Un futur héritier? [Harnyll]

CE matin là, je me réveillais difficilement. Ce fut Camille qui fut obligée de me sortir de ma torpeur. J'étais épuisée depuis quelques jours sans en connaître la raison. Etait ce dû à ces nuits d'amour avec mon époux ? Il est possible. Harnyll semblait avoir une soif qui ne pouvait s'étancher.
Me levant alors, je fus prise d'un vertige. Je me rassis alors pour éviter une chute. Camille leva un oeil inquiet sur ma personne. Elle avait remarqué l'absence de sang dans le lit depuis mes dernières menstruations. Il est vrai qu'elle avait relevé la tache de sang due à ma première nuit mais rien depuis.

Cette unique tache de sang sur le blanc des draps ne fit aucun plis dans son esprit. Je n'avais pas eu besoin de parler pour qu'elle comprenne. Je faisais plus femme depuis quelques temps maintenant. Et cela, seule une femme ayant déjà eu des expériences amoureuses pouvait le sentir.
Je n'avais pas d'appétit ce matin. Mais Camille insista légèrement. Aussi je pris quelques bouchées supplémentaires. Vint le moment de l'habillage. Camille choisit une robe ample et me demanda alors d'être prudente ces prochains temps.

Elle avait tout compris avant moi. J'étais ronde et je l'ignorai encore. Camille était la seule dépositaire de ce secret. Aussi elle était des plus attentionnées et prévenantes à mon égard. Il ne se passa pas un moment de la matinée, où elle ne fut pas avec moi.
Le déjeuné fut servi. J'avais encore cette même apathie que ce matin. Rien de me faisait envie. Au contraire, j'avais quelques nausées. La fatigue se faisait bien plus pesante. Certainement le manque de sommeil dans mon esprit, rien de plus.

M'allongeant alors sur une bergère longue dans le grand salon, j'étais lasse. Je n'avais pas envie de jouer ni même de me promener dans les jardins. Camille inquiète de mon état ne pouvait m'en toucher mot. Elle savait parfaitement qu'en me faisant pareille révélation, je serai inquiète. Aussi elle préfère en informer mon époux pour qu'il prenne les mesures à suivre.
Je m'assoupis sur la bergère. Camille en profita alors pour aller déranger le baron. Devant la porte de son bureau elle frappa et attendit une réponse favorable avant d'entrer. Elle referma la porte derrière elle et fit une révérence au baron qui l'invita alors à parler.

Harnyll savait pertinemment que si Camille venait le déranger c'était pour moi ou sur mon ordre. Il l'invita alors à prendre la parole. Par quoi commencer ? Elle hésitait. Mais finalement fit part de ses doutes.

C'est au sujet de votre épouse, mon seigneur... Il y a tout lieu de penser qu'elle enfantera bientôt un hériter. Son état ne fait aucun doute même si elle l'ignore encore pour le moment. Je voulais alors savoir quelles sont les consignes à tenir en attendant.

Camille finit par une révérence. Un enfant verrait donc le jour pour l'hiver. Un héritier, un fils si les dieux le veulent.

Harnyll releva la tête lorsque Camille entra dans son bureau. La demi-sœur de sa femme (mais cela elle l’ignorait elle-même), ne serait pas venu le déranger pour un motif futile. Donc il s’agissait d’une affaire soit pressante soit importante. Importante ! Un héritier ! Pas un seul instant Harnyll ne douta de l’avis de Camille. Elle ne lui aurait pas dit cela sur une simple présomption, elle avait du bien y réfléchir avant de venir le trouver.

Ainsi donc leurs nuits d’amour avec Lucrèce portaient leurs fruits. Depuis la perte de la virginité de la jeune femme, les deux époux avaient remis le couvert, et pas qu’une fois. Le baron ne se lassait pas du corps de son épouse, de ses caresses, de ses baisers… après tout ces mois d’abstinence forcée, il en profitait pleinement. Et apparemment Lucrèce aussi, car la jeune femme ne rechignait pas à l’effort.

Un héritier donc… un fils peut être ? La continuité de sa lignée assurée ? En tout cas, la fertilité de la baronne serait démontrée par cette grossesse, et cela ferait taire ceux qui, tous bas encore, murmuraient que son époux aurait du la répudier après le tounoi. « Traîtresse et sèche », tels avait été les paroles de quelques éléments séditieux, rapportées par ses espions. Mais pour l’instant, et malgré tous ses efforts, Harnyll ignorait qui pouvait bien être en train de tenter d’animer une cabale contre sa femme.

Cette situation l’inquiétait cependant. Lucrèce semblait avoir un… ou une ennemie dans l’ombre, qui la haïssait profondément. Certes l’annonce d’une grossesse ferait taire ces rumeurs, mais la haine a des racines profondes et le baron sentait instinctivement qu’ils n’en avaient pas fini avec cette histoire.

Se levant, le baron se mit à faire les cent pas dans la pièce, réfléchissant à l’attitude à adopter. Il était bien entendu hors de question de taire sa grossesse à Lucrèce. La stabilité mentale de la jeune femme n’avait jamais été un modèle du genre, à preuve sa tentative de suicide à Féoda, ses peurs paniques... enfin bref, il allait falloir y aller en douceur. Les dieux seuls savaient comment elle allait encaisser cette nouvelle.

Camille, faites venir le médecin du château pour qu’il examine Lucrèce. Donnez comme motif sa fatigue, et orientez l’examen pour qu’il lui apprenne son état. Mieux vaut que ce soit un homme de l’art qui lui annonce cette nouvelle, il sera plus apte, avec votre aide, à la rassurer. Faîtes moi appeler à ce moment là.

Camille acquiesça puis sortit de la pièce en faisant une révérence à son seigneur. Elle retourna au près de sa maitresse qui dormait toujours. Passant une main sur ses cheveux, elle lui murmura quelques paroles.

Il faut vous réveillez madame... Venez plutôt vous reposer dans votre chambre, vous y serez plus en paix.

J'ouvris alors doucement les yeux et vis Camille penchée au dessus de moi, telle une mère, une soeur bienveillante. J'écouterai donc son conseil. Une fois dans la chambre, j'allai m'allonger sur le lit. Elle tira une couverture sur moi pour que je ne prenne pas froid. Pensant être malade, je la laissai appeler le médecin du château pour qu'il m'ausculte.
Camille partit donc à la rencontre de cet homme d'un certain âge,à la longue barbe blanche. Une fois qu'elle l'eut trouvé, elle lui expliqua la situation sur le chemin.

Madame a besoin de vos sciences, docteur. Elle est alitée en ce moment. Elle n'a pas eu de pertes depuis un moment, aussi je pense à une grossesse mais cela passerai mieux si vous, en qualité de médecin lui annonçait l'heureuse nouvelle.

Les deux étaient arrivés devant la porte. Camille frappa mais rien. Elle ouvrit alors la porte et fit entrer le médecin qui se dirigea à mon chevet. Pour commencer, il prit mon poux. Je n'avais point besoin d'être éveillée pour cela.
Néanmoins sa main me réveilla en me saisissant le poignet. Maintenant que j'étais réveillée, il pourrait alors faire le reste de ses examens. C'est à ce moment là, que Camille fit appeler le baron. Le temps qu'il arrive, le verdict tomberait.

Délaçant ma robe dans le dos, il écouta les battements de mon coeur. Il préféra terminer par l'examen gynécologique, le pire en dernier comme pour éviter de me faire peur. Il commença alors à écarter la couverture puis vouloir remonter ma jupe.
Je pris peur et me reculai dans le lit. Il avait eu raison de faire cela en dernier car sinon il n'aurait jamais pu faire le reste de ses examens. Jusqu'à maintenant aucun autre homme à part Harnyll avait relevé mes jupons. Je m'opposais catégoriquement à ce qu'il me touche.

Je refuse!

Mais baronne, cela est nécessaire pour confirmer mon diagnostique.

J'avais les larmes aux yeux, terrorisée par ce qu'il essayait de faire. Camille le regardais avec un air anéanti. Elle pensa alors qu'il aurait pu avoir plus de délicatesse. Alors qu'elle m'enveloppait de ses bras. Le médecin retenta de me soulever mes jupons. Je ne pus m'empêcher de crier. Un cri qui se fit entendre dans tout le couloir.
C'est à ce moment là qu'Harnyll pénétra dans la chambre stupéfait de tomber sur ce spectacle des plus troublants. Le médecin se leva et s'inclina pour saluer le baron. Je profitai que Camille fasse de même pour courir en direction de mon époux et me réfugier dans ses bras. Le visage collé contre son torse, je relevai doucement le visage. Il put voir mes yeux rougis et des larmes couler sur mes joues.

Harnyll entra dans la chambre de sa femme en entendant crier, et ce fut pour recevoir une Lucrèce en larmes en plein dans ses bras. Lui murmurant des paroles réconfortantes, il serra contre lui le mince corps tremblant. Doucement, il l’installa dans un canapé et s’approcha du docteur pour recevoir le diagnostic à voix basse.

Qu’en est-il ?
Je pense en effet que votre femme est enceinte. La fatigue, les nausées, l’arrêt de ses règles… Camille avait vu juste. Elle refuse un examen gynécologique mais je suis sur que…
Bien, laissez nous. Vous aussi Camille.

Une fois seul avec son épouse, Harnyll retourna la prendre dans ses bras, la berçant tendrement au creux de ses bras. Comment le lui annoncer ? Bah, directement, après tout peut être prendrait-elle bien la nouvelle ? Porter l’héritier d’Ysari serait l’accomplissement de sa tâche, l’ultime victoire remportée contre son ancienne peur des relations charnelles.

Ma chérie… Camille comme le médecin sont tous deux du même avis… vous êtes enceinte.

Quelques mots pour me réconforter avant qu'Harnyll ne m'installe sur le canapé de la chambre. A demi allongée dessus, je le fixai alors qu'il s'éloignait de moi pour aller discuter avec le médecin. Camille demeurait toujours à proximité de l'homme de sciences. Je n'entendis pas les paroles qui furent échangées mais tous deux se retirèrent en une révérence. Nous laissant seuls, Harnyll et moi.
Mon cher époux revint à mes côtés alors que j'étais en train de le servir un verre d'eau. C'est alors que la nouvelle tomba. Ce fut donc le baron sous le couvert du diagnostic du médecin et de l'intuition de Camille qui m'apprit mon état.

A l'annonce de cette grande nouvelle, je restai abasourdie, le verre glissa de mes mains pour tomber sur le tapis et répandre son contenu aqueux. Doucement, la main tremblante, je la posai sur mon ventre en le regardant. Relevant le regard, je balbutiai quelques mots...

Enceinte... J'attends donc un enfant... Votre enfant...

J'allais donc devenir mère. Moi ? Ce don des Cinq était certes une bénédiction pour notre couple et pour la succession de mon époux mais moi dans tout cela ? Qu'est ce que cela représentait ? Le devoir d'une épouse ? Pour le moment, j'étais beaucoup trop sonnée par la nouvelle pour me rendre compte de tout ce que cela impliquait. Il était encore trop tôt pour que je me réjouisse de cet enfant à venir.
J'étais devenue femme, il y maintenant quelques semaines et là un nouveau bouleversement secouait ma vie. J'allais enfanter pour la première fois. J'avais peur. Je ne savais rien de ce qui allait se passer à présent. Beaucoup d'interrogations et pourtant si peu de réponses.

Ma main était restée sur mon ventre pour ne plus le quitter. Un petit être grandissait en moi, cadeau des dieux. J'étais donc devenue une épouse accomplie. Beaucoup de choses avaient changé en si peu de temps, j'étais déboussolée. Il fallait que je digère la nouvelle à présent.
Voulant me relever du canapé, je vacillai. Harnyll me rattrapa et me porte jusqu'à notre couche sur laquelle, il m'allongea pour que je prenne du repos. Un tendre baiser échangé puis je m'endormis.

Je me réveillai deux heures plus tard. Etait ce un rêve ? Non, c'était bien la réalité. Un vieil adage dit que la nuit porte conseil. Je réalisais alors soudain ce que cela voulait dire. Ma réaction changea de tout au tout. La joie pouvait se lire sur mon visage alors que plutôt on pouvait y lire de la crainte.
Je n'avais pas pris la peine de remettre mes escarpins que déjà j'étais dans le couloir menant au bureau de mon époux. J'ouvris la porte sans frapper. Il s'interrompit immédiatement cette intrusion non annoncée. M'élançant alors dans ses bras, j'encerclai son cou de mes deux bras. Mon regard plongeant dans le sien, je dis tout sourire.

Nous allons avoir un bébé.

Il n'eut rien le temps de répondre que je scellai mes lèvres aux siennes. Il put voir mon regard pétillant alors que je pris sa main pour la poser sur mon ventre que l'on ne devinait pas encore.

Après avoir allongé Lucrèce pour qu’elle puisse se reposer un peu et encaisser la nouvelle, Harnyll retourna à son bureau. Ouvrant le petit buffet, il se servit un bon verre d’alcool qu’il se descendit cul sec à titre médical pour se remettre du choc. Car lui aussi devait en encaisser un.

Après ces mois de sourde tension entre lui et son épouse, il avait presque tiré un trait sur l’espoir d’obtenir un héritier, tout du moins avant de longues années. Et voilà que sa femme était enceinte. Une aussi bonne nouvelle ferait taire les mauvaises langues qui sinon aurait commencé à mettre en doute la fertilité de la baronne.

Un héritier… un successeur… ou une héritière… les dieux décideraient. Le fruit de leur amour, le symbole de leur victoire sur la peur et le doute. S’asseyant à son bureau, le baron tenta de se mettre au travail. En vain, un grand sourire béat sur les lèvres, il n’arrivait pas à se concentrer.

Il fut interrompu dans ses vaines tentatives par l’irruption de Lucrèce dans son bureau. Se levant, il eut juste le temps de la recevoir dans ses bras. La jeune femme était radieuse, épanouie, apparemment bien consciente de la réalité et fière d’avoir pu démontrer son amour envers Harnyll.

Ils restèrent un long moment ainsi, tendrement enlacés. Leur bonheur faisait plaisir à voir, comme celui de tout couple aimant apprenant l’arrivée d’un enfant.

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