Au détour d'une route...à l'ombre d'un grand chêne. [Hanegard]

Vous allez probablement vous demander pourquoi un bataillon de domestique s’active de tous les côtés, courant à travers les couloirs menant à nos appartements, et pour vous répondre je vous dirais que…c’est un peu ma faute. Certes il est de notoriété publique qu’il m’arrive de sentir et d’anticiper certains évènements. Les rares fois où cela se produit, le pourcentage pour qu’il s’agisse d’une erreur est proche de zéro. On se souvient notamment de la fois où j’ai rattrapé in extremis ma fille en haut des escaliers d’honneur alors que je me trouvais quasiment à l’autre bout de la citadelle. Bref. Il se trouve que depuis quelques jours je ressens une étrange sensation. Pas vraiment comme s’il s’agissait d’un mauvais pressentiment, mais j’éprouve le besoin urgence de quitter la citadelle au plus vite. Bien sur, lorsque j’en ai parlé à Clarys, sa première réaction fut de m’obliger au calme. Selon elle, les évènements récents m’angoisseraient plus que de raison et qu’une grande respiration suffirait à me détendre.

Je lui en ficherais à celle là des fois ! Certes le climat actuel et notamment cette invasion drow n’avait rien d’engageant mais ce n’était pas de cela qu’il s’agissait. Il me fallait quitter Alonna, avec les enfants et Hanegard. Je n’aurais su expliquer pourquoi. Après mûre réflexion j’avais enfin décidé d’en toucher deux mots à mon époux et, comme s’il en avait discuté avec Clarys juste avant, il me rappela que notre place était ici, qu’il ne pouvait pas quitter la citadelle pour le moment et bla et bla et bla. Quelques larmes suffirent à le faire fléchir et je lui expliquais alors mon idée d’aller rendre visite quelques jours au Seigneur Stakr et à sa femme à Winterfall. Notre dernière visite remontée à plusieurs années et l’idée de m’éloigner de la citadelle pour savourer les conversations légères et agréables de Dame Gisèle me ravissait d’avance. Nous échangions fréquemment de longues missives et avec les années elle était devenue l’une de mes plus chères amies, aussi la perspective de la revoir m’enchantait littéralement.

Ainsi donc, tout était chamboulé par notre départ imminent en ce beau jour ensoleillé de printemps. Les enfants étaient prêts, installés dans le carrosse avec Clarys, et pour l’occasion, nous avions décidé Hanegard et moi de partir à cheval. L’un comme l’autre nous détestions nous faire secouer dans cette satané boite en bois. Merwan avait longtemps supplié qu’on le laisse monter lui aussi et il avait rejoint Liliana et Dastan en boudant et en jurant de ne plus jamais m’adresser la parole.
La route était longue jusqu’à Winterfall et il ne fallait pas traîner. Certes la journée était belle, mais les jours précédents avaient été très pluvieux et la route par endroit était légèrement chaotique. Après plusieurs heures de route je me sentais éreintée mais j’étais tellement contente de ne pas avoir passé ce temps là dans le carrosse que je gardais le sourire.

– Merci d’avoir accepté de quitter quelques jours Alonna. Je me sens…apaisée. Et puis cela fait tellement longtemps que nous n’avons pas rendu visite au Seigneur Stakr qu’il va finir par croire qu’on est près à lui déclarer la guerre.

Amusée, je repensais à cet homme bourru mais d’une gentillesse incomparable qui nous avait accueilli chez lui alors que j’étais enceinte de Dastan. J’avais également du mal à oublier ce qui s’y était passé avec mon garde d’alors, Jaime.

Soufflant légèrement j’allais reprendre la parole sur un ton enjoué quand un CRAC sonore me glaça les sangs. C’était quoi ce bruit ? Là par contre j’avais un mauvais pressentiment, un très mauvais pressentiment même…Et puis, sous mes yeux, à quelques mètres seulement devant moi, je vis le carrosse marquait des armoiries Kastelord basculer sur le côté. Un deuxième CRAC retentit quand la deuxième roue céda. En quelques secondes le carrosse venait de basculer dans le bas côté de la route fort heureusement pas très à pic à cet endroit là, mais quand même à un ou deux mètres plus bas. Le cri que j’entendis devait probablement être le mien, et il n’avait rien d’exagérer puisque je vous rappelle que le carrosse en question contenait mes enfants tout de même. En quelques secondes j’avais quitté mes étriers et me précipitais à travers gardes et domestiques affolés. Par Néera…Mes enfants… et Clarys…

Je poussais ceux qui me barraient la route et j’aurais presque sauté au fond du fossé si des bras ne m’avaient pas retenu par la taille. J’essayais de me débattre mais rien à faire c’était un coriace et moi je n’avais d’yeux que pour cette fichue caisse en bois…
J’entendis alors le garde qui était monté sur la portière du véhicule hurler que tout le monde semblait aller bien, qu’il n’y avait que quelques égratignures…tu parles ! Des égratignures sur des enfants de six et quatre ans c’est loin d’être bénin parfois. J’avais besoin de les voir pour en être parfaitement sure. Et comme s’il obéissait à un ordre que je lui aurais crié, il s’attelait déjà à sortir les occupants du véhicule.

Les gardes de l’escorte mirent rapidement pied à terre pour aller secourir les accidentés et les aider à remonter en haut du talus. Fort heureusement, il y avait en effet eu plus de peur que de mal. Si Liliana semblait un peu choquée et alla se réfugier auprès de sa mère, Dastan semblait plus enthousiasmé qu’autre chose par ce voyage qui se révélait moins monotone que prévu. Décidément ce gamin ne rêvait déjà que plaie et bosse et je lui devrai mes cheveux blancs.

De fait, c’était Merwan et Clarys qui avaient encaissé la majeure partie de la violence du choc et servit d’amortisseur à nos enfants. L’orphelin en serait quitte pour une belle bosse sur le crâne et quelques bleus qu’il tenta de prendre de haut comme les vétérans qui à la citadelle lui narraient leurs exploits. Par contre, Clarys était plus sévèrement touchée et le sang coulait abondamment d’une arcade sourcilière ouverte. Tandis que Jena examinait les blessés, je me tournais vers le lieutenant en charge du détachement et lui demandais :

Le carrosse n’ira pas plus loin, le ciel est menaçant et la nuit ne vas pas tarder à tomber. Les questions à se poser sont : où sommes-nous ? Et où pourrons nous dormir ?
Nous sommes près du confluent de l’Alzou et de l’Ouysse, monseigneur. Mais… il n’y a pas de village à proximité immédiate.

Pour ceux qui ne connaitraient pas les détails de la géographie d’Alonna, sachez que ces deux rivières prennent leurs sources dans les massifs montagneux situés au nord de Kregan, non loin de la frontière d’Oësgard. Si la région est magnifique, une sorte d’écrin de nature sauvage et préservée, elle est fort peu habitée. Les mines de la région sont pour la plupart épuisés et les nouveaux filons découverts près de Lodiaker ont déportés les exploitations.

En ce qui me concernait, cela ne me gênait guère, j’avais fait bien pire dans le passé. Un soldat peut dormir à peu près partout et bien que je me sois habitué au confort d’un lit douillet j’aurais pu faire un effort. Mais ma femme et mes enfants méritaient mieux qu’une selle de cheval comme oreiller et une simple couverture, le tout sous un arbre pour se protéger de la pluie ! Ce fut donc d’un ton légèrement acerbe que je résumais la situation.

Magnifique. Vous nous dites donc que nous allons devoir passer la nuit à la belle étoile sous la pluie ?
Eh bien… oui… enfin… non, il y aurait bien l’ancien krak des paladins qui ne doit pas être très loin.
Le krak des paladins ? Jamais entendu parler.

Le nord de Kregan n’était pas la région d’Alonna que je connaissais le mieux, au contraire de ce lieutenant qui était un natif de la région.

Cela remonte à longtemps monseigneur, à l’époque des guerres civiles entre les Anadile et les Delven. Un groupe de chevaliers lança la construction d’un château au niveau du confluent afin de sécuriser la région contre les bandes de mercenaires qui la ravageaient. Ils se targuaient de suivre les préceptes de Néera et se comparaient presque à un ordre religieux, d’où le nom de krak des paladins.

Je n’étais pas un spécialiste du culte de Néera au contraire de ma femme, mais je croyais me souvenir que le culte bannissait la violence. Toutefois, j’avais eu accès aux archives qui parlaient de la période précédant l’arrivée au pouvoir de la lignée des Anadile et je savais dans quel chaos se trouvait alors Alonna. Le grand prêtre de Néera de l’époque avait peut être doucement cligné des yeux sur les activités de ces chevaliers se revendiquant du culte au vu de la nécessité de protéger les populations civiles. A l’occasion il faudrait que je demande à Jena de se renseigner auprès du temple sur le sujet.

Toujours est-il que la fin des guerres civiles leur ôta leur raison d’être et peu à peu l’ordre périclita. Mon grand père me racontait que dans sa jeunesse il ne restait pas plus d’une dizaine de membres de l’ordre. Le château fut finalement dévasté par un incendie et abandonné. Les ruines sont toujours là et les salles des niveaux inférieurs doivent être à peu près habitables.

Me tournant vers ma femme, je l’interrogeais du regard pour avoir son opinion. Allions nous tenter de nous réfugier dans les ruines pour éviter l’orage qui s’annonçait ? Ou allions nous tenter de rejoindre à cheval le prochain village ? De toute façon, il nous fallait choisir vite, la luminosité baissait et nous retrouver perdu au milieu de nulle part en pleine nuit n’allait pas être amusant.

Un à un j’avais regardé sortir mes enfants du carrosse. Liliana, la première, s’était jetée à mon cou et avait pleuré abondamment, bientôt rejoint par son petit frère qui me serra lui aussi de ses petits bras. Agenouillée dans l’herbe fraîche du talus je les examinais sous toutes les coutures, cherchant la moindre égratignure, le moindre hématome. Il ne me fallut pas longtemps pour dresser une petite liste pour chacun et quand je fus totalement rassurée je m’occupais de Merwan et de Clarys. Celle-ci s’était assise et tenait sa tête entre ses jambes pour calmer ses nausées ce qui me laissait le temps de soigner rapidement Merwan.
Le jeune garçon se tenait fièrement et haussa même les épaules en disant d’un ton fier qu’il n’avait pas mal et qu’il n’avait pas besoin de mes services. Il avait quelques bleus et une belle bosse à la tête, pas de quoi s’inquiéter outre mesure, à part peut-être pour un doigt de sa main droite. A voir l’angle pas très naturel qu’il prenait je savais qu’il se l’était démis et qu’il fallait le remettre en place rapidement. Mon regard sévère et lourd de menace fit brusquement retomber toutes ses prétentions adolescent pré pubère et il redevint aussitôt le petit garçon de neuf ans qu’il était. Je le soignais rapidement et entourais sans main d’un bandage bien serré. Je tâchais de ne pas m’attarder trop sur lui pour ne pas que toute sa belle confiance en lui fonde totalement, puis je passais à Clarys.

Elle avait pressé un bout de sa robe sur son arcade sourcilière entaillée qui saignait abondamment. Pour celle-ci il me faudrait probablement la recoudre mais il était hors de question que je fasse ça dans de telle condition. Il me fallait un feu, de l’eau chaude et un endroit à l’abri de la pluie.
Si la journée avait merveilleusement bien commencée en terme de météo, comme toujours, quand on va dans le nord…il y a toujours des nuages ! Et ceux qui s’amoncelaient au dessus de nos têtes ne présageaient rien de bon pour la nuit.
J’appliquais un bandage provisoire autour de la tête de mon amie et fit le détail de ses autres blessures. En protégeant Liliana de son corps, elle s’était retrouvée le dos contre la fenêtre en verre du carrosse et quelques éclats s’étaient enfoncés dans sa chair. Là encore je ne pouvais rien faire ici sur le bord du talus.

Je trouvais mon époux en grande conversation avec l’un des lieutenants qui nous escortait. Apparemment celui-ci connaissait un endroit ou nous serions probablement au sec pour la nuit et qui ne devait pas se trouver très loin de notre position actuelle. Hanegard glissa un regard vers moi, probablement pour avoir mon avis sur la question.

- Clarys n’est pas en état de parcourir plusieurs lieux à cheval et il me faut un endroit au sec pour recoudre sa blessure et retirer les éclats de verre de son dos. Et…les enfants sont épuisés, essayons de rejoindre ce château en ruine, nous verrons une fois là bas comment nous organiser pour la suite.

Tout le monde s’activait pour que l’on gagne rapidement cet abri de fortune que nous avait fait miroiter le lieutenant en tête du détachement. Liliana était montée en scelle avec moi, entre mes bras. Elle semblait ravie de pouvoir faire semblant de tenir les rênes de notre monture. Dastan était avec son père, Merwan fier comme tout était en scelle avec un soldat tout comme Clarys dont la tête ballottait de droite à gauche. Elle devait être proche de l’évanouissement, mais elle s’accrochait pour rester en scelle. Une fois encore j’éprouvais de l’admiration pour cette femme qui avait traversé de terrible épreuve. Je l’aimais comme une amie, une confidente, une sœur même et là voir dans cet état me nouait l’estomac.
J’allais demander une énième fois au lieutenant si nous étions loin de notre point d’arriver quand je vis se dessiner entre les branches épaisses des arbres qui bordaient le chemin que nous suivions, les contours d’un château calciné. L’endroit était féerique…enchanteur même, tant la nature y avait reprit ses droits. Les murs épais en pierre grise étaient recouverts de lierre aux feuilles vertes, et les seules traces du désastre qui s’était joué là des décennies plus tôt s’étaient les poutres noircies que l’on voyaient dépasser par endroit. Liliana poussa une exclamation de surprise et s’écria aussitôt.

- Papa ! Papa ! C’est mon château de princesse ! C’est mon château.

Et aussitôt Dastan se mit à batailler pour avoir un bout de cet endroit magique que je n’arrivais pas à quitter des yeux sauf pour croiser le regard de mon époux.

La piste que nous suivions n’était guère plus qu’un chemin forestier, dont on devinait pourtant qu’il avait dans le temps du constituer une voie de passage nettement plus importante. On voyait encore à quelques mètres derrière les fourrés l’emplacement des talus bordant l’ancienne route menant au krak des paladins ou quel que soit le véritable nom de ce lieu. Bien que la région ne soit pas connue pour ses problèmes de brigandage, j’avais ordonné à une partie de l’escorte de mettre en place un cercle de protection autour de nous, bien que je craignais plus l’attaque d’un animal sauvage qu’autre chose. Mais avec Jena et les enfants, aucune mesure de sécurité ne me paraissait de trop.

Brusquement, les arbres s’écartèrent et nous débouchâmes dans une vaste trouée face au confluant. Devant nous, à quelques centaines de mètres de distance, se trouvait les ruines d’un massif château fort recouvert de lierres et de plantes grimpantes dont seules les poutres noircies témoignaient encore de la violence de l’incendie. Je vis tout de suite l’intérêt stratégique de la position. Situé juste en amont du confluent, le château se voyait couvert de deux côtés par l’Alzou et l’Ouysse, ne laissant comme axe d’attaque à un assaillant que le troisième côté. Bien que les rivières ne soient pas de la taille de la Syrilià et que seuls de petits navires à fond plats puissent y naviguer sans risques, elles constituaient une première ligne de défense fort appréciable. Sans doute des ponts de bois traversaient-ils les rivières autrefois mais ces ouvrages avaient disparus emportés par les crues de printemps.

Le krak se trouvait au milieu de cette vallée dont les bords étaient recouverts de forêts profondes. Au loin, des montagnes aux cimes enneigées dominaient le paysage comme d’austères gardiennes millénaires. Bien qu’isolés, les lieux ne nous paraissaient pas dangereux ou hostiles, juste… sauvages. La nature avait repris ses droits en ces lieux afin de le préserver des agressions extérieures. Si j’avais été un tant soit peu adepte des exagérations, j’aurais dit que ce lieu semblait presque avoir été mis en repos le temps de nous attendre. Un château de princesse endormie ? Oui en un sens le krak pouvait correspondre à ceux décrits des contes, et Liliana le confirma avec enthousiasme.

En ce qui me concernait, je me préoccupais tout simplement d’atteindre le château car la disparition des ponts nous posait le problème de franchir la barrière naturelle que constituait le confluent.

Lieutenant, envoyez des éclaireurs à la recherche d’un gué.

Il fallut un peu de temps pour réussir à trouver un endroit où les chevaux pouvaient traverser, et l’eau arrivait quasiment jusqu’à nos selles au point le plus profond. Heureusement en un sens que les premières douceurs soient arrivées depuis si peu de temps, les glaces des montagnes n’avaient pas encore pu dégeler et faire monter le niveau de la rivière. Si tel avait été le cas, nous aurions été bons pour installer le camp sur la rive opposé et nous contenter de regarder le château de loin en grelottant sous la pluie qui commençait à tomber.

Notre petite troupe mit pied à terre, et nous entrâmes dans ce qui devait autrefois être la cour principale du château. Le silence régnait en ces lieux, un silence presque religieux que nous n’osions briser en parlant trop fort. A un moment, un renard sortit d’un fourré, jeta un regard surpris à ces humains qui envahissaient son domaine, puis disparut dans un éclair roux. Le calme et la sérénité régnaient ici, et un druide serait-il apparu que je n’en aurait pas été plus surpris que cela.

Finalement je jetais mon dévolu sur une pièce qui devait autrefois servir de réserve au château. Sise dans les contreforts des murailles, elle possédait deux avantages indéniables. Le premier était que le toit demeurait intact puisqu’il s’agissait des murailles elles-mêmes et non pas de poutres en bois, le deuxième étant la présence d’une massive cheminée dont on pouvait espérer qu’elle ne soit pas totalement bouchée. Cette impression fut confirmée par le feu que j’ordonnais d’y allumer afin de vérifier, la fumée ne nous revenant pas en pleine figure mais filant vers les hauteurs. Tandis que je voyais avec le lieutenant à organiser des tours de gardes et à faire installer un coin où nous pourrions dormri, Jena s’occupait des blessés. Je bénissais discrètement Néera d’avoir donné le don de guérison à mon épouse, car sans cela nous aurions eu bien du mal à soigner efficacement Clarys dont la blessure s’était remise à saigner.

C’est la robe complètement trempée que j’arrivais de l’autre côté de la rivière entourant les ruines du château. Cela aurait pu offusquer de nombreuses Dames d’Alonna dont je tairais le nom, mais personnellement je trouvais cela tout aussi amusant que ma fille qui avait ri tout le long de notre traversée. Pour elle s’était une aventure épique et fantastique qui commençait. D’ailleurs à peine avait-elle mis les pieds par terre qu’elle s’était mise à farfouiller partout avec son petit frère. Un regard échangé avec Merwan me suffit à être assuré qu’il les suivrait partout pour les surveiller. Le jeune garçon était ravi d’être considéré comme un « Grand » et le voir se tenir fièrement droit comme un i me fit sourire.

Mais j’avais plus urgent pour le moment. Hanegard nous dégotta une pièce encore couverte dont une imposante cheminée constituée l’ensemble de la décoration. Dès que le feu fut partit j’aidais Clarys à s’installer près de celui-ci pour la réchauffer. Elle aussi avait le bas de sa jupe trempée et l’air frais de ce début de soirée commençait déjà à la faire frissonner. Deux gardes arrivèrent avec l’une de nos malles, apparemment à l’extérieur du château tout était mis en œuvre pour rapatrier une à une nos affaires même si pour cela des hommes devaient faire plusieurs fois l’aller retour d’une berge à une autre. Je me promis d’aller les remercier une fois mes soins terminés.

Fouillant dans la première malle, je poussais une exclamation de joie en y trouvant les draps et couvertures que nous transportions. Avec l’aide de deux gardes, je fis tendre un drap sur une corde pour avoir un minimum d’intimité. J’aidais ensuite Clarys à retirer sa lourde robe de Cour lui laissait sur les épaules sa simple robe blanche de dessous. Enfin, blanche…elle était couverte de tâche de sang dans son dos. Rien de bien alarmant mais tout de même il fallait faire vite.

L’heure qui suivit, je la passais à retirer un à un les éclats de verre plantés dans son dos, puis je me penchais sur son visage pour recoudre son arcade sourcilière entaillée. Tout le long je n’avais cessé de récité des prières et par moment j’avais même utilisé mon don de guérison, faisant ainsi briller mes mains de cette étrange teinte bleutée. Lorsque j’eus enfin terminée, je laissais Clarys se reposer près du feu tandis que je quittais notre petit coin tranquille pour retrouver mon époux. Dehors la pluie avait commencé à tomber légèrement et tout autour du château des tentes de fortune étaient dressées. Toutes nos malles se trouvaient dans la première pièce et je retrouvais Dastan et Liliana collés aux basques de leur père qui était lui-même en grande conversation avec le chef de la Garde. A voir la mine de ma fille j’en conclus rapidement qu’elle venait, soit de se faire punir, soit de recevoir un non catégorique au sujet des ses explorations ! Je l’ai rejoint d’un pas rapide.

- J’ai terminé avec Clarys. Elle devrait aller beaucoup mieux d’ici demain s’il n’y a aucune infection. Et vous deux, que faites vous encore debout ? On vous a préparer vos paillasses pour la nuit alors filez !

- Mais maman, on va pas dormir par terre quand même ! Papa il est Baron ! Alors pourquoi on dormirait par terre hein ?

- Parce qu’ici il n’y a pas de lit et si tu crois que parce que ton père est Baron je ne vais pas te faire dormir sur une paillasse à notre retour à Alonna tu te trompes ma chérie ! Si c’est ce qu’il faut pour faire partir cet air supérieur de ton adorable visage, je la ferais moi-même ta paillasse ! Allez maintenant venez que je vous embrasse et allez vous coucher tout de suite.

Hors de question que ma fille devient comme ces petites impertinentes prétentieuses et pourries gâtées que l’on pouvait rencontrer à Alonna. Si elle devait la mettre aux travaux forcés dans ces six ans, elle n’hésiterait pas une seconde ! Une seule journée dans les cuisines devrait la calmer pour un bout de temps !
Dastan se jeta dans mes bras, tandis que mon impériale de fille me passait à côté sans un regard, prétextant que ma robe était trempée et qu’elle ne voulait pas m’embrasser pour éviter de se mouiller. Non mais je vous jure ! Une petite princesse de six ans ! Voilà ce qu’elle devenait !

- Tu peux me bercer maman ?

En revanche Dastan était parfaitement adorable, et je le gardais dans mes bras tandis qu’il s’endormait au creux de mon épaule.

Tandis que Jena s’occupait se soigner Clarys, j’organisais les tours de garde et l’installation de notre escorte. Désireux de garder un peu d’intimité à notre petite famille, je les envoyais dans une resserre à côté de celle que nous avions réquisitionnée pour nous même. Bâtie un peu à l’écart des contreforts, elle ne proposait pas un plafond intact comme la notre mais au moins les soldats qui ne seraient pas de garde pourraient y dormir au sec.

Liliana vint m’interrompre alors que je voyais avec le lieutenant à ce que quelques hommes fassent le tour du domaine à la recherche d’un danger éventuel. Ma fille voulait elle aussi pouvoir parcourir le domaine, persuadée qu’il s’y cachait des fées ou autres créatures magiques. Le refus fut ferme et franc, et sa moue boudeuse ne changeât rien. Ma femme intervint pour envoyer la petite princesse au lit, ou plutôt à la paillasse puisque nous n’avions rien de mieux.

Je me fis la réflexion qu’il faudrait que j’en parle à Jena lorsque nous serions de retour chez nous, car je trouvais que depuis quelques semaines Liliana devenait plus capricieuse, et je m’interrogeais sur les raisons de ce brusque changement de comportement. Certes j’avais été peu présent ces derniers temps, mais je me promis de surveiller attentivement l’entourage de ma fille à la citadelle. Dastan, lui, réclama un câlin à sa mère avant de se coucher.

Afin de me changer les idées, je sortis dans la cour pour aller observer le château. Le lieu me plaisait, pas de doute. Bien que construit comme une place-forte, il n’en gardait pas moins un certain charme et le paysage préservé tout autour rendait l’aura de mystère encore plus prenante. Je pouvais comprendre que ce lieu ait plut à des chevaliers désireux de trouver du calme et de sérénité entre deux raids contre les brigands qui pullulaient dans la région à l’époque.

Soudain je sentis sa présence derrière moi. Je n’avais pas besoin de me retourner pour savoir qu’elle était là, je le savais. Au milieu de la nuit ou du brouillard, je n’aurais pas hésiter une seule seconde avant de la retrouver. Lorsque ma femme se glissa à côté de moi, je passais un bras autour de ses épaules et je lui murmurais :

Cet endroit est magnifique.

Dastan couché, je déposais un baiser sur le front de chacun de mes enfants endormis, puis fis un signe discret à Merwan qui était assis près d’un feu de camp à côté de soldats ravis de lui raconter leurs faits de guerre. Le jeune garçon fit une petite moue, mais je lus toute sa reconnaissance de ne pas être venue le chercher comme un enfant pour le mettre au lit. Tout fièrement je le vis déclarer qu’il avait sommeil et qu’il était grand temps pour lui d’aller pioncer. Il fit une rapide petite blague qui fit rire l’a ssemblée puis il s’esquiva sans oublier de passer m’embrasser. Une fois mon devoir de mère accompli, je partis à la recherche de mon époux. Il était sortit prendre l’air et je m’approchais de lui lentement pour ne pas gêner sa quiétude. Je regardais avec lui les ruines de ce château dont nous ignorions jusqu’alors l’existence. Ce lieu était vraiment magnifique, et j’en venais presque à regretter notre départ de demain. Peut-être est-ce cette pointe de regret qui fit naître une idée en moi, quoi qu’il en soit, lorsque cette idée fut parfaitement claire, il m’était impossible de l’oublier. Je savais parfaitement que tout un tas d’obstacle s’élèverait pour empêcher la réalisation de cette idée, de ce projet même, mais je savais parfaitement que c’était à cela que je devais consacrer mes efforts. Je me promis mentalement d’interroger Néera à ce sujet dans mes prochaines prières, et même si je savais que la Déesse ne se dérangeait pas pour un prétexte si futile, je savais qu’elle m’enverrait un signe. Comme toujours.

- Tu as raison, c’est endroit est magnifique…à tel point que pour la première fois je me dis que ce serait l’endroit parfait pour nous.

Et quand je disais nous, ce n’était pas Alonna et sa Cour. Non juste Nous. Lui, nos enfants et moi. Si nous n’avions pas été Baron et Baronne d’Alonna, j’aurais rêvé de vivre simplement ici. Je n’aurais pas eu besoin d’un château. Une simple maison adossée à ces ruines et nous aurions profités de cette atmosphère et de ce lieu en toute simplicité.
Je pris la main d’Hanegard entre les miennes et lui fit face. Mon sourire et la petite étincelle de malice dans mes yeux devaient probablement le surprendre mais il me connaissait trop bien maintenant pour m’interrompre ou m’empêcher d’aller au bout de mon idée.

- Je sais que ta présence est requise à Alonna et qu’avec l’invasion drow tu ne peux pas te consacrer à d’autres choses, mais regarde cet endroit… Nous pourrions le reconstruire… Et puis cela nous éloignerait, les enfants et moi, d’Alonna et de ces intrigues.

Depuis notre arrivée ici, je n’avais plus cette sensation pressente, ce désir profond de fuir Alonna au plus vite. J’étais persuadée que toute cette expédition avait pour seul but la découverte de ce lieu reculé. Etait-ce Néera qui avait souhaité nous guider jusqu’ici ? Sûrement. D’ailleurs il n’y avait aucun doute à avoir. L’endroit était si beau, si magnifique qu’il ne pouvait s’agir que de son œuvre. J’avais hâte de voir ce lieu au matin, la lumière du soleil naissant devait avoir quelque chose de magique à travers les branches hautes des arbres environnants.

Je fis quelques pas pour arriver jusqu’à l’angle des ruines. Devant moi s’étendait une longue étendue d’herbes sauvages et de fleurs multicolores, malgré la nuit et le peu de lumière, j’avais l’impression étrange de déjà vu. Cet endroit me rappelait quelque chose, comme si j’y étais déjà venue auparavant, mais il avait changé, ce n’était pas exactement comme dans mon souvenir. Lorsque le jour se fit en moi, je me tournais, surprise, vers Hanegard.

- C’était ici, murmurais-je pour qu’il soit le seul à m’entendre. Le jour de la naissance de Dastan….je m’en souviens parfaitement maintenant. C’était ici qu’Elle m’avait emmené…

Tu parles d’un choc pour moi ! Je n’aurais jamais cru possible de revoir cet endroit, même s’il fallait reconnaître que le jardin fleuri et soigné que j’avais vu ce jour là avait des allures sauvages et mal entretenu aujourd’hui.

Lorsque Jena me proposa spontanément de lancer un projet visant à remettre le château en état afin de pouvoir s’éloigner un peu des intrigues d’Alonna et de disposer enfin d’un endroit au calme pour notre famille lors des périodes troublées, je vis immédiatement la ligne budgétaire supplémentaire à équilibrer dans les finances de la baronnie. Il allait falloir mobiliser du monde et s’il s’agissait d’un château destiné à ma famille, je savais que le niveau d’exigence en terme de qualité que j’allais imposer serait élevé.

Ici ? Mais cela veut dire y installer une garnison, prévoir des travaux de remise en état de la route, remettre en place un système d’approvisionnement, prévoir plusieurs équipes pour la reconstruction…

Et là, je vis le regard qu’elle me jeta, tendre et avec les cils papillonnants, le genre de regard auquel je ne résistais pas, ce que Jena savait fort bien. Les hommes dirigent le monde et les femmes dirigent les hommes, avait un jour affirmé un grand philosophe, déclaration à laquelle je ne pouvais que souscrire. Par ailleurs, je devais admettre que l’idée d’un endroit bien à nous loin de la cour datait de l’époque de notre voyage à Winterfell et que cet endroit valait bien mieux que tous les autres auxquels j’avais pensé.

Je m’arrangerai. Les fondations sont solides, cela simplifiera d’autant les travaux. Il faudra prévoir une garnison permanente mais cela aussi peut s’arranger. Et j’ai un ingénieur nain qui a proposé ses services récemment, il pourrait aider aux plans du chantier.

Depuis l’ouverture du temple de Lirgan sous la houlette du très facétieux mais jamais ennuyeux Dun Eyr et d’un comptoir d’Alonna à Lante, une communauté naine se développait dans la région. Guère nombreux, les robustes petits êtres trouvaient une terre assez accueillante dans ma baronnie, les échanges avec le royaume des montagnes remontant à fort longtemps dans notre histoire. Là où dans les terres du sud un nain se voyait souvent regardé avec une curiosité malsaine voire avec une antipathie non dissimulée, les alonniens les considéraient plus comme des voisins qu’autre chose.

Je fus encore plus étonné lorsque Jena reconnut l’une des cours intérieures du château. Un simple champ d’herbes folles à première vue, mais ma femme me révéla qu’en ces lieux elle avait rencontré une déesse. Je connaissais par cœur l’histoire, j’avais cru la voir mourir lors de la naissance de Dastan avant qu’elle ne revienne bénie par Néera. Je la croyais lorsqu’elle me disait s’être retrouvée face à la déesse en personne, mais jamais je n’aurais cru que cette rencontre se soit tenue ici-même. Décidément le hasard… ou peut être Néera… faisait bien les choses et tenait à nous voir venir en ces lieux.

Guère au fait des affaires religieuses, je me fiais totalement à ma prêtresse de femme pour ce qui concernait le culte, et je la laisserai en parler au Grand Prêtre d’Alonna qui serait sans doute fort intéressé par cette nouvelle. Bien qu’à titre personnel je ne pensais pas que la présence d’une déesse rende spécialement saint un endroit, je comprenais fort bien le sens mystique qui s’y cachait et l’importance en terme de foi religieuse. Hors depuis la naissance de Dastan, ma foi en Néera se trouvait plus forte que jamais.

Je me demande si on doit considérer cet endroit comme sacré depuis qu’une déesse y est venue. En tout cas, si nous vivons dans ce château il nous faudra une chapelle dédiée à notre Protectrice, et cet emplacement me semble idéal pour l’y installer.

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