Elle - Les conséquences de ses actes [Cérya]

Là, devant la pierre, elle se détend enfin. Elle baisse un peu sa garde et change légèrement de comportement. Elle n'est plus si tendue, si furieuse même. Elle est beaucoup plus ouverte, et accepte le dialogue. Chose qu'il attend depuis qu'il s'est montré. Ainsi, elle s'appelle Cérya. Ce nom ne lui dit rien, mais cela ne le surprend pas. Voilà longtemps qu'il a arrêté de fréquenter le monde. S'il l'a jamais fréquenté un jour. Alors, pour lui, impossible de connaître des gens, impossible de se rappeler d'un nom. Les seuls dont il se rappelle sont ceux de disparus. Qui n'ont plus vraiment leur importance dans ce monde.

 - Alors que moi, je ne suis qu'un monstre sans cœur ? souffle-t-il.

Après tout, c'est ainsi qu'il est perçu, comme une bête qu'on doit absolument tenir à distance, comme une chose horrible qu'on ferait mieux d'abattre lorsqu'on en a l'occasion. Le laisser en vie est trop dangereux, trop risqué. Depuis Saufy, personne ne l'a jamais regardé comme un être humain à part entière, comme un semblable. Alors qu'il n'est, au fond, pas si différent de tous les autres. Rien ne le classe dans une autre catégorie, rien ne le rapproche plus d'un animal qu'un humain ordinaire. Il sent bien cette gêne, chez la semie, cette gêne qu'il a rencontré si souvent. Et alliée à sa peur et à sa colère, elle devient assez embarrassante. Elle l'entrave et ne lui dévoile qu'une partie de ce qui est. Il sait pertinemment qu'il est extrêmement difficile de savoir ce qui est réellement, mais si en plus de cela, on ajoute ce voile, alors il devient impossible de discerner quoique ce soit.

Maintenant, elle essaye de le comprendre, ou plutôt, elle essaye de savoir s'il est juste qu'elle essaye de lui ôter la vie ou non. S'il n'est rien de plus que ceux qu'elle tue d'ordinaire. Si son besoin de le tuer est justifié par sa morale. Parce que, si elle lui a avoué ouvertement qu'elle apprécie le fait d'ôter une vie, elle s'est rapidement reprise, et s'est justifié plus que nécessaire. Cela doit venir de son éducation. On a du lui apprendre qu'il n'est absolument pas moral de tuer. On a du lui apprendre que prendre la vie de quelqu'un n'est pas quelque chose qu'on fait à la légère. On a du la brimer. On a du la conditionner. Mais si elle ne l'avait pas été ? Si on l'avait laissé faire, si on l'avait laissé livrée à elle même ? Si elle n'avait pas appris tout ces codes, si on ne l'avait pas entravé par des tabous ? Si on lui avait donné le choix, si on lui avait tout donné pour qu'elle puisse comprendre et prendre le chemin qui lui correspondrait le mieux ?

 - Tu as été élevée par des humains, je me trompe ? reprend-il. Quoique tu dises, quoiqu'on t'ait appris à penser, je ne suis pas différent de toi. Je ne suis pas différent des autres. Et toi non plus. Nous sommes des humains, même si nous sommes considéré comme des bêtes. Et sais-tu pourquoi nous sommes considérés comme tel ?

Il ne lui laisse pas vraiment le temps de répondre avant d'enchaîner :

 - Parce que nous cédons plus facilement à nos pulsions, Cérya, parce qu'elles sont plus fortes et parce qu'elles nous paraissent plus justes ! Ce n'est pas une question de sang, ni de mentalité. C'est... autre chose. De bien différent. Je ne saurais pas dire quoi, mais nous ressentons plus profondément nos besoins, nos envies. Et n'est-ce pas tout simplement délicieux d'y céder ? N'est-ce pas juste ?

Non, elle lui répondra certainement que non. Mais au fond, elle saura de quoi il parle. Cette sensation de bien être, cette sensation d'avoir enfin fait ce qui devait être fait, qui l'envahit quand il cède. Quand il lâche les commandes, quand il se dérobe à son sens moral. Quand il abandonne la partie sous la pression, trop forte, trop puissante, trop juste. Et qu'il sait alors qu'il aurait du le faire depuis longtemps, que l'opposition n'était absolument pas nécessaire, ni même justifiée. Il sait bien qu'ensuite, la culpabilité, le remord et le sentiment de faiblesse le rattrape si vite qu'ils effacent le reste. Tout le reste. Mais ces quelques instants valent bien la torture qu'il s'inflige automatiquement ensuite. Et elle doit le savoir, elle aussi. Ce doit être pourquoi elle a sans cesse besoin de se dédouaner, de dire qu'elle fait ce qui est juste, ce qui est normal. Ses yeux fuient sans cesse. Comme s'il touchait la vérité du doigt, chaque fois un peu plus. Comme si ses paroles faisaient de plus en plus écho en elle, à un tel point qu'elle ne l'autorisait plus à s'en rendre compte directement. Alors il se tourne vers elle est soulève doucement son menton, presque sans la toucher.

 - Maintenant, si je te dis que je ne suis pas un monstre, tu me crois ?

Ses iris pourpre se fixent sur ceux rubis. Sans fouiller, cette fois. Sans chercher quelque chose qu'on ne leur dit pas. Ils les interrogent seulement.