[Onirique] Sous l'oeil vigilant d'Eris

Kassandra et son incessante rébellion sous-jacente. Jamais soumise, jamais rebelle, toujours voguant entre les deux, à la recherche de l’équilibre parfait. La rouquine était une femme exigeante, aussi bien avec le monde qui devait se plier à ses désirs qu’avec elle-même. Son corps, source de plaisir et de jouissance, était continuellement mis à rude épreuve, en témoignant les quantités affolantes de produits nocifs qu’elle pouvait ingurgiter sans la moindre prudence. Depuis qu’elle était sur l’Onirique, elle avait pris ses marques, et s’était faite sa propre place au sein d’un monde machiste au possible. Elle tutoyait le danger parce qu’elle ne voulait rien de plus que vivre, et il n’y avait jamais de moments durant lesquels on se sentait plus en vie que quand on frôlait avec la mort.

« Un jour peut-être, si tu tiens assez longtemps pour ça. »

Il en avait, des choses, à montrer, mais il ne se livrait pas à la première venue - même si la mousse n’était plus vraiment la première venue - et n’accordait jamais réellement sa confiance. Profondément égoïste, il estimait que son prochain devait l’être aussi, au moins un jour, et qu’il valait mieux être préparé à cette éventualité. C’était toujours plus agréable que de sentir la froide morsure de la trahison.

« Qui je suis ? Mais ton capitaine, mon amie ! »

Léger clin d’œil… mais néanmoins véritable rappel. Il était toujours bon de remémorer certains faits importants aux êtres qui prenaient le plus leur aise. Kassandra jouissait d’un nombre impressionnant de « petits privilèges » dont elle n’avait sans doute pas conscience elle-même, et il ne souhaitait pas qu’elle en oublie leurs places respectives. Il aimait trop jouer au capitaine pirate pour se voir coiffer au poteau par une femelle qu’il aurait trop gâté, au risque de se perdre lui-même. Changeant alors de sujet, ne voulant pas voir s’enliser la conversation dans un houleux débat sur la place de chacun en ce monde, il lui annonça alors les soucis qu’il rencontrait avec Thaar, en grande partie - sinon la totalité - à cause de la façon dont elle s’était joué de lui.

La réaction de Kassandra, quand il annonça que le coq voulait s’en prendre à lui, le surprit légèrement. Allons bon, lui qui pensait l’inviter aux réjouissances, voilà qu’elle cherchait à régler l’histoire elle-même… ce qui était fort louable, mais aussi incroyablement vexant pour le demi-elfe imbu de lui-même. Lui lançant un regard dédaigneux, il haussa les épaules avant de reporter son regard sur le coffre à alcool toujours fermé. L’envie de boire un bon coup lui monta subitement à la gorge, mais il la réprima.

« Thaar est un divertissement bienvenu. »

Un retour aux origines après avoir été si longtemps coupé de la véritable piraterie, celle qui se marchait sur les pieds en permanence.

« Un divertissement qu’il m’aurait fait extrêmement plaisir de partager… après tout, tu étais la première concernée. »

Il entra en mouvement, se laissant retomber au sol sans pour autant arrêter de se servir de la table comme soutien. Ses yeux tutoyèrent un instant ceux de Kassandra, avant de pencher la tête et de mimer un air interrogateur.

« Mais il semblerait que tu souhaites voguer en solitaire sur cette excitante aventure qu’est la tentative de meurtre de Thaar sur ma pauvre personne. Ca m’étonne de toi. »

Ajilah soupira, secouant la tête, amusé malgré lui. Kassandra ne pouvait-elle pas raisonner autrement qu’avec un verre d’alcool dans la main ? A mesure qu’il apprenait à connaitre le personnage, le sang-mêlé saisissait toutes les notes subtiles qui composaient sa symphonie. Discordance bienvenue, ses différentes addictions le laissaient pensif, impressionné et respectueux. Sa jeune mousse vivait ses passions débridées jusqu’au bout, et tant pis pour les conséquences désastreuses sur son organisme.

« Non, Kassandra, je n’ai pas soif. »

Et tant pis si cela mettait un frein à la bonne humeur qui s’installait. Il avait joué une fois, avait perdu et était assez intelligent pour ne pas retenter l’impossible. Surtout que jouer deux fois au même jeu manquait de charme. Mieux valait toujours innover, changer les règles à mesure qu’elles naissaient, sans jamais prendre de pause. Au risque de s’approcher un peu trop près du soleil et de sentir les ailes de cire de la complicité fondre sous le soleil arrogant de l’arrogance. Car les deux personnages étaient arrogants, par bien des côtés, et si Ajilah n’avait pas fait marche arrière à la dernière minute dans un élan de bonté, il y avait fort à parier que les deux énergumènes auraient fait navires à part. Ce qui, soit dit en passant, aurait été fort dommage.

« Hum… Peut-être bien. Thaar peut-il être considéré comme faisant parti de la poiscaille ? »

Car oui, Kassandra était protégée par l’intérêt que lui portait son capitaine. Qu’elle devienne du jour au lendemain inintéressante, et alors elle n’aurait rien de mieux à faire que de quitter l’Onirique au plus vite… afin de fuir la horde de matelots qu’elle avait pu frustrés au court de son long séjour. Des viols, Ajilah en avait déjà vu, et savoir qu’il s’en produisait un dans ses cales ne lui faisait ni chaud ni froid, tant que la victime ne faisait pas parti de sa liste privilégiée.

« Le chef aime faire participer ses subordonnés, quand les missions sont assez plaisantes pour le permettre. » Sourire moqueur, teinté d’amusement. « Loué soit-il, lui et sa générosité. »

Elle était proche… belle et désirable, comme au premier jour. Le faisait-elle exprès ? Surement. Et force était de constater que son petit jeu fonctionnait, au moins en partie. Oui, le demi-elfe la trouvait belle, oui il n’aurait pas été contre passé une nuit torride avec elle… mais il n’était pas encore subjugué au point d’en perdre la raison. Il préférait de loin la voir céder elle, quitte à passer sa frustration sur une jolie serveuse… ce n’était pas comme si elle manquait, et il était l’Amiral, après tout. Le souci était qu’il ne faisait pas grand-chose pour la faire céder, ce qui faisait se prolonger le petit jeu de séduction entre les deux… hum, tourtereaux n’était peut être pas le terme adéquat. Admirant le corps qu’elle offrait à ses yeux dans son petit jeu - conscient ou non - de tentation, il n’en gardait pas moins la tête assez froide pour suivre la conversation.

« Si tel était le cas, je pense que je le saurais. Thaar ne sait pas sur qui compter. » ou comment entretenir le mythe que rien n’arrivait sur l’Onirique sans que son capitaine ne soit au courant.

Se relevant, il s’éloigna un peu de la jeune femme, partant s’assoir sur son fameux coffre à alcool… un brin provocateur. Lui savait l’ouvrir sans le moindre effort, alors que Kassandra… Eh bien disons que ses tentatives n’avaient pas été très concluantes.

« Eris en soit témoin, ce caniche d’eau douce mourra demain soir. Après… Peut-être y a-t-il moyen de s’amuser un peu. N’as-tu pas envie de t’amuser ? »

Qu’elle approche, la jolie rouquine, et il lui montrait à quel point le mythe était loin de s’être effrité. Il suffisait qu’elle cède, tout simplement. Sauf que voilà, céder à quoi ? La vie d’un Amiral était pleine de contre temps, et voilà bientôt un an qu’ils coincé à Meca. En cela, le Conseil des Leaders avait finement joué, car en effet, l’Onirique n’avait pris que deux ou trois fois la mer depuis le retour du pirate. Mais le demi-elfe estimait leur avoir rendu la juste monnaie de leur pièce, sous la forme d’une mort pure et simple de la « Marine Marchande ». Meca était devenue l’ennemi du Roi, ainsi qu’il en aurait toujours du aller, et c’était tant mieux. Mais désormais, il avait fait le tour des possibilités que lui offrait ce jouet qu’était l’île volcanique, et il allait bientôt de nouveau prendre les voiles. Le Fossoyeur avait quitté le port, surement pour aller rechercher son foutu capitaine, et s’ils y parvenaient, alors il retrouverait un quelconque intérêt à faire valoir son titre.

Mais Eris appelait, et il répondrait bientôt… Le service demandé par Sirya tombait vraiment à pique. La demi-elfe ne savait pas à quel point son « frère de sang » pouvait lui être redevable, en quelque sorte… et elle ne l’apprendra jamais. C’était elle qui aurait une dette à rembourser, et pas l’inverse. Mais surtout… Kassandra ne pouvait-elle pas rester immobile ? Pourquoi fallait-il qu’elle soit aussi désirable, hum ?

Mais le désir qu’elle faisait naître, et qui aurait pu être discrètement visible s’il avait porté autre chose qu’un large pantalon de toile, ne survécut pas à l’empressement que Kassandra eut à avancer la petite fête qu’il souhaiter organiser pour le lendemain au soir. Ou, tout du moins, la fête de Thaar, qu’il comptait bien reprendre et améliorer. De toute façon, le « pirate » ne savait rien faire de bien tout seul, aussi Ajilah était-il un grand homme en se proposant spontanément de l’aider. Mais voilà qu’on contestait son timing… sans aucune raison apparente. Kassandra voulait s’amuser, ce soir, son regard suppliait comme jamais il ne l’avait fait.

Elle cachait quelque chose, et il n’aimait pas ça.

Il tenta bien de lui demander ce qu’elle avait derrière la tête, mais elle minauda, la perfide. Elle détourna la question, ou ne la comprit pas, au choix. Ajilah préférait croire qu’elle la détournait, d’ailleurs, après tout elle avait jusqu’à présent fait preuve d’une vivacité d’esprit assez impressionnante. En vérité, il était presque vexé. C’était sa tentative d’assassinat, il pouvait quand même décider de quand elle aurait lieu, non ?

« Je ne te demande pas la réponse adéquate pour que j’avale ta couleuvre. » Il s’était peut-être fait un brin dur, et il tenta de se détendre un peu, penchant légèrement la tête. « Kassandra, s’il y un problème… »

Il s’arrêta. Eris toute puissante, il n’allait tout de même pas proposer son aide, tout de même ? Haussant les épaules comme si de rien était, il tenta d’opérer une transition en douceur entre « gentil Ajilah » et « Ajilah normal », et il y parvint plutôt bien. A peine plus d’une demi-seconde d’hésitation. Une petite demi-seconde.

« Tu sais ce qu’on dit, l’Eris n’attend pas, mais elle ne se presse pas. »

Ajilah n’était pas en colère. Du moins, pas vraiment. Son regard était dur, mais pas forcément hargneux. Pas du tout, même. Il était juste… froid. Ajilah observait Kassandra comme si elle n’était rien de plus qu’un moustique posé sur son épaule, une tique gênante qui commençait à se permettre un brin trop de chose. Quoi qu’il lui avait toujours permis de se moquer de lui, l’irrévérence n’était pas un problème pour un capitaine tant que derrière, les ordres étaient appliqués à la lettre. Sauf que voilà, cette fois-ci, le demi-elfe avait commis une erreur. Non pas que proposer son aide ne lui arrivait jamais, loin de là. Mais sur ce coup là, il n’avait eu aucune arrière pensée. Bien souvent, son aide se monnayer, parfois avant, parfois après quand il était trop tard pour faire marche arrière. Pas avec Kassandra.

Cela ne lui arrivait pas souvent, et c’était d’autant plus désagréable quand le retour se résumait à un foutage de gueule en bonne et due forme. Il ne pouvait pas en vouloir à Kassandra, elle avait agit exactement comme il l’aurait prédit si on lui avait présenté la scène, mais cela ne l’empêchait pas d’être vexé. Et il en fallait beaucoup, pour vexer la sang-mêlé. Impatiente et capricieuse, ainsi se résumait la jeune mousse. Une poignée de minutes plus tôt, il aurait souri et rebondi sur la plaisanterie, la caricaturant à souhait jusqu’à ce qu’elle se rebelle et affirme « qu’elle n’était absolument pas comme ça. ». Le sourire qui se peignit sur son visage ne contenait aucune joie, aucune malice. Il était aussi froid que son regard.

« Tu m’en diras tant. » Aucune rancœur, aucune complicité. Seulement un constat énoncé à voix haute.

Se redressant, il s’approcha du coffret protégé par son absence de serrure. Il réagissait comme un gamin, un gosse qui proposait d’aider et qu’on remballait, mais qu’importait ? Il avait joué, il avait perdu, sur cette manche au moins, et il savait reconnaître une défaite quand il en voyait une. Il avait baissé sa garde et la rouquine n’avait pas laissé passer sa chance. Donnant un coup de pied sec et savamment placé dans son coffre fort, il en libéra les précieux lingots d’or liquide.

« Voilà qui devrait résoudre ton problème. » commenta-t-il. « Il ne sera pas dit que j’abandonne mon équipage quand il a besoin de moi. »

De telles paroles ne surprenaient pas, dans la bouche d’Ajilah. Il aurait pu les prononcer n’importe quand, comme une plaisanterie teintée de vérité, et c’était d’ailleurs ça qui rendait la scène si étrange. Si dérangeante, d’une certaine façon. Car sa voix était aussi froide que son regard. Jetant un dernier coup d’œil à son trésor, il esquissa un nouveau sourire, plus naturel cette fois, et se pencha histoire de prélever une bouteille.

« Je prends ça… » Il se redressa, et fourra son butin dans l’une des pioches immenses de son lourd manteau. « Et je te souhaite une bonne nuit. »

Il commença à s’approcher de la porte de la cabine, l’ouvrit et avant de franchir la porte, reporta son regard sur la rouquine, où qu’elle soit.

« Mon invitation pour demain soir tient toujours, dans tous les cas. »