[Haut-Temple de Teiweon] L'entourloupeur entourloupé [Solo]

Bàrkios, huitième jour de la huitième ennéade
An dix-sept du onzième cycle
Après la mort de Krish Al’Serat

Tu l’as trop bien prise cette nouvelle. Je te suis depuis si longtemps que je t’aurais attendu dévasté. Tu t’es peut-être rendu compte qu’elle est montée trop haut, trop vite, et que notre Père à tous en la choisissant comme son vaisseau l’a destinée à la mort. Tu es presque rassuré en un sens, Uriz ne l’a pas eue, Uriz ne l’a pas sauvée, une mort si simple est Krish Al’Serat. La Krish Al’Serat que tu as si longtemps connu, ton aînée d’un an, celle qui ne pouvait pas mourir en menant la charge contre Sol’Dorn parce qu’à aucun moment elle ne l’aurait souhaité, celle qui ne pouvait être la victime d’aucune créature envoyée par les dieux pour apporter le froid éternel car elle n’était le jouet d’aucun d’eux, celle qui avait juste assez d’ennemis pour pouvoir mourir dans une ruelle sombre si elle n’était pas assez attentive, celle qui l’avait fait, donc, ou c’est ce que tu as entendu avant de te rendre auprès de son corps.

Tu es allé du Haut-Temple de Teiweon et tu en retournes maintenant avec cette tranquillité d’esprit.

Seulement, à la nouvelle improbable de la mort de la seule cyclique qui t’importe une autre s’est ajoutée. Une que tu aurais vérifiée tous les autres jours de ta vie mais qui semble si logique en cet instant, quel autre jour pour accumuler les drames que celui de la mort de Krish Al’Serat après tout ? Le masqué s’agenouille face à toi, tu ne reconnais pas son demi-masque, tu es prêt à le renvoyer quand il te parle de ta fille car personne ne sait qu’elle existe et il n’y a aucune raison pour toi en cet instant que cela change, mais il insiste et tu lui prêtes ton oreille un instant, l’instant de trop. Driz’na est décédée dans l’attaque. Cette nouvelle tu ne la prends pas bien, cette nouvelle te mets au sol, l’autre sourit en se relevant, il sait. Il s’est exposé à toi mais tu es trop faible pour partir après lui, tu es trop faible tout court. On essaie de te voler ta place quand tu t’ouvres à Ahlysaaria qui te susurre quelques mots de soutien. Elle a vu Driz’na, elle est touchée aussi.

Le corps d’une gamine au regard mauve est emporté loin de ton regard.

Les autres non, ils sont trop froids pour toi, ils sont comme les tiens, trop durs. Medril veut en profiter pour t’asservir, Azsancha veut se retourner contre lui et toi pour avoir permis à l’esclavagiste de prêter l’objet qu’il était à d’autres, Ythandam y voit une opportunité pour prendre ta place et s’élever au dessus de tous les siens… Ils ne sont pas seuls, des multitudes de noms vont et viennent, ils ont tous une raison de te détruire maintenant que tu es au sol, car ils pensent tous que tu es Ssol’riss Ulnen depuis que tu es lui, et ils veulent tous te faire payer pour ce qu’il a fait. Seulement je suis curieux, je te prête la force d’avancer, je te prête la force de tous les repousser, je te prête même la force pour les brutaliser et les détruire à ton tour, un choix que tu ne fais pas. Peut-être que j’ai espéré un instant que tu sois assez fort pour le faire, tout détruire et recommencer ailleurs. Mais tu ne veux pas recommencer et j’entrevois une clarté qui ne fait aucun sens.

La vengeance n’est pas toi, tu es trop vieux pour ça, mais que cela fait-il de toi au juste ?

Un monstre.

C’est Imdri qui me le souffle. Il a des raisons de te haïr pour ce que tu vas faire, peut-être que je devrais tout lui donner à lui d’ailleurs, car c’est le seul qui voit de la valeur au monde. Mais il est trop idiot pour en faire quelque chose, et il ne se rend même pas compte qu’il a donné la clé de l’énigme. Tu es un monstre, mais pas dans le sens le plus accepté. Tu es un monstre parce que tu rappelles à tous ce que nous ne sommes plus. Tu es un monstre parce que cette clarté que j’ai entrevue n’est pas d’Uriz ou d’un autre des Onze, elle est de la Traitresse. Ce que tu t’apprêtes à faire, tu l’empruntes des monstres que nous avons été, des esclaves qui ne méritent rien d’autre que les P’leik, ceux qui arrêtent lorsqu’ils n’ont plus rien à faire, ceux qui par paresse s’éteignent par eux-mêmes. Tu ne mérites rien que les P’leik, toi non plus, mais je reste silencieux, je te laisse te rendre compte de l’horreur que tu es avant de reprendre ma place.

Et tu te sers de mon pouvoir pour me détruire…

***

J’entre à nouveau dans le Haut-Temple de Teiweon, je laisse la froideur de la déesse m’imprégner alors qu’en cet instant je suis un de ses serviteurs. Le serviteur n’est pas là par hasard, il a franchi chacune des étapes pour avoir le droit de marcher le long des cours d’eau qui sillonnent le sol de la demeure de la Gardienne. Ce qui est à l’intérieur de lui ne l’a pas fait, ce qui est à l’intérieur de lui est un ouragan d’identités qui n’arrivent pas à prendre le dessus sur le monstre, le prêtre se mêle à cet ouragan, le prêtre ne veut pas de ce blasphème en son temple, mais il n’a pas le choix, il est obligé de m’observer et d’espérer que la théorie qui s’est imposée dans ce tumulte soit fausse. Mais il sait qu’elle est vraie, il le sait alors qu’il me voit m’agenouiller devant le liquide qui s’écoule, il le sait, tout simplement, et il tremble, les P’leik n’ont jamais été aussi proches. Il ne se dit pas qu’il disparaîtra parce qu’il n’était qu’une invention de l’imagination d’un Vaerian et de celui qu’il avait cru être Tesso.

Grâce à lui je sais que personne ne viendra ici et je plonge la tête dans l’eau.

Je te raconte alors l’histoire de ce Haut-Prêtre de Tesso qui est devenu fou, et même s’il n’y a plus personne pour m’écouter elle se matérialise autour de moi comme si elle était vraie. Ce Haut-Prêtre de Tesso est un bon eldéen, ce Haut-Prêtre de Tesso sait son ennemi être ici, dissimulé dans les robes des serviteurs de la Voilée. Son ennemi est celui qui dans l’ombre l’a surveillé même quand le Haut-Prêtre pensait être caché de tous sauf de Tesso lui-même, qu’il gardait dans sa tête. Le jour de la mort de sa mère, l’ennemi prend la vie de l’enfant du Haut-Prêtre alors ce dernier vient le retrouver et le noyer dans les eaux de la Gardienne. Le futur noyé se débat un peu quand il commence à manquer d’air mais l’autre tient bon jusqu’à disparaître tout à fait quand l’illusion s’éteint. Il y a un témoin masqué qui sourit un peu moins car il a vu sa mort hypothétique, mais il sait que c’est lui qui a provoqué tout ça.

La coquille que l’on appelait Ssol’riss Ulnen et l’eldéen que l’on appelait Vaerian ne sont plus…

…et Driz’na vit encore.