Promotion à Hardancour [ Aurel ]

Jour 3 de la 9^ième ennéade de Vérimios
An 10 de ce cycle

De là-haut, les rafales semblèrent plus froides encore que la mort elle-même. Il y avait à cette altitude quelque chose à vous glacer le sang, à pénétrer même les plus épaisses des fourrures. Le premier qui aurait souhaité faire pleurer le jeune, tirer un coup, se vider les baloches du haut des tourelles de garde, s’en serait vu privé de ses burnes aussitôt! Là, guettaient les plus robustes, tenaces et vigoureux soldats. Leur tâche n’était pas des plus palpitantes c’était vrai, mais elle n’en restait pas moins primordiale. Les vigies détectaient toutes menaces s’approchant de près ou de loin des murailles d’Hardancour et même au travers le blizzard, la brume ou la bruine, ils se devaient de tout voir. Des aigles, voilà ce qu’ils se devaient d’être lors de leur tour de garde! Et voilà justement que l’un d’eux, venait d’apercevoir quelque chose, au loin. Patient, il attendit de déceler une quelconque menace de ce contingent avant de faire sonner l’alerte.

Là, enfin, ils étaient assez près pour en détailler quelques traits qui parlaient : leurs chevaux ne transportaient ni marchandise ni carrioles, aucune armoiries apparentes ou étendards n’était dressé … Finalement, au loin, il aperçut qu’eux tous portaient de pesants harnois de guerre ainsi qu’un arsenal prêt à l’affrontement. Ce fût somme toute fort suffisant pour sonner l’alerte. Les cors sonnèrent et là, tout en bas, la fourmilière s’activa en moins de deux, faisant sortir de leur nid moult bleusaille prête à faire un accueil digne de ce nom à l’envahisseur! Les misérables déguerpissaient en allant trouver leur maisonnée, se barricadant sans autres ambages. Lance abaissées, épées à moitié dégainées, le comité d’accueil était finement paré.

Le hennissement des chevaux durement talonnés s’arrêta lorsque freina brusquement la cavalerie formée d’une douzaine de chevaliers. Bien qu’armé pour conquérir Diantra, le groupe ne montra nul signe d’agressivité, pas plus qu’il chercha des noises au premier qui les mettait en joue de leur lance. Mais là-haut, sur les percherons eux aussi harnachés, se tenait des hommes aux ferrailles toutes signées des Saint-Aimé, portant fièrement non seulement leurs couleurs, mais aussi leur héraldique. « De Sainte-Berthilde à Hardancour, nous avons battu la terre de nos sabots au triple galop, afin de remettre au Seigneur de Lantenes une lettre envoyée du Régent Louis de Saint-Aimé. Quiconque saurait nous dévoiler l’emplacement de cet homme rendra un grand service au Marquisat! » Tonna en direction de toutes les oreilles suspendues à ses lèvres, le commandant de la cavalerie.

Adressé à Aurel Fribourg, Seigneur de Lantenes,

Cette lettre, conformément aux pouvoirs qui me sont octroyés par mon titre de régent d’Olysséa, fait de vous, Aurel de Fribourg, Général des armées de ce comté à partir de ce jour. Vos nouvelles prérogatives à juste titre de Général est de vous assurer de l’intégrité de vos armées afin qu’au printemps, lorsque la neige aura entamé sa fonte, qu’elles soient fin prêtes à lever l’ancre et de voguer jusqu’au Médian en compagnie des osts Berthildoises et Arétanne. Armement, véhicules de siège, nourriture et tout ce qui est quantifiable en quantité tout autant qu’en qualité, se devra d’être inventorié et livré à Cantharel d’ici trois ennéades. Ainsi, vous avez sur dix jours le temps de récupérer l’entièreté de vos choses et de gagner un logis qui vous sera offert au sein du castel d’Olysséa.

Regagnez votre chez-vous, Génénal. Vous avez pour Sainte-Berthilde suffisamment œuvré et nous vous remercions pour ces nombreuses années de service et de fidélité.

Louis de Saint-Aimé, marquis-régent de Sainte-Berthilde, Seigneur de Saint-Aimé, de la Toranne et d’Erignacc.

-Le Seigneur de Lantenes ?! Répéta bêtement le garde avant de se retourner vers quelques uns de ses camarades pour les interroger d'un signe de tête... mais il fit chou blanc. J'vois pas. On va s'renseigner. OUVREZ LES PORTES !

Autant ne pas laisser les chevaliers du Régent dans le froid et leur faire gagner une salle chauffée. Il ne serait pas dit qu'Hardancour recevait mal les hommes de Louis. On dépêcha quelques gardes et serviteurs pour faire le tour des lieux et chercher ledit Seigneur. Aucun invité ne portait ce nom qui était vaguement familier. C'était une province d'Olyssea mais son Maître était âgé. Il ne se serait pas aventuré si loin de chez lui par ce temps !
On continua de chercher cependant, jusqu'à interroger le Lieutenant des Egides qui se trouvait sur place avec quelques uns de ses hommes pour une série d'entraînements. Pour lui, ce nom était bien plus parlant. Sans même répondre au garde qui était venu l'interroger, il se tourna vers ses troupes encore en stationnement après la récente alerte.

-DE LANTENES !

Plusieurs Egides relevèrent la tête mais un seul d'entre eux s'avança. Bouclier solidement harnaché à son bras, épée à la ceinture et casque dans l'autre main, il s'arrêta à quelques pas de l'officier. Ne pouvant le saluer par le geste du fait de son encombrement, il le fit par la parole.

-Lieutenant.
-Suis-le. Dit-il en désignant le garde d'un signe de tête.

Aurel ne comprit pas et se contenta de hocher brièvement du chef. Comme tous, il avait entendu le cor d'alerte et l'ordre qui avait suivi de se mettre en rang, profitant qu'ils n'aient pas encore retiré leur équipement pour les préparer directement à recevoir leurs visiteurs. Après de longues minutes à attendre dans le silence, le seul évènement qui survenait enfin c'était son nom crié comme un appel impatient...
Sans prendre le temps de poser quoi que ce soit de ses affaires qui l'encombraient, il emboîta le pas à l'homme qui repartait déjà au pas de course pendant que le Lieutenant demandait aux autres de rentrer. En chemin, il s'enquit de ce qu'on lui voulait et ne parvint qu'à savoir qu'on cherchait le Seigneur de Lantenes... Le garde le conduisit jusque dans une salle des gardes où il trouva une douzaine de chevaliers en train de se réchauffer au coin du feu tandis qu'on leur distribuait une boisson chaude. A son entrée plutôt remarquée du fait de tout son attirail, plusieurs d'entre eux se tournèrent vers lui mais aucun ne sembla comprendre. Ils avaient demandé un Seigneur, et on leur amenait un soldat...

-Je suis Aurel de Lantenes. Mais je ne suis pas le Seigneur de cette terre, il s'agit de mon père. Annonça-t-il en espérant avoir le fin mot de cette histoire.
-Ce n'est pas votre père que le Régent a demandé. Dit l'un d'entre eux en se levant.

Le chevalier qui avait parlé était apparemment le commandant du groupe. Il marcha vers lui et lui tendit la lettre qui lui avait été confiée. Aurel regarda le document avant de coincer son casque sous le bras qui portait déjà son bouclier. Ainsi, il eut une main libre pour prendre le pli tandis que la seconde l'aiderait à la décacheter. Il en parcourut les quelques lignes, prenant un air de plus en plus sombre et sévère. Puis il releva la tête vers celui qui lui faisait toujours face.

-On dirait que les nouvelles ne sont pas bonnes. Lança le chevalier sans vraiment paraître intéressé par le contenu de la missive.

Les épaules d'Aurel s'abaissèrent dans un soupir tandis que son regard dur ne quittait plus celui du Commandant. Voilà qu'il était déjà promu... Oh, il imaginait bien les raisons de Louis de le choisir. Il avait besoin d'un homme d'arme sur qui compter pour aller préparer ses troupes en Olyssea. Et qui de mieux que celui qui prétendait au trône pour cela ? Il pourrait ainsi commencer à ce faire une place dans les hautes sphères de sa terre natale et, pourquoi pas, obtenir quelques appuis internes pour sa candidature...
Puisque de toute manière il devrait en passer par là tôt ou tard, autant commencer par le domaine qui lui seyait le plus. Et puis, avait-il seulement le choix ? Mais il aurait préféré quitter Cantharel et le corps des Egides d'une manière moins précipité... Tant pis.

-Vous rentrez à Cantharel ? Demanda-t-il finalement de sa voix grave.
-Dès l'aube.
-On dirait que nous allons faire route ensemble.

Le temps qu'il ait rassemblé ses affaires, il n'allait pas partir dans le noir... La journée touchait à sa fin et ils n'auraient pas trop de celle du lendemain pour arriver à destination. Le chevalier acquiesça d'un signe de tête. S'ils allaient dans la même direction, autant que l'Egide les accompagne.
Aurel salua son interlocuteur d'un signe de tête et quitta la pièce. Les hommes de Louis bénéficieraient sans doute d'un logis convenable pour la nuit, ils n'avaient qu'à demander au maître des lieux. Quant à lui, il n'allait pas jouer de ce nouveau grade dont tout le monde ignorait l'existence afin qu'on lui donne une chambre. Si ce devait être son dernier jour en tant qu'Egide, il la vivrait jusqu'au bout et passerait sa nuit dans le même dortoir que ses frères d'arme. Il devait néanmoins avertir son supérieur de son départ soudain.
Ce serait sa dernière action en tant que soldat de Sainte-Berthilde.