[Fernel] - La folle chevauchée (Louise)

Le bruit du galop, étouffé par la neige, parvient à Louise. La jeune femme ralentit le trot de Lasgalen pour le mettre au pas et observe Dante, du coin de l’œil. La matinée est radieuse. A l’opposé de son teint, terne et triste. Un teint qui se couvre d’inquiétude à présent alors qu’elle écoute son frère se plaindre. Elle s’approche de Melkor et tire sur les rênes pour l’arrêter.

- Fernel est encore loin. Et t’as pris froid.

Elle ne fait preuve d’aucune douceur en se penchant et passant sa main sur le front de son frère. Louise fronce les sourcils en soupirant. Elle lève la tête. Le soleil est déjà haut dans le ciel et brille avec force. Ils en ont encore pour deux à trois heures de cheval, à petite allure. Il ne pourra jamais tenir un galop longtemps dans son état.

- T’es pas un homme du Nord, ça devait bien finir par arriver. Bouge pas.

Elle rabat sa capuche et défait le lien, sans dire un mot, ôtant le lourd vêtement doublé de fourrure et en drape les épaules de son frère. L’air froid rosit ses joues mais…elle a l’avantage d’avoir toujours vécu ici, donc le froid ne lui fait pas peur, d’autant plus que le soleil réchauffe ses épaules. Elle prendra un bain chaud en rentrant et tout ira bien.

- Garde la capuche sur ta tête. Prends appui sur l’encolure de Melkor pour te reposer et laisse moi mener ton cheval.

Elle tend la main pour qu’il lui donne les rênes, tout en regardant Melkor, s’exprimant en cette langue étrange aux sonorités chantantes pour lui parler.

- Ton cavalier est malade. Sois doux et suis moi, pour qu’on puisse le soigner à la maison. Tu veux bien Melkor ?

De la manipulation ? Non. C’est ce que font les gens quand ils se soucient des autres. Et Louise n’est pas une femme égoïste. Elle sait parfaitement que Dante n’est pas un homme de la région et que le froid l’indispose certainement bien plus qu’il ne l’incommode, elle. Donc c’est tout naturellement qu’elle offre sa cape à son frère, insistant d’un regard lourd.

- Ce n’était pas une question ou une faveur ou quoi que ce soit d’autre. C’est du bon sens. T’as pas l’habitude. Moi, si. Alors tais toi et fais ce que je te dis, pour une fois.

Elle dépose elle-même la lourde cape bien chaude sur ses épaules et prend les rênes de Melkor, avant de reprendre la route, d’un petit sifflement. Lasgalen reste au pas, Melkor suit tout en renâclant, visiblement mécontent d’être maintenu par Louise mais pourtant étrangement prévenant pour son cavalier, détail qui n’échappe pas à la jeune femme et qui la fait sourire discrètement.

La promenade s’effectue en silence. Elle est toute concentrée sur le pas de Lasgalen, pour éviter de songer à toutes ces douleurs qui la traversent, sans parler de cette gueule de bois absolument phénoménale qui est en train de perforer son cerveau. Il se passe de longues, très longues minutes, des heures avant qu’au loin ne se dessine la silhouette mouvante d’un groupe de cinq cavaliers qui galopent à toute vitesse vers eux. Louise murmure à Dante :

- Je te l’avais dit.

Les gardes voient, horrifiés, leur Dame sans sa cape et l’un d’eux la couvre sans même dire un mot. Les autres regardent Dante, après s’être inclinés, visiblement très inquiets.

- Dame ! Le château est en émoi absolu ! Nous avons craint pour votre vie !
- Je vais très bien. Monsieur Claude, par contre, tolère mal les températures de mes contrées.

Elle se tourne vers Melkor et demande, les sourcils froncés :

- Que l’un d’entre vous parte devant, prévienne le château que nous revenons. Monsieur Claude est mal en point, faites en sorte qu’il reçoive des soins et de l’attention, en arrivant. Faites préparer la salle d’eau, un bain chaud, un repas et qu’on lui apporte tout cela dans sa chambre.

Le plus jeune des cinq s’incline et s’en va, déjà au galop. Les autres se placent de part et d’autre de Lasgalen et Melkor, comme un bouclier.

- Ma Dame…Il y a eu une meute de loups dans les campagnes, on l’a entendue toute la nuit. Ne devrions-nous pas en aviser les chasseurs du village ?

Louise esquisse un sourire, regardant droit devant, et dit :

- Désormais, celui qui tue un loup sur mes terres devra m’en répondre personnellement.

Elle serra la mince cape sur elle, faisant fi des regards interloqués que se lancent les gardes et avance. Le château est en vue, elle se sent soulagée jusqu’à ce qu’elle entende un grand « sprotch » amorti par la neige. Louise a eu le temps de voir un pan de la cape disparaître derrière la robe de feu et d’obsidienne. Elle ne réfléchit pas une seconde et saute de cheval, malgré la douleur et se précipite vers lui. Deux gardes font de même.

La main tiède de la châtelaine vient se poser sur son front. Elle est visiblement très inquiète. Il est brûlant.

- Il a de la fièvre…Hissez le sur Melkor.

Regards des gardes.

- Faites ce que je vous dis. Tout de suite.

Deux hommes forts soulèvent alors Monsieur Claude pour l’installer sur son cheval. Louise, d’un saut douloureusement exécuté, s’installe derrière lui, maintenant le grand corps vautré sur l’encolure à l’aide de ses jambes et de ses bras agrippés aux rênes. Lasgalen hennit de désapprobation. Pas Melkor. Louise parle à nouveau en cette langue étrange, lui intimant le calme et la sérénité, pour le bien de son maître. Le château n’est pas loin, cela ne durera pas longtemps. De cette manière, Dante ne pourra pas tomber.

- A notre retour, vous mènerez les chevaux et leur donnerez tous les soins nécessaires. Ils n’ont rien mangé de bien nourrissant depuis hier matin.

Elle demande gentiment à Melkor de se mettre en route. Peu importe ce que penseront les gens et peu importe ce qu’en pensera son père. Il est malade, il a de la fièvre, il n’est plus en état de se maintenir en selle. Elle fait donc ce qu’elle ferait pour n’importe qui serait mal en point : elle apporte son aide et son soutien.