Où l'on cherche encore un titre, en vain. | PV Etheldred

Nombreux furent les jours qui s'écoulèrent depuis les évènements d'Assar, bien qu'il fut impossible d'en tenir le moindre compte, le temps n'offrant plus de véritables repères, le corps suivait les cycles d'éveils et de sommeil, perturbés, souffrant désormais de cette absence de lumière, que celle des torches et des chandeliers.

De retour en la demeure de sa sœur, il l'avait averti de son intention de voyager quelques jours, de se rendre en quelques herboristeries plus au nord, où se vendait des herbes qui ne trouvaient pas ici, en Odelian, mais aussi pour prendre davantage de nouvelles du reste du continent. En effet, le Voile n'était apparemment pas l'unique surprise divine de ce début de millénaire, plus au sud, de la lumière et des éclairs, et jusqu'en Atral, des guérisons tournant à la catastrophe, et des catastrophes devenant miracle... Néera, disait-on, frappait la Péninsule. On racontait également qu'une vague de chaleur sans précédent gagnait les terres naines plus au nord, et que la Forêt d'Anaëh était devenue folle... A cette liste, qu'il espérait pouvoir donner davantage de détails, il manquait les manifestations de deux dieux, qu'il savait revenu, ainsi que l'annonçaient prophètes et prêtres des Cinq.

C'est toutes ces raisons qui conduisirent ses pas jusqu'en Alonna, terre qui avait tant subit, et qui, pour une fois, s'en trouvait être l'une des plus épargné. Elle semblait se trouver à la croisée des différentes influences divines, aux frontières les plus lointaines de chacune, là où s'apaise le courroux divin, si bien qu'à part le Voile, elle souffrait moins que bien d'autres.
Ce voyage, il estima approximativement, du lui prendre une journée, tout au plus, à dos d'un cheval de trait modeste, loin des grandes montures de haut lignage de la noblesse, mais c'était une fière et puissante jument odélianne, issue de cet élevage qui faisait l'une des fiertés de ce pays, le conduisit jusqu'en la ville d'Alonna, où il trouva un toit en une auberge qu'on lui conseilla, pour une bourse modeste mais offrant un confort et une sécurité suffisante, d'après les dires en tout cas, l' « Auberge du rôdeur ».

Après un dédale de rues et de ruelles, non sans manquer quelques escarmouches avec des voyous qui ne virent pour ainsi dire qu'une ombre tandis qu'il avait accéléré le pas, le gardant silencieux comme il savait le faire avec une manière experte, ou bien abordé par quelques filles de petites vertus, certes aux appâts engageant, remplissant avec merveilles leurs offices, bien qu'il ne se montra pas intéressé et passa son chemin, non sans gratifier les dames de quelques compliments charmants.

Enfin, il arriva sur place et put y trouver l'ambiance chaleureuse qu'on lui avait décrite avec sincérité, et dès le moment où il avait passé le palier de la porte, il avait déjà en tête toute une histoire, un nom, un métier, une vie en tête, dans les grandes lignes, les détails s'improviseraient, il savait monté ce genre de fable pour offrir un tout cohérent... Car il ne se présenterait pas ici comme Pierrick Savoran, serviteur et homme lige de sa Dame, Faustine d'Escault, d'Odelian, non... Il serait Tom, apprenti guérisseur venu trouver quelques herbes réclamées par son maître, et satisfaire une curiosité pour les potins et les rumeurs.
C'est ainsi qu'après avoir commandé une bière et prit une chambre, il interpella une nouvelle fois le gérant.

« Où puis-je trouver une herboristerie digne de ce nom dans celle ville ? »

Il lui en indiqua plusieurs, avant d'ajouter, après avoir eu une sorte d'éclair venu s'abattre sur son crâne.

« Oh, mais j'y pense, on a une jeune herboriste qui dort ici d'puis quelques jours, tu d'vrais t'installer, j'la préviendrais quand elle repassera, elle saura mieux qu'moi. »

« Merci bien. »

Se faisant, il alla s'installer à une table où déjà se tenait deux hommes jouant avec des dés. Il leur demanda si il pouvait se joindre à eux, et ils acceptèrent et s'engagea tant une partie qu'une discussion sur les rumeurs et les bruits qui couraient dans les parages, sur les derniers évènements autant que sur le quotidien le plus banal quoique bouleversé, d'Alonna.

Alonna. Tout ce que savait Etheldred de cette ville avait été consigné en quelques lignes dans son journal intime. Elle s'y était rendu pour soigner les défenseurs lors du siège qui avait eu lieu des mois plus tôt. Elle en était ensuite parti en laissant derrière elle des êtres chers... Au départ, aucune image n'apparaissait à cette évocation. Puis la jeuen femme avait remis les pieds en ville et avait commencé à voir sa mémoire revenir par bribes. Souvenirs tous plus sombres les uns que les autres qui recommençaient à la hanter. Alonna avait été reconstruite, certes, mais ce qui s'était passé là ne pouvait être complètement oublié.

Etheldred avait passé la journée à démarcher des herboristeries afin de vendre les plantes ramassées en forêt quelques jours plus tôt. Les affaires marchaient très moyennement. Elle avait encore de quoi payer sa chambre à l'auberge et ses repas, mais ce ne serait pas ainsi qu'elle s'assurerait une vie décente sur le long terme. De plus, elle n'avait trouvé personne susceptible de la renseigner sur elle-même. Personne ne semblait la connaitre ou avoir jamais entendu parler d'elle. Certes, Alonna était une grande ville, qui avait beaucoup évolué depuis sa destruction par les drows, mais c'était tout de même décourageant.

La journée s'achevait et la jeune femme rebroussa chemin jusqu'à son auberge. Elle n'avait aucune envie de trainer seule dans les rues à la nuit tombée et préférait diner tôt avant que l'ambiance de la salle principale ne s'échauffe un peu trop. Lorsqu'elle rentra, tout était encore relativement calme. Elle s'apprêtait à demander le plat du jour à l'aubergiste lorsque ce dernier lui indiqua qu'un homme désirait la voir : il cherchait une herboriste.

"J'lui ai dit que j'le préviendrai quand vous repasseriez. Mais vous pouvez aller l'voir, c'est lui, là-bas. "

Etheldred se retourna pour observer un jeune homme qui devait avoir à peu près son âge, aux traits fins et harmonieux. Habillé simplement, rien ne dénotait une activité précise, elle n'en saurait pas plus ainsi, si ce n'était qu'il aimait jouer aux dés, ce que la plupart des gens appréciaient quand il s'agissait de passer le temps.

" Je vous remercie, je m'en charge, je mangerai après. Le plat u jour, à l atable là-bas, s'il-vous plait."

Choisissant une table libre proche de celle des joueurs, la jeune femme y déposa sa sacoche et sa cape, avant de se diriger vers l'inconnu qui discutait avec ses compagnons de table.

" Excusez-moi... "

Elle attendit un bref instant d'avoir son attention, ne voulant pas couper le jeu trop brutalement. Elle n'avait jamais été spécialement à l'aise pour prendre contact avec les gens, mais, s'il s'agissait d'herboristerie, elle pouvait bien faire cet effort.

" On m'a dit que vous cherchiez une herboriste. Je m'appelle Etheldred Arnomiël... "

Elle se coupa subitement, gênée. Avoir un nom d'elfe quand on était en terre humaine n'était jamais du meilleur effet. Seulement, se présenter avec son seul prénom lui paraissait étrange.

" Enfin... je suis installée à côté, si vous souhaitez me parler. "

Sur ce, elle retourna s'asseoir, pour attendre le plat demandé et, si le jeune homme le souhaitait, engager la conversation. Un coup d'œil dans sa sacoche lui permit de se faire une idée de ce qu'elle était parvenue à vendre ce jour là. Pas de quoi devenir bien riche.

Les parties s'enchainèrent, les discussions allant bon train tandis qu'il avait fait connaissance avec ses aimables compagnons de table qui trouvèrent autant que lui plaisir à parler de tout et de rien, et grâce à qui il put combler ses lacunes... Arcam étendait son influence en Ithri'Vaan, à l'est, jusqu'en Aduram, sans effleurer les frontières d'Alonna. Et Tyra avait élue domicile, disait-on, en Terres Stériles, ce qui fit naître quelques traits d'humour quant au fait que la Divinité Créatrice des Océans s'étaient installés dans l'endroit le plus désertique et asséché du continent.
Le temps passa... Une heure, puis deux, sans pour autant enchaîner les chopines, car si la boisson était agréable, il ne se plaisait pas saoul, surtout que, par accident, il pouvait toujours se trahir, aussi resta t-il modéré sur sa consommation, passant le temps en bonne compagnie.

Puis une femme entra, si il y fit attention, la détaillant quelques instants, il fut rappelé à l'ordre par ses partenaires qui ne manquèrent pas de faire commentaire de ce regard qu'il avait adressé à la jeune et jolie demoiselle du comptoir, ce à quoi il ne répondit rien, n'ayant finalement aucune réponse à leur fournir, c'était un réflexe, détailler et demeurer attentif à toute les personnes se trouvant près de lui, dans la même pièce.

Elle discuta un instant avec le patron, et il releva qu'on le désigna... C'était l'herboriste ? Il nota la présence de la sacoche, mais de là, il ne pouvait connaître son contenu, information qui confirmerait ou infirmerait cette hypothèse. Il devait attendre, simplement attendre.
Elle alla vers une table, dans son dos, et pour éviter quelques nouvelles paroles, il préféra ne pas la suivre des yeux, se contentant d'écouter ses pas, les craquements du parquet brut sous ses pieds, certes légers.

Puis elle vint à leur table, s'excusant, s'offrant son attention, sous les gloussements vite étouffés des deux partenaires de jeu, encore dans leurs bêtises précédentes. Il laissa donc les deux autres continuer, le regard se posant sur la jeune femme. Il avait vu juste, c'était bien l'herboriste, quoique, ce n'était pas une devinette difficile.
Il fut surpris par le nom, des origines elfiques ? Une demi-elfe peut-être, mais sur ce seul coup d'œil, il n'aurait pas su dire, ne relevant aucune spécificités physiques. Elle lui indiqua sa place et se retira aussitôt pour s'y installer. Il salua les deux hommes qui avaient partagés ces dernières heures, les remerciant et les quitta après leur avoir serrer la main, à chacun, pour s'approcher de la table de l'herboriste.

« Puis-je ? »

Et il se joint à elle, répondant enfin aux présentations amorcées.

« J'espère ne pas vous déranger, je m'appelle Tom Coulomb, je suis apprenti au service d'un guérisseur. »

Alors qu'une serveuse passait par là, il l'interpella et commanda le plat du jour, avant d'en revenir à la jeune femme.

« Pardonnez une curiosité peut-être mal placée mais... Vous êtes une demi-elfe ? J'demande ça parce que votre nom de famille... Enfin, vous voyez. »

Ce n'était pas du tout ce qu'il voulait demander, du moins, le pourquoi de cette recherche, mais il n'avait pas pu s'en empêcher. Il usait d'une intonation qui n'avait rien d'approchant de la noblesse, c'était commun, populeux, sans être exagéré, pour paraître le plus naturel possible.

« Autrement... Vous êtes de la région, d'Alonna, ou d'ailleurs ? »

Et ce qui pouvait paraître une nouvelle question déplacée n'en était en fait pas une, et pour éviter la confusion, il ajouta.

« Car je ne connais pas la flore locale, et mes interrogations porteraient là-dessus. »

L'inconnu ne tarda pas à la rejoindre, lui demandant s'il pouvait s'installer à sa table. Etheldred acquiesça :

" Oui, je vous en prie. "

Alors... que voulait-il ? Il ne semblait pas de ces désespérés cherchant le remède miracle, ni un de ces assassins la testant pour savoir si elle pouvait délivrer du poison... Il ne tarda pas à se présenter, donnant enfin une raison à son intérêt. Un apprenti guérisseur, hein ? Sans doute en fin d'apprentissage, si elle en jugeait son âge.

" Enchantée... Vous ne me dérangez pas du tout. "

De fait, elle n'avait pas grand chose de mieux à faire que prendre son repas et aller dormir. Elle n'était pas du genre à aller aborder les autres clients pour passer la soirée en discutant tranquillement, du coup, elle pouvait bien lui accorder un peu de son temps. Mais que pouvait-il lui vouloir, s'il avait déjà un maître prêt à lui apprendre tout ce qu'il devait savoir ?

" Pardonnez une curiosité peut-être mal placée mais... Vous êtes une demi-elfe ? J'demande ça parce que votre nom de famille... Enfin, vous voyez. "

La jeune femme ouvrit la bouche, surprise, et s'empourpra légèrement. Elle ne s'était pas attendue à cette question. En même temps, quelque chose lui disait qu'elle ne souhaitait pas répondre, mais elle ne savait plus vraiment pourquoi. Elle détestait quand sa mémoire lui jouait ce genre de tour. Des souvenirs confus qui lui hurlaient de ne rien dire, bien que la question de Tom ne paraisse pas hostile. Se reprenant, elle parvint à sourire légèrement :

" Non. Non, je ne suis pas une demi-elfe. "

C'était la vérité. Le mensonge par omission ne comptait pas, n'est-ce pas ? Fort heureusement, il enchaina sur une nouvelle question qui lui fit secouer la tête :

" Je voyage. J'étais déjà venue à Alonna auparavant... "

Elle hésita, se demandant ce qu'elle pouvait lui dire et se demandant si ça avait un quelconque intérêt. Elle n'aimait pas beaucoup étaler sa vie, surtout depuis qu'elle avait l'impression que cette dernière lui échappait.

" En fait, je cherche quelqu'un que je connaitrais dans cette ville. "

Encore une fois, elle ne répondait pas tout à fait à la question. Il précisa tout de même les raisons de son indiscrétion et elle acquiesça :

" Je connais assez bien les plantes des environs. La région est tempérée, ici, les simples viennent essentiellement des plaines et des bois. J'en vends actuellement, précisa-t-elle en désignant sa sacoche. Après, tout dépend de ce que vous aimeriez savoir. Votre maître n'est donc pas d'ici ? "

Elle ne comprenait pas bien ce qui justifiait qu'il vienne vers elle. S'il était attaché comme apprenti, il était étrange qu'il ait besoin d'autres sources pour apprendre. Enfin, diversifier les sources pouvait être intéressant, mais là, elle ne voyait pas pourquoi il ne se serait pas tourné vers son maître pour une question aussi simple que celle de la flore locale.

" Disons que si vous me dites ce que vous connaissez comme milieu, je pourrai peut-être mieux me faire une idée des différences, pour autant que je connaisse votre région d'apprentissage. "

Miradelphia était vaste et les paysages changeaient énormément. Elle louait Mëgilen qui lui avait permis de retrouver ses connaissances en herboristerie et les avait élargies. A cette pensée, elle se demanda un instant comment elle pourrait aborder les noms des simples qu'elle connaissait à présent en elfique. Pas tous, heureusement, mais la somme était significative. Enfin, chaque chose en son temps : Tom n'avait pour le moment rien demandé de précis.

Et bien... Non, elle n'était pas l'évidence, et cette réponse laisse dans son sillage nombres de questions qu'il écarta du revers de la main, les balayant avec aisance et sans hésitation. Les poser là n'appartenait ni au contexte et surtout pas à son personnage, et puis, cela ne le regardait pas. Il avait sa réponse, c'était suffisant.
Il eut par la suite des réponses qu'il n'attendait même pas, se demandant un instant si finalement, cette demoiselle n'avait pas besoin d'exprimer à voix haute et à quelqu'un ce projet, peut-être pour y trouver une aide, sans grand espoir ? Il laissa l'information dans un petit coin de sa tête et poursuivit l'écoute des réponses qu'elle lui offrit.
Quand elle demanda si son maître était là, cela ne lui posa pas l'ombre d'un souci, il avait déjà anticipé cette question et savait quoi répondre.

« Non, mon maître n'est pas ici. Il m'a envoyé en voyage pour apprendre et découvrir ces choses par mes propres moyens, c'est mieux ainsi, tant pour moi, que pour lui. »

La fin de sa phrase était grave, comme évoquant sans le faire un handicap qui ne permettait pas au dit-maître de se déplacer, de l'accompagner dans un tel voyage.

« Il veut que j'en sache autant que possible sur les plantes, et je cherche quelqu'un qui saura me renseigner sur la flore qu'on ne trouve qu'ici, en Alonna, leurs vertus et leurs effets, car l'on ne sait jamais à quoi on sera confronté, et où nous serons amené à pratiquer quelques soins. »

C'était un mensonge, quoiqu'il était tout de même intéressé, depuis que son maître lui avait enseigné, tant les poisons que quelques tisanes et boissons à base végétales aux effets diverses, même médicinale, il avait toujours émit l'idée d'en apprendre autant qu'il lui était possible de mémoriser et connaître, pour parer à tout.

« Quant aux régions que je connais... Olyssea bien entendu, c'est là que vit mon maître... Etherna ainsi qu'Odelian. »

Et ainsi supposait-il un long voyage depuis Olyssea, qui l'avait conduit jusqu'ici, en Alonna, et peut-être plus loin au nord, par la suite. Route qu'il ne prendrait pas, Alonna allait encore, ça n'était qu'à une journée de sa maîtresse, aussi son absence de quelques jours ne pèseraient pas, du moins, l'espérait-il, sans quoi, il verrait mal de ne pas avoir su être présent quand sa sœur aurait eu besoin de ses services. Il avait envoyé un courrier en Escault et averti de l'endroit où il avait pris chambre, veillant à prendre quelques précautions, quand à la forme d'une éventuelle lettre de sa sœur.

« Mais c'est peut-être trop vous en demander... Surtout que vous avez déjà, de ce que j'ai compris, travaillé toute la journée. Je vais, je pense, vous laisser la soirée et la nuit pour y réfléchir, qu'en pensez-vous ? »

Pour l'heure, il n'en dit rien, mais il pouvait se proposer de l'aider dans ses ventes, ou bien lui offrir quelques écus pour le temps qu'il lui prendrait, chose qui lui apparaissait normale, c'était une tâche qui méritait d'être rémunérer. Cela par contre, il voulait le lui faire comprendre, il ne louerait pas ses services gratuitement.

« Pensez également à vos exigences, si d'aventure, vous acceptez. »

Un service contre de l'argent, ou contre un notre service... C'était une base inébranlable.

Enseigner l'herboristerie en envoyant son apprenti seul à l'autre bout du pays était une étrange façon de procéder. Pas stupide, certes, si on ne pouvait se déplacer soi-même, mais cela laissait l'apprenti à la merci du premier charlatan venu. N'importe qui pouvait apprendre n'importe quoi, ainsi, c'était on ne peut plus dangereux, estimait-elle. Enfin... Tom avait l'ait motivé pour apprendre, au moins, il faisait ce qu'on lui avait demandé et elle ne pouvait pas l'en blâmer.

Elle hocha la tête à l'évocation des régions, se disant qu'il faudrait qu'elle consulte la carte qu'elle avait emportée avec elle lors de son départ du Fort. Elle avait déjà quelques idées sur les localisations, mais préférait ne pas dire de bêtises quant aux plantes qui y étaient rattachées.

Une serveuse amena deux plats du jour et les déposa sur la table. Après avoir brièvement remercié, Etheldred reporta son attention sur Tom :

" Il n'est pas vraiment courant de se faire rémunérer par son apprenti... Or, ce que vous me demandez là, c'est de remplacer votre maître un temps, si j'ai bien compris. "

Ses souvenirs vis à vis de son propre apprenti restaient flous. Elle se savait capable d'enseigner, mais était gênée à l'idée qu'il s'agisse de quelqu'un déjà assez âgé et dont elle ne savait rien. L'herboristerie n'était pas une mince affaire à prendre à la légère. Des connaissances mal utilisées pouvaient avoir des conséquences dramatiques. Elle réfléchit un instant avant de suggérer :

" Si j'acceptais, je verrais plus un échange de services : vous m'aidez à ramasser les simples et à les vendre, ce qui permettra de travailler sur le sujet et, éventuellement, vous m'assistez durant les soins si cela vous intéresse, je suis également guérisseuse... et en échange je vous enseigne ce que je sais. "

Elle souffla sur son plat fumant, commença à manger, le temps de réfléchir encore un peu, puis finit par reprendre :

" J'aurais besoin de savoir où en est votre formation. Par exemple, depuis combien de temps travaillez-vous auprès de votre maître ? Qu'a-t-il abordé avec vous ? "

En attendant qu'il reprenne la parole, elle reprit une bouchée, la laissant répondre, curieuse d'en savoir un peu plus sur lui.

Si il était vrai que le plus souvent, les maîtres étaient payés par les parents lorsque les enfants de ces derniers étaient en âge de devenir apprentis, il offrait là une situation pour le moins rare et étonnante... C'était l'apprenti qui se proposait de rémunérer le maître, un maître temporaire par ailleurs. Mais pour cela, il avait une réponse, ayant anticipée une telle possibilité, qu'il n'a jamais connu.

« Je n'aurais pas présenté cela ainsi, mais en effet, c'est une bonne manière de formuler les choses. »

Il préférait garder sous la main quelques réponses d'une personnalité et d'une histoire qu'il avait pensé ces derniers jours, pour offrir réplique à d'éventuelles difficultés à venir. Elle serait un maître temporaire, en effet, un maître qui avait le même âge que lui, mais un savoir différent, qui l'intéressait finalement. Elle proposa alors après réflexions un échange de services... Son assistance dans ses ramassages et dans ses ventes contre le savoir qu'elle pouvait lui apporter. La proposition, si elle était intéressante pour lui lui semblait pour autant inégale, le pensait-il tout du moins... Mais il ne se voyait pas insister pour ajouter quelques écus à la transaction.

« C'est un marché qui me convient. »

Et c'est ainsi qu'il considéra le contrat signé entre les deux partis, il passerait les prochains jours ici, avec cette jeune femme, mais il ne devait pas oublier, ne pas trainer plus que nécessaire, car son serment et son statut d'homme lige primait sur tout, le désir d'en apprendre davantage inclus... Mais Faustine ne réclamait que peu ses services, tant d'espion que d'assassin, aussi estima t-il le moment propice à ces quelques libertés.
Il entama comme elle la dégustation du plat du jour tout juste servi. Vint une nouvelle question, à savoir, l'état de son enseignement... Et pour cela, il sembla réfléchir quelques instants.

« A vrai dire, bien peu de chose, du moins... Moins qu'on ne peut le croire en estimant mon âge. Je suis son enseignement depuis à peine deux ans, voyez-vous. Mon intention d'être guérisseur est toute récente. »

Il n'en dit pas plus, il pouvait compléter la chose avec une histoire toute faite, cohérente, mais elle ne lui avait pas demandé de raconter ces épisodes, aussi préférait-il s'en tenir aux réponses aux questions posés.

« Quant aux points abordés... Les soins de base, tout juste, et l'usage des plantes dans le métier, il a été herboriste lui aussi, mais les ans affectent tant sa mémoire que son corps, et il a privilégié pour moi que ma jeunesse parcourt les routes pour trouver le savoir des plantes auprès d'herboristes locaux de certaines pays, après quoi, je devrais revenir auprès de lui et lui raconter tant mes voyages que les connaissances que j'aurais accumulé... Après quoi, il corrigera les fautes d'éventuels charlatan et nous passerons à la leçon suivante... »

La méthode était peu commune, mais après tout... Un vieux maître dévoré par quelques maux mettant à mal le corps, empêchant le voyage et les longues heures d'enseignements auraient très bien pu préférer pareille méthode... Elle n'était pas la plus efficace, mais l'on ne peut pas toujours tomber sur le meilleur... Et le meilleur n'était pas à la portée de toutes les bourses.

" C'est un marché qui me convient. "

Etheldred sourit, concluant simplement :

" Parfait ! "

La conversation se poursuivit calmement, mais elle ne put cacher son étonnement lorsqu'il répondit à ses questions. Deux ans ? Il s'était intéressé au métier bien tard ! Et puis... quelque chose la fit réagir mais elle décida que cela pouvait attendre la fin de la réponse. Ainsi il connaissait les soins de base ? C'était logique, en seulement deux ans : elle ne serait pas allée plus loin dans un apprentissage en si peu de temps. Elle réfléchit après cette tirade et commença par clarifier un point qui lui paraissait important :

" Vous savez qu'espérer corriger des bêtises glanées ici et là après coup est plutôt risqué comme méthode ? "

Se rendant compte de ce qu'elle venait de dire, elle se mordit la langue en reprenant, gênée :

" Je suis désolée, je ne voulais pas critiquer... C'est tout à votre honneur de chercher à apprendre malgré les difficultés... Et il n'y a pas d'âge pour apprendre ! "

Elle sourit à nouveau, mais au fond, elle ne pouvait s'empêcher de trouver que c'était une mauvaise idée. Il ne s'agissait pas de se dire qu'on pourrait vérifier après coup que le travail était mal fait et qu'il suffirait de corriger : on jouait avec la vie des patients, là ! Enfin, après tout, il n'y était pour rien, alors autant l'aider. La jeune femme poursuivit donc sans tarder :

" J'avais cru comprendre que vous souhaitiez devenir uniquement herboriste mais il semblerait que je me sois trompée... ce qui au final n'est pas plus mal étant donné que j'associe les deux métiers qui me paraissent indissociables. "

Oui, au moins elle n'aurait pas l'impression de lui faire perdre son temps en lui demandant de l'aider lors des soins. Elle mangea encore un peu et proposa finalement :

" Rendez-vous ici demain matin, après le lever du jour, si cela vous convient, pour faire le tour des herboristeries de la ville. Nous pourrons ensuite nous pencher sur ce qui vous intéresse plus particulièrement. "

Hors de question pour le moment d'aller à l'extérieur pour cueillir des simples : après tout, elle le connaissait à peine. Elle n'était pas particulièrement méfiante, mais pas inconsciente non plus. Autant prendre un peu le temps de savoir à qui elle avait affaire.

" Avez-vous déjà des simples, avec vous ? "

Qu'il ne se fasse pas d'illusion : elle ne lui apprendrait rien avant d'en savoir un peu plus sur ses connaissances "de base" ce qui pouvait signifier tout et rien. Après tout, si cela ne lui plaisait pas, il pouvait faire le tour des herboristeries où on lui proposerait des plantes locales, selon les régions demandées. C'était une façon simple d'obtenir ce qu'il voulait, en revanche, il n'aurait probablement que peu d'indications sur le sujet. Beaucoup de personnes préféraient limiter les risques de concurrence et ne faisaient de toute façon pas confiance aux étrangers.

[hrp : je te laisse poursuivre la soirée ou passer au lendemain si tu préfères. :) ]

Oh oui, il en avait pleinement conscience, bien qu'il ne montra aucun doute quant à la méthode de son maître fictif. Bien sûr que c'était risqué comme méthode, mais quoi de mieux pour masquer l'ignorance que la médiocrité et des failles dans les manières ? Ainsi ne pourrait-on pas douter de lui, mais de son maître et de ses capacités à transmettre son savoir.

« Je ne sais pas, vous avez peut-être raison, mais ce sont là les méthodes qu'ont choisi mon maître, et il a ses raisons, je suppose. »

Outre son vieil âge et son incapacité à se déplacer, dirons-nous, mais il ne voyait pas le besoin d'insister sur ce point, il ne devait pas réciter les choses et les détails comme on apprend une leçon, mais se les imprégner et les réutiliser avec parcimonie, naturellement.
Pourtant, elle évoqua son âge, finalement... Voyait-elle ce point-ci comme seul obstacle à une bonne compréhension et un apprentissage efficace ? Peut-être avait-elle raison, en certains points, car les jeunes enfants sont plus réceptifs que les adultes à de nouvelles notions, heureusement, il avait déjà établit un détail, tant pour la raison de ce « retard » mais également à ses conséquences.

« Ils le sont également pour mon maître, c'est pour cette raison que je dois étudier tant l'un que l'autre. »

Comme l'assassinat ne peut se faire aussi bien sans la connaissance d'une grande variété de poisons... Guérisseur et Assassin partageaient finalement, avec une ironie malsaine, le même ami commun et nécessaire, l'Herboriste. L'un soigne, l'autre tue, et le dernier donne les ingrédients aux deux...
Elle établit un rendez-vous qui lui convenait, quoi... Qu'appelait-elle « Le lever du jour » dans ce monde voilé d'obscurité ?

« Hum...Avec ce Voile, un tel rendez-vous est délicat, non ? »

Heureusement, il dormait peu, et il ne doutait pas d'être levé et prêt avant que cette demoiselle ne soit sortie de ses songes. Au moins ne serait-il pas « en retard » à un rendez-vous aussi imprécis.

« Dans tout les cas, j'accepte, bien entendu, et vous remercie encore une fois. »

Il était curieux qu'elle préfère le guider à travers les herboristeries, mais il comprenait également... Les temps sont délicats, les brigands plus audacieux grâce au Voile et puis... Apprend-on tout à un apprenti dès le premier jour ? Non... Et il doutait même d'en apprendre autant qu'il l'aurait voulu... L'on garde toujours jalousement nombre de secret, sinon, comment se ferait-on une réputation si chacun savait les secrets de l'autre, et qu'aucun, finalement, n'ai d'atouts dans sa manche... Finalement, en tout domaine, le monde évoluait comme la noblesse, quoiqu'on en dise.

« Oui, bien sûr, des fleurs pour la préparation de quelques tisanes, et des feuilles et des onguents, au cas où j'aurais à traiter une blessure, ce genre de choses. »

Et quelques poisons, pensa t-il sans le dire, et la nature offrait de quoi soigner tant d'autre chose, mais ça ne faisait pas parti de ses préoccupations... Ses tisanes avaient des vertus contre l'insomnie, jouant l'effet de somnifères, les migraines dont il souffrait parfois après usage de magie, et de revigorant contre la fatigue... Il ne soignerait pas grand monde avec ça, mais s'était-il prétendu médecin ? Euh, en fait, oui, mais seulement apprenti.

Ils terminèrent ensuite de manger, discutant de choses et d'autres, sans grandes importances, et se laissèrent là pour la soirée.
Il paya sa part ainsi qu'une chambre et demanda de l'eau chaude au gérant. Sur quoi il monta, se préparant l'une de ses infusions et se coucha, non sans avoir très bien dissimulés son poignard et sa boite à poisons, pour ne laisser apparaître que ses herbes les plus « inoffensives », quoique certaines, laxatives, avaient souvent un usage des plus efficaces, selon la situation.

Il ne dormit pas beaucoup, à peine quatre heures et il fut debout. Se laissant d'abord aller à une petite demi-heure de méditation, petit exercice relaxant qui le mettait en bonne condition pour cette journée, sur quoi il prit sa besace de cuir où se trouvait la boite où était rangée ses herbes, dissimula son poignard dans sa tenue et descendit aux aurores, si le jour était encore présent.
Il descendit dans la salle principale où il demanda du pain à son hôte, auquel il ajouta du thé de sa réserve personnelle, de quoi le mettre d'aplomb pour cette journée, et il attendit simplement que son « maître » des prochains jours ne s'éveillent à son tour.

" Je ne sais pas, vous avez peut-être raison, mais ce sont là les méthodes qu'ont choisi mon maître, et il a ses raisons, je suppose. "

Etheldred se garda bien de faire de nouveaux commentaires et se contenta de continuer à manger en silence. Au moins était-elle d'accord avec ce maître sur la façon de mélanger herboristerie et médecine. L'une sans l'autre lui aurait parue dénuée de sens et bien creuse. Pour le peu qu'elle s'en souvienne, elle s'était pourtant toujours dite herboriste bien qu'elle combine les deux fonctions.

Lorsque Tom fit remarquer que le voile n'aidait pas à se repérer dans le temps la jeune femme retrouva le sourire, amusée :

" Vous avez raison : disons, lorsque prime sonnera, alors. Plus tôt nous nous y mettrons, plus nous aurons de temps après pour vos questions. "

Après tout, ses journées n'étaient pas si chargées que cela. Si elle avait eu sa propre boutique, elle aurait sans doute eu beaucoup à faire, mais à présent, elle pouvait se permettre de prendre un peu son temps. L'apprenti acquiesça lorsqu'elle lui demanda s'il avait déjà des plantes avec lui. Le contraire l'aurait étonné, mais on ne savait jamais. En tous cas, ce pourrait être une façon de partir de ce qu'il connaissait pour développer sur les simples de la région.

Peu bavarde et pas vraiment à l'aise avec un inconnu pour parler de tout et de rien, Etheldred abrégea finalement la conversation, et remonta dans sa chambre. Là, elle passa la fin de la soirée à regarder sa carte et estimer ce qu'il serait intéressant d'évoquer le lendemain avec Tom. Pour le moment, difficile d'être certaines des points possibles à aborder, tant qu'elle n'en savait pas plus sur ses connaissances.

***

Le lendemain, un peu avant l'heure dite, Etheldred était debout et prête à descendre prendre un bon petit-déjeuner. Voyant que le jeune homme était déjà levé, elle lui fit un petit signe de tête en guise de bonjour et alla demander du pain et un bol de lait au comptoir. Revenant avec le tout, elle s'approcha de la table de Tom, demandant simplement :

" Bonjour... je peux m'asseoir ? "

Drôle de situation, quand même : elle avait presque l'impression d'enseigner ce dont elle se souvenait, plus que ce qu'elle savait. Certes, elle avait retrouvé suffisamment ses souvenirs pour être certaine de ne pas raconter de bêtises. D'ailleurs jamais elle n'aurait repris ses activités si elle avait pensé ne pas être en pleine possession de ses moyens. Mais ce n'était quand même pas pareil... Elle se sentait toujours plus nerveuse que nécessaire, de la même façon qu'utiliser un nom elfique la perturbait. Elle fit un petit sourire un peu nerveux à Tom et se dépêcha d'en finir avec son bol de lait.

Finalement, le petit-déjeuner avalé et alors que sonnait prime bien que le jour ne se lève toujours pas, elle ouvrit sa sacoche et étala plusieurs sachets sur la table :

" Voilà ce que je vends actuellement : des simples de base, que l'on utilise en grande quantité. Faciles à trouver, donc, mais qui s'épuisent facilement. En général, étant donné qu'ils se trouvent sans mal, les prix sont bas, on m'en achète facilement car cela servira tôt ou tard. "

Elle hésita un instant, ne voulant pas que ses questions soient mal prises, et finit par demander :

" Sauriez-vous reconnaitre ces plantes et me dire leur utilité ? "

Il s'agissait, comme elle l'avait dit, de simples de base, ne présentant que peu de danger, permettant de désinfecter ou calmer la douleur en petite quantité. C'était une façon simple de le tester et de savoir où il en était, elle espérait juste ne pas le vexer en demandant cela ainsi.

" Je vous promets qu'après je tâcherai de répondre à vos questions. "

Ce début de matinée avait été propice à la réflexion alors que son thé faisait déjà ses effets, il trouva une solution qu'il devrait, à son retour communiquer et proposer à sa sœur, afin de prendre au dépourvu certains problème qui hantait le quotidien et l'esprit du jeune homme parti en voyage quelques jours, simplement parce qu'il était assuré que rien ne pouvait arriver dans un si petit délai et dans la configuration actuelle.
Puis, elle s'éveilla enfin et le rejoint dans la salle encore presque vide où certains prenaient déjà un petit déjeuner. Elle lui fit signe de la tête, alla chercher ses mets avant de le rejoindre.

« Je vous en prie. » accompagné d'un geste de la main fut la réponse qu'il offrit.

Elle engloutit son petit-déjeuner avec une rapidité que Pierrick ne comprit pas, était-elle si pressée ? Peut-être, après tout, c'était sa vie qu'elle gagnait en vendant ces simples, et il lui fallait supposer que plus tôt elle s'y prenait, plus elle gagnerait d'argent finalement, ça se tenait, bien qu'il n'ait jamais eu ces soucis là, lui... Il était nourrit, logé par sa sœur, tant comme frère que comme assassin, espion, homme lige... Il ne travaillait pas tellement pour vivre comme elle.

Elle étala ensuite divers simples, plantes assez courante, il le sut, en reconnaissant la plupart, se servant parfois de ceux-ci, bien que son usage le plus courant, outre les poisons, concernait son sommeil et les migraines provenant de l'usage parfois plus intense de sa magie, mais le soin des blessures, bien qu'il aurait souhaité le contraire, trouvait aussi un besoin avec lui, de temps en temps.

Il désigna chacun, donnant le nom, énumérant leurs usages et les possibles effets secondaires qu'on leur connaissait. Si pour certaines, sa connaissance était parfaite, pour d'autres, il rencontra des hésitations, des légers doutes, n'en ayant pas un usage, ou bien encore, pour certaines dont il n'avait jamais eu l'usage, préférant peut-être des plantes plus efficaces et courantes en Odelian, il ne put pas même dire le nom. Mais dans l'ensemble, il laissait entendre, et c'était le cas, une connaissance des simples « de base »
Il prononça sa réponse avec une rigueur, n'oubliant rien quand il parlait des simples qu'il connaissait, qu'il n'avait pas su cacher, sur un ton qui lui évoqua après coup le ton des rapports qu'il faisait d'abord à son maître, à son père puis à sa sœur, quand il lui fallait raconter tout ce qu'il avait apprit.

Après cela... Il décida de se permettre une question plus... personnelle, mais qui l'avait chagriné la veille, et sa curiosité avait parfois l'ascendant, et il espérait au moins une bride de réponse, afin de pouvoir satisfaire ce besoin là.

« Vous avez toujours voulu étudier et pratiquer les soins et l'usage des simples ? Vous le faites depuis longtemps ? Et euh... C'est personnel, mais je suis curieux, hier vous avez évoqué une recherche, celle de quelqu'un que vous connaîtriez ici... Vous souvenez-vous à quelle occasion vous étiez venue, auparavant ? »

Il avait une autre idée derrière la tête, du moins, attendait-il de voir si elle s'ouvrirait assez pour lui donner les quelques éléments dont il avait besoin pour la mettre en pratique, à ses heures libres.

Etheldred hocha la tête à mesure que le jeune homme détaillait ce qu'il connaissait des plantes. Elle alla même jusqu'à évoquer rapidement quelques propriétés de celles qu'il n'avait pu nommer. Rien de bien extraordinaire. Il y avait là une certaine variété, il n'était pas étonnant qu'il ne les maitrise pas toutes à ce stade de son apprentissage. Mais il était évident qu'il avait une bonne formation de base. Au fur et à mesure, elle réfléchissait donc à ce qu'elle pourrait aborder avec lui. Certes, cela ne suffirait pas à se faire une idée précise, mais elle savait déjà ce qu'elle pourrait lui dire en se sachant comprise et ce qu'elle tairait parce qu'il était trop tôt.

Finalement elle rangea les simples avec précaution, car il s'agissait de ce qu'elle utilisait réellement, et s'attendit à des questions sur le sujet. Or, Tom semblait disposé à lui en demander plutôt davantage sur elle. En réalité, cela ne la surprenait pas vraiment : avant de recevoir un savoir, mieux vaut savoir à qui on a affaire. En revanche, elle n'était pas certaine de ce qu'elle avait envie de répondre.

D'une certaine façon, elle était venue ici pour avoir des réponses. Si elle ne disait pas ouvertement dans quel état elle se trouvait, elle ne risquait pas d'obtenir de l'aide. Et puis, elle répugnait à cacher la vérité sur son amnésie. Même si elle se savait en mesure d'enseigner, cela ne lui paraissait pas honnête vis-à-vis de Tom. D'un autre côté, si le bruit se répandait qu'elle était peut-être devenue incompétente, elle perdrait son seul moyen de subvenir à ses besoins dans cette ville. Et puis, il y avait cette d'histoire d'elfe, qui se recoupait avec son nom, qui ne cessait de lui poser problème lorsqu'elle se présentait. Bref, de quoi hésiter...

Elle opta pour l'honnêteté. Après tout, elle n'avait pas tant que cela à y perdre, même si pour ce qui était d'y gagner, elle estimait que Tom n'avait aucune chance de l'aider étant donné qu'il n'était pas du coin.

" En réalité, j'ai commencé à apprendre l'herboristerie avec ma grand-mère lorsque j'avais sept ans. Elle m'a prise comme apprentie et m'a enseigné tout ce qu'elle savait. "

Elle ne mettait aucune image sur son aïeule, ni sur l'herboristerie de son enfance. C'était le vide, excepté ce qui avait trait aux anecdotes rapportées par écrit. Elle hésita et finit par reprendre doucement :

" En réalité, j'ai eu quelques soucis dernièrement. Le mois dernier, je me suis réveillée amnésique et perdue en forêt. Si je vous parle de mon passé, c'est parce que je l'ai lu dans mon journal intime. Je me souviens précisément de tout ce que j'ai eu l'occasion de pratiquer... l'herboristerie et la médecine en font partie. "

Elle avait d'ailleurs été soulagée de s'apercevoir que son amnésie ne resterait pas figée à jamais. Pour peu que sa mémoire soit stimulée, elle revenait. La jeune femme soupira légèrement en concluant :

" Vous comprenez bien que si cela vient à se savoir, on risque de ne plus m'acheter mes plantes. D'ailleurs, je comprendrais très bien que vous préfériez vous adresser à quelqu'un d'autre pour votre apprentissage. Néanmoins, je me pense capable de continuer à travailler, j'ai eu l'occasion de faire mes preuves et je n'ai pas commis d'erreur. Je ne vous le proposerais pas si je n'étais plus compétente. "

Elle ne précisa pas où elle avait retrouvé sa mémoire, mais termina simplement :

" D'après mon carnet et les souvenirs qui me sont revenus en arrivant ici, j'ai participé au siège d'Alonna en tant que soigneuse. Seulement, personne ne semble me reconnaitre et, si les lieux m'évoquent certaines choses, ce n'est pas le cas des gens. Je crains qu'avec la reconstruction de la ville, il n'y ait eu trop de changements. "

Il savait l'essentiel, même si elle avait occulté volontairement la partie elfique afin de simplifier le résumé et d'éviter un éventuel rejet raciste. Puis, avec un léger sourire, elle ajouta :

" Votre curiosité est-elle comblée et... allez-vous me fausser compagnie ici ou me faire confiance ? "

Autant que ce soit clair : elle n'allait pas le forcer à la suivre parce qu'ils s'étaient mis d'accord la veille. Avoir un peu d'aide pour ses ventes ne lui déplaisait pas, mais elle pouvait s'en sortir seule.

Au fur et à mesure qu'il récitait comme une leçon apprise, ou plutôt, un rapport concis et précis les propriétés et les noms, l'usage et la manière de l'utiliser, de préparer et d'administrer, elle compléta les trous qui apparaissaient, et il s'évertua, ainsi qu'il l'avait toujours fait, à mémoriser les noms, les autres usages des plantes qu'elle avait étalé devant lui. Bien qu'il doute en avoir un jour l'usage, il était toujours bon d'en savoir un maximum sur le sujet... Les poisons et leurs subtilités, les breuvages dont il se servait principalement pour exercer son Don, si gourmand en énergie, cause de quelques migraines quand il en usait trop, et les drogues qu'il avait déjà prit, améliorant sa condition, lui offrant un surplus d'énergie, tout du moins temporairement avant de l'affliger d'une grande fatigue... C'était vraiment ce dont il avait besoin le plus souvent.

Il lui posa des questions, plus personnelles que dans l'objectif de réunir plus de connaissance sur les plantes. Il lui fallait savoir avec qui il passerait les prochains jours, mais surtout... Pour lui, l'aide à la récolte ou à la vente de simples ne suffisaient pas, ou du moins, révélaient une certaine générosité qu'il tenait désormais à cœur de remercier, de récompenser dignement... Par un cadeau ou un présent autre, et il était à la recherche d'un indice, d'une chose qui la satisferait et qu'il pouvait offrir. Elle avait évoqué une recherche, et cela appartenait à son domaine, à sa spécialité, alors si il pouvait l'aider, lui donner en échange de ces connaissances une piste, une trace qu'elle pourrait suivre, là, il se sentirait soulager, sans dettes.

Et elle lui répondit, faisant preuve d'une franchise qui aurait pu lui coûter cher, mais qui était honorable car elle aurait pu souffrir de ce qu'elle racontait, nuisant à ses manières et à ses capacités à enseigner et à réciter les propriétés des plantes, leurs usages... Mais il n'en dirait rien, il la croyait quand elle disait se souvenir de ce qu'elle avait eu l'occasion de pratiquer.
Il écouta silencieusement, prenant grand soin de tout mémoriser. C'était sur les traces de soldats ayant participé au Siège d'Alonna qu'il devrait se lancer, à ses heures perdues tout du moins. C'était une bonne récompense, un très beau présent qu'il voulait pouvoir lui donner, le jour de leur séparation.

Quand elle eut finit, il répondit d'abord.

« Elle est comblée, et je vous promets de tenir ma langue quant à votre... souci. »

Il ne voyait aucune raison de devenir parjure, pour le coup, c'était une promesse aisée à tenir pour celui qui porte tant de secrets, n'est-ce pas ? Puis il entreprit de répondre à la seconde question... Allait-il malgré tout la suivre, même en la sachant amnésique.

« Je ne compte pas vous fausser compagnie, vous m'avez assuré vous souvenir de ce que vous aviez pratiqué et je vous pense sincère, car vous êtes consciencieuse et que vous ne risqueriez pas la vie de gens en transmettant ou en usant d'un savoir que vous sauriez incertain. »

C'était une analyse des plus simples, pertinentes malgré tout... Elle avait douté de la méthode pratiqué par son maître, et c'était normal, ce n'était pas la meilleure façon de faire, loin de là.

« Par contre, je dois vous avertir que d'ici quelques jours, je m'absenterais, le temps d'aller donner et prendre quelques nouvelles... Ensuite, je reviendrais. »

Il avait surtout envie de retourner voir Faustine, une idée avait germé, et il lui fallait la mettre en pratique avant de s'engager plus dans un apprentissage parallèle... Il lui fallait un moyen de savoir si on avait besoin de lui en Escault, car sa vie était d'abord offerte à sa sœur avant de lui appartenir, elle avait la priorité sur son intérêt pour un savoir plus aboutit.

« Si vous êtes d'accord avec ça... Nous commencerons quand vous voudrez. »

Quand Tom décida de ne pas la trahir, le soulagement de la jeune femme fut visible. Oh, elle ne jouait pas sa vie, après tout, elle pouvait très bien, si l'on mettait en doute ses compétences à Alonna, aller exercer ailleurs. Sans attache, elle avait le monde à sa disposition, en admettant qu’elle ait envie de sans cesse recommencer à zéro. Mais ‘il lui faisait confiance, alors d’autres feraient peut-être de même et cela était rassurant.

Quant à la question de s’absenter, elle n’y voyait aucune objection. Après tout, ce n'était pas elle qui demandait un enseignement, alors s'il passait du temps ailleurs, il serait le seul réel perdant vis-à-vis de ce qu'elle pouvait lui apprendre.

" Je n'y vois aucune objection. Pensez juste à me prévenir, que je puisse m'organiser. "

Ses affaires rangées, elle se leva aussitôt, annonçant simplement :

" Allons-y, dans ce cas. J'ai prévu la tournée des herboristeries, apothicaires et autres... "

Ils sortirent de l'auberge et, tout en marchant dans les rues qui, au petit matin, s'animaient, elle continua à expliquer :

" Je propose les simples et prends éventuellement note de ce qui manque ici et là. Ainsi, lorsque le stock sera épuisé, il n'y aura plus qu'à sortir en ramasser, pour peu que l'on en trouve. A cette période de l'année, heureusement, c'est agréable de sortir. "

De fait, si elle aimait soigner, se promener pour cueillir des herbes lui plaisait tout autant. Elle prit le temps d'énumérer les plantes les plus couramment utilisées et qui s'épuisaient le plus vite, précisant qu'ils reviendraient sur celles, spécifiques à la région, l'après-midi même.

Ce faisant, ils entrèrent dans une première herboristerie où, visiblement, Etheldred était déjà connue du propriétaire. L'air était saturé d'odeurs de simples séchés, des effluves qui pouvaient incommoder les nez qui n'étaient pas habitués mais que la jeune femme adorait, à en juger par le sourire qui flottait sur ses lèvres. Elle fit rapidement les présentations et vendit quelques sachets qu'elle expliqua être de la reine des prés à Tom, même s'il connaissait probablement cette plante. Apparemment, le vieil homme qui tenait la boutique était ravi de pouvoir être fourni en simples à petit prix et Etheldred promit de revenir durant les jours suivants.

Les transactions terminées, alors qu'ils ressortaient à l'air libre, Etheldred demanda soudainement :

" Préférez-vous l'enseignement oral, ou bien passez-vous par l'écriture pour mieux retenir ce que vous apprenez ? "

Les lettrés n'étaient pas si nombreux que cela et elle préférait de suite savoir si elle devrait se répéter ou, au contraire, lui ménager la possibilité de noter ce qu'elle disait. Il n'était pas nécessaire de savoir lire et écrire pour s'y connaitre en herboristerie ou savoir soigner, mais ce n'était pas une aide négligeable lorsqu'on pouvait y faire appel.

" Je me souviens avoir eu un apprenti, mais je crains ne pas être allée très loin avec lui... N'hésitez pas à me dire si je m'éloigne de ce que vous souhaitez savoir. "

Elle n'était pas bavarde, non, mais lorsqu'il s'agissait de plantes ou de soins, elle pouvait disserter sur le sujet des heures... encore fallait-il que cela intéresse le jeune homme.

Elle marchait toujours en parlant, soucieuse de ne pas trainer et perdre du temps. Ils avaient du chemin à faire, d'une boutique à l'autre, même si certaines rues avaient le bon goût de rassembler les échoppes proposant le même type de marchandises et de services. Pour le moment, elle se contentait d'expliciter ce qu'il y avait à savoir des plantes dont il était question à chaque fois qu'elle en vendait. Si certaines avaient droit à des explications détaillées sur leur usage, d'autres étaient traitées bien plus rapidement : simples plus dangereux, Etheldred préférait de pas s'y attarder, estimant qu'après deux ans d'enseignement, le jeune homme n'était pas prêt à traiter de ce genre de sujet.

[hrp : je te laisse voir si tu préfères développer l'instant présent ou bien passer à la suite]

Les bases de cette entente qui pourraient s'avérer des plus instructives, et si de lui même, il n'avait pas même imaginé ne pas l'avertir du quand il s'absenterait, mais il se contenta d'acquiescer, ne voyant rien à ajouter. Puis elle rangea ses affaires et se leva, mouvement qu'il suivit immédiatement après elle.

Ils sortirent, dans ce ciel toujours dépourvu du moindre soleil, si il vivait beaucoup dans l'ombre, cette absence de lumière commençait à sérieusement le tracasser, l'épuisait même, en certains aspects, il fallait que ça se termine, pour tout le monde, il le fallait, mais c'était aux Dieux de décider quand ce tourment pourrait s'achever.

En marchant, elle lui expliqua ce qu'elle faisait, et il prit conscience qu'elle était sans aucun doute une pièce importante pour ces herboristeries citadines, car partir à la cueillette, c'était la contrainte de fermer boutique une journée, alors que cette Etheldred, les possibles personnes qui font la même chose, comblaient ce problème avec plaisir et pour un prix réduit. C'était une façon intelligente de procéder, mais il s'interrogea sur le gain, au final, il devait être réellement limité.

« Je suppose que le Voile rend les choses moins agréable, qu'il a une incidence sur ce que vous parvenez à trouver. »

Après tout, ça avait une incidence sur les plantes, sans lumière, elles avaient grandement souffert, le métier en serait touché, et les gens ensuite... La première année du premier cycle serait délicate, à n'en pas douter.
Elle énuméra un certain nombre de plantes assez courante, dont il connu bientôt les bienfaits autant que les méfaits, les effets secondaires.
Ils entrèrent dans une première herboristerie, apparemment partenaire de la demoiselle depuis quelques temps déjà, auquel elle vendit quelques sachets de plantes dans un parfum dont il n'aurait pas su distinguer chaque nuance et surtout, ses composants tant cela comprenait l'odeur mêlée de nombreuses plantes et herbes.

Ils ressortirent et elle demanda soudainement une chose qui lui apparu sûrement nécessaire, et c'était normal, mais il répondit bien vite.

« L'enseignement oral suffit, j'ai une excellente mémoire. »

Et il l'avait travaillé... Son maître lui avait apprit à mémoriser tant les éléments, les détails d'une discussion ou d'un texte sans être contraint à la prise de note, interdite par ailleurs. Ainsi, l'enseignement oral lui suffirait, et c'était même ce qu'il préférait.

« Je n'hésiterais pas. »

Elle continua, de boutique en boutique, à lui expliquer et lui enseigner parfois longuement, parfois vaguement, les caractéristiques des plantes. Dans certains cas, il avait relevé qu'elle avait survolé bien vite certaines plantes qu'il savait avoir des effets dangereux, mais il évita d'en dire quoique ce soit.
Puis vint ce qui devait être l'heure du midi, surtout à en juger par la faim qui commençait à poindre, et qui touchait déjà les citadins.

« Que diriez-vous d'aller manger quelque chose avant d'entamer l'après-midi, je vous invite. »

Et si elle fut d'abord gêne, sans doute par le côté financier dont s'occupait son nouvel apprenti, elle finit par accepter, après tout, un repas pour lequel elle n'a pas besoin de débourser le moindre sous, quand on ne roule pas sur l'or, on ne le refuse pas.

Il trouva une petite échoppe au prix raisonnable, non qu'il soit trop limité, mais il avait un personnage à jouer... Un personnage qui, si il était généreux, n'avait pas des bourses sans fond.
Pendant le repas, il posa une question tout à fait sérieuse.

« Quand irons-nous dans les bois ? Non que le tour des herboristeries me déplaisent mais... Il me tarde d'apprendre sur le terrain. »

Lorsque Tom supposa que le Voile commençait à poser problème, la jeune femme hocha la tête :

" Disons qu'au début je ne me suis pas vraiment inquiétée... "

Le fait d'être en territoire elfique où finalement Kÿria s'était déchainée pour redonner toute sa vigueur à la nature avait aidé à ne pas s'affoler des conséquences du manque de soleil. Et puis on lui avait expliqué dès le début que c'était censé être passager et que cela avait lieu tous les mille ans.

" ... mais à présent, j'avoue que cela commence à devenir très inquiétant... j'essaye de ne pas trop y penser et de faire avec. "

Ils n'avaient pas réellement le choix, en vérité. Alors, elle avait poursuivi sa vie en essayant d'ignorer les changements tant bien que mal. Certains couraient après les dieux, mais elle doutait que cela change quoi que ce soit. Si ses derniers avaient décidé de donner une leçon aux mortels aller leur parler ne changerait sans doute rien.

Elle préféra donc ramener la conversation à l'herboristerie et finit par lui demander s'il préférait un enseignement oral ou écrit. La réponse ne la surpris guère car elle supposait que, comme la plupart des gens du peuple, le jeune homme ne savait pas écrire. Elle eut un petit sourire quand il annonça qu'il n'hésiterait pas... eh bien tant mieux, mais elle tâcherait tout de même de s'assurer qu'elle ne parlait pas dans le vide. Toute mémoire a ses limites. Elle ne la ménagea pourtant pas beaucoup au cour des visites qui suivirent commentant la plupart des plantes dont il était question. Apprendre en mettant un tant soit peu en pratique lui paraissait le plus efficace. Et encore, il se contentait de regarder pour le moment.

Lorsque Tom proposa d'aller déjeuner, Etheldred failli décliner l'invitation, avant d'accepter avec une certaine gêne. Elle devait reconnaitre qu'elle commençait à avoir faim, n'ayant pas encore perdu ses habitudes du fort Ellyrion où elle était nourrie à satiété. A présent, elle comptait ses sous beaucoup plus qu'elle ne l'aurait voulu et si elle ne se sentait pas malheureuse, se voir offrir un repas n'était pas de refus. Mais en même temps, elle estimait qu'il n'avait pas à faire cela et même si ce n'était pas un déjeuner exceptionnel, elle était ennuyée qu'il le paye, même si elle appréciait le geste.

Tout en mangeant, le jeune homme en profita pour demander quand ils iraient sur le terrain. En réalité, Etheldred y serait volontiers allée l'après-midi même, mais pour le moment, elle préférait attendre un peu de mieux connaitre son apprenti. Certes, aller seule dans la plaine ou la forêt pouvait se révéler de toute façon risqué, mais si en plus elle devait se méfier des réactions d'un inconnu... Aussi, elle répondit de façon évasive, préférant remettre à plus tard sa décision :

" Dès que mes réserves de plantes seront épuisées. Nous pourrons aller faire la cueillette et nous en profiterons pour répondre à vos questions. "

S'ensuivit une leçon plus théorique. La jeune femme alla chercher une carte et entreprit de passer en revue les remèdes de bases selon les régions qui intéressaient Tom et qu'elle connaissait elle-même. Autant dire qu'elle ne pouvait répondre à tout, même si elle commença à apporter un certain nombre d'éléments à propos de ce qu'il lui avait demandé. Lorsqu'elle en avait la possibilité, elle lui montrait un échantillon des simples évoqués ou bien les dessinait.

Le lendemain s'écoula de la même manière, les visites du matin servant également à compléter ce qui n'avait pu être montré la veille. Finalement, avant de se séparer, le soir, Etheldred annonça que le lendemain ils pourraient aller voir en situation ce dont il retournait. Certaines plantes n'étaient pas évidentes à trouver et il était temps d'ajouter un nouveau paramètre : les lieux de prédilection des simples. Tom avait passé deux jours à se comporter de façon tout à fait convenable et semblait apprendre avec grand intérêt, aussi l'herboriste ne voyait pas de raison de retarder davantage la mise en pratique. Elle lui recommanda donc de se munir d'un repas, mais surtout d'un sac, de chiffons s'il en avait, d'une gourde et d'un couteau et lui donna rendez-vous le lendemain, à prime.

***

Le petit déjeuner avalé, les deux jeunes gens se retrouvèrent donc à l'extérieur des murs de la ville. Il faisait relativement beau si on considérait le soleil toujours absent. Sans l'éclipse ils auraient u profiter d'une belle journée d'été. Préférant ne pas s'attarder à nouveau sur le ciel sombre, Etheldred se mit à marcher en demandant :

" Quelles sont les plantes dont vous vous souvenez et que vous aimeriez essayer de trouver en priorité ? "

La jeune femme avançait d'un bon pas, se dirigeant en premier lieu vers un endroit où elle savait trouver à volonté de la reine des prés dont on lui avait demandé livraison. Elle avait toujours sa sacoche sur elle, et avait pris garde d'emporter son épée, juste au cas où, bien qu'elle espére qu'ils n'auraient pas d'ennui durant cette sortie.

Il s'écoula deux jours entiers avant qu'elle n'évoque la possibilité au lendemain de sortir de l'enceinte de la ville, aller voir sur le terrain directement, et non plus se contenter d'une théorie qui, si elle était intéressante et fort bien expliqué ne valait pas les repères, les conditions qu'on trouvait sur le terrain lui-même pour localiser les simples qu'on désirait.
Chaque soir, au moment de se séparer, Pierrick profitait de ce besoin fortement réduit de sommeil, mais aussi de quelques tisanes revigorantes pour mener ses recherches, allant d'auberges en auberges, cherchant des soldats qui auraient participé au siège d'Alonna voilà quelques années, et dès qu'il en trouvait, il faisait la description d'Etheldred, évoquant son métier et demandant à ces derniers si ils s'en souvenaient, ou bien si ils connaissaient quelqu'un qui saurait, mais sans grand résultat... C'était trop loin ou bien alors, elle n'avait pas assez marqué pour qu'on s'en souvienne, mais il ne démordait pas, offrant deux à trois heures le soir, après leur séparation, à cette petite quête sans grand importance, finalement.

Ce soir là, quand il rentra, il réfléchit au moment où il ferait un retour de quelques jours à Escault, afin de rassurer sa sœur autant que d'évoquer une idée qui lui était venue, quoique délicate à mettre en pratique et se tenir informer quant à d'éventuels besoins, il n'oubliait pas son rôle.
Quand il descendit pour un petit déjeuner, il avait prit ce qu'elle lui avait recommandé, ajoutant, dissimulé, son poignard, on ne sait jamais ce qu'ils rencontreraient hors de la ville, et son rôle joué ne devait primer sur la sécurité et la préservation de sa vie.

Une fois le premier repas avalé, ils se retrouvèrent au dehors de la ville, et Pierrick apprécia la fraicheur mais surtout, le calme qui y régnait, bien que celui-ci fut d'autant plus important que le Voile éprouvait tant les plantes, les hommes que les bêtes totalement déboussolées.
Quand elle lui demanda, tout en marchant, ce qu'il aimerait trouver en priorité, il prit un temps de réflexion pour lui-même, pensant d'une part à ce qu'il était censé de demander, de l'autre, à ce dont il aurait besoin, pour lui-même, car il serait bien rare que son savoir ne serve quelqu'un d'autre que lui-même ou sa sœur, du moins, l'estima t-il.

« Eh bien... »

Et il donna quelques noms de plantes, qu'il connaissait ou qu'elle lui avait apprise la veille, mélangeant désinfectant locaux, et des stimulants, qui, si il savait pouvoir trouver mieux n'en resterait pas moins utile ici, pour les prochains jours.
Il ne donna tout au plus que trois ou quatre noms, afin de ne pas surmener la jeune femme, il fallait laisser du temps pour les récoltes gagne pain, disons les choses ainsi, et c'est volontairement donc qu'il amoindrissait ses éventuels besoins. Il était là pour acquérir quelques connaissances supplémentaires, non pour préparer une formation pour la suite de sa vie, aussi ne voulait-il pas trop prendre le pas sur la sienne.

Quand il vit l'épée à la taille, cela le surprit, bon, certes, les chances de rencontrer des bandits étaient existantes, plus encore qu'en plein jour, mais une herboriste avec des qualités guerrières ? A moins que ça ne soit que dissuasif ?

« C'est également pendant qu'on vous apprenait les vertus des plantes qu'on vous à apprit à manier l'épée ? »

C'était là une chose dont il savait la pratique, bien qu'il soit bien loin d'y exceller... Mais il ne rencontra jamais adversaire dans ses missions, dont sa discrétion, sa magie et son poignard ne vinrent pas à bout... Il n'était pas homme à chercher le contact de manière franche, il était lâche, mais quel véritable assassin ne l'est pas, après tout ?

Ils arrivèrent là où la jeune femme savait trouver une très grande quantité de reine des prés, pour la livraison qu'on voulait d'elle.

« Quelle quantité doit-on récupéré ? »

Etheldred hochait légèrement la tête à mesure que le jeune homme parlait en marchant. Il avait retenu quelques plantes dont elle lui avait parlé qui lui avaient été inconnues, prouvant qu'il avait effectivement une bonne mémoire. Stimulants, désinfectants...

" Mieux vaut aller à l'orée de la forêt, c'est là qu'on trouvera la plus grande variété. Nous aurons des zones d'ombre et de soleil à portée de main. Elle jeta un coup d'œil au ciel soupirant, enfin, façon de parler... "

Elle ne se dirigea donc pas au hasard mais commença à ralentir un peu sa progression pour repérer les espèces qui poussaient. Chacune était liée aux autres et elle savait trouver les bons indices. Le tout, à présent, était de les indiquer à Tom sans le noyer sous les informations. Elle allait recommencer à parler lorsqu'il l'interrogea soudain sur son épée. Le remarque lui tira un petit sourire :

" Selon mon journal, c'est mon père qui m'aurait appris à m'en servir. J'ai eu la chance de suivre des cours depuis mon amnésie et j'avoue que c'est plutôt rassurant. J'espère tout de même ne pas avoir à m'en servir. j'ose espérer que sa présence est suffisamment dissuasive. "

Si elle aimait l'escrime, elle ne se sentait pas assez agressive pour mener un combat réel. D'ailleurs, elle n'avait jamais eu à le faire depuis qu'elle avait retrouvé la mémoire. Dans ses notes, il en était pourtant question et Mëgilen l'avait bien entrainée dans ce but, lui faisant repousser ses limites, mais elle ne s'imaginait pas face à un adversaire déterminé à la tuer... ni elle, tuer qui que ce soit.

" Vous n'avez pas eu d'ennuis, durant votre voyage ? Vous n'avez pas pensé à vous munir d'une arme pour venir ici ? "

Était-il particulièrement confiant ou cachait-il quelque moyen de défense insoupçonné ? Pour le moment, elle était incapable de s'en faire une idée.

Revenant à l'herboristerie, elle s'arrêta finalement devant des pousses de reine des prés, repérant au passage une des plantes que le jeune homme souhaitait trouver.

" Étant donné ce qui pousse, nous n'aurons pas grand chose à ramasser. J'imagine que votre maître vous a expliqué qu'on ne prenait jamais la totalité des pieds, qu'on laissait toujours à la nature la possibilité de reproduire de nouvelles plantes... Avec l'éclipse il vaut mieux être encore plus prudent et ne pas abuser de ce qui nous est offert. Nous marcherons un peu plus pour trouver d'autres plans, voilà tout. "

L'idée n'avait pas l'air de lui déplaire, bien au contraire : elle adorait se promener ainsi. Si elle avait dû s'interroger sur sa motivation quand à l'herboristerie lorsqu'elle avait retrouvé la mémoire, elle avait vite découvert toute sa passion pour son métier. Elle s'agenouilla donc et ouvrit sa sacoche dont elle sortit un grand sachet de tissu et continua à parler :

" Inutile de les envelopper dans un linge humide car nous aurons besoin de cette plante séchée. Ne coupez que les sommités, cela suffira. Un groupe de fleurs sur quatre, les coupes se font au couteau, proprement, bien-sûr. Ensuite vous pourrez chercher dans les environs l'une des plantes que je vous ai montré séchée et dont vous me parliez... je vous laisse découvrir laquelle. "

Se mettant aussitôt au travail avec application, elle finit tout de même par demander :

" De combien de temps disposez-vous pour apprendre les particularités de cette région-ci ? Il serait peut-être plus intéressant que je vous donne un échantillon de ces plantes, ou que nous allions les chercher, et que vous demandiez directement à votre maître ce qu'il en est ? Il jugera mieux que moi si vous êtes prêt ou non à aborder ces notions. "

Elle remplissait peu à peu le sac en parlant, prenant garde à ne pas perdre les minuscules fleurs qu'elle avait coupées. La question n'était pas anodine, ce serait un compromis intéressant afin d'éviter d'anticiper sur l'apprentissage de Tom de façon prématurée, mais d'éviter aussi de lui faire perdre son temps. Il avait l'air intéressé et réellement motivé alors autant en profiter.

" Non pas que vous me dérangiez, j'ai tout mon temps, personnellement, mais je crains que ce que je vous apporte ne soit qu'une goutte d'eau dans l'océan. "

Il y avait tant à apprendre ! Elle-même avait l'impression qu'elle n'en ferait jamais le tour. Cela dit, il pouvait bien prendre son temps, elle n'avait rien contre sa présence, bien au contraire. Pouvoir partager son métier avec quelqu'un qui ne la voyait pas comme une concurrente dans le métier lui faisait plaisir et le jeune homme était quelqu'un d'agréable.

Après l'exercice de mémoire aisé, et le listage de quelques plantes dont il aurait l'usage, elle réfléchit quelques instants tout en marchant, avant de prendre une décision sur la route à prendre, l'endroit où ils se rendraient pour leur récolte. Il sourit quand elle parla du soleil, avant de rester pensif... Le soleil avait une si grande part, une telle importance dans la vie des gens, son absence prolongée aurait des conséquences, même à son retour, si il revenait tout du moins, sinon, beaucoup y perdrait la vie, à n'en pas douter.
Il regarda autour de lui, cherchant légèrement en retrait là où se portait le regard de la jeune femme... Elle cherchait des indices naturels, des rapports entre les plantes, s'était une bonne façon de se diriger, et il ne douta pas qu'elle savait ce qu'elle faisait, à ce moment là. Mais il décida de l'interroger sur l'épée qu'elle portait au flanc.

Il nota donc que, bien que peut-être compétente, il ne fallait pas compter sur elle dans une lutte armée... Oh, non qu'il pense à mal de cela, mais c'était des choses à savoir d'une personne. Elle ne saurait pas tuer quelqu'un, même si on la menaçait, ou alors, ce serait un pur accident. Un fossé les séparait, et finalement, l'un et l'autre se trouvait vraiment à deux extrêmes d'un même spectre.
Elle était guérisseuse et usait des plantes pour cela, et méprisait même l'idée de tuer, à n'en pas douter, et lui... Il était assassin, usant des plantes dans la confection de poison, tuer était son métier, l'une des choses qu'il savait faire de mieux, de tant de façons, bien qu'un code de conduite ne le retiennent... Il n'était pas un meurtrier assoiffé de sang, il tuait quand c'était nécessaire ou quand sa sœur le lui ordonnait, jamais par plaisir, jamais égoïstement.

Elle l'interrogea sur les possibles ennuies qu'il aurait pu croisé, et l'absence d'arme, au contraire d'elle.

«Non, aucun... J'ai bien eu vent des rumeurs parlant de brigands sur les routes, mais je n'ai pas eu à souffrir d'une telle rencontre... Quant à porter une arme, je ne possède que mon couteau, je le crains. »

Un couteau et un poignard, pour être exact, et une très grande habilité pour s'en servir... Quant à mesurer l'avantage qu'il avait dans cette obscurité, il n'était guère utile d'aller plus loin, il saurait se défendre et vaincre si un ennemi se présentait. Mais dans la mesure du possible, il préféré les éviter, usant de sa furtivité en ce sens...

Ils arrivèrent finalement au point de cueillette, et Pierrick resta attentif aux instructions que donnaient la jeune femme, un respect pour la nature autant qu'un souci de préserver au mieux les réserves de ce qui faisait son gagne pain, c'était logique et bien pensé.
Il prit une légère distance avec elle et se mit à son tour au travail, écoutant autant les dernières instructions, puis, après un moment, les nouvelles questions.
De combien de temps disposait-il... Lui dirait quelques jours, tout au plus, pas davantage

« Quelques jours... Guère plus. Je dois en apprendre les principales et plus courantes, les plus utilisées, le détail appartiendra à l'instruction que je me ferais, au fil des ans. C'est trop peu pour satisfaire ma curiosité et mon désir de connaissance, mais ce sont là les mots de mon maître... Peut-être m'autorisera t-il à prolonger l'expérience si je lui raconte ces instants et l'aide que j'ai trouvé en vous rencontrant. »

Il sourit à la dernière remarque qu'elle fit, avant d'ajouter entre deux simples.

« La moindre goutte est précieuse pour qui a réellement soif. »

Parmi ses trouvailles, il trouva des herbes couchées, et les traces, encore fraîches, de quelques bottes... C'était peut-être rien, mais il fallait rester prudent.

Juste un couteau pour se défendre ? Ce pouvait être utile si on savait bien le manier. La question était de savoir si Tom savait s'en servir pour autre chose que la cueillette. La jeune femme n'avait plus qu'à espérer qu'ils n'aient aucun souci lors de leur promenade.

Elle changea de sujet et en revint à l'apprentissage, découvrant avec une certaine perplexité la façon dont le maître du jeune homme concevait son enseignement. Cela lui paraissait quelque peu brouillon et surtout assez peu productif. Enfin, elle s'était dit qu'elle ne critiquerait pas davantage, ce qui ne servait à rien, et se contenta de prendre note avant de commenter :

" Nous nous concentrerons donc sur les plus courantes alors... Si on élimine celles qui ne sont pas propres à cette région, je pense qu'on peut se concentrer sur cinq ou six espèces. "

Dont certaines dont l'usage devrait être explicité avec son maître car elle ne l'estimait pas encore prêt à les aborder. Mais finalement, en se limitant à ce qu'il demandait quelques jours suffiraient sans doute s'ils parvenaient à trouver les simples auxquels elle pensait.

Elle sourit en entendant la métaphore et hocha la tête avec enthousiasme :

" C'est vrai. Quand j'ai retrouvé la mémoire j'avais envie de tout réapprendre en même temps, je ne savais plus ou donner de la tête. Tout me revenait de façon confuse mais plus je me penchais sur le sujet, plus je me souvenais et... "

Elle se tut subitement et replongea dans les plantes, consciente qu'elle allait finir par devenir bavarde et, ça, elle n'était pas certaine que ça lui ressemblait. Une impression étrange de passer son temps à se demander si elle était bien elle-même. Mais ce n'était pas une raison pour souler Tom de paroles.

Etheldred remarqua aussi les traces de pas, jeta un œil à la ronde, mais fut bien forcée de constater qu'il n'y avait rien à voir. En même temps, la nature était trompeuse. Mais si elle avait dû rentrer chez elle au moindre risque, elle n'aurait jamais plus aller jusqu'à Alonna seule. Quoique la notion de "chez elle" était devenue particulièrement floue ces derniers temps. Elle scruta un instant les arbres les plus proches, mais il était inutile de chercher à percer la forêt.

Elle ne tarda pas à se relever et remettre sa sacoche sur l'épaule.

" Alors... voyez-vous la... "

Elle s'immobilisa, ayant cru apercevoir un mouvement dans la forêt, autre que les branches qui s'agitaient avec le vent. Cette éclipse... elle supposait avoir une bonne vue, pour une humaine, mais vivre cette nuit perpétuelle devenait difficile, les ombres paraissaient bien plus menaçante qu'en plein jour. Elle avait l'impression qu'on les observait, mais estimait que c'était sans doute son imagination. Pourquoi se serait-on caché pour les épier ? Quelque chose craqua au milieu des arbres et elle se figea à nouveau.

" C'est moi, ou il y a... un animal ? "

Elle jeta un coup d'œil un peu inquiet à Tom et hésita. Finalement, ils auraient peut-être mieux fait de rester à l'abri des murailles. Mais bizarrement, elle trouvait ça normal d'aller crapahuter en faisant fi du bon sens. Pour ce qu'elle en avait lu dans son journal, c'était une très ancienne habitude.

Bien qu'elle n'en dit pas mot, Pierrick se douta que le délai, des plus courts, pouvaient amener une remarque quant aux méthodes des plus négligés que son maître adoptait, mais rien ne vint, elle tint parole quant au fait de ne plus mentionner les défauts de l'apprentissage qu'on donnait à sa personne. Et la décision qu'elle prit semblait des plus réalisable, en espérant qu'il apprenne du neuf, mais cela, il n'en doutait pas, restait à voir si, à l'avenir, cette connaissance supplémentaire lui serait utile, d'une façon ou d'une autre.

Ils se concentrèrent donc après quelques échanges sur la collecte des simples, bien qu'après un moment, Pierrick eu la mauvaise et inquiétante surprise de découvrir les empreintes de pas, à priori récente, et cela, sans autre indice, et en ces temps où les bandits se plaisaient et s'épanouissaient plus encore que d'ordinaire, sous couvert de l'obscurité permanente, c'était un danger non négligeable.

Tandis qu'il porta son regard dans les bois proches, à la recherche d'une supposée destination probable, Etheldred sembla se relever, entamant une phrase qu'elle interrompit soudainement lorsqu'un bruit dans la forêt qui attirait son attention se fit entendre. Il chercha à distinguer au mieux qu'il pouvait, ses yeux habitués à l'obscurité, la lisière des bois afin d'en trouver une origine, sans succès, mais instinctivement, sa prise sur le couteau s'était affermie, la menace était là, proche, son instinct le lui criait, mais il devait également sauvegarder les apparences aux yeux de la jeune femme, ne pas passer pour un... assassin.

Elle l'interrogea, la mine inquiète, sur les possibilités qu'il y ait un animal, ce à quoi il répondit d'abord par un haussement d'épaules, car à vrai dire, il n'en savait rien. Il devait vérifier, prendre les devants plutôt que subir une attaque où il ne pourrait réagir comme il pourrait le vouloir, avec l'aisance qu'il avait dans la pratique des attaques sournoises qui font l'apanage des assassins.

« Je vais aller voir, restez ici, silencieuse et votre épée en main, sait-on jamais... Criez si vous êtes en danger. »

Il déposa les simples et sa besace et se fondit dans l'ombre après quelques pas seulement, se mouvant en silence, il disposerait de ses yeux, non d'une magie qui le rendrait à certain égard vulnérable, et en cette situation, c'était un danger qu'il ne pouvait prendre, pour lui, pour elle...

Arrivé à la lisière, suivant les traces de bottes dans la terre, se dirigeant jusqu'au bois, il s'y engouffra toujours avec le plus de finesse possible, afin de ne pas alerter la bête ou le ou les hommes qui s'y trouvaient. Il pénétra cette dernière à une vingtaine de mètre du mouvement et du bruit, et en perçut d'autres, plusieurs, en bonne partie à demi-furtif, volontairement étouffé.
C'était une petite troupe, une demi-douzaine de personne, à priori, certaines étaient armées et ne se dirigeaient pas vers eux, pour l'instant en tout cas. Il ne put supposer leurs intentions, simplement, il ne chercherait à leur demander, aussi s'éloigna t-il et quitta la forêt pour retrouver Etheldred.

Tandis qu'il se dirigeait vers elle, il entendit des bruits et des voix derrière lui, ils avaient changé de direction, et menaient leurs pas vers eux, à présent. Il accéléra le pas, et quand il arriva aux reines des prés, il parla enfin.

« Etheldred, nous ferions mieux de prendre nos affaires et de presser le pas jusqu'à la ville, je crains que nous n'ayons bientôt de la compagnie. »

Il y avait quelque chose, c'était certain. Etheldred n'aimait pas du tout ce genre de sensation. Elle s'apprêtait à annoncer qu'ils rentraient immédiatement lorsque Tom la prit de court en décidant d'aller voir. Elle aurait bien protesté, mais il ne lui en laissa pas le temps et s'éloigna. Crier pour l'en dissuader aurait été stupide et elle soupira en dégainant son épée. Rester sur place et l'attendre sagement ? Devait-elle vraiment laisser quelqu'un qui lui avait annoncé ne porter qu'un couteau avec l'air de celui qui ne voyait pas bien quoi en faire.

Elle fit un pas pour le suivre et s'arrêta. Ben quoi ? Avait-elle l'air vraiment plus douée pour aller découper de la vilaine méchante bébête en rondelles ? Elle en doutait... En même temps le laisser y aller seul lui paraissait égoïste. Mais s'il lui avait laissé le temps de protester, elle aurait rejoint Alonna directement. A quoi bon aller directement se jeter sur de potentiels ennuis ? Ils auraient déjà dû faire demi-tour...

Oh et puis zut ! Rester plantée au milieu de la plaine la laissait de toute façon trop exposée. Elle eut vite fait de se rapprocher des arbres, essayant de s'avancer en restant discrète. Elle pouvait remercier Mëgilen pour son enseignement à ce propos. La forêt n'était pas tranquille, mais elle ne voyait plus Tom et personne d'autre pour le moment. Il y eut un mouvement et elle se glissa derrière un arbre, avant de reconnaitre le jeune homme et de se montrer à nouveau, soulagée.

" Etheldred, nous ferions mieux de prendre nos affaires et de presser le pas jusqu'à la ville, je crains que nous n'ayons bientôt de la compagnie. "

Elle hocha la tête, entendant des bruits de pas et parfois un éclat de voix. Il avait raison : ils devaient filer. Elle avait déjà récupéré leurs affaires et était entièrement d'accord pour éviter les ennuis. Une petite course à travers la plaine ? Étant donné la proximité avec les mystérieux promeneurs il valait mieux se dépêcher !

" Eh ! "

Etheldred se retourna brusquement en entendant une voix forte. Ce qu'ils avaient à présent devant eux devait être un mercenaire, brigand, ou quelque chose dans ce goût-là et la jeune femme n'avait pas du tout envie de faire plus ample connaissance. Surtout qu'il avait l'air accompagné et que son air suspicieux laissait entendre qu'il avait quelque chose à cacher. Or, elle n'avait nulle envie de se mêler de ce qui ne la regardait pas dans de telles conditions.

Ils avaient toute la plaine devant eux et la voie libre pour courir vite et loin. Etheldred n'attendit pas d'avantage et prit sa course après avoir rengainé.

...

Très mauvaise idée de courir dans une prairie au sol inégal en pleine nuit. L'herboriste s'en souvint un peu tard lorsque sa cheville se tordit violemment. Et bam ! Joli vol plané qui stoppa sa course net.

Sa curiosité pouvait être un sérieux défaut, défaut que sa solitude, appuyée par ses talents et ses aptitudes savaient écartés avec efficacité, mais sa prudence n'avait pas prit en compte la présence d'Etheldred, simplement la discrétion de son approche. La chose devrait faire figure de leçon, et une prochaine fois, il préfèrera la sûreté à la curiosité.
Aussi, quand il se replia vers Etheldred, après avoir repéré les quelques hommes qui avaient fait le bruit qui les avait alerté, et tandis qu'ils commençaient à prendre la fuite vers Alonna, ils furent repérés et hélés par ceux qui se trouvaient derrière eux... Ça n'était vraiment pas bon.

Leur course pourtant ne dura que quelques minutes avant que le sol inégal ait raison de leur fuite et qu'un mauvais pas conduit la jeune femme droit au sol après que sa cheville ne l'ait trahit... Là, ça devait vraiment très très mauvais, car ils ne pourraient jamais soutenir l'allure, même si ils avaient prit une légère avance... Il pensa à la possibilité d'aller au devant des soucis, affronter ces hommes, mais à six contre un, dépourvu d'un véritable talent pour le combat franc, c'était peine perdu... Il réfléchit, se pressant tandis qu'il rejoignait Etheldred...
Il ne dit rien... Pas assez de temps pour trouver une solution et prendre des nouvelles... Il fallait choisir, et sa vie, la sienne, prévalait sur sa santé plus qu'évidente de l'instant.

Il trouva une solution, mais celle-ci apportait des désavantages, certes moindre que la mort ou pire encore, qu'il les attendait peut-être avec ces hommes, mais tout de même, c'était une extrémité qu'il aurait préféré éviter. Quand on ne peut affronter franchement un ennemi, il faut tout simplement l'éviter, se dissimuler de son regard pour qu'il ne trouve plus trace. Le Voile offrait déjà la base, la plus importante part de la cachette... Ne manquait qu'une touche supplémentaire qui faisait fondre même la moindre silhouette.
C'est ainsi qu'il usa de sa magie, non sans s'en vouloir, condensant les ombres si nombreuses en ces temps pour concevoir une couverture fine et simple, vulgaire, sans détail, l'important était de la faire vite, sans trop de mal, non de soigner les moindres détails.
Il fit s'allonger Etheldred et se plaça sur elle avant de les recouvrir de la couverture d'ombre... Il n'y avait que l'obscurité, et plus la moindre ombre... Et pour l'extérieur, ils étaient à présent invisible, paraissant comme un simple et petit relief de ce sol inégal, leur forme ne fournissant pas le moindre indice.

« Faites le moindre bruit possible... »

Là-dessus, il sembla absent, et c'était le cas, son ombre vaquait et vagabondait parmi ses innombrables sœurs, lui offrant ses yeux pour surveiller la petite troupe qui chercha du regard ces deux personnes qui, quelques minutes plus tôt, courrait bien vite et qui, à présent, avaient disparu...
Chercher les nombreuses traces dans une obscurité totale, pour un butin peut-être infime, ne semblait pas les intéresser, aussi ne tardèrent pas à rebrousser chemin, retournant en direction des bois, à l'opposé d'Alonna... Il les suivit de longues minutes encore, jusqu'à l'orée des bois, avant de revenir à lui, écartant la couverture qu'il fit s 'évanouir et s'asseyant à côté de la jeune femme.

« Pardonnez mon imprudence... En espérant que votre cheville ne soit que foulée. »

Des questions gênantes allaient être posées, il en était certain, c'était inévitable, et il loua le ciel qu'elle ne connut pas son nom, car il n'avait guère confiance en sa capacité à tenir sa langue, après tout, il ne la connaissait pas.

Etheldred réprima un gémissement lorsqu'elle sentit sa cheville se tordre et se dépêcha de se redresser. Le jeune homme la rejoignit alors qu'elle se demandait s'il allait ou non l'abandonner là. Après tout, ils se connaissaient à peine, il pouvait décider que contre six hommes ils n'avaient pas une chance et préférer sauver au moins sa vie. Mais apparemment, il avait décidé de l'aider et elle ne comptait pas s'en plaindre !

Mais alors qu'elle s'attendait à ce qu'il l'aide à se relever, il lui fit au contraire signe de s'allonger. Voulait-il tenter de se camoufler dans les hautes herbes ? Voilà qui ne serait pas très efficace, maintenant qu'ils avaient été repérés. Mais apparemment, il avait mieux que cela et à sa grande surprise, elle vit qu'il modifiait les ombres. Du moins était-ce qu'elle crut comprendre car elle n'en était pas certaine et l'obscurité, ainsi que la peur d'être rattrapée ne l'aidaient pas. Ce qu'il obtint ressemblait finalement à une couverture faite d'obscurité et en cet instant, la jeune femme se demanda qui elle devait le plus craindre de leur poursuivants ou de son compagnon.

Elle s'allongea, pourtant, le laissant faire de même et attendit la suite avec anxiété. Inutile qu'il lui dise de ne pas faire de bruit, elle resterait parfaitement immobile. Pour un peu, elle aurait presque cessé de respirer. Elle crut entendre les hommes s'approcher, puis repartir, jusqu'à disparaitre dans la nuit. Puis elle n'entendit plus que ses propres battements de cœur et leurs deux respirations. Après ce qui lui parut une éternité, Tom se releva et fit disparaitre son étrange couverture.

Etheldred s'assit aussitôt, commençant par regarder autour d'eux pour s'assurer par elle-même que tout danger était écarté. La remarque du jeune homme lui paraissait parfaitement incongrue. En cet instant, elle essayait surtout de se remettre de sa frayeur et se posait plus de question sur celui qui l'accompagnait que sur sa cheville. Elle secoua néanmoins la tête, murmurant :

" Non, c'est moi qui n'aurait pas dû proposer de sortie dans ces conditions... "

Elle répondait plus par principe qu'autre chose et se décida à délacer sa bottine pour éviter de dévisager Tom. Il avait une réaction qui l'interrogeait encore plus que la magie dont il venait d'user. Le jeune homme n'avait pas envie qu'elle en parle, c'était évident... et c'était bien cela qui la mettait mal à l'aise. Il venait de lui sauver la vie, ou du moins de lui éviter des ennuis, mais après tout, que savait-elle de lui ?

Elle palpait à présent sa cheville doucement afin de déterminer ce qu'elle avait et elle ouvrit finalement sa sacoche pour en tirer une petite boîte et une bande de tissu.

" C'est une simple entorse... Cette pommade est à base de souci et d'arnica, " commenta-t-elle d'une voix neutre, sans le regarder, en appliquant doucement l'onguent.

En même temps, elle ne cessait de réfléchir. Tom lui avait parut jusque là être un jeune homme sans histoire, et si ce qu'il lui avait dit sur lui avait pu l'étonner un peu, elle ne s'était pas posé davantage de questions. A présent, elle voyait qu'elle avait affaire à quelqu'un qui était suffisamment sûr de lui pour aller au devant du danger, qui possédait une maîtrise de ce qui ressemblait à de la magie des ombres et qui, surtout, paraissait ne pas avoir envie qu'on lui pose de question. Oh, il ne le formulerait pas lui-même, mais Etheldred était suffisamment habituée à décrypter les expressions de ses patients pour ne pas se douter de quelque chose allant dans ce sens.

Elle acheva le bandage et releva finalement les yeux vers lui, croisant enfin son regard. Elle devait paraitre quelque peu incertaine de la conduite à adopter, mais elle finit par opter pour la simplicité :

" Merci. De ne pas m'avoir laissée. "

Oui, c'était la moindre des choses, tout de même. Il aurait très bien pu l'abandonner comme elle l'avait craint. Elle hésita un instant puis ajouta doucement :

" Je comprends mieux pourquoi vous ne sembliez pas avoir besoin d'arme. "

Enfin, dire qu'elle comprenait était exagéré. Elle ne savait plus vraiment comment se comporter avec lui à présent. Elle rangea ses affaires et se demanda si elle allait pouvoir marcher jusqu'à la ville. Se retrouver immobilisée ne lui plaisait pas du tout. En tous cas, sa dernière phrase devait lui permettre de savoir si elle avait touché juste en ayant l'impression que la question le mettait légèrement mal à l'aise : poser directement des questions en mettant les pieds dans le plat n'était pas son genre ; ignorer le problème non plus et elle préférait cette approche un peu moins directe.

L'initiative coûte chère lorsqu'elle oblige à se dévoiler celui qui ne vit et survit que par l'existence et la préservation des secrets, mais la question ne s'était pas posée, du moins, ne tendit-elle jamais à condamner celle qui aurait souffert d'une de ses erreurs... Son secret, si il est précieux, ne l'est pas assez pour qu'une innocente paie pour ses fautes. D'autres n'auraient pas eu ces scrupules, laissant mourir plutôt que de commettre l'impair, mais il n'était pas de ces hommes... Il tuait par devoir et serment, des hommes, des femmes, qui nuisaient à sa sœur, à son père, mais uniquement cela, et Etheldred n'avait rien fait qui justifie qu'on la tue ou qu'on l'abandonne...

« Vous ne pouviez pas savoir, et si je n'avais pas été voir, nous aurions pu simplement partir, suffisamment en avance pour n'avoir pas à les craindre. »

La faute était sienne, sa curiosité la responsable, l'intention même de sortir était de lui, en y pensant bien, alors de quoi pouvait-elle être coupable, à part ne pas avoir refusé, ou bien ne pas avoir crié, les ameutant, pour le pousser à rester puis partir ? Non, elle n'était nullement coupable, et fort heureusement n'avait pas eu à souffrir des erreurs qu'il avait commise.
Elle le rassura sur son état, bien qu'il se doute qu'elle ne pourra marcher convenablement pendant les prochains jours, mais au moins, la blessure n'était pas sérieuse et ne l'handicaperait qu'un temps, c'était déjà une très bonne chose, l'essentiel, bien que pour sa part, son secret dévoilé demeurait problématique... Il réfléchit à la manière dont il devrait tourner cette révélation pour ne pas trop en dire, tout en amenant l'idée même qu'elle devrait taire la chose, pour son salut... Elle n'avait pas paru du genre à condamner à outrance les gens, aussi espérait-il avoir tout de même laissé une impression suffisamment bonne pour qu'elle accepte de garantir sa sécurité en tenant sa langue.
Il fut surprit quand elle le remercia de ne pas l'avoir abandonné... L'idée n'avait pas même traversé son esprit, seul le souci de la manière de la préserver, balayant les moyens avant d'en conclure que sa magie demeurait la seule solution dans un tel délai avait envahit ses pensées, fuir et la laisser n'avait jamais paru une manière de résoudre le problème.

« C'était normal, je n'allais tout de même pas vous abandonner. »

Puis, avec un petit sourire, trouvant une petite manière de tourner la phrase qu'elle prononça, référence à son obscur talent, à son avantage, il répondit simplement.

« L'on n'a pas besoin d'arme quand l'on peut se cacher du danger. »

Il mettait donc en avant les aspects défensifs qu'apportait ses talents, excluant l'idée qu'il put s'en servir pour menacer, attaquer ou nuire... Simplement se défendre en se dissimulant, évitant la menace plutôt que d'y faire face.
Alors qu'elle rangea ses affaires, il comprit qu'elle ne pourrait guère les porter et même marcher jusqu'à la ville, pas dans cet état, aussi prit-il l'initiative de prendre les différents sacs, avant de tendre une main à Etheldred pour l'aider à se relever. Bien qu'elle hésita à chaque étape, chose qu'il pouvait en certains aspects comprendre, il finit par dire.

« Prenez appuie sur moi, je vais vous aider à marcher. »

Il fallait soulager sa cheville, et tandis qu'ils avançaient, lentement mais sûrement, il fit, en rapport à l'hésitation qui avait précédé, une petite remarque.

« J'imagine les doutes qui vous tiraillent et comprendrai que nos chemins se séparent, que vous refusiez de continuer à m'apprendre, c'est une réaction naturelle au vue de la découverte, mais je vous en prie, gardez la chose pour vous. »

» Le savoir n'est jamais vain
» Ce n’est pas le titre qui honore l’homme,mais l’homme qui honore le titre[Glenn]
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