Pirates de l'Olienne: la malédiction de l'Alkhâg.

Alors qu'ils étaient encore dans le bouge sur les quais d'Ashaï, elle hocha la tête lorsque Nehril s’éclipsa. Visiblement la ville ne lui plaisait guère ce qui, si elle en croyait l’échange que le mercenaire avait eu avec le demi-drow, était compréhensible. La dure vie de vagabonds allant de contrats en contrats, sans doute. Toutefois elle suivit rapidement son exemple et rentra au Katrian accompagné de leur nouveau camarade après avoir souhaité une bonne journée à Serene. Des aurevoirs assez court il fallait bien l’admettre mais en réalité Lilyanna cherchait un peu n’importe quel prétexte pour partir le plus vite possible de cet endroit.

A la fin de la huitième ennéade de verimios 17 : XI.
Deux ajours après l'escale à Ashaï, entre Magasque et Methylene.
D-13.

Le Katrian, une caravelle, aurait pu traverser la mer olienne pour se rendre directement sur la côte nisétienne sans faire du cabotage comme il avait eu le loisir de le faire. Ç’aurait rendu le tout bien plus simple, bien plus rapide mais aussi, et surtout, bien trop dangereux. En effet si Lilyanna ne voulait pas perdre de temps, elle ne voulait pas non plus mourir et de toute façon elle n’aurait sans doute pas réussi à convaincre le capitaine du navire, Azzelio, de prendre le risque de rencontrer le Grand Dragon Bleu. Bien sûr, même en suivant la côte, le risque n’était pas nul mais il était tout de même bien moins grand qu’en coupant à travers les flots, en plein milieu de ce que la créature considérait comme son territoire.

Toutefois, si cinq jours pouvaient paraître long, il s’agissait en réalité d’un voyage ô combien plus rapide, et finalement moins dangereux, qu’à pied. Il était d’autant plus sûr que le Katrian pouvait compter sur sa réputation de navire pirate accueillant une nécromancienne pour éviter de subir l’ire d’autres navires. Comme ce fut le cas la veille. Les pirates qui s’apprêtaient à fondre sur la caravelle changèrent bien vite d’avis en reconnaissant les voiles rouges et surtout Azzelio Vela car il se trouvait que les capitaines des deux se connaissaient, et se connaissaient même bien. Ainsi le comparse du maître du Katrian fut invité à bord et pendant qu’ils discutaient, les deux équipages s’étaient mêlés pour faire de même, pour jouer, pour échanger via une forme étrange de commerce dont seuls les forbans ont le secret.

Lorsque les deux capitaines sortirent de la cabine d’Azzelio, ce dernier, une fois que son compagnon s’en fut allé, monta sur le château arrière et, les mains posées sur le bastingage à côté du gouvernail, ordonna à l’équipage de se regrouper sur le pont.

« Mes braves voici une bonne nouvelle: j’ai appris de source sûre qu’un navire esclavagiste se trouve sur notre route ! »

L’équipage fit part à son capitaine de son envie d’en découdre, la majorité étant des péninsulaires, l’esclavage restait pour eux une pratique barbare. En effet depuis que le Katrian avait rejoint la longue liste de ces équipages libres qui sillonnent la mer en demandant gentiment aux autres navires de céder leurs biens, une règle tacite avait vu le jour : les esclaves devaient être libérés. C’était une habitude qui était également pragmatique, en effet, les esclaves avaient tout intérêt à profiter d’un abordage pour se débarrasser de leurs chaînes et vu que les pirates ne s’encombraient que très rarement de marchandise humaine, ils offraient souvent aux esclaves le même choix qu’aux marins qui se sont rendus : partir ou rejoindre leur équipage. Alors tout le monde se mit au travail avec une ferveur renouvelée et deux heures plus tard Lilyanna put voir un sourire naître sur les lèvres du capitaine du Katrian et lentement s’agrandir alors qu’il reconnaissait le fameux navire esclavagiste que son ami lui avait décrit.

Après plus d’une heure de navigation, les hommes et femmes de l’équipage avaient fini par retomber dans la monotonie habituelle, bercés par le doux son des vagues et quelques chants de marins désœuvrés, jusqu’au cri poussé par leur capitaine.

« Le voilà! Aux armes ! »

Alors une tempête d’activité s’empara à nouveau de la caravelle alors que tous courraient dans tous les sens pour rejoindre un poste, pour aller chercher ses armes ou pour s’occuper des armes du navire lui-même. Toutefois tous espéraient que le navire esclavagiste allait se rendre sans combattre, comme beaucoup le faisaient. Pour le moment la nécromancienne attendait que le Katrian se soit davantage rapproché pour aller déchaîné ses goules et les faire monter sur le pont, c’était souvent ce qui dissuadait leurs proies de se battre.

Assis sur une caisse à observer les marins qui s’affairaient sur le navire, Nehril arborait une mine désapprobatrice. Un second vaisseau pirate était venu mouiller au côté du leur et les deux capitaines s’étaient aussitôt éclipsés afin d’échanger quelques informations à l’abri des oreilles curieuses. Sur le pont, les hommes des équipages divers riaient, se menaçaient, crachaient, s’échangeaient des poignées de mains ainsi que de vieux dés pipés avant de jouer sur de larges plateaux en bois à moitié craquelé. L’argent allait de l’un à l’autre à grand renfort de cris, d’injures et parfois même pour les malchanceux, de borborygmes. L’un d’entre eux vint persuader Nehril de se joindre à eux, mais il abandonna rapidement lorsque ce dernier lui grogna dessus suffisamment fort, ce qui eut également pour effet de calmer les ardeurs des autres marins qui venaient en faire autant.

Lorsque les deux capitaines se quittèrent, Nehril se dit qu’il était grand temps de se remettre en route. C’était mal connaître le capitaine Azzelio qui se mit à houspiller ses troupes dans l’expectative d’aller attaquer un navire esclavagiste. Le semi-elfe se dressa aussitôt, surprit par la ferveur des hommes du pont avant de se diriger vers Lilyanna.

— À quoi rime tout ceci ? gronda le mercenaire, ses yeux argentés brillant furieusement au fond de ses orbites. Ce capitaine compte-t-il nous arrêter à chaque fois qu’un navire nous croisera ? Il leva un doigt vers la nécromenthe. Je n’ai pas été engagé pour devenir pirate, mais pour vous protéger des dangers qui pourraient éventuellement nous tomber dessus. Éventuellement. Pas ceux que nous provoquerons par pur appât du gain. Que ce capitaine ne nous fasse pas croire qu’il agit ici par pur élan patriotique.

À ses mots, Nehril se détourna et décrocha son épée de son dos.

— Il s’agit de votre expédition que diantre…, marmonna-t-il en voyant approcher le navire ennemi.

Les premières heures sur le navire avaient été difficiles. Si la mer Olienne, en particulier ses côtes, était calme d'apparence, il avait semblé à Ylas que le pont du navire s'arrachait à ses yeux à la moindre houle. Il n'avait guère fallu que voir disparaître les ombres d'Ashaï pour que l'hybride soit retrouver penché par dessus le bastingage, rendant la mauvais piquette de la taverne. Maudissant Serene, maudissant Ophelia et toutes les femmes que ce monde avait porté, il lui avait fallu près d'une heure pour empêcher son estomac de se tordre en d'infâmes et douloureux hauts-de-cœur.

Les marins n'avaient eu de cesse de se moquer de lui et Ylas avait été beau joueur, prétextant son sang Drow comme responsable de mal de mer. La réalité était qu'il n'avait jamais posé les pieds sur un navire en mer et que cela n'avait rien à voir avec les flots calmes et reposants de l'Oliya. Bientôt intégré à l'équipage malgré lui, il apprit à tricher dans de nouvelles façons qu'il aurait cru impossible. Désormais, il comprenait mieux la soudaine fortune, aussitôt dépensée, de certains de ses amis Serpent-de-Mer. Ces corsaires n'avaient donc pas plus de foi que des pirates.

Des pirates qu'il accompagnait comme il ne tarda guère à l'apprendre. Bien que la compagnie de Lilyanna ne fut pas des plus glorieuses, en témoignait le mercenaire meurtrier qui l'accompagnait, l'hybride croyait au moins affaire avec un partenaire commercial de sa maîtresse qu'elle voulait surveiller. Être jeté dans la gueule de pirates n'était pas le genre d'Ophelia et Ylas ne savait pas quoi penser de l'affaire qui s'avérait aussi excitante que dangereuse. Peut être même que ces bonnes manières teinteraient de bonne foi ces gourmes affreuses.  Du moins, ne fût il pas surprise lorsque l'appel au combat vint. Premier sur le pont, Ylas marcha d'un pas vif vers le bastingage. Il avait laissé au fourreau sa lourde bâtarde lui préférant une hachette et un coutelas, gagnés à une partie de dés la veille. Entendant les gémissements pitoyables de Nehril, il se tourna vers lui avec un rictus sadique et lui jeta :

Attaquer un homme de face demandes plus de force morale que de tendre une embuscade à de pauvres hères et fuir une fois les marmites au cul. Tu as été payé pour suivre les ordres alors suis les putains d'...

Un souffle d'air chaud et le bruit d'une explosion l'interrompit. Se retournant, Ylas put observer l'oeuvre du sorcier, celui qui se tenait éloigné de la populace. L'homme avait apparemment mis le feu aux voiles de leur victime. Lorsque l'odeur chaude et suave du goudron incandescent se mêla à celle, écoeurante, des corps humains en feu, le sang de ses ancêtres bouillonna dans ses veines. Rappelé à la destruction d'Uriz, Ylas laissa un sourire torve s'épanouir sur ses lèvres tandis que ses yeux renvoyaient les flammes rouges de l'incendie. Levant son coutelas, il renifla fort et longtemps.

Hmm... J'aime l'odeur du naphte dès le matin.

Le capitaine du Katrian n’était pas un homme cruel, et pour cause il était resté un bon pentien malgré sa nouvelle vocation. Toutefois, comme bon nombre de personnes à travers le monde, du moins l’espérait-il, Azzelio n’aimait pas la stupidité et encore moins ceux qui en faisait preuve. Alors lorsqu’il put voir une boule de feu partir de son navire pour atteindre leur cible, sa mâchoire carrée se crispa mais avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit une seconde partie. Ses petits yeux enfoncés dans leurs orbites se mit à fouiller le pont à la recherche du coupable, sans doute l’un des énergumènes que la prêtresse avait engagé pour son expédition. Cependant à cause de l’agitation il ne trouva pas l’incendiaire d’un coup d’œil comme il aurait pu le faire en temps normal et, surtout, le bâtiment esclavagiste était désormais bien trop proche pour qu’il puisse se permettre de perdre du temps maintenant.

« Que le demeuré qui balance des boules de feu arrête tout de suite ! On est sur un bateau, ces machins sont faits en bois et le bois ça brûle ! »

Comme pouvait en attester leur cible dont les voiles partaient en fumée, des braises incandescentes tombaient lentement dans les airs et allumaient ce qu’elles pouvaient : cordages, goudrons, poils en tous genre etc… il ne fallut pas bien longtemps pour qu’un premier marin, les flammes qui se nourrissaient de ses cheveux s’étant déplacés sur ses vêtements, se jettent par-dessus bord dans l’espoir d’éteindre le feu qui le dévorait. Toutefois Azzelio devait reconnaître qu’au moins leur proie n’irait pas bien loin comme ça cependant il fallait aussi dire qu’il était de toute façon bien trop lent pour leur échapper.

Quant à Lilyanna, elle avait voulu répondre à Nehril mais fut interrompue par le rugissement du capitaine qui ne se trouvait encore pas loin d’elle. Elle avait attendu que ses habituels assistants viennent l’aider mais visiblement ces derniers n’avaient soit pas envie de le faire, soit étaient-ils trop occupés par elle ne savait trop quel préparatif pour le faire. Alors elle attrapa le mercenaire bougon par l’épaule pour le tirer avec quelques secondes le temps d’être certaine d’avoir attiré son attention.

« Justement j’ai besoin de votre protection, venez avec moi, j’vous expliquerais en route ! » Sans attendre de réponse elle se dirigea vers les cales, si Nehril n’avait pas envie de la suivre elle trouverait bien quelqu’un sur le chemin pour l’aider.

Si Galborix avait été suffisamment proche des esclavagistes pour lancer une de ses fameuses boules de feu, il se rendit vite compte que lui aussi était à portée de tir. Pour cause un carreau d’arbalète fila se planter dans la coque juste en face de lui, sauvé qu’il fut d’un douloureux trait dans les tripes par un roulement de vague ayant surélevé le Katrian juste au bon moment. Le tireur luttait contre le roulis de l’Olienne pour armer à nouveau son arbalète tandis que d’autres de ses camarades se joignirent à lui. Azzelio poussa une suite de jurons, mais s’arrêta lorsqu’il s’approcha un peu trop près du blasphème à son goût, en voyant qu’à cause du sorcier ils allaient devoir se battre. Non pas que se battre était quelque chose qu’il n’appréciait guère mais pas durant les heures de travail. L’équipage du Katrian se mit à riposter et bien vite les navires s’entrechoquèrent. Des planches furent lancées à la hâte pour combler le vide entre les deux ponts pendant que des grappins étaient lancés dans l’espoir de s’accrocher au bastingage des esclavagistes et les plus téméraires, ayant grimpé les cordages de la caravelle, accroché à une corde, se tenaient prêts à se lancer dans le vide afin d’atterrir sur le pont ennemi.

Nehril écarquilla les yeux lorsqu’il vit une boule de feu fuser en direction des voiles ennemis. Il repéra l’incendiaire en la personne de Galborix, qui à l’image de son volatile juché sur son épaule, ne cessait de croasser des paroles rendues inaudibles par la fièvre qui s’était emparée des marins.
Ces derniers criaient, vociféraient, brandissaient leurs armes en direction du bateau esclavagiste. Il n’entendit pas tout de suite les paroles du demi-drow qui semblait extatique à la venue du combat. Nehril lui jeta un bref regard avant de suivre Lilyanna. Il commençait à douter de l’état de santé mentale de ses compagnons. Entre un pyromane amoureux de sa propre magie et une demi-brute à peine capable de penser plus loin que le bout de son épée, cela serait un miracle s’ils parvenaient tous à Nisetis en un seul morceau.

Son épée toujours en main, le semi-elfe rattrapa la nécromancienne qui descendait les marches à la volée.

— Vous allez libérer vos goules ? s’enquit-il d’une voix tranquille, nullement perturbé parce qu’il se passait sur le pont. Comme si deux fous ne suffisaient pas…

La première volée de carreaux ne surprit qu'à peine Ylas. L'avantage des navire était qu'ils présentaient une série presque illimitée d'endroits où se cacher. Le demi-Drow plongea derrière les amarres enroulées prêt du bastingage et serra les dents en sentant les coups sourds des pointes s'enfonçant dans le chanvre. Remarquant que le sorcier s'était également mis à couvert, il lui fit signe de rester caché d'un geste brusque. Les sorciers étaient rarement de bons épéistes. Sentant la masse, plus qu'il ne la voyait, du navire esclavagiste se rapprocher, Ylas bondit sur ses pieds et courut aider les marins chargés du matériel d'abordage.

Le demi-Drow était un mauvais tireur et, le roulage du navire ne pouvant qu'empirer les choses, il jeta son dévolu sur une large planche. Avec trois autres marins, ils traversèrent le navire en courant. Un cri trancha l'air. Aussitôt, l'elfe noir plongea à l'abri du bois. Le bruit mat d'un corps tombant lui fit comprendre que le marin derrière lui n'avait pas été assez rapide. Sentant le poids du chêne peser sur ses épaules, Ylas poussa sur ses jambes et, avec un ahanement, il fit glisser la planche jusqu'à la coincer dans le bastingage adverse. Excité par l'odeur du sang, il bondit aussitôt, armes au poing. Chemin faisant, il rencontra un marin ennemi, désireux de passer de proie à chasseur. Ylas le fit passer de vie à trépas d'un mouvement du poignet.

Pointe de lance de l'abordage, Ylas et quatre autres marins échangèrent un regard. Ils savaient que les premiers à l'assaut étaient aussi les derniers cadavres qu'on retrouvaient sous la masse des corps. Affermissant sa prise, le demi-Drow poussa un hurlement sauvage et se jeta sur ses ennemis, suivis de près par les hommes. Entouré par trois adversaires, Ylas enfonça la pointe de son coutelas dans l'épaule du premier se présentant et para de justesse avec sa hachette l'attaque d'un autre. Le troisième essaya de lui fracasser la mâchoire d'un méchant coup de garde. Enfonçant son menton contre son torse, le demi-Drow se contorsionna et évita l'acier. Profitant que le premier s'écartait, une main sur sa blessure, Ylas se redressa et se jeta sur le plus proche des deux restants. Il frappa de toutes ses forces et passa la garde de l'homme qui reçut sa hachette en plein front.

Y abandonnant les quelques pouces d'acier, le demi-Drow poussa un hurlement et se retournant en sentant une dague cherchait à fouiller sa cuirasse de cuir bouillie. L'armure tint le coup. Le pauvre hère qui avait essayé de l'attaquer par derrière recula précipitamment, surprise par les six toises de l'hybride et son air sombre. Il voulait combattre avec honneur et voilà qu'on le poignardait si bassement ! Avec un grognement sourd, Ylas s'avança de son pas lourd vers le malheureux lorsque le dernier adversaire revint à l'assaut. D'un geste du poignet, il l'égorgea sans prêter attention à quelqu'un d'autre que le lâche. Le cul au sol, ce dernier essaya de donner un coup de son stylet dans le genou de l'hybride. Evitant le coup, celui-ci le désarma d'un coup de pied qui prisa le poignet de l'homme. Attrapant le marin par le cou, Ylas le souleva à son niveau. Un dernier coup de poing valeureux essaya de sauver l'honneur. Sans même bouger d'un pouce, le mercenaire sourit et lui brisa la nuque d'un geste.

Fils de chienne.

Ou en était donc le combat ? Laissant tomber le cadavre devenu mou, Ylas jeta un coup d'oeil autour de lui.

« Oui. » Répondit la nécromenthe en descendant dans les entrailles du Katrian avant de sauter les dernières marches qui la séparait des planches pour continuer sa course en direction d’un autre escalier. « Mais si ça peut vous rassurer elles devraient permettre d’arrêter le combat ! »

Sans pour autant crier elle parlait bien plus fort qu’elle n’en avait l’habitude, incertaine que Nehril l’entende alors qu’au-dessus d’eux le combat venait de commencer. Elle esquiva de justesse un homme transportant une caisse de… elle ne savait pas trop quoi et n’avait ni le temps ni l’envie de s’y intéresser. Une fois dans les cales, il fallait encore les traverser pour rejoindre les… geôles, si on pouvait appeler ça comme ça. En réalité c’était possible, avec un peu d’humour. Comme tout endroit où stocker des prisonniers, le confort n’était pas de mise mais les seules occupantes s’en moquaient bien. En entrant dans la grande pièce à l’odeur putride, les créatures se mirent à tirer sur leurs chaînes en voyant quelque chose de vivant. Lilyanna, habituée à l’air plus que fétide, ne broncha pas lorsque le parfum de mort renfermé lui heurta le visage, elle en profita pour attraper une clé posée sur une petite table et la lancer à Nehril.

« Avant d’en libérer une attend que je te dise que c’est bon, ça serait dommage que tu aies à en tuer une. »

Elle tira sur ses gants pour les mettre en place avant de mettre un genou en terre, ou en bois pour le coup, de baisser la tête et de commencer une prière en nissétien. Elle parlait lentement, à voix basse, les yeux fermés et bien vite sa peau blanche commença à noircir par endroits. Ces tâches sombres informes se mirent à bouger lentement sous sa peau, comme des tatouages ayant soudainement décidés qu’ils préféraient être ailleurs. La première goule tira moins fort sur ses liens, cessant de ce fait de se blesser les poignets, pour peu qu’on puisse dire qu’un mort-vivant puisse se blesser. Puis les tâches informes se transformèrent en lettres nissétiennes, des lettres qui permettaient d’écrire sur son corps la prière qu’elle adressait à l’Unique. Enfin la créature un peu moins belliqueuse que les autres finit par se calmer complétement et la nécromancienne la désigna à Nehril sans rouvrir les yeux.

« Tu peux libérer celle-ci. »

Puis le processus recommença pour libérer une dizaine de goules. Maintenant il ne restait plus à une Lilyanna au visage recouvert de lettres d’encre qu’à remonter avec sa petite armée pour mettre un terme au combat.

Un combat qui allait bon train maintenant qu’il était bien lancé. Ylas ne fut pas seul bien longtemps alors que l’équipage du Katrian se lançait à sa suite à l’abordage de l’esclavagiste. Si nombres des marins de leurs victimes n’étaient là que faire des manouvres et permettre au navire d’avancer, il y en avait une partie non négligeable qui, visiblement, savaient se battre. Sans doute les gens qui lançaient des expéditions dans le désert zurhtan afin de chercher les esclaves qu’ils comptaient vendre dans les cités vaanies le long de la côte.

Azzelio n’ayant pas l’habitude de regarder ses compagnons combattre, confortablement installé sur le château arrière de sa caravelle, avait sauté par-dessus le bastingage pour atterrir sur le pont du Katrian en faisant une roulade. Il se releva dans le prolongement de la roulade en question et sans s’arrêter poursuivit sa course il sauta une nouvelle fois sur le bastingage de son navire, bien que cette fois c’était celui du pont et dégaina un poignard en vol dont il se servit pour le planter dans la poitrine d’un jeune homme qui comptait s’attaquer à un membre de son équipage. Les deux s’effondrèrent sur les planches du navire esclavagiste mais seul le capitaine de la caravelle se releva et chercha une nouvelle cible. Ayant laissé sa dague dans son dernier adversaire, il dégaina son épée, une rapière qu’il avait depuis qu’il avait mit le pied pour la première fois sur un navire et qui ne lui avait jamais fait défaut. En effet si sur terre elle ne lui serait peut-être pas d’une utilité flagrante dans un combat, sur mer c’était une toute autre histoire car sur le pont d’un navire personne ne portait des armures aussi lourdes que celles des chevaliers eraçons, c’était le meilleur moyen de mourir.

Entre les braises qui volaient en tous sens et la masse humaine qui tentait de s’égorger, il commença à grimper au mât pour prendre un peu de hauteur jusqu’à ce qu’il vit un arbalétrier le prendre pour cible. Il se laissa tomber et arriva aux pied d’Ylas, un mètre et demi plus bas. Bien qu’il n’ait pas eu l’occasion d’observer l’état de la bataille aussi longtemps qu’il l’avait voulu, il avait eu ce qu’il cherchait. Azzelio tendit une main en direction du demi-drow pour que ce dernier l’aide à se relever puis il récupéra sa rapière et se tourna enfin vers lui.

« Vient avec moi, on va faire le tour pour aller libérer les esclaves ! » Il désigna la trappe de métal à moitié ouverte juste derrière eux et la volée de marche qui menait dans les entrailles du vaisseau.

Nehril grimaça lorsque l’odeur de pourriture, exhalée par les créatures infectes tapissant les geôles du Katrian, vint à ses narines. Il se serait cru dans les bas souillés d’une personne âgée. Malgré tout, coutumier des champs de bataille, il suivit Lilyanna en ne perdant pas de vue les goules qui croupissaient dans leur cellule.

Une fois en position, elle lui lança une clé qu’il attrapa adroitement tout en précisant d’attendre ses instructions au risque de devoir tuer l’une de ces créatures.

— Ce qui serait dommage en effet, commenta ironiquement le mercenaire en dévisageant le visage difforme de la bête. Il s’attarda particulièrement sur ses yeux globuleux avant de revenir sur Lilyanna. D’autant plus que j’ai oublié mon glaive en argent à la maison.

Son trait d’esprit ne parvint hélas, pas à la nécromenthe qui était déjà en train de psalmodier, genou à terre, des paroles incompréhensibles. Sa voix s’élevait haut avant de redevenir un simple souffle. Nehril sentit le pouvoir qui émanait de ses injonctions. Il observa d’un air intrigué la peau de Lilyanna qui se couvrait de lettres étranges ainsi que leur effet sur les goules qui devenaient progressivement plus dociles. Enfin, semblant finalement revenir à elle, elle lui ordonna d’ouvrir la cage. Avec une certaine appréhension, il s’exécuta, sans pointer au préalable sa lame contre la poitrine du monstre. À sa grande surprise, la goule ne se jeta pas sur lui toute dent dehors, mais semblait bel et bien sous le contrôle de Lilyanna. Nehril s’autorisa même un examen plus approfondi de son visage avant de commenter :

— Hideuse créature…

Par la suite, ils réitérèrent l’expérience sur les autres goules jusqu’à en avoir suffisamment au goût de Lilyanna. Alors qu’il déverrouillait la dernière cellule, le mercenaire s’exclama :

— Attention !

Plusieurs pirates venaient de surgir de l’escalier, sabre au clair, avec la définitive intention de mettre un terme à leur existence. Ils s’immobilisèrent lorsqu’ils remarquèrent les goules puis eurent un mouvement de recul avant de s’époumonait en se bousculant les uns les autres. L’un d’entre eux poussa sur le côté ses camarades qui hurlaient toujours d’une voix stridente.

— Fermez-là, lâcha Nehril en assénant avec force son épée sur le cou d’un homme, ce qui fit voler sa tête dans les airs. Son tronc s’affaissa mollement sur le côté.

Ne laissant pas le temps aux goules de se charger d’eux, le mercenaire faisait déjà virevolter sa lame entre ses mains. Véritable arc d’argent, cette dernière décrivit un large cercle repoussant les deux coutelas que ses adversaires pointaient sur lui. Là où le demi-drow combattait avec une fureur bestiale et redoutable, le mercenaire faisait preuve quant à lui d’un calme froid et méthodique.
Il pivota pour contourner l’arme d’un pirate borgne avant d’abattre le pommeau d’Aeris, son épée, en plein dans son visage. Son second opposant, croyant distinguer une ouverture dans son flanc, s’y engouffra en poussant un cri rauque où se mêlaient espoir et rage. Ne le regardant même pas, Nehril lui écrasa le pied avant de dévier sa lame d’un revers d’Aeris. Puis d’un même geste, il lui trancha la gorge avec suffisamment de force pour le faire tournoyer.

Le regard argenté se tourna alors vers le dernier pirate. Ce dernier préféra lâcher ses deux haches avant de grimper en trébuchant les marches qui menaient au pont. Nehril nettoya le sang qui perlait le long de son arme d’un geste sec avant de se tourner vers Lilyanna.

— Et maintenant ?

Un seul coup d'oeil suffit à Ylas pour voir que les autres marins du Katrian avaient suivi le mouvement. Ironie du sort, ils n'étaient guère que deux survivants sur les cinq braves. L'hybride cherchait un nouvel adversaire à abattre lorsqu'il aperçut le capitaine sur la dunette arrière. Ou plutôt son plongeon depuis celle-ci, son rebond glorieux jusqu'à la caravelle ennemie pour mieux faire voler une dague dans la poitrine d'un marin. Avec un sifflement d'appréciation, Ylas plongea sur le côté lorsqu'il remarqua un arbalétrier, penché sur lui depuis le mât. Le carreau frappa lourdement le bois derrière lui.

Les réflexes du demi-Drow le sauvèrent encore lorsqu'il se releva et aperçut du coin de l'oeil son adversaire. Ce dernier s'était jeté de la hune pour se balancer au bout d'une corde et essayer de le décapiter. Ylas évita la lame du sabre en jetant sur le côté et percuta lourdement l'homme. Les deux combattants roulèrent au sol, au pied du mât. Vite rétabli, l'ancien mercenaire attrapa le marin sonné et lui cogna la tête contre les étambrais. Une fois, deux fois, trois fois. Au quatrième, le crâne de celui-ci éclata et le corps de l'arbalétrier s'affaissa avec près d'un empan de pin enfoncé dans le nez.

Un nouvel adversaire se présenta du haut du mât et Ylas se retourna avec violence pour lever son coutelas, prêt à frapper. Il reconnut au dernier instant le capitaine Azellios et baissa son arme, vigilant à ce qui se passait autour. Attrapant le bras de l'homme, l'hybride se demande une demi-seconde comment l'homme avait réussi à grimper au mât aussi facilement. L'art des marins lui restait totalement opaque. Après s'être relevé, Azzellio désigna une trappe, annonçant clairement ses intentions. Ylas se contenta d'hausser les épaules.

C'est vous le capitaine, capitaine.

Les deux hommes retournèrent dans la mêlée. Ylas profita du dos tourné d'un adversaire pour le lui zébrer d'un grand coup de coutelas. Le sang de sa victime vint un peu plus tâcher sa longue chevelure blanche, déjà poisseuse des humeurs humaines. Haut d'une toise, la peau noircie par ses origines et le visage tâché de sang, Ylas devait donner soit une image terrifiante. Ou pitoyable. Arrivés à la trappe, le demi-Drow jeta un coup d'oeil en arrière et remarqua que de ses compagnons de (in)fortune, il était le seul sur le pont. Le mage se cachait certainement. Nehril et Lilyanna brillaient par leur absence.

D'un coup de pied, Ylas fit voler la trappe et se jeta sur le côté par réflexe. Aucun carreau ne franchit l'espace vide qu'il avait laissé. Soit personne ne se cachait dans les entrailles du vaisseau, soit ils étaient plus malins que la plupart des autres marins. Le demi-Drow sauta dans ce qui semblait être un corridor et fronça les sourcils. Un combat dans les boyaux de bois d'un navire serait sacrément dangereux et sale. Se tournant vers Azzellio, il l'invita à passer devant.

Je ne saurai pas où aller capitaine. J'imagine que les esclaves sont dans la soute mais les navires sont de véritables labyrinthes pour moi.

La remarque fit sourire le capitaine en question qui hocha la tête pour confirmer ce qu’il disait avant de suivre le demi et décida, tout comme ce dernier, de s’attaquer au dos tournés de ses adversaires. La rapière trouva aisément sa place à travers le fin tissu d’une tunique et la masse de muscles morceaux pour finalement arriver dans le cœur bien qu’elle n’y resta guère longtemps. Il fit un bond de côté pour éviter de se faire ouvrir le crâne et d’un geste preste de sa lame, Azzelio vint la ficher dans la gorge de son assaillant. Puis il se tourna pour chercher Ylas, lorsqu’il l’eut trouvé il se jeta vers lui alors qu’il ouvrait la trappe pour lui éviter un carreau dans les tripes mais, et heureusement, rien n’arriva. De toute façon il se rendit vite compte qu’il avait été bien trop loin pour sauver le mercenaire de toute façon mais comme on dit: c’est l’intention qui compte.

« J’les connait bien ces navires. »

En effet si le suderon commandait désormais une caravelle, il avait passé une partie non négligeable de sa vie à servir sur des cogues et rarement sur le pont. C’était, entre autres, ce pourquoi il n’avait pas hésité bien longtemps à renoncer à son ancienne vie d’honnête marin pour pleinement embrasser la piraterie lorsque l’occasion lui en fut donné. Il laissa échapper une série de jurons dans sa barbe en cherchant son poignard et en se rendant compte qu’il n’attendait pas sagement à sa ceinture puis il se rappela qu’il l’avait laissé dans la poitrine d’un ennemi.

« Aller viens, c’est par là. »

Il joignit le geste à la parole et entama leur exploration d’un pas rapide. Ils passèrent d’abord entre tonneaux et hamacs, devant parfois passer en dessous, ou au-dessus pour les plus athlétiques, de tables. Des tables qu’Azzelio se tenait prêt à renverser au moindre son d’un mécanisme d’arbalète. Cependant ils n’avaient toujours pas croisé qui que ce soit et il refusait de croire que personne, pas un seul Souffle, ne se soit pas réfugié dans la cale dans l’espoir bien futile d’échapper aux pirates. Puis il entendit pourquoi ils n’avaient croisés personne : maintenant qu’il s’était rapproché de la section de cale réservée aux esclaves et plus loin du combat sur le pont il pouvait entendre la bataille qui était en cours de la cale en elle-même. Epée à la main il se mit à courir en direction de la porte qui se trouvait à une poignée de mettre et l’enfonça d’un coup d’épaule.

Toutefois dans l’urgence de la situation il n’avait pas pensé au fait que les marins n’avaient pas pris la précaution de verrouiller ladite porte et elle s’ouvrit sans le ralentir suffisamment pour qu’il ne soit pas emporté par son élan une fois de l’autre côté. Cependant il y avait bien un ennemi pour amortir sa chute et bien vite son entrée dramatique se transforma en lutte alors qu’il roulait sur le sol avec l’esclavagiste. Le début de la grande salle était remplie de cadavres encore enchaînés au sol. Visiblement une poignée d’esclavagistes avaient décidés que s’ils allaient être abordés, ils ne pouvaient prendre le risque que leur cargaison retrouve sa liberté. Toutefois c’était sans compter sur l’envie de vivre des zurthans, un marin gisait parmi les cadavres d’esclaves, le visage violacé, on pouvait aisément voir les traces de chaînes qui avaient servis à l’asphyxier. Ce qui avait visiblement refroidis les esclavagistes qui avaient alors préférés garder leurs distances et utiliser une lance ce qui se révélait efficace étant donné que les esclaves, attachés à la cale, ne pouvait pas bouger beaucoup mais vu que les esclavagistes n’avaient qu’une lance le massacre était d’une lenteur abominable.

Quant à Lilyanna, elle mena sa petite troupe en direction des escaliers pour remonter. Elle tira un coup sur les rênes proverbiales de ses goules, les plus belliqueuses tentant d’échapper au contrôle de la nécromancienne pour rejoindre Nehril et tenter d’apaiser leurs souffrances en la transférant sur autrui.

« Maintenant on met un terme au massacre. »

Elle monta avec ses creatures et les envoya sur le navire esclavagiste. L’une d’elle, dans son empressement, glissa sur l’une des planches qui servait de passerelle de fortune et tomba dans l’olienne en battant des bras, tentant de s'accrocher à quoi que ce soit qui lui permettrait de remonter sur le navire pour se lancer, comme ses congénères, sur quelque chose de vivant pour le déchiqueter. Mais les autres n’eurent pas ce soucis et en les voyant arriver, des esclavagistes se rendirent, déposant rapidement les armes. Toutefois il restait un ilot de résistance qui comptait bien vendre sa peau le plus chèrement possible, leur formation faisait qu’ils pouvaient aisément se protéger les uns les autres mais les goules avaient un avantage : elles n’étaient pas retenus par des concepts archaïques tel que l’instinct de conservation. Alors Lilyanna les envoya foncer sur les résistants qui, accaparés par leur lutte acharnée, n’avaient pas vus les morts-vivants et ne se rendirent compte de leur nature hors norme que lorsque ces monstres étaient déjà sur eux. L’une s’effondra lorsque sa tête vola, des membres subirent également le courroux des défenseurs mais ça ne changea rien à l’affaire et contrairement aux vivants, les créatures de Lilyanna ne se replièrent pas pour des raisons aussi triviales que la perte d’un bras. L’équipage du Katrian en profita alors pour donner un coup de temps à autre, lorsqu’ils pouvaient le faire sans risquer de subir une riposte ou de s’approcher trop près des goules.

Nehril suivit docilement Lilyanna alors qu’elle remontait sur le pont. Il assista ensuite à la charge macabre de ses créatures qui se ruaient en direction du dernier groupuscule de résistance. Quelques âmes suffisamment hardies, ou bien trop imprudentes, parvinrent toutefois à se frayer un chemin jusqu’à la hauteur du semi-elfe et de la nécromenthe, mais ils furent bien vite stoppés par la lame sifflante du mercenaire aux yeux d’argents.

Le visage toujours aussi impassible, Nehril dispensait la mort sans hésitation, faisant fi des gargouillements, des râles ou des vaines protestations de ses victimes. Les corps commencèrent à s’amoncelaient autour de lui, mais bientôt le flot finit par se tarir. L’essentiel de leur force restait à se mesurer face aux goules, mais ces dernières se jetaient avec tant de férocité dans la bataille, semblant ne subir aucune douleur même sous la morsure de l’acier, que le combat des résistants semblait perdu d’avance.

Saisissant l’épaule d’un des derniers pirates ennemis qui se mouvaient encore sur le pont du Katrian, Nehril la lui brisa d’une torsion avant de lui plonger sa lame dans la poitrine. Puis balayant les environs et ne remarquant aucun nouvel adversaire, il posa la pointe d’Aeris sur le sol, comme s’il comptait la plonger dans les planches de bois du navire.

Il s’approcha ensuite de Galborix pour s’assurer qu’il n’avait aucune blessure visible. Ne distinguant rien parmi le sang et la suie qui le recouvrait, il lui tapa gentiment sur l’épaule. L’homme avait fait de jolis dégâts autour de lui. Il savait combien la magie pouvait être difficile à encaisser dans le feu de l’action. Et d’autant plus lorsque la fièvre de la bataille retombait. Néanmoins, Galborix semblait en bon état. Du moins physiquement, car il ne pouvait pas se prononcer sur son état mental.
Poursuivant son examen, Nehril ne perçut nulle trace du capitaine Azzelio et d’Ylas. Il supposa soit qu’ils jonchaient le pont ennemi sous des monceaux de cadavres, soit qu’ils étaient bien trop occupés dans les cales à libérer les prisonniers. Nehril retourna aux côtés de Lilyanna. Ces deux hommes pouvaient s’en sortir sans aide. Et puis, il n’avait pas été payé pour ça…

L'assaut mené par Azzelio et Ylas fut des simples. Ils ne rencontrèrent aucune résistance. Le demi-Drow était passablement surpris de ne pas voir de marins établir des barricades, se cacher derrière les portes ou simplement attendre au coin d'un couloir. Il était clair qu'ils étaient des pirates et cherchaient la fortune. Pourquoi ne pas se cacher dans les entrailles du cogue et y tenir un siège ? L'ancien mercenaire haussa les épaules. Tous ne pouvaient pas être aussi malins que les Sept Mercenaires de Valmar qui avaient tenu un village contre un Despote et ses mignons.

Ce fut les premiers bruits de combat, ou plutôt l'écho mou d'une lame rencontrant un corps, qui les alertèrent. Sur ses gardes, Ylas fronça les sourcils en voyant Azzelio presser le pas. Ce n'était guère prudent de la part du capitaine. Un coup en plein torse et s'en était fini du pirate péninsulaire. Le suivant de quelques empans en arrière, Ylas ralentit en apercevant la porte. C'était sans compter sur le vaillant suderon qui se jeta de tout son poids sur le lourd chêne... qui s'ouvrit pour mieux l'avaler. Surpris de voir la porte céder si facilement, l'hybride passa le chambranle doucement tandis que le capitaine faisait ami-ami avec un esclavagiste. Découvrant le massacre, Ylas poussa un rugissement.

Ah non ça ne se passera pas comme ça avec moi !

De son pas lourd, il passa près du capitaine et donna un coup de coutelas au marin qui se redressait, le décapitant net et frôlant la joue d'Azzelio. Les esclavagistes se tournèrent vers le colosse à la peau droite et aux cheveux rouges qui fonçaient sur eux. Effrayés, ils reculèrent vers les Zurthan qui n'attendaient pas moins. Deux hommes disparurent dans la foule des esclaves, bien qu'un bras déchiqueté apparaisse de temps à autre. Le marin à la lance essaya de la pointer vers l'hybride d'une poigne tremblante. Ylas l'évita d'un pas et marcha jusqu'à planter son regard dans celui de sa victime.

On.ne.massacre.PAS.des.gens.sans.défense.

Sans une pensée pour son passé fort peu honorable de mercenaire, le gentleman planta son coutelas dans la gorge de l'homme qui s'effondra dans un gargouillis affreux. Satisfait, Ylas se tourna vers Azzelio et montra du pouce les Zurthan qui les observaient avec des mines tantôt inquiètes tantôt franchement hostiles.

Vous parlez leur langue pour leur faire comprendre qu'ils sont libres ? J'aimerai éviter de finir comme nos deux amis là...

Le capitaine fut bien surpris de sentir son adversaire soudainement progressivement arrêter de lutter alors, pour faire bonne mesure, il lui donna un coup dans les couilles avant de repousser le corps sur le côté non pas sans une certaine satisfaction. Vu que le combat était mal partis, il remercia l’intervention de la DameDieu pour le sauver toutefois il se rendit vite compte, en se relevant, à bout de souffle, que la déesse n’avait rien à faire avec la mort de celui qu’il avait renversé. En réalité il s’y était attendu, on pouvait dire qu’il n’avait rien de l’un des saints, des élus de Néera, alors qu’elle ne le sauve pas n’avait rien d’inattendu. A moitié plié, ses mains appuyées sur ses genoux, le visage couvert de sang qui commençait à lentement sécher. Il releva la tête lorsque le demi drow lui demanda s’il savait parler leur langue.

« Je… je dois dire que j’y avais pas pensé. » Il lança un coup d’œil aux esclaves qui, si certains commençaient à se rendre compte qu’ils n’allaient peut-être pas mourir comme des chiens, la majorité restait tout de même hostile, sur la défensive. « Je parle déjà pas très bien l’oliyan alors le zurthan… je sais même pas de quelle tribu ils sont. »

Une fois son souffle récupéré il regarda les cadavres et se ploya un genou à côté de l’un d’eux pour le fouiller.

« Aides-moi à trouver la clé des chaînes, l’un d’eux doit bien l’avoir. Et bouges-toi l’cul avant qu’on brûle avec ce putain de rafiot ! »

Il accompagna sa phrase d’un crachat avant d’accélérer. Et Azzelio avait bien raison, il trouva un trousseau de clé à la ceinture d’un des esclavagistes, celui qui avait été étouffé pour être précis. Il tenta d’aller libérer les esclaves mais devant l’animosité dont ils faisaient preuve il leur demanda d’arrêter d’être con. Cependant ils n’eurent pas l’air de comprendre car ses mots n’eurent pas l’effet escompté alors il se contenta de leur lancer les clés et de tourner les talons en faisant signe à Ylas de le suivre.

« S’ils veulent casser les coquilles et couler avec leurs maîtres, grand bien leur fasse, moi j’me casse ! »

Si les esclaves devaient en effet couler, ce qui était bien dommage, au moins le capitaine pouvait se dire qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour les sauver et ce si ces imbéciles ne voulaient pas vivre et bien tant pis pour eux. Il courut le long de la cale, prenant le même passage qu’à l’aller et une fois sur le pont regarda tout autour de lui. Une scène apocalyptique s’offrit à ses yeux, il pouvait voir le navire en proie aux flammes et des cadavres en tous sens à travers le torrent de braises qui volaient en tous sens. Il se dépêcha d’aller récupérer son poignard mais eut du mal à trouver le cadavre dans lequel il l’avait laissé. Cependant en cherchant rapidement il trouva bien vite le pommeau doré. Il se tourna alors pour voir si Ylas l’avait suivi mais son regard s’arrêta d’abord sur la prêtresse du Katrian qui tentait de tirer sur un cadavre pour le charger à bord de la caravelle. En quelques enjambées il arriva à son niveau et l’attrapa par l’épaule.

« ‘Tain mais toi aussi arrêtes d’être conne trente secondes, le bateau est en train de couler ! »

L’intéressée dût bien reconnaitre que c’était bien le cas et qu’elle n’avait aucunement envie d’aller rejoindre la goule qui avait sombré dans les abysses alors elle hocha la tête et laissa son macchabée là où il était et se dépêcha de retourner sur le Katrian. Enfin, Azzelio poursuivit sa vérification et vit quelques uns de ses marins qui sortaient de la cabine du capitaine du navire esclavagiste les bras chargés d’objets précieux et un coffre.

« Bougez-vous l’cul vous aussi! »

Enfin ce fut au tour des esclaves de sortir, un par un et Azzelio leur fit signe de venir sur sa caravelle, en espérant qu’ils comprendraient puis il retourna prestement sur son navire et attendit la dernière seconde avant d’ordonner à ce qu’on enlève planches et autres grappins et qu’on s’éloigne. Pendant ce temps il avait retrouvé Ylas pour lui donner un coup dans l’épaule.

« Toi mon grand, t’as bien mérité ta part du butin, si jamais tu sais pas quoi faire, t’es le bienvenu à bord. »

Sans attendre de réponse de la part du demi-drow il donna l’ordre que tous se rassemblent sur le pont. Une fois l’appel fait, une fois la liste des morts et disparus faite, tout le monde put repartir à son poste. Tout le monde sauf Ylas, Galborix et Nehril. Le capitaine les regarda l’un après l’autre, s’attardant une seconde sur chacun avant de finalement ouvrir la bouche.

« Je sais pas qui a lancé des flammes et j’m’en branle. Pour le moment. La prochaine fois, le malin qui balance des flammes sur un bateau aura l’droit à une cale sèche, ça lui passera l’envie de balancer quoi que ce soit. On est pas chez ces pédales de mervalois ici, c’est clair ?! »

Nehril lança un regard mauvais au capitaine, mais resta silencieux. Non seulement l’homme lançait sans avertissement son équipage et ses hommes dans une bataille qui ne les concernait en rien, mais de surcroît il se permettait de les admonester pour leur avoir donné un coup de main. Les bras toujours résolument croisés, il écouta le sermon d’Azzelio avec calme, puis lorsqu’il eut terminé, il s’éloigna du groupe sans avoir au préalable lâché un grognement moqueur. Il tapota le bras de Galborix au passage, comme pour lui signifier de ne pas prendre au sérieux les paroles du capitaine.

Alors qu’il s’adossait à nouveau contre le bastingage, Nehril laissa couler son regard grisâtre le long du pont. Celui-ci était jonché de cadavres distordus, arborant une dernière fois l’expression incrédule de ceux n’étant pas prêts à sombrer dans l’éternel néant. Le mercenaire grogna en songeant qu’il s’agissait là de pertes inutiles. Puis, sortant son épée, il entreprit de la débarrasser des vestiges de sang poisseux qui la maculait. Rien de plus facile. Une fois sa tâche menée à bien, il se saisit de deux fines pierres acérées qu’il sortit d’une poche de son armure, et les fit glisser adroitement le long du fil de sa lame. Des petites étincelles vinrent jaillir en même temps qu’un bruit strident, partiellement étouffé sous le vacarme que provoquaient les marins. Il resta ainsi un moment, ses gestes machinaux et précis laissant sous-entendre qu’il effectuait ces tâches quotidiennement. Puis lorsqu’il fut satisfait, il posa sa paume sur le plat de la lame et la laissa courir tout le long. Il en apprécia son intimement cristallin qui résonna un long moment avant qu’il ne la rengaine d’un geste aussi sec.

De longues minutes s’étaient écoulées depuis la fin de l’abordage et le semi-elfe pensa qu’il était grand temps de demander des explications à la nécromancienne. Pourquoi le capitaine Azzelio se comportait-il comme s’il était maître de cette expédition ? Pourquoi lançait-il des assauts inconsidérés sur des navires esclavagistes rendant leur chance d’arriver à bon port plus qu’incertain ? Observant le carnage des alentours et les blessés qui geignaient sur le sol, Nehril songea que le Katrian allait devoir perdre en vitesse pendant plusieurs heures afin de s’occuper correctement des invalides, voir plusieurs jours si le cas de certains empirait.

Repérant la nécromancienne qui s’affairait non loin, le mercenaire se dirigea dans sa direction :

— Vous avez une minute ? lança-t-il lorsqu’il arriva à sa hauteur.

Ylas parlait bien Oliyan, sa langue natale, aussi tenta-t-il quelques mots lorsqu'il s'avéra, à sa grande surprise, que le capitaine en était bien incapable. Les zurthans le regardèrent d'un air éteint et l'hybride secoua la tête. L'énergie du combat commençait à le quitter et l'odeur du bois brûlé devenait tout bonnement insupportable. S'ils ne sortaient vite, ils risquaient d'étouffer dans les fumées infectes de goudron et de naphte. Les poumons irrités, Ylas cracha quelques mots de l'argot des marchands, cette espèce de langue embryonnaire parlée par la plupart des gens de la Côte Brûlée et des alentours. Servant principalement à marchander, sans grammaire ni syntaxe, il mélangea les mots et réussit grossièrement à leur expliquer qu'ils étaient gratuits. Les esclaves le regardèrent avec des yeux ronds et commencèrent à palabrer. Exaspéré, Ylas secoua la tête et soupira.

Vous êtes plus cons qu'une chèvre naine ma parole.

Ylas finit par prendre la fuite et arriva bien sur le pont. Sans le capitaine, parti avant lui, il avait craint de se perdre dans les corridors du navire. Il vit Azzellio récupérer son poignard et enguirlander la prêtresse... qui traînait un cadavre. Les sourcils froncés, l'hybride se demande ce que pouvait bien faire la demoiselle avec un tel corps. Notant les goules lorsqu'il repassa sur le pont du Katrian, Ylas sourit et rejeta sa longue chevelure poisseuse de sang en arrière avec un sourire. Il se sentait presque à la maison. Nonobstant les flots honnis sous ses pieds évidemment.

Rappelé à l'ordre par le capitaine, il fut surpris par la proposition de l'homme. Azzellio semblait être un bon capitaine et un meneur d'homme. Malheureusement, Ylas était lié par un contrat avec dame Ophelia et il n'était pas de ces hommes qui ont cent paroles. Si un jour, il était libéré par sa maîtresse, l'hybride frapperait aussitôt à la porte du Katrian. Une fois le sermon passé, pour lequel il ne sentit pas concerné, Ylas se retrouva bientôt avec rien à faire. Pour ce qu'il en savait, cela lui allait fort bien. Avec son visage et ses cheveux rouge sang et son armure ébréchée, il n'en menait pas large. De plus, il avait perdu sa hachette, toujours dans le crâne d'un marin, et son coutelas demandait à être aiguisé. Aussi quand Galborix l'approcha, il lui jeta un regard las. Mais l'homme parlait bien et se comportait en gentleman avec lui, chose qu'il appréciait.

Ah Galborix. Ce serait avec plaisir que de vous entraîner. Peut être pas aujourd'hui, mes muscles sont perclus du combat mais le reste du voyage sera bien suffisant pour vous apprendre au moins à parer et donner quelques coups. N'ayez crainte la plupart des adversaires ne sont pas plus doués que vous. L'hybride se pencha en avant et lui sourit. Entre nous, les flammes étaient superbes. J'espère qu'elles sauront nous sauver la vie à Nisétis.

Lilyanna avait fait son office, en tant que presque prêtresse de Tari elle s’était occupé des membres de l’équipage du Katrian morts au combat dont les cadavres avaient pu être récupérés, c’est-à-dire pas beaucoup. Quelques marins l’avaient aidé à préparer les corps. Ils furent ensuite posés sur une planche puis portés jusqu’au bastingage et la planche en question fut inclinée et les corps glissèrent doucement pour rejoindre le royaume de la Gardienne. Ensuite la nécromancienne se dépêcha de descendre dans la cale pour récupérer les cadavres des esclavagistes massacrés par Nehril.

Au sommet de l’escalier elle monta le dernier en le tirant par les aisselles pour le lancer sur une pile de cadavres avant de s’éponger le front avec son bras. Ce qui était bien inutile en réalité, étant une hybride, il lui en fallait bien plus pour transpirer mais à force de vivre sur un navire entouré d’humains c’était un geste qu’elle avait intégré sans même s’en rendre compte. Les poings sur les hanches, fière de son exploit, la nécromancienne comptait prendre quelques secondes pour reprendre son souffle mais elle se retourna en reconnaissant la voix du mercenaire.

« Oui, d’ailleurs vous tombez bien j’ai un truc pour vous. Mais avant ça vous voulez bien m’aider à ramener les corps dans ma cabine… et m’aider à les préparer si ça ne vous dérange pas ? »


Le mercenaire se renfrogna en étudiant les nombreux cadavres qui gisaient non loin. Cela allait demander un certain moment avant de tous les transporter dans sa cabine.

— Je peux vous aider à en bouger quelques-uns si vous insistez, lâcha-t-il sur un ton qui dénotait de sa contrariété évidente.

« Je ne veux pas vous forcer, si vous ne voulez pas je me débrouillerais bien seule. »

Il jeta le corps d’un marin sur son épaule et en agrippa un autre qu’il cala sous son bras. Surveillant que Lilyanna le suivait pendant qu’il entrait dans la cabine, ce qu'elle fit en tirant à nouveau un corps par les aisselles, Nehril poursuivit :

— Au vu des dernières circonstances, j’ai la désagréable impression que vous n’êtes pas la véritable maîtresse de cette expédition Lilyanna. J’observe qu’Azzelio n’en fait qu’à sa tête et que malgré vos remontrances, il semble s'obstiner à faire fi de vos remarques et de l’objet de notre voyage.

Il s’immobilisa devant la porte et pivota vers elle, plongeant un regard dur dans celui de la nécromancienne.

— Dites moi Lilyanna, reprit-il d'une voix glacée. Me serais-je mépris sur l’identité de mon véritable employeur ?

Ne pouvant le voir vu qu’elle lui tournait le dos, la nécromancienne lui rentra dedans, pas bien fort étant donné qu’elle n’allait pas vite. La surprise du choc lui fit lâcher le corps et elle se retourna, elle était certaine d’avoir pourtant laissé la porte ouverte mais elle se rendit bien vite compte que c’était bien Nehril qu’elle avait percuté.

« Toutes mes excuses… et pour répondre à votre question, non vous ne vous êtes pas trompés. Par contre il reste mon employeur, je suis prêtresse sur le Katrian, pas capitaine. De plus… » elle regarda autour d’elle avant de fermer la porte. « C’est Azzelio qui finance l’expédition. C’est sûrement pour ça qu’il est à cran, c’est la première fois qu’il m’accompagne dans une de mes aventures. »

Le semi-elfe hocha la tête, visiblement satisfait d'avoir mit les choses au clair.

Lilyanna se pencha légèrement sur le côté pour vérifier que la table était vide, incapable qu’elle était de regarder par-dessus l’épaule de Nehril, ce dernier étant plus grand d’une bonne tête de plus qu’elle.

« Je vais ranger ma table, en attendant je vous laisse poser le cadavre où bon vous semble et aller chercher votre part du butin. » D’un geste du menton elle montra trois tas d’objets précieux contre le mur devant une étagère, tous séparés de deux bons mètres. « Prenez celui que vous préférez, normalement ils ont tous la même valeur, quinze souverains. »

— Hmm, lâcha simplement Nehril en déposant délicatement le corps au sol.

Constatant que du sang recouvrait son armure en cuir, il jura silencieusement avant de se diriger vers les piles que lui avait désignées la nécromancienne. Il y avait là différents objets du quotidien qu’ils avaient visiblement collecté sur les cadavres des esclavagistes. Des rapières arrachées à des mains qui les tenaient encore fébrilement quelques instants auparavant, quelques bijoux scintillants, simples, dont la surface dorée était écaillée par les multiples voyages en mer. Il y avait également des sacs à demi remplis de pièces jaunâtres.

Après un instant d’hésitation, le mercenaire se saisit des pièces qu’il rangea aussitôt dans sa propre bourse. Pendant ce temps Lilyanna se dirigea vers la table et rangea son volume nissétien et les quelques documents qui traînaient encore dessus avant d’aller chercher un cadavre pour le mettre sur la grande table.

— Alors de qui dois-je prendre mes ordres ? De vous ? Ou d’Azzelio ?

« De moi. »

Elle alla ensuite chercher une dague qu’elle posa à côté du torse de l’inconnu puis elle se tourna vers le mercenaire.

— Qui dois-je protéger pour être sûr de toucher ma paye à la fin de ce voyage ?

« C’est moi qui ait votre salaire et si je meurs vous aurez échoué et donc vous ne serez plus éligible pour ledit salaire. De plus Azzelio ne compte pas débarquer du Katrian pour se joindre à nous lors du voyage dans les terres stériles. Il aime bien trop son navire pour ça. »

— Étonnant, commenta le semi-elfe avec une grimace tout en s’adossant au mur de la cabine. Y-a-t-il une chance pour que cet abordage de navire esclavagiste soit le dernier ? Ou Azzelio compte-t-il libérer à lui tout seul toutes les pauvres hères piégées à bord des bâtiments pirates qui sillonnent actuellement l’océan ?

La question fit sourire Lilyanna qui s’empara à nouveau de la dague posée à côté du cadavre.

« A mon avis ça sera le dernier. » Elle joua avec le manche, le faisant  tourner entre ses doigts. « S’il y a un motif religieux, il reste pentien comme beaucoup de membres de l’équipage, je soupçonne que sa motivation principale reste politique. Azzelio ambitionne de prendre une place au conseil de Mecca et pour ça il lui faut le soutien de suffisamment de capitaines or celui qui nous a rendu une visite est plutôt influent. »

Nehril ricana. Il y avait toujours une raison politique derrière des actes apparemment vertueux. L’être humain était une créature de vices et d’intérêts. Le capitaine Azzelio n’échappait pas à cette règle, comme l’avait deviné le semi-elfe quelques instants avant le début de l’affrontement. À présent, il espérait seulement que les désirs futurs du capitaine ne viennent pas un jour en confrontation avec les siens.

Enfin Lilyanna se retourna vers le cadavre qu’elle avait hissé sur la table pour planter le poignard dans le flanc de sa pauvre victime déjà morte avant de retirer ses gants pour les poser sur un coin de la table. La nécromancienne récupéra ensuite un seau qu’elle plaça entre ses jambes.

Portant ensuite son attention sur les corps autour desquels s’affairait la nécromancienne, le mercenaire s'enquit à nouveau :

— Qu’avez-vous l’intention de faire d’eux ?

« Je l’embaume pour pouvoir le conserver plus qu’une poignée de jours. Vous voulez m’aider ? »

Elle tourna à moitié la tête dans sa direction, un sourire aux lèvres, se doutant déjà de sa réponse alors qu’elle plongeait une main nue à l’intérieur du cadavre. Sa langue sortait légèrement d’entre ses lèvres alors qu’elle se concentrait puis elle tira sur les viscères tandis que de l’autre main elle élargissait l’incision.

— Je crois que j’apprécierais mieux le spectacle à cette distance, rétorqua le mercenaire avec l’ombre d’un sourire. Il désigna les cadavres d'un geste de tête. Une bien sombre magie que vous maîtrisez là. Où avez-vous appris la nécromancie ?

« Vous n’allez peut-être pas me croire mais... » elle s’arrêta en plein milieu de sa phrase pour tirer un coup sec et sortir les viscères pour les faire tomber dans le seau placé au préalable. « Vous pouvez me passer le crochet sur l’étagère à votre gauche ? Et les flacons à côté tant que vous y êtes ? J’en étais où ?... ah oui, ça va sûrement vous surprendre mais j’ai appris la nécromancie au temple de Tari. Du moins les bases théoriques. Et vous, comment vous êtes devenu un mercenaire? »

Le semi-elfe lui tendit ses instruments avant de répondre.

— On m’a flanqué une épée rouillée entre les mains et on m’a dit « tu te bats ou tu crèves ». Il haussa les épaules avec indifférence. Je me suis battu et d’autres sont morts. De là a découlé mon choix de carrière, j’imagine.

« Je dois dire que vous avez ma curiosité, l’histoire a l’air passionnante. » Elle se retourna finalement pour le prévenir. « J’imagine que voir des organes ne vous dérange pas trop au vu de votre profession mais je préfère vous prévenir : si vous voulez vomir essayez d’abord de sortir. »

Il balaya d'un revers de main son avertissement. Avec une curiosité macabre, et ce malgré le dégoût que cela lui inspirait, il continua d’observer Lilyanna dans sa préparation des corps. Pour ce faire elle déplaça le seau pour le placer sous la tête du cadavre puis elle enfonça le crochet dans le nez de sa victime et commença à récupérer des bouts de cerveau qui finirent avec les viscères.

— Que pensez-vous des gens qui nous accompagnent ? Ce capitaine Azzelio, cet Ylas et ce mage du feu… Est-il bien sage de voyager aux côtés de ceux qui ne sont ici que par appât du gain ?

La question lui arracha un gloussement cristallin et elle arrêta son oeuvre pour se tourner vers lui, un crochet couvert de matière cérébrale à la main.

« N’est-ce pas aussi votre cas ? N’êtes-vous pas là pour les souverains qui von sont promis ? J’ai du mal à croire que vous m’accompagnez pour l’intérêt scientifique de l’expédition. »

— Diantre, le devinez-vous de par l’absence de mon chapeau pointu ? répondit l’autre en découvrant ses dents.

« Non mais je dois dire qu’un chapeau pointu vous irait à ravir ! »

Nehril gloussa avant de poursuivre.

— Oui, effectivement, vous avez raison. Même si à mes yeux, l’argent officie davantage comme une barrière différenciant l’esclave de l’homme libre que comme un véritable moteur.

Elle se retourna pour continuer à récupérer des bouts de cerveau mais bien vite elle se rendit compte qu’elle n’arriverait pas à en récupérer davantage alors elle prit les fioles que Nehril lui avait passé. Elle les ouvrit et fit couler les liquides dans les narines et en attendant que la concoction agisse elle reprit son poignard et déplaça à nouveau le seau.

« Celui qui m’inquiète le plus reste Galborix. Ce n’est pas de l’or qu’il veut mais du pouvoir. Du pouvoir magique. J’ai peur que s’il arrive à en trouver suffisamment pour qu’il croit ne plus avoir besoin de nous, on soit dans la… qu’on ait des problèmes. »

Nehril opina, même s’il avait certaines réserves. Galborix avait soif de pouvoir magique, il était vrai. Mais derrière ce feu ardent, cette étincelle de folie qui semblait brûler perpétuellement au fond des prunelles du magicien, Nehril n’y discernait nulle malice. Lilyanna reprit son incision du flanc pour remonter jusqu’au thorax et elle remonta ses manches avant d’entreprendre de récupérer le cœur et les poumons.

« Pour Azzelio, c’est un péninsulaire, un noble je crois, il a un certain sens de l’honneur... je sais ça fait bizarre de dire ça d’un pirate. Et Ylas… c’est bien le soucis. Je ne sais pas ce qu’il veut. »

Avec du sang jusqu’aux coudes et les avant-bras à l’intérieur du cadavre, elle se pencha sur le côté pour cracher dans le seau.

« Bien que ce ne soit pas la bonne question. Je ne sais pas ce que veut sa patronne. Vous avez peut-être une idée ? »

Le semi-elfe haussa les sourcils.

— Une idée ? répéta-t-il avec un air surpris. Comment le saurais-je ? Je ne connais pas cette femme.

« J’en sais rien… » elle haussa les épaules et se faisant se piqua le bras sur une côte brisée, un glapissement de surprise plus que de douleur lui échappa. « Vous êtes quelqu’un qui a l’air de connaître du monde, de voyager alors je me suis dit que peut-être vous sauriez. Tant pis, je lui demanderais plus tard. En parlant de plus tard, est-ce que, par le plus grand des hasards, vous savez vous occuper d’animaux de trait ? »

— Tout dépend de l’animal que vous avez en tête…

« Ça va dépendre de ce qu’on trouvera à Esion. » La nécromancienne sortit finalement les bras du cadavre et lâcha une brassée d’organes dans le seau. « Très probablement des mules ou des bovins. A moins que l’un de vous se sente de pousser le chariot il va nous falloir des bêtes de somme pour le faire. Le chariot en question est déjà sur le navire mais, comme vous avez sans doute pu le remarquer, pas l’animal, ou les animaux, qui vont le tirer et je me demande si un membre de notre groupe hétéroclite saura s’occuper d’eux. »

Puis son visage s’éclaira comme si elle venait de réaliser quelque chose. Un sourire malicieux étira ensuite ses traits.

« Au pire s’ils meurent je pourrais les relever donc j’imagine que ce n’est pas si grave. En parlant de mort, je présume que ce ne fut pas votre destin lorsqu’on vous a donné une épée rouillée entre les mains, qu’est-ce qui vous a évité des retrouvailles prématurées avec l’Unique ? »

— J’aimerais vous dire, commença le mercenaire d’une voix anormalement rauque, que tremblotant de froid et de peur je me suis découvert là pourvu d’un don inné pour les armes et que j’ai survécu à cet affrontement par la seule force de ma volonté.

Il eut un rire jaune et leva un doigt, comme pour souligner l'évidence de sa déclaration.

— La chance. Celle d’en avoir davantage que son opposant. C’est la seule chose qui sauve un enfant inexpérimenté d’une telle rencontre.

« A la chance alors ! » Pa réflexe elle leva un bras avant de se rappeler qu’elle était encore en train fouiller dans un cadavre. « Bon j’ai rien à boire mais j’imagine que c’est de circonstance si je lève mon seau. Mais je vous conseille de raconter la première version, ça peut vous permettre un certain succès auprès des dames… ou des hommes. Mais comment est-ce que vous vous êtes retrouvés dans une telle situation ? Durant votre enfance qui plus est. »

Elle posa sa dague sur la table pour se retourner vers lui.

Nehril resta silencieux un long moment, tant et si bien que ce dernier devint vite inconfortable. Son sourire s'était figé à mesure qu'il la dévisageait. Que cherchait la nécromancienne en le questionnant ainsi sur son passé ?  Elle haussa un sourcil blond et blanc devant son silence mais n’insista pas. Finalement il préféra éluder sa question pour l’interroger à son tour :

— Et vous Lilyanna… Pourquoi vouloir venir à Nisétis ? Et épargnez-moi l’excuse des recherches scientifiques. Quelles sont vos vraies raisons ?

Son sourire joueur déjà érodé par le silence de Nehril disparut complètement avant d’être lentement remplacé par un sourire triste alors qu’elle retirait ses bras du corps.

« Pourtant c’est bien pour des raisons scientifiques que j’y vais ou plutôt théologiques. Vous avez peut-être deviné ma nature d’hybride ; des cheveux à moitiés blancs et à moitié blonds, des yeux rouges mais une peau pâle… saviez-vous que les drows sont des elfes ? Des elfes qui sont partis de l’Anaëh. Parmis ces elfes, ces exilés comme on les appels, certains se sont installés au Puy, d’autres sont restés en Ithri’Vaan et ont fondés Nisétis. »

Nehril hocha la tête. C’était à peu près tout ce qu’il savait. Il n’était hélas pas très féru d’histoire. La nécromancienne s’éloigna de la table pour aller chercher de quoi se laver les bras et s’essuyer tout en poursuivant.

« Je n’ai jamais connu mes parents, mes vrais parents du moins, mais durant mes recherches à leurs sujets je suis tombé sur une secte nissétienne. Une secte que j’ai rejoint et dans laquelle j’ai découvert l’Unique mais je n’y croyais pas vraiment. Pourquoi serait-Il unique ? C’est ce que je me suis demandé jusqu’à voir Ses messager voler au-dessus de l’Ithri’Vaan. »

Elle fit une brève pause lorsqu’elle plongea ses bras dans un bac d’eau qui se troubla très vite.

« Vous avez vu le dragon rouge s’attaquer au dragon d’or, d’argent et de bronze, Nehril ? Moi oui. J’ai même récupéré une écaille du dragon de bronze, que j’ai toujours d’ailleurs. Mais bref… je me suis rendu compte que l’Unique l’est, unique, parce qu’Il est la seule divinité à exister. Les diverses divinités que l’on peut trouver dans les panthéons à travers tout Miradelphia ne sont que des facettes de l’Unique, c'est pour ça que vous ne m'entendez pas prêcher Sa parole, parce que tous prient déjà l'Unique, sous une forme ou une autre. Cela dit je me demande pourquoi il a fait réapparaître les dragons après tant de siècles… ça fait un peu plus de deux cycles que Katrian le Rouge est mort. Deux cycles, Nehril.  »

Elle se sécha les bras avant de finalement se retourner vers le mercenaire.

« Je vais à Nisétis parce que je veux comprendre pourquoi l’Unique a renvoyé Ses messagers maintenant. »

Le visage méfiant du mercenaire se détendit.

— Hmm. Et vous pensez pouvoir trouver des réponses à Nisétis ? Comment savez-vous que la cité renferme les réponses à vos questions ?

« Parce que c’est là-bas que pour la première fois Ses messagers et Ses créations ont coopérés et parce qu’il y a un de Ses messagers à Nisétis ; peut-être pas le plus amicale, je vous l’accorde mais j’ai essayé d’aller sur l’Île du Sanctuaire pour retrouver les dragons métalliques, et rendre son écaille au bronze, mais Celimë m’a refusé l’accès et lorqsue j’ai remonté l’Oliya, les nains m’ont aussi rejeté à Lante. Je pourrais tenter d’aller sur Nelen pour parler au dragon blanc, peut-être le moins agressif de tous, mais le dragon bleu coulera mon navire avant même que je ne puisse poser le pied sur l’île. Quant au dragon vert… il faudrait déjà que je puisse le localiser et je crains que si les wandrais ne me tuent pas avant les wandres, le dragon vert s’en chargera. Il n’aime pas du tout être dérangé. Aussi fou que cela puisse paraître: Nisétis est mon option la plus sûre. »

— Vous… vous espérez une rencontre avec l’un de ces dragons ? fit le semi-elfe avec un air interloqué.

« Oui, peut-être pas avec le rouge ou le vert, mais qui de mieux placer qu’eux pour savoir pourquoi ils sont revenus ? »

Le mercenaire aux cheveux clairsemés d’argent resta silencieux. Puis finalement un sourire vint poindre sur ses lèvres :

— Je savais que j’aurais dû renégocié ce salaire à la hausse, lâcha-t-il sur un ton pince-sans-rire. Cette fois elle éclata de rire.

« J’ai peur qu’il soit un peu tard pour ça mais si ça peut vous rassurer je ne compte pas aller voir le grand dragon rouge. Cela dit si les drows restent en Ithri’Vaan et que Celimë garde ses portes closes je remonterais peut-être une nouvelle expédition où vous aurez tout loisir de renégocier votre salaire à la hausse. »

— Si nous survivons à ce voyage-ci, rétorqua l’autre en souriant, j’attends votre invitation avec impatience. En tout cas, j’aime à savoir où je mets les pieds. Je vous remercie pour votre franchise.

Elle hocha, la tête, c'était quelque chose qu'elle comprenait bien. S’éloignant du mur sur lequel il était adossé, le mercenaire fit craquer son cou.

— Bien. Je pense que je vais à présent prendre congé. Un peu de repos ne serait pas de refus. Tant que nous le pouvons encore. Je vous souhaite une bonne… hum… Il jeta un coup d’œil au véritable massacre sanguinolent qu’il avait sous les yeux et hésita sur le bon terme à employer… continuation ?

« Merci, et bon repos à vous. »

La saluant d’un geste de tête, il se dirigea vers la porte de la cabine avant de s’immobiliser. Il se sentait mal d’avoir douté de Lilyanna et d’avoir balayé sa question alors qu’elle lui livrait ainsi son passé. Il parla donc dans un souffle, comme s’il craignait que s’attarder sur sa propre enfance ravive d’anciens souvenirs douloureux.

— Concernant votre précédente question…, commença-t-il en articulant soigneusement chaque mot. Quand un enfant ne trouve nulle place parmi les siens, il se cherche un nouveau foyer. Quoi de mieux pour un jeune être meurtri de trouver refuge là où l’on apprend à faire fi de la douleur ? À l’ignorer afin de la retourner contre ceux qui vous l’infligent ?

Lilyanna ne comprenait pas ce qu’il voulait dire par là, elle n’avait pas les détails qui permettait d’en extraire le sens mais elle hocha tout de même la tête, plus pour le remercier de tout de même répondre.

« Attendez un instant, est-ce que vous pourrez dire à Galborix et Ylas que leurs part les attendent dans ma cabine ? »

Le mercenaire hocha la tête avec raideur et poussa la porte pour quitter les lieux.