éclat de son regard ambré n'en était que plus évident. Il observa discrètement la jeune femme, qui semblait détendue dans ce lieu serein, presque fragile et il remarqua alors le vélin et le fusain. Au moins n'avait-elle pas menti à ce sujet, c'était une artiste, elle aimait dessiner, croquer, peindre. Était-elle douée? Cela était une autre histoire. Il se glissa près d'elle, silencieux, avant de remarquer ses yeux fermés.

- "Si vous arrivez à dessiner quoique ce soit les yeux fermés, je serais vraiment impressionné."

Le visage du jeune homme était grave. Un nouveau deuil, une nouvelle tristesse. Pourquoi l'avait-il approché? Après tout, il n'était rien qu'un petit nobliau, sans aucune importance. Elle était une Marquise influente. Ils n'avaient partagé un repas et des mensonges. Voilà tout. Pourtant, il s'était montré assez glacial la dernière fois. Et ils n'avaient pas eu l'occasion de reparler de ses mensonges. Il s'inclina alors.

- "Pardonnez mon intervention Excellence, je ne voulais pas vous déranger."

Le silence auréolait ses pas, mais Reynald veillait au grain. Néanmoins, il ne bougea pas a la vue du Sieur de Rochefort, sa maitresse l’ayant prit d’amitié, il savait qu’elle ne risquait rien. Du moins, pour l’heure, alors il se contenta d’émettre un petit soupir et de regarder le ciel s’obscurcissant doucement a l’horizon.

Emma quand a elle, cherchait en elle la sérénité, bercée par le silence seulement brisé par quelque cris d’oiseaux joueurs ou de bruissement d’arbre. Elle ouvrit soudainement les yeux au son d’une voix et la surprise se teinta de rire contenu dans ses iris disparates.

« Je le pourrais, tout est affaire de mémoire, Messire. »

Si fait, elle pourrait effectivement. La mémoire des détails était une chose qu’elle avait apprit a maitriser, photographiant les scènes pour les graver dans ses songes et parfois les coucher sur papier volage. Oh, elle était assez fine d’esprit pour discerner la froideur ou la méfiance et cela l’attrista légèrement. Pourtant, excuses avaient été faites mais cela ne semblait pas suffisant. Alors l’amusement quitta lentement ses prunelles pour quelque chose de plus insondable, apprendre a se cacher était quelque chose qu’elle devait maitriser pour sa propre sauvegarde. Sa visite touchait a sa fin et là était sans nul doute sa dernière soirée en terre Odéliannes. Jusqu'à la prochaine fois évidemment.

« Il n’y a pas de dérangement, ainsi pas d’excuses recevables. Asseyez vous Messire de Rochefort, même si j’aime a profiter du silence, je n’en apprécie pas moins une présence amicale. »

Ou froide. Mais après tout, le fossé était a comblé et la faute lui en revenait entièrement combien même regrettait elle ses mots, il est des actions qui sont, malheureusement, indispensables. Le mensonge n’était guère dans ses habitudes, elle le savait et pourtant, elle se prenait a savoir le manier sans même s’en rendre compte. La franchise n’était pas une qualité parmi les nobles, loin s’en faut. La confiance ? Un cadeau rare. L’amitié ? Un joyau a préservé. Quel étrange tour du destin vraiment. Puis, elle haussa un sourcil délicat.

« Ne portez vous donc plus l’uniforme odélian Messire ? Seriez vous de permission ? »

Intriguant bien sur, d’où cette question prononcée par une voix douce et tranquille, bien qu’empreinte de surprise.

- "Vraiment? Vous êtes surprenante..."

Était-il vraiment possible de dessiner les yeux fermés, rien qu'avec une mémoire exceptionnelle des détails? Ne serait-ce que pour voir où se pose le fusain... Il la regardait, ne sachant trop sur quel pied danser et quelle mouche l'avait piqué de venir lui faire la conversation alors qu'il aurait pu passer son chemin sans que jamais elle ne sache qu'il était présent. Aussi s'excusa-t-il de l'avoir importuné, se maudissant de sa propre impulsivité qui lui jouait trop souvent des tours. Pour aborder une femme qui était d'un autre rang que lui, c'était encore un moindre mal... Elle rétorqua qu'il n'y avait aucune offense, avant de l'inviter à s'asseoir. Qu'une présence amicale était toujours la bienvenue. Un mince sourire dansa sur ses lèvres.

- "Amicale?"

Était-il amical? Courtois, sans aucun doute, mais rien à voir avec la chaleur dont il avait pu faire preuve la première fois qu'ils s'étaient rencontrés, dans l'obscurité du Voile. Mais les circonstances étaient alors bien différentes et ils étaient sur un pied d'égalité. Peut-être était-il trop rigide, trop à cheval sur ces histoires de titres, mais c'était important et il était un homme d'honneur. Quoique puisse en penser son ainé. Il accepta l'invitation de la jeune femme, prenant place à ses côtés, mais à distance néanmoins. Il avait bien remarqué son chaperon, qui ne semblait jamais la lâcher. Il jeta un regard éloquent à la silhouette silencieuse et massive.

- "Votre garde du corps, il vous surveille jusque dans votre chambre? On ne peut vous croiser sans qu'il soit là..."

C'est alors qu'elle fit remarquer qu'il ne portait plus l'uniforme. Il eut un petit sourire triste en baissant le regard sur ses vêtements. Non, pas une permission... Un très long congé.

- "Non, j'ai quitté l'armée du Comte... Mon frère requiert ma présence à Assar. De façon permanente."

Il s'interrompit un instant. Pourquoi lui confierait-il que sa sœur avait été assassinée? Parce qu'ils avaient parlé de bien des choses après tout, de choses assez intimes... Et ce n'était pas un secret d'état.

- "Notre sœur a été... assassinée. Au sein même de la forteresse."

Sa voix s'était un peu enrouée en prononçant le terme assassinée... Il ne revoyait qu'avec trop de netteté le corps blafard de sa sœur, la rigidité de son cadavre... Le bandage sur sa gorge martyrisée...

Elle esquissa un léger sourire presque amer alors qu’il reprenait ces propres termes d’un ton sceptique. Il est des choses difficilement pardonnables et il semblerait que le mensonge en fasse partie chez cet homme. Emma regrettait la barrière du rang qui empêchait une franchise honnête et des mots bien trop sincères. L’amitié était une chose si rare dans son monde et elle n’arrivait même pas a la préserver. Ironique n’est ce pas ?

« Amicale. »

Appuya-t-elle tout de même en soupirant légèrement, crispant quelque peu les doigts sur son carnet, baissant les yeux sur le feuille aussi blanche que la pureté. Finalement, elle releva les yeux sur le jeune officier alors qu’il répondait favorablement a son invitation avant de laisser son regard glisser sur Reynald, silencieux, ayant même l’air d’être totalement statufié.

« Certes pas. Mais il demeure prêt de ma porte si je ne suis point chez moi. Croyez vous que là soit une protection inutile ? »

Sa présence était certes étrange alors qu’il ne la quittait que rarement, mais il était dévoué a son père, maintenant a elle, un second regard paternel sur ses actes. Bien qu’il ne se le permettait pas en public, Reynald savait parfois remettre la jeune marquise dans le droit chemin, agissant avec elle comme si Emma eu été sa propre fille. C’était réconfortant et elle avait besoin de cela parfois. Puis, elle remarquait l’absence de son uniforme et s’en étonna, avant de se mordiller la lèvre devant sa malchance. Décidemment…Pourquoi n’avaient ils que sujets de conversations aussi sombres que cela ? Elle se souvenait qu’il avait perdu son père voici peu et maintenant sa sœur. De la plus horrible manière.

Sa main s’éleva et vint se poser délicatement sur celle du jeune homme, serrant doucement ses doigts avant de se retirer.

« Une épreuve douloureuse si il en est, vous déjà frappé durement… »

Murmura-t-elle en levant le regard sur le ciel que la nuit allait bientôt recouvrir de tenèbres. Puis, elle scruta son profil qui se découpait demandant d’une voix douce :

« Savez vous qui a œuvré ? »

L’assassin était il toujours de ce monde ? Parcourant librement les terres coupable d’un tel forfait ? La justice des hommes serait elle rendue ? Elle se leva et vint s’assoir a même le sol, en face du chevalier sans mot dire. Et puis presque malgré elle, sa main se mit en branle, contrôlant le fusain avec souplesse et légèreté. Savoir ce qu’elle dessinait ainsi était impossible a la naissance de l’esquisse, tout n’était que traits semblants discordants entre eux, dénué d’harmonie, mais cela viendrait..

« La douleur de perdre son propre sang n’a pas de limite, ni de nom. Je ne peux que vous offrir mes plus sincères condoléances et cela est bien peu. »

Reprit elle en levant les yeux, un sourire d’excuses aux lèvres. Après tout, il lui avait semblé qu’il ne la tenait pas vraiment en haute estime alors même que les rangs exigeait de lui un respect qu’il n’était pas obligé de ressentir, juste de mimer.

« Il semblerait que chacune de nos rencontres soient placées sous le signe du deuil….Quand partez vous d’Odélian ? »

Son sourire ne se fana pas de suite, pas quand elle confirma que c'était bien un entretien amical, qu'il était bien une présence amicale. Il en avait douté. Pouvait-on vraiment être amis avec une si grande différence sociale? Il était noble certes, mais une petite noblesse et elle, elle était Marquise, d'un territoire amputé certes, mais quand même. Jeune, jolie, célibataire. Ce qui était étonnant, elle était assez âgée pour être mariée et même mère et ainsi assurer sa lignée. Ou celle de son mari. Mais Emma de Sainte-Berthilde n'était pas une noble comme les autres. C'était une artiste et elle n'avait pas été élevée dans le but d'un jour prendre la tête du marquisat. Elle s'était retrouvée là, un peu par hasard, par défaut.

Il accepta son invitation à s'asseoir à ses côtés et se permit une petite remarque concernant son garde du corps qui semblait la suivre comme un toutou où qu'elle aille. Le regard dépareillé de la jeune femme se porta vers Reynald et elle répondit doucement que ce n'était sans doute pas une précaution exagérée que d'avoir un serviteur fidèle quand elle était loin de chez elle.

- "Aucune mesure de protection n'est inutile par les temps qui courent..."

Il s'était assombri malgré lui. Non, aucune mesure n'était superflue, la preuve en était de sa sœur assassinée au sein même de la forteresse d'Assar. Mais dés lors, n'était-ce pas inutile? Tout ceci n'était pas ridicule quand on pouvait venir vous assassiner au beau milieu de la nuit dans votre chambre? Derrière d'épaisses murailles et en se moquant des gardes? Elle s'enquit de la raison de sa tenue vestimentaire et il répondit sans ambages, sans mentir, sans lui cacher l'horrible vérité. Au tour de la Dame de Sainte Berthilde de s'assombrir, se rendant surement compte que la vie du jeune homme était loin d'être heureuse ces derniers temps et que leurs rencontres ne se déroulaient jamais sous des augures plus cléments. Il baissa le regard sur la main fine de la Marquise qui se posait sur la sienne, en signe de soutien et de compassion. Il n'osa pas bouger et fut à la fois soulagé et déçu, qu'elle rompe le contact.

- "En effet... Le sort semble s'acharner sur certaines familles parfois."

Mais la roue du destin et de la chance tournait n'est-ce pas? Il ne pouvait pas y avoir que des malheurs encore et toujours. Elle s'enquit alors des assassins et il eut un petit rire amer, un rire de désillusion, d'impuissance.

- "Hélas... Nous avons trop peu d'éléments. L'homme était seul et semblait venir de l'Est. A-t-il agi seul? A-t-il été engagé? Pourquoi notre sœur? Il y a trop de questions et pas assez de réponses hélas. Mon frère l'a tué avant qu'il ne puisse nous dire quoi que ce soit. Mais je ne pense pas qu'il aurait été très loquace."

La jeune femme se leva alors et s'assit à même le sol devant le chevalier, sous le regard médusé de Thibault. Mais qu'était-elle en train de faire au juste? Elle dessinait. Il se rendit compte qu'elle dessinait à sa manière de bouger son fusain. En revanche, il ignorait ce qui l'inspirait si subitement.

- "Merci, c'est déjà beaucoup."

Qu'avait-elle à faire de son chagrin après tout?

- "Oui, c'est étrange... Je pars ce soir. Mon frère m'a bien fait comprendre que je devais rentrer rapidement et assumer ma place dans la famille."

Et cette fois, il y avait de l'amertume dans la voix du jeune homme.

Emma sourit doucement lorsque le Sieur de Rochefort assura qu’aucune protection n’était inutile et elle comprit bien vite les raisons de cette remarque lorsqu’il évoqua le meurtre de sa sœur. Assombrie, Emma ne savait réellement comment réagir. Que pouvait on dire a quelqu’un qui a perdu sa famille en si peu de temps ? Aurait il été une connaissance qu’elle aurait sans doute usé de phrase toute faite mais il était tout de même un peu plus que cela aussi se contenta-t-elle de poser une main fine sur la sienne avant de s’enquérir du meurtrier. L’amertume de Thibault ne lui échappa pas et sa bouche se plissa doucement.

« Au moins a-t-il été chatié. »

Mais cela pouvait très bien être un ordre donné, un élément d’un complot plus vaste. Cela dit, sans doute n’était elle pas assez rouée encore pour imaginer un tel stratagème ni son utilité. Un rival ? Un envieux ? Les possibilités étaient multiples hélas. La jeune Marquise se leva et s’installa dans l’herbe, aussi simplement que si elle n’avait été qu’une serve. Le regard surpris de son compagnon la fit légèrement sourire tandis que sa main parcourait la feuille vierge, traçant des lignes habiles et maitrisées.

Sa main s’arrêta subitement alors qu’il lui annonçait l’instant de son départ, levant le visage sur lui, détaillant ses traits de ses yeux dépareillés. Elle se souvenait de ce qu’il lui avait dit, était ce la raison de cette amertume ?

« Et vous vous demandez quelle place n’est ce pas ? »

Murmura-t-elle en reprenant doucement son œuvre, insatisfaite de n’avoir le temps de le coloré a l’huile mais qu’importe.

« Sans doute a-t-il besoin de savoir son unique famille prêt de lui ne pensez vous pas ? »

C’était une question délicate et Emma ne pouvait se targuer de connaitre l’ainé de Thibault. Peut être se trompait elle, peut être n’y avait il que l’expression d’une ambition. Elle ne savait pas vraiment et tatonnait.

« Vous auriez tout les droits de me dire de museler ma curiosité. »

Ajouta-t-elle avec un léger sourire contrit.

Il ne répondit rien quand la jeune femme lui répliqua qu'au moins l'assassin était mort et que vengeance avait été accomplie. Vengeance, pas justice. Malheureusement. Il avait emporté son secret dans la tombe. Loup avait été prompt à la pourfendre mais rien n'avait pu être apprit de son cadavre. En toute mauvaise foi, il aurait pu accuser son aîné d'avoir été trop sanguin, mais il aurait sans doute agi exactement de la même façon en entrant dans la chambre de sa sœur et en voyant son cadavre ensanglanté. Une image qui ne cessait de s'imposer à son esprit et le tourmenter alors même qu'il ne l'avait pas vue de ses yeux vue. La main de la Marquise sur la sienne fut comme une brûlure, lui rappelant tout ce qui les séparait et le mettant mal à l'aise devant tant de familiarité. Il n'était pas habitué à ce genre de comportement de la part de quelqu'un de puissant.

Emma lui demanda alors quand il devait partir et il lui répondit, non sans laisser sous entendre que le temps imparti n'était pas de son fait mais lui était imposé par Loup qui voulait le voir reprendre sa place dans la famille. L'amertume teintait les paroles du jeune homme. Il plongeait en plein inconnu. Quelle place Loup voulait-il donc lui attribuer exactement? Il n'était que le cadet. Tout le fief d'Assar appartenait à Loup. La Marquise devina l'interrogation voilée à travers ses paroles et il acquiesça silencieusement.

La réflexion de la jeune femme le fit réflechir. Loup? Besoin de son frère pour le rapprocher de lui et qu'il n'arrive malheur? Besoin de lui pour que la famille ne soit pas décimée? Malgré lui, il eut un rictus cynique qui montrait bien tout ce qu'il pensait de cette proposition hasardeuse. C'était ridicule, pour que cela soit, il aurait fallu que Loup éprouve quelque chose pour son cadet, autre chose qu'un mépris profond et de l'incompréhension.

- "Je ne sais que penser le concernant. Il a toujours été un mystère pour moi et je crains qu'il ne le demeure. Nous ne nous sommes jamais compris. Je doute pourtant que de tels sentiments fraternels l'animent."

Elle ajouta alors qu'il pouvait très bien lui dire de cesser de s'intéresser ainsi à sa vie et ses déboires. Il haussa les épaules, passant une main dans ses cheveux d'un blond presque blanc et dardant le feu de ses yeux d'or sur elle.

- "Votre curiosité n'est pas malsaine et discuter avec vous est agréable, même d'un sujet aussi sensible pour moi."

Il hésita un instant, avant de reprendre, prudent :

- "Vous ne devriez pas rester ainsi à terre ma Dame, cela ne sied pas à votre rang."

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