Une larme entre amour et haine

De retour dans la chambre, Hanegard était assis devant la table sur laquelle trônait leur petit déjeuner. La vue de ce festin faillit la faire vomir à nouveau. Ce détournant Jena regagna le lit et s’emmitoufla dans les couvertures. Il ne faisait vraiment pas chaud ce matin, et la chaleur des draps la firent soupirer de plaisir. Lorsque son cher époux se rendit compte de sa présence il lui demanda comment c'était passé sa nuit... « Horrible ! » « J'en ai connu des meilleures » « Je t'en pose moi des questions ? » furent les premières réponses qui lui vint à l'esprit mais elle se contenta de répondre :

- Très bien merci.

Oh quel beau mensonge ! Mais c'était pour la bonne cause, elle ne voulait pas inquiéter Hanegard avec ces mauvais pressentiments et sa grossesse. Il fallait qu'il se concentre sur son état à lui. D'ailleurs un prêtre devait venir ce matin pour l'examiner et essayer de le soigner, il ne fallait pas qu'elle traîne au lit pour pouvoir l'accueillir convenablement. Roulant dans le lit, Jena enfouie sa tête sous l'oreiller quelques minutes, profitant du calme qui peu à peu la gagnait. Ses nausées disparaissaient lentement ce qui lui laissait présager une journée relativement tranquille. Alors que durant la grossesse de Liliana elle n'avait fait que vomir chaque jour des premiers mois, celle-ci semblait plus facile à supporter. Seuls les matins étaient pénibles !

Quittant le confort des draps, Jena vint se placer près d'Hanegard et déposa un baiser sur ses lèvres. C'était tellement réconfortant de l'avoir près d'elle. La semaine qui s'était écoulée sans lui avait été un vrai calvaire. Il n'avait pas été là lorsqu'elle avait commencé à faire ces étranges rêves, ni lorsqu'elle avait sut qu'elle était enceinte....
Et maintenant, si près de lui, sa main sur son épaule, elle n'avait qu'une envie : se confier à lui. Lui dire tout. Mais la vue de son bandeau l'empêchait de dire quoi que ce soit. Finalement, pour se donner une contenance, Jena s'installa sur la chaise en face d'Hanegard et picora dans les plats devant elle.

- As-tu envie de quelque chose en particulier aujourd'hui ? Faut-il s'occuper de choses urgentes ?

Autant se renseigner sur le futur programme de la journée. Après tout maintenant tout ce qu'elle ferait serait lié au rôle de Baron de son époux. Finis les travaux de coutures – et tant mieux – finis les balades dans les jardins, les heures passées avec sa fille et les lectures au coin du feu. Elle avait voulu devenir les yeux de son époux et elle ne faillirait pas.

Le baron remarqua le mensonge (ouh le vilain mot !) de sa femme, mais n’osa pas le relever. Avec le Stade Français qui vient de prendre la tête du championnat, notre héroïne chérie risque de ne pas être à prendre avec des pincettes. Il faudra beaucoup de poutoux et de câlins en guise de consolation, mais nous pouvons faire confiance à Hanegard pour cela.

Une fois installés à table, ils entamèrent le petit déjeuner. Tout du moins Hanegard l’entama, car sa chère et tendre ne faisait guère plus que gouter légèrement les mets, signe de plus de la présence des nausées matinales. Adepte de casse-dalles copieux dès la première heure, et doté d’un estomac qui criait famine, le baron faisait honneur à la table malgré qu’il lui faille parfois chercher à tâtons un ingrédient. Heureusement que les serviteurs posaient toujours les choses au même endroit, cela lui facilitait quelque peu la tâche.

Entre deux bouchées gloutonnes, il prit le temps de répondre à la question de sa femme :

Lorsque le prêtre sera passé, nous nous préparerons pour le conseil que Sargril doit avoir organisé. J’y indiquerai que désormais tu… verras… pour moi.

Encore vêtu de ses vêtements fripés, il n’aurait pas non plus volé un bain et un rasage. Un rasage ? Brusquement, il se rappela que là il risquait d’avoir quelques difficultés. A le faire lui-même il ne gagnerait rien d’autre que des coupures en série, et l’idée de laisser un barbier lui passer un coupe-chou sous la gorge le hérissait au plus haut point. Devrait-il se laisser repousser la barbe en attendant de voir si un mieux pouvait s’envisager ?

Le prêtre qui devait venir le visiter ce matin là pourrait déjà apporter des éléments de réponse et lui indiquer si les dégâts s’avéraient irréparables ou non aux soins tant magiques que plus classiques. Mais après tout, à défaut d’avoir un barbier, n’y avait-il pas quelqu’un d’autre à qui il pourrait demander de lui maintenir le menton glabre ? Vous voyez qui ? Eh bien Jena bien sur. S’il ne se sentait pas de confier son précieux cou à un inconnu, il devait tout de même pouvoir faire confiance à sa femme. Que sa cécité se prolonge ou non, il n’aurait en tout cas pas à craindre qu’elle lui tranche la gorge.

Reposant sa tasse, le baron prit la main de sa femme dans la sienne.

Hmm… dis moi chérie… saurais-tu me raser ? Dans mon état j’en suis incapable.

A cet instant, un toctoc poli à la porte indiqua l’arrivée des soigneurs attendus.

Ah oui ! Le fameux conseil exceptionnel…Oh la barbe….fallait-il vraiment qu’elle y aille… ? Bon d’accord, d’accord, ne fait pas ses yeux là je vais m’habiller c’est bon ! Laissons à cette pauvre Jena le temps d’accepter ses nouvelles fonctions. Après tout elle se serait bien remise au lit pour dormir une petite heure de plus mais…soit, elle n’avait plus vraiment le choix.
Baissant les yeux sur les mets déposés devant elle, Jena eut un haut le cœur en voyant son époux se goinfrait ainsi. Il ne voyait pas où se trouvait la nourriture aussi, en quelques minutes le plateau était devenu un vrai champ de bataille. Quittant la chaise un peu brusquement, la jeune femme se posta devant la fenêtre et tira l’épaisse tenture pour laisser entrer la lumière et la brise fraîche de ce début d’hiver.

Hanegard continua à manger et finit par lui demander si elle saurait lui tailler la barbe. Amusée, Jena se tourna en souriant.

- Si je saurais te raser ? Je te signale que c’est moi qui t’ai redonné un visage humain le jour ou nous nous sommes rencontrés !

Jour pas si lointain que ça finalement et pourtant que de chemin parcouru depuis… Alors qu’il n’était qu’un valeureux soldat et elle une simple demoiselle de compagnie. Ils n’avaient nulle prétention en venant à Alonna. Lui venait assurer la régence d’une baronnie en attendant la nomination d’une nouvelle tête couronnée, et elle suivait sa maîtresse acariâtre dans ses longs périples. Et ils étaient aujourd’hui Baron et Baronne d’Alonna. De quoi rendre fou le plus sensé des hommes, pourtant ils avaient su à eux deux préserver leur vision des choses sans jamais être affecté par leur nouvelle condition… quoi que le coup de la couronne et de la parade dans la ville lui restait encore en travers de la gorge, il fallait reconnaître qu’il n’y avait encore eu aucun couac ! Espérons que ça dure !

Des coups légers furent frappés à la porte, interrompant ainsi les pensées de la Baronne. Quittant l’espace près de la fenêtre, la jeune femme ouvrit la porte sur un prêtre qui se courbait devant elle. Il lui expliqua être venu de la part du Grand Prêtre.

- Mon époux est ici, je vous laisse quelques instants, le temps….de me rendre présentable.

Sur ces mots Jena quitta la pièce pour la salle d’eau. Elle fit un brin de toilette, coiffa sa chevelure indisciplinée et enfila la robe qu’avait préparée Clarys. Il ne lui fallut qu’un coup d’œil pour se rendre compte qu’il manquait quelque chose à cette robe, et non des moindres…. Le corset…Décidément il faudrait qu’elle ait une conversation avec sa demoiselle de compagnie. Elle n’en était pas à son septième mois de grossesse tout de même, elle pouvait encore porter des corsets, surtout tant que personne n’était encore au courant…ce qui était, soit dit en passant, très bien ainsi.

Lorsqu’elle eut terminée de se préparer, Jena quitta la salle d’eau et revint dans la chambre au moment où le prêtre terminait de bander les yeux du baron. Il finissait de murmurer quelque chose à l’adresse d’Hanegard lorsqu’il se redressa pour la regarder.

- Mon maître voulait que je vous remette ceci. Il dit que ça vous aidera à mieux dormir.

Surprise, Jena prit la fiole que lui tendit le prêtre dans ses mains. Ses yeux glissèrent ensuite sur Hanegard. Ne pas l’inquiéter, surtout NE PAS L’INQUIETER. Son cœur battait la chamade, mais après tout les paroles du prêtre ne suggéraient qu’une insomnie, pas de quoi fouetter un chat !

- Il vous fait également dire que si vos rêves ne cessent pas, il vous faudra retourner le voir, il vous aidera à vous préparer…dans le cas ou vous….
- Très bien, je n’hésiterais pas une seule seconde coupa brusquement Jena.

Le prêtre s’inclina et quitta la pièce sans un mot de plus. Silencieuse, Jena baissa les yeux sur la fiole et resta pétrifiée. Le Grand Prêtre qui l’avait réconforté la veille en déclarant qu’il ne s’agissait que de rêves, venait maintenant lui demander de se préparer au pire… Comment réagir devant pareille déclaration ? Malgré tous ses efforts elle ne put retenir les larmes qui roulèrent silencieusement sur ses joues, embuant par la même ses yeux clairs.

Une fois Jena sortie, le prêtre ferma les rideaux dans la chambre pour baisser la luminosité puis ôta le bandeau qui couvrait les yeux meurtris du baron. Hanegard sentit les doigts du soigneur passer sur ses paupières, et une douce fraîcheur se répandit lentement sur et dans ses yeux aveugles. La sensation était curieuse mais opas désagréable, et pour un peu il aurait eu l’impression d’avoir un glaçon en train de fondre dans son œil même. Conscient qu’une magie curative était à l’œuvre et bien incapable de comprendre ce qui se passait, il se laissa faire sans piper mot.

Le Grand Prêtre avait du lui envoyer un de ses suivants fort doué dans le domaine des soins, et il ne voulait pas le troubler par des questions importunes dont les réponses ne lui apporteraient de toute façon rien à ce stade. Des flashs lumineux apparaissaient par moment, des flashs d’une douce lueur bleutée. L’esprit ailleurs et tandis que les soins faisaient effet, Hanegard se prit au jeu de les compter… un, deux, trois… non, deux… oh, quatre d’un coup… plus qu’un. Aussi brusquement qu’ils étaient apparus, les flashs cessèrent et le baron sentit que le bandeau était renoué autour de sa tête.

Alors ?
Je ne voudrais pas vous donner de fausses joies monseigneur, mais vous yeux semblent bien réagir. La grâce de la déesse me permet de régénérer lentement les tissus nécrosés, laissant à espérer une issue heureuse.

Hanegard médita quelques secondes cette réponse qui lui faisait espérer beaucoup, mais craindre encore plus. S’il pouvait désormais croire un jour toucher à son but, la déception n’en serait que plus cruelle en cas de complications imprévues. D’une voix hésitante, il demanda :

Vais-je revoir ?
Comme je vous l’ai dit, il est trop tôt et le processus de guérison n’en est qu’à ses débuts. En attendant gardez ce bandeau sur les yeux, ils sont trop fragiles pour supporter la lumière ambiante. Je repasserai dans deux jours pour continuer les soins.

A cet instant Jena revint et le prêtre alla la voir. Encore troublé et en plein réflexion, le baron n’entendit pas ce qu’ils se disaient, pas plus qu’il n’entendit ensuite la porte se refermer. Le silence ne fut plus alors brisé que par le bruit des respirations des deux époux. La respiration lente du baron, et celle plus rapide de sa femme. Trop rapide d’ailleurs pour être naturelle, une respiration où se contenait une sourde douleur intérieure. Inquiet, le baron se leva et tâtonna jusqu’à se trouver près de Jena. Doucement, il lui passa une main sur la joue et l’en retira mouillée.

Pourquoi ces larmes, Jena ?

Ce fut seulement lorsqu’Hanegard posa ses mains sur son visage que Jena sortit de sa torpeur. Elle se sentait trembler comme une feuille pourtant elle n’avait pas vraiment froid, c’était comme ses joues, inondées, alors que ne sentait pas les larmes lui échapper. Et puis se fut son cœur qui lui fit douloureusement mal. Comme un coup de poignard, une douleur fulgurante…Profitant de la proximité de son époux, Jena se serra brusquement contre lui, recherchant désespérément le réconfort que lui apportaient habituellement ses bras. Pourtant, à cet instant elle ne trouvait aucun réconfort. La pensée qui s’était insinuée en elle venait de la frapper brusquement, lui revoyant tout ce qu’elle allait bientôt perdre. Et lui, qui ne se doutait de rien, qui ne pouvait même pas imaginer l’horreur qu’elle était en train de vivre…

Lorsqu’elle releva la tête, essayant de sortir un mot compréhensible, elle se figea. Comment pouvait-elle être aussi égoïste…il avait perdu la vue…il n’était même pas sur de la recouvrer un jour et elle….
Mais savoir sa mort si proche la terrifiait tant, comment ne pas y penser ? Etait-ce mal de pleurer pour elle et pas pour la blessure de son époux ?
Laissant éclater ses sanglots, Jena plongea à nouveau son visage contre le torse d’Hanegard, essayant d’oublier ce visage lumineux, cette idée fixe, les mots du prêtre. Mais rien à faire…. Elle ne voyait, ne pensait et n’entendait que ça.
Et elle se rendit compte qu’il était cruel de laisser Hanegard dans le noir…- déjà qu’il n’y voit pas grand-chose…. Hum…pardon… - mais alors qu’il devait s’attendre à une révélation du genre « Je suis enceinte et je suis terrifiée » elle opta pour :

- Il faut que je te dise…..

Un nouveau coup frappait à la porte l’interrompit, et brusquement, peut-être un peu trop, elle se dégagea des bras d’Hanegard et tourna le dos à la porte en s’asseyant sur le bord du lit. Inutile qu’on la voit ainsi, c’était déjà assez pénible de savoir que le Grand Prêtre de Néera avait confié son récit à un prêtre….pas besoin d’affoler toute la maisonnée.

Il ne s’agissait que d’une domestique venue récupérer le plateau et remettre un peu d’ordre. Visiblement elle comprit qu’elle venait d’interrompre quelque chose d’important aussi se pressa-t-elle de récupérer le plateau et de quitter la pièce.
Hanegard n’avait pas bougé mais Jena sentait qu’il attendait. Aussi après une longue minute de silence elle finit par dire ce qu’elle aurait préféré lui taire.

- Je vais .... mourir…. Je crois que…. que je vais mourir ….et je suis….terrifiée….

Loin de la soulager, Jena éclata à nouveau en sanglot, complètement submergée par la peur qui lui nouait le ventre depuis dès jour.

Le silence se fit après les dernières paroles de Jena. La caméra s’éloigna, faisant un plan large sur le couple enlacé. Au loin un éclair s’abattit sur la montagne, des nuées d'orage emplirent le ciel et un vent glacial se mit à souffler. Trois corbeaux noirs tournèrent en rond en vomissant puis partirent en direction du sud-est. Le grondement du tonnerre atteignit la scène et une bourrasque vagabonde fit joliment voleter les longs cheveux de la baronne, tandis que ses larmes traçaient deux sillons humides sur ses joues de nacre.

En clair, il s’agit d’un instant dramatique où le suspens est à son comble. Vas y coco, tournes la manivelle ! On aura un oscar pour cet scène qui entrera au panthéon du cinéma écrit !

Le baron ne pouvait tout simplement pas en croire ses oreilles. Il fallait qu’il ait mal entendu, rien d’autre n’était possible. Jena ne pouvait pas avoir prononcé de telles paroles, elle ne pouvait pas avoir ainsi annoncé sa crainte d’une mort prochaine. Une aussi belle jeune femme, pleine de vie et d’avenir, une mère heureuse et une épouse aimante, une nouvelle baronne et une amante passionnée… comment pouvait-elle ressentir la crainte de la froide étreinte de Tyra ? La déesse ne pouvait pas avoir la cruauté d’exiger la venue de Jena en son sombre royaume. Non, pas si tôt !

Rester calme, voilà la clef, se dit le baron tout en serrant contre lui le corps secoué de sanglots de sa douce éplorée. Mentalement il se sentait près du point de rupture, bien que son cerveau se dise que l’heure n’était pas idéalement choisie pour cela.

L’annonce de la mort d’Ilinsar aurait-elle déclenché une réaction autodestructive chez Jena ? Hanegard savait à quel point la drow avait hanté les nuits de sa femme, il l’avait trop souvent senti se réveiller en sursaut lorsqu’elle revivait les terribles jours passés entre les griffes de sa cruelle ravisseuse. Cette théorie toutefois paraissait peu cohérente au vu du fait que jamais Jena n’avait fait preuve de la plus petite once de folie auparavant.

Non, elle ne débloquait pas, il fallait trouver l’explication ailleurs.

La perte de la vue de son mari ? S’en voulait-elle de leur violente dispute lors du couronnement qui avait déclenché cette histoire avec Ilinsar et finalement conduit le baron dans le noir ? Peut être, mais de là à craindre la mort, il y avait un sacré gouffre à franchir et Hanegard n’y croyait pas non plus. Il chercha encore un peu sans pour autant réussir à comprendre quel événement pouvait ainsi terrifier sa toulousaine adorée.

D’une voix douce, le baron demanda :

Que dis tu, Jena ? Mourir ? Mais enfin… pourquoi crois-tu cela?

Sujet: Re: Une larme entre amour et haine Ven 2 Sep 2011 - 10:34

Lorsqu’elle fut à nouveau dans les bras d’Hanegard, Jena sentit que le poids qu’elle portait sur ses épaules depuis plusieurs jours s’allégeait. Maintenant qu’elle avait commencé à confier son angoisse, elle se sentait prête à vider son sac, mais…devait-il réellement entendre ça ? Il était déjà marqué par une épreuve qui le touchait physiquement, il n’était peut-être pas très judicieux de rajouter une charge supplémentaire sur ses épaules à lui.
Pendant le long silence qui suivit sa déclaration, Jena sentit que son époux avait besoin avant de lui répondre, d’encaisser le choc. Elle resta donc blottit contre lui, lutta pour étouffer les sanglots qui continuaient à la secouer.

Et finalement il s’adressa à elle d’une voix douce et rassurante, dans laquelle elle ne percevait qu’une légère inquiétude. Il avait sentit sa détresse, mais il ne voulait pas s’alarmer inutilement. Convaincu qu’elle devait à présent se confier à lui, Jena le guida jusqu’au lit pour qu’ils puissent s’asseoir l’un près de l’autre.

- Je…je ne le crois pas, j’en suis intimement convaincue….c’est…c’est à cause de ces rêves que je fais…

La jeune femme marqua une pause, le temps d’organiser ses pensées. Elle n’avait pas imaginé en parler le matin même à Hanegard, mais maintenant qu’elle avait commencé, elle ne pouvait plus faire machine arrière…impossible.
Quittant la protection et le réconfort des bras de son époux, Jena lui tint seulement la main pour éviter d’être déconcentrée et tentée de stopper ses confessions.

- Depuis la cérémonie je dors très mal…je fais tous les soirs le même rêve et ça signification est parfaitement claire pour moi Il y a cette femme qui me sourit…elle n’a rien de commun, tout en elle est si…brillant. Telle qu’elle m’apparaît elle est pareille aux statues de la déesse Néera…Elle me tend la main…et me dit que je vais bientôt la rejoindre.

Au début, Jena avait pensé que cela n’avait pas de rapport avec une mort prochaine. Après tout ce n’était pas Tyra qui lui apparaissait en songe, mais lorsqu’elle avait appris juste après sa grossesse, elle n’avait plus eu de doute. Les guérisseurs eux même lui avaient dit de faire très attention. Qu’elle ne survivrait probablement pas à un autre accouchement comme celui de Liliana. Les douleurs qu’elle ressentait déjà ne présageaient rien de bon et ne lui laissaient entrevoir aucun espoir.
Avant qu’il n’ait pu l’interrompre, Jena reprit son souffle et continua.

- Cela peut te sembler ridicule mais….je suis persuadée que je vais bientôt mourir…. Je ne voulais pas t’en parler parce que tu....enfin, dans ton état je ne voulais pas t’inquiéter.

Un long soupir suivit sa dernière phrase. Enfin elle s’était libérée de ce fardeau. Certes elle n’avait pas dit un traître mot sur sa grossesse, mais chaque chose en son temps hein ! Pas besoin de balancer des bombes à chaque phrase. Et même elle ne se sentait pas capable d’en parler. Après tout ce bébé était la cause de son état, la cause de ses rêves, la cause de sa prochaine mort. Comment pouvait-elle alors apprécier l’idée d’être enceinte une seconde fois ?

Sujet: Re: Une larme entre amour et haine Sam 10 Sep 2011 - 20:07

Hanegard écouta sans l’interrompre les explications de Jena. Il sentait instinctivement que son épouse avait besoin de vider son sac, de tout lui dire sans prendre de pause. Affronter ses phobies nécessite une sacré dose de courage et il ne voulait pas briser de précieuses révélations par une question ou une remarque impromptue qui n’aurait de toute façon rien apportée.

Lorsqu’elle eut fini, il lui demanda simplement :

C’est de ce sujet que le prêtre te parlait tout à l’heure, n’est-ce pas ?

Il n’était nul besoin d’acquiescer, cela Hanegard le savait déjà. La visite en urgence de Jena au temple s’expliquait certes pour partie par l’état de santé de son mari mais pour partie également par sa terreur de la mort annoncée dans ces mystérieux rêves. Le Grand Prêtre de Néera paraissait en effet la personne la plus qualifiée pour analyser avec elle l’origine de ces songes et l’aider à en comprendre le sens caché, si sens il y avait.

Et dire qu’elle lui avait caché cette terreur qui la hantait nuit et jour pour ne pas l’angoisser alors qu’il redoutait de perdre la vue. Prise entre ces rêves inquiétants et la blessure d’Hanegard, nul doute qu’elle avait du avoir du mal à tenir nerveusement. Bien des femmes dotées d’un caractère moins solide que Jena en serait devenues hystériques. La seule idée de mourir en laissant un mari aveugle… rien que d’y penser hérissait le poil du baron.

Ouvrant les bras, il serra tendrement la femme de sa vie contre son cœur.

Viens là.

Dans ces moments là, ils se sentaient invulnérables. Unis par la force de leur amour, liés l’un à l’autre tels deux rocs que la marée ne peut disjoindre, ils n’en savaient pas moins que cette fois, un autre joueur entrait dans la partie. Si les menaces d’une drow comme Ilinsar devaient être prise au sérieux, que dire alors des avertissements d’une déesse ?

Il n’y a rien de ridicule à craindre un rêve, Jena. Dans mon clan, nous avions un vieil homme, Serklav, un shaman, qui prétendait pouvoir communiquer avec les dieux via des transes mystiques. Souvent ses prédictions se révélaient complètement fausses mais il lui arrivait de faire preuve d’une clairvoyance que rien de factuel ne parvenait à expliquer.

Hanegard pensait qu’une bonne partie des prédictions du vieux Serklav venait des quantités d’alcool ingurgitées afin, selon lui, de mieux être à même de recevoir le message des dieux. L’origine même du vieillard restait un mystère, certains le prétendant prêtre défroqué fuyant une sombre histoire d’amours interdits, d’autres le donnant pour un ancien guerrier tombé en grâce suite à un violent coup sur la tête reçu au combat.

Toutefois, à plusieurs reprises Serklav avait pu fournir la solution d’une énigme ou d’un dilemme, prédire le résulta d’un affrontement avec une rare précision ou deviner les menaces à venir. Peut être la chance et le hasard seuls expliquaient-ils cela… mais peut être fallait-il y trouver une analyse plus mystique et admettre que certaines personnes pouvaient recevoir des révélations de la part des puissances supérieures.

Quoi qu’il en soit, le baron ne niait pas la possibilité selon laquelle les Cinq pouvaient s’adresser aux mortels durant leur sommeil. Rien ne prouvait que les rêves de Jena venaient réellement de la déesse, mais rien ne prouvait le contraire. Et jusqu’à preuve formelle d’une des deux hypothèses, elles restaient aussi valides l’une que l’autre.

Peut être la déesse te parle-t-elle. Ou peut être tes rêves ne sont-ils que des craintes inconscientes. Je ne prétends pas être assez sage pour répondre à cette question. Mais sans être théologien, j’ai toujours entendu dire que lorsque notre heure sonne, nous rejoignons le sombre royaume de Tyra et non pas celui de Néera.

Il lui fallait donner un espoir à Jena, aussi tenu soit-il. L’espoir que ses rêves pouvaient annoncer autre chose que sa mort prochaine. Hanegard admettait bien volontiers qu’il ne pouvait guère faire mieux que fournir une analyse certes un peu tirée par les cheveux en se basant sur l’interprétation de rejoindre une déesse dont le domaine n’était pas la mort.

Mais… en supposant que les rêves de Jena soient de nature divine…

…en supposant également que le baron ait raison en pensant que rejoindre la déesse n’annonçait pas la mort de son épouse…

…que voulait donc dire Néera ? Quel message cherchait-elle à transmettre à Jena ?

Sujet: Re: Une larme entre amour et haine Jeu 22 Sep 2011 - 9:25

Vraiment désolée pour l'attente.... Embarassed

Serrée par les bras puissants et réconfortants de son époux, Jena sentit peu à peu la tension accumulait ces derniers jours la quitter lentement. Il n’était rien qu’elle appréciait plus que ce contact physique. Un effleurement, une caresse, un simple baiser. Elle l’aimait d’un amour si fort, si inconditionnel que l’idée même de mourir prématurément lui brisé le cœur.
Mais peut-être avait-il raison, peut-être que ces rêves n’étaient rien d’autres que des songes issus d’un esprit fragile et perturbé. Les épreuves qu’elle avait vécu au cours des derniers mois l’avaient sûrement beaucoup plus marquées qu’en apparence. Mais si elle y repensait… Tarkel, Tinfar, les mines, Ilinsar et maintenant la cécité d’Hanegard…cela faisait beaucoup en peu de temps, trop, peut-être. Elle avait perdu beaucoup entre les mains de la drow, et ce n’était qu’en cet instant qu’elle en prenait pleinement conscience. Certes l’amour et la présence d’Hanegard l’avaient empêché de sombrer dans la folie, et la petite bouille de Merwan avait aussi largement contribué à lui rendre son sourire mais aujourd’hui qu’elle faisait le point, elle avait l’impression d’être vidée de ses forces.

Mais il n’était plus temps de se laisser aller aux pleurnicheries. Son époux avait besoin de son soutien, tant que durerait sa cécité, elle devait être ses yeux. Poussant un profond soupir, elle s’écarta de lui pour faire quelques pas dans la chambre.

- N’en parlons plus, finit-elle par trancher, Mon esprit est épuisée et même si ce que je viens de te dire n’est que folie, je suis soulagée de t’en avoir parlé. Avec ce somnifère que m’a donné le prêtre je passerai de bien meilleure nuit.

Bon, elle se traîtait elle-même de folle mais après tout elle en était maintenant consciente. Cependant il lui fallait faire preuve de courage et prouver qu’elle n’était pas qu’une petite épouse décorative. Maintenant il restait juste un tout petit détail, infime, trois fois rien en vérité, juste….aborder le sujet de sa grossesse. Il n’était pas encore au courant, du moins le croyait-elle, et elle ne pouvait pas le lui cacher plus longtemps.

Se penchant sur le berceau vide de Liliana, Jena replia les couvertures tout en réfléchissant à la façon de lui annoncer la chose. Bien que pour elle cette grossesse soit autant un cauchemar et une bénédiction, elle ne voulait pas qu’il en soit de même pour son époux. Elle était peut-être enceinte d’un garçon, d’un petit héritier à la toute nouvelle lignée des Kastelord.
Tournant sur ses talons, elle posa son regard sur Hanegard, toujours assis au bord du lit. Revenant près de lui, elle se posta debout, devant et lui prit les mains.

- As-tu toujours le petit chausson que je t’ai donné à Rodem ? Je ne sais pas si tu t’en ais rendu compte mais…ce n’est pas celui de Liliana….il appartient à quelqu’un d’autre.

Un petit sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu’elle posa sur son ventre encore plat l’une des mains de son époux. Après tout, pourquoi cette grossesse ne pouvait-elle être aussi heureuse que la précédente ? Le couple régnant d’Alonna n’avait jamais caché leur amour, et Liliana était leur trésor le plus précieux… Si elle survivait à son second accouchement, alors elle serait à nouveau comblée de bonheur. Peut-être que la solution à son problème était justement cet enfant à naître, peut-être qu’une fois parmi eux, elle irait mieux. Du moins l’espérait-elle.

Et pour ces rêves ? Et bien, elle tâcherait d’oublier ce qu’ils évoquaient pour elle. Comme elle l’avait promis au Grand Prêtre de Néera, elle se rendrait plus souvent au temple, prendrait le temps de se reposer et de réfléchir. Bien qu’elle n’ait jamais été très pratiquante, on lui avait enseigné l’amour et la crainte des divinités. Aujourd’hui, elle avait besoin de se tourner vers la déesse qui hantait ses songes, peut-être qu’ainsi elle pourrait comprendre son message.

Sujet: Re: Une larme entre amour et haine Ven 23 Sep 2011 - 13:03

Difficile de dire si Jena se mentait à elle-même ou si elle croyait réellement que ces rêves n’annonçaient en réalité pas sa fin prochaine. Sans doute un peu de tout cela, et Hanegard espérait que le somnifère envoyé par le temple fonctionnerait correctement et permettrait d’apaiser ses nuits. « Tout songe est mensonge » disait un vieux dicton populaire, mais il ne pouvait s’empêcher de ressentir une sourde crainte suite aux révélations de sa femme. Toutefois, l’avenir seul leur donnerait vraiment la réponse.

Jena décida de tirer un trait pour le moment sur cette affaire et de passer à un autre sujet fort important. Lorsqu’elle lui demanda s’il avait toujours le petit chausson donné à Rodem peu après la perte de sa vue, le baron le sortit de son pourpoint sans vraiment comprendre où elle voulait en venir. Il avait gardé le chausson bien sur, un peu comme une relique, comme quelque chose qui le reliait à la réalité. Conçu pour Liliana, selon sa femme, il rappelait au baron les raisons de continuer à se battre.

Ce ne fut qu’à la phrase suivante que ses neurones se connectèrent et envoyèrent le message au cerveau. D’une voix balbutiante, il murmura :

Un enfant ?

Eh bien oui un enfant, panouille. Pas un labrador ! Ah là là, ces montagnards sont lents à la comprenette vraiment, nous l’avions déjà tous compris que notre héroïne chérie attendait un heureux événement. Et moi je dis, ca s’arrose ! Un peu comme une troisième mi-temps pour vous donner une comparaison facile à comprendre.

Attrapant à tâtons la main de sa femme, Hanegard l’attira à lui, heureux de pouvoir partager ce moment de bonheur avec elle.

Oh Jena, c’est merveilleux. Une petite sœur pour Liliana… ou un petit frère ?

Décidement la forteresse d’Alonna allait bientôt ressembler à une garderie, mais Hanegard se réjouissait à l’idée de voir des bambins courir partout et se pourchasser en criant. Les gardes en feraient une maladie pour devoir veiller à leur sécurité, mais l’austère gardienne de la frontière humaine y gagnerait en joie et en jeunesse. Non, pas de doute, Néera ne pouvait vouloir la mort de Jena. Que ces rêves soient vraies ou fantasmés, peu importait… il ne voulait pas y croire… il ne pouvait pas y croire !

Le soleil perça à ce moment à travers les nuages. Hanegard ne pouvait bien entendu pas le voir, mais il sentit la chaleur des rayons sur sa peau. C’est ainsi que nos allons les laisser, tendrement enlacés au bord du lit, le frais soleil hivernal éclairant leur visages et les larmes de joie qui coulaient doucement.

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