[Haut-Temple de Teiweon] Hommages | Elvanshalee Hune'Baenre

Isten Okhras’Gaath règne à nouveau sur les songes des Sombres. Sous l’égide troublante de Ssinssrin, le culte a su oublier ses décadences passées. Il n’avait été qu’un jouet, une distraction, un caprice de l’Immortelle, elle le sait mais il lui fallait l’enseigner à son peuple. Et s’il est des leçons que les Rejetés accueillent avec avidité, il en est d’autres qu’ils se refusent d’accepter. Le ridicule et la frasque sont deux faiblesses qu’ils peinent à oublier. Mais elle est la digne Fille d’Isten, et en sa présence, les ris du passé s’estompent jusqu’à disparaître.

Aujourd’hui, le visage de Ssinssrin se pare de la délicieuse soumission, si chère à l’orgueil sombre. Ses pieds nus effleurent à peine la roche irrégulière, se jouent de ses aspérités. Ses robes vaporeuses dansent autour d’elle, voie léger soulignant sans montrer, suggérant sans gène, murmure étouffé, appel lancinant mais déjà oublié. Elle marche seule, loin de l’ombre rassurante de sa sœur, abandonnée aux regards des mâles, à la jalousie des femelles, aux désirs de tous. Elle les vit comme un exutoire, un baume bienvenu à une souffrance trop connue. Certains hésitent, tentent de l’approcher, mais aucun ne va au bout de sa pensée. Ils ont reconnu, enroulé à son cou, la marque d’Isten, la preuve de son rang, la chaîne éternisant sa condition.

Cette même chaîne qui la tire, inexorablement, loin de sa moitié et qui guident ses pas jusqu’au cœur de la Cité. Jusqu’au Royaume des Âmes, Temple magnifique duquel s’échappent les clameurs des fidèles. Elle laisse le sourire conquérir ses lippes, et par respect, elle ploie légèrement la nuque. L’instant suivant, elle a rejoint les colonnes magnifiques et, sans un regard pour les sentinelles, les a dépassées. Quelques pas, et elle s’arrête, s’enivre du lieu, de son essence et des promesses qu’il recèle, avant d’élever la voix.

« Qu’il soit retenu que Ssinssrin vint présenter les hommages d’Isten à la nouvelle servante de Teiweon, à son temple et à la Déesse elle-même. »

Elle ne demande pas la Maîtresse des Lieux, elle se pliera à l’envie de cette dernière de la voir. La subtilité est légère, mais vitale aux yeux de la Soumise qui jamais ne s’érigera au dessus d’un autre. Elle répondra à l’appel, initié par sa présence mais naît sur les lèvres d’une autre.

Dès l’instant où les regards se posent sur elle, la Soumise se sent étrangère. L’indifférence est une ancienne amie, souvenir morcelé d’un passé révolu, et la retrouver si longtemps après la fait hésiter. Chaque œil éteint est une insulte à Isten, mais une insulte qu’elle doit endurer, car en ces lieux, seule règne la volonté de Teiweon. Au témoignage de respect, elle répond en ployant la nuque, avec sobriété.

« Rien de plus que ce que mes mots disent : des hommages. »

Le sourire du mâle la rassérène. Il est la preuve que même sous l’œil de la Mère des Âmes, les charmes d’Isten subsistent et s’épanouissent. Ils ont muré leur passion, mais elle veut croire qu’elle est une arme capable de mettre à bas leurs défenses. Que l’âme drow ne saurait être aseptisée, et qu’elle bat au rythme des chants de l’Aveugle, jusqu’au moment où la Voilée la rappelle à elle. Elle sourit à son tour, réponse timide à l’assurance de son interlocuteur.

« Isten se réjouit de l’avènement d’une nouvelle Fille de Teiweon, car ainsi perdure l’influence de la Gardienne des Âmes sur le peuple sombre et l’équilibre des Dieux avec elle. »

Dès lors son regard se perd à l’assaut des pénombres. Le carmin tente de percer les ténèbres, à la recherche d’un visage et d’un seul. A-t-elle marché en vain ? Devra-t-elle souffrir l’affront de repartir sans avoir pu ployer l’échine face à sa consœur ? Ses hommes ne sont pas de ceux qui résonnent contre les murs de pierre, jusqu’à la mort de l’écho. Il est des trônes au pied desquels elle rêve de s’agenouiller, mais encore faudrait-il qu’on daigne l’y amener. Alors elle attend, que les secondes se succèdent. Le doute s’est installé et règne, loin des clameurs d’Isten.

Sous le joug de la Grande Âme, la fille d'Isten s'épanouit. La prêtresse se fait ronronnement, léger, à peine audible, mais vibrant d'un désir contenu. Ses yeux sont une caresse, ses iris glissent sur la peau apparente, griffent l'outrageant cuir qui voile ce qui ne devrait être qu'exposé. Ssinssrin désire, et l'Aveugle s'amuse de l'émoi. Avec respect, la Soumise tombe gracieusement à genoux, façonnant à son tour le sol quatre fois millénaires. Elle incline doucement la tête, laissant ses cheveux courir sur ses épaules et son dos, s'élancer dans le vide et danser au rythme d'une mélodie inaudible.

« Loué soit le choix de Teiweon Danath'Koor... », en un murmure lascif s'étire l'hommage promis.

Redressant le menton, la Belle cherche à accrocher le regard de l'Élue, ses yeux entamant leur ballet hypnotique. Elle est le cobra qui, déployant sa crête, hypnotise sa proie, elle est le médaillon qui, de ses simples balancements, pénètre l'esprit et s'immisce dans les pensées, elle est une plume qui caresse à peine le conscient. Il faudra des lunes pour que s'épanouisse le charme, pour que l'envie de dominer la belle efface jusqu'à l'envie de manger. Des lunes durant lesquelles il faudra parler, sourire, caresser, montrer émoi et trouble. Des lunes durant lesquelles Elvanshalee Hune'Baenre restera maîtresse d'un jeu qu'elle ignorera jouer. Pour l'heure, le contact s'établit à peine et rien n'indique que la Grande Âme laisserait s'approcher à nouveau la Fille d'Isten.

Les rêves de Ssinssrin sont doux, les rêves de Ssinssrin sont cruels.

« Puissiez-vous perdurer jusqu'à la fin de ce monde, baignée dans la gloire de la Mère. »

À l'instar de chaque fibre de son corps, la voix de la prêtresse se fait caresse langoureuse. Doucement, elle se redresse, sans pour autant se lever. Les robes vaporeuses voilent son corps d'un mystère nimbé, qu'un souffle peut dévoiler. On devine le galbe d'un sein, la courbe d'une hanche, l'imagination se joue du reste. L'Élue de Teiweon est certes une femme, et des plus belles, elle n'en reste pas moins sensible aux charmes d'Isten, sournoises sorcelleries des sens.