Les Âmes Errantes

Du temps de ma puissance (sic), lorsque je querellais tel ou tel mauvais plaisant sur le faux emploi qu’il faisait à mon égard du titre de « reine mère », j’avoue n’avoir pas pour cela imaginé que la question tirât jamais à conséquence, — et pourtant nous y voilà. Car, dans l’ignorance où je suis des raisons qui motivent votre décision, je devine néanmoins que ce mot : « reine », a pesé lourd sur le plateau de la balance qui désormais enfonce Arsinoé dans la tombe. Et il faut bien qu’il en soit comme je dis, tant abondent par ailleurs les exemples de grands titrés — mais eux alors véritablement perdus corps et âmes — à qui néanmoins l’on a accordé un sursis d’exilé : Eulalie, Clélia, Anseric, d’autres sûrement depuis (je ne compte que ceux que j’aime). Quant à moi, je n’en demande pas tant ; inutile de recourir à la nigromancie ou aux obsèques à cercueil vide pour mon compte ; on peut, il me semble, imaginer qu’une pourchassée se cloître, ou soit cloîtrée, trois, quatre ans, dans quelque cellule de moutier estréventin, sans que cela passe la mesure. Seulement voilà : « reine » ! « roine » ! — ce mot suffirait donc à me rejeter hors du droit commun !...

Que l’on me permette le cas échéant de préciser qu’Arsinoé n’est pas reine mère pour la simple raison que, reine, elle ne l’a jamais été : Aetius n’était que le régent du royaume. Lorsque Arsinoé à son tour assuma la régence, ce ne fut pas au gré de je ne sais quel droit maternel, mais parce qu’elle avait pu s’affermir des mêmes soutiens qui avaient jusque là exhaussé l’étoile de l’Ivrey : avec l'oeil bleu, la royauté avait cousiné, mais le principe, les conditions du pouvoir restaient les mêmes… quatre ans ont passé, et ces conditions sont détruites sans retour. Reine, Arsinoé ne le fut jamais ; Régente, elle ne le sera plus ; mère du roy enfin, s’imagine-t-on que ce simple fait de l’avoir nommé au monde — Bohémond ! — soit en mesure d’ébranler le faisceau d’intérêts coalisés qui s’emmêlent autour de son berceau remparé ? C’est peu de chose que d’avoir donné naissance, quand l’enfant est le père du royaume ; le droit public prime sur le droit naturel, et l’histoire regorge de mères (et même de reines-mères !) confisquées à leur enfant pour s’être mise une fois en travers de la volonté des grands. Alors, que craint-on de moi, au juste ? Trystan, Gringald reviviscents perturberaient le jeu à coup sûr — Arsinoé débarquant demain exciterait quelques rancoeurs, se heurterait surtout à un mur d’indifférence. Bien entendu, et pour ces raisons même, elle n’en ferait rien, — simplement la perturbation, si on peut appeler cela perturbation, me paraîtrait plutôt être de nature à enrichir le jeu qu’à induire une nouvelle guerre que vous redoutez à bon droit. Je n’irai pas jusqu’à prétendre que la question de la vie ou non d’Arsinoé soit  dénuée d’importance, — seulement cette importance est à relativiser : symbolique, elle n’est en aucun cas comparable aux pouvoirs ducaux, comtaux qu’on est par ailleurs prêt à accorder au premier venu du moment que sa fiche offre certaines garanties. Somme toute, ma marge d’action — ou mon pouvoir de nuisance, selon la perspective que l’on veut bien adopter — serait peu de chose… Et puis, est-il besoin de le dire ? je ne crois pas, à l’instar d’un Merwyn, d’un Diogène, d’un Nimmio même, faire l’objet d’un quelconque interdit quant aux « postes à responsabilités » ; mon pouvoir a été, si j’ose dire, de bonne tenue : j’ai joué le jeux ; pourquoi ne pas me faire confiance au moment de ma faiblesse ?

Voilà pour l’équilibre péninsulaire, voilà pour le présent. J’aurais autant aimé taire le passé, mais je constate que l’on m’oppose également d’être « considérée comme morte par bon nombre de joueurs ». Va-t-on compter contre moi une absence subie, archi-subie ? Car voici une « mort » imposée de force, et contre ma volonté, par un administrateur de l’époque (le même qui avait décidé du résultat de la dite « bataille des champs pourpres » : on est peut-être en droit de penser qu’il ne m’avait pas à la bonne.) Voici les faits : je perds une guerre ; je prends la tangente ; je reviens en moins de deux mois HRP (cf la page 8 de ce même sujet) — juste le temps d’avaler la pilule — ; quoi de plus normal ? Et là, non ! ça ne passe pas !... morte !... naufragée !... emmerderesse !... trouble-fête notoire !... Alors, que tous ceux qui se jetaient alors à la curée me voulussent morte, c’était de bonne guerre ; mais était-ce une raison pour tuer un personnage qui ne voulait pas l’être ? qui n’était pas, à tout prendre, dans une situation intenable ? et après un si court délai (que n’a-t-on pas repêché par ici après quatre, cinq, six mois ?) Bon. Qu’importe, au fond, me direz-vous ; la justice n’est pas tout ; maldonne ou pas, ce qui est fait est fait : Arsinoé n’a pas été aperçue de trois ans. Si fait ; ça sera une donnée à prendre en compte dans la description que j’aurais à faire de ces années : qu’Arsinoé soit considérée comme morte par les personnages, c’est un fait que je prends volontiers à charge ; et il y a lieu de penser qu’elle y avait intérêt, du moins au commencement. Mais que les joueurs la (me) considèrent comme morte ? La belle affaire ! est-ce une raison...?

A la vérité, je ne me fais pas tellement d’illusions quant aux chances que je peux avoir de retourner une décision prise : personne n’aime à se dédire. Je me dois toutefois d’essayer. C’est qu’en lisant ton premier message, Victoria, je ne manquai pas d’y voir un gage de bonne volonté ; quand le besoin d’écrire est suspendu à une décision, un mot t’es promesse ; je me laissais aller à inventer les circonstances et jusqu’aux menus détails de la mise à jour de ma fiche. On peut imaginer ma déconvenue.

Dans la très faible mesure où je peux considérer froidement mon cas, je ne laisse pas d’y voir tout l’intérêt que le jeu pourrait en tirer. A-t-on vu souvent joué ici la disgrâce, le veuvage triste, la situation assez piquante enfin d’être séparée, par la force des choses, de l’enfant qu’on a porté ? Entre les vivants qui semblent parfois affleurer à peine au-dessus des colonnes d’enterrés qui les sous-tendent, Arsinoé figurerait une sorte de mémoire vivante, un lien direct avec des personnages morts intestats, des évènements que recouvrent déjà plus qu’à moitié l’anonymat.

Une dernière chose peut-être. De mon temps on déplorait, et peut-être déplore-t-on encore, que, vaincus, les seigneurs velléitaires ne consentissent pas à jouer les conséquences de leur défaite, préférant se volatiliser dès que le vent tournait, — mais seulement pour mieux reparaître, sous une nouvelle peau, à la tête d’une province jusque là épargnée à même d’appuyer leurs sempiternelles menées ; — et n’est-ce pas tel ancien pair du royaume, tel rival déchu que je crois déceler ça et là dans les hautes responsabilités, sous des noms qui seront toujours pour moi d’emprunts ? De là ce jeu de chaises musicales qui renouvelle chaque année ou presque la haute noblesse ; de là l’impression — frappante pour qui a un peu duré — d’amnésie, de malédiction accablant la quasi-totalité des patrimoines héréditaires, avec leur cortège de comtesse phtisiques et de barons têtes-coupées qui enjambent frères, sœurs, nièces et arrières-cousins dans le tombeau ; et de là, pareil à ces largages de sables stériles qui éteignent l’incendie mais en étouffant tout le reste, la multiplication des régences et la « pnjisation » des terres. Là-dessus me voilà qui me propose, pour la deuxième fois, de jouer une (la) grande perdante, — de descendre le mauvais revers de sa vie, — de boire jusqu’à la lie son calice de fiel : — me le refuserez-vous cette fois encore ?

Le calme est-il la seule boussole ? rien n’est aussi calme qu’un désert.