La Salamandre en Ydril, nouvelle visite

Même si sa dernière tentative politique s'était soldée par un échec du fait de la stupidité de son voisin mervallois, Viktor n'avait pas l'intention d'en démordre. Cette pétasse qui occupait la Roseraie devait être chassée et ses bâtards merdeux avec elle. Qu'elle soit morte, réduite à la mendicité ou que la régente lui fasse une coquette retraite pour qu'elles puissent ensembles changer les couches de leurs chiards, peu lui importait. L'important était qu'elle décampe de la Roseraie et le plus tôt serait le mieux. Et puisque le duc et la duchesse de Soltariel ne semblaient pas décidé à intervenir, il lui fallait prendre les choses en main et aller jouer avec les autorités de proximité.

Après avoir envoyé un message pour annoncer sa venue, Viktor embarqua dans un des tout nouveaux navires de la flotte de Missède et entrepris le voyage jusqu'à Ydril, longeant les côtes de la péninsule du Langehack  puis continuant vers le sud jusqu'à avoir contourné la pointe sud du royaume et être enfin arrivé à destination.

Bien sur, il aurait certainement été plus vite par la terre que par la mer. Mais c'était aussi la une façon de placer ses pions. Les missédiens avaient réussi à se doter d'une flotte capable d'affronter l'Olienne et ce, sans l'aide d'Ydril. Certes, la flotte missédienne n'était pas à la mesure de celle du comté austral et ne le serait sans doute jamais. Mais il n'en demeurait pas moins qu'elle existait et que le comté n'avait prit nul part dans la fabrication de ces navires. Nul doute que le nouveau seigneur du lieu en avait été informé, mais c'était une chose de le savoir et une autre que de voir ces nouveaux navires de ses propres yeux.

Comme à son habitude, Viktor ne fit pas une arrivée discrète, parfaitement repérable de par la salamandre rouge sang couvant son nid de flammes d'or sur les voiles et sur les bannières. On les avaient vu venir de loin à n'en pas douter.

Restait à savoir quel accueil on allait leur réserver.

Viktor ne se formalisa pas de la nouvelle injure.

Être reçus par un marmot tout juste sortit des jupons de sa mère n'était pas une façon de traiter un invité d'un tel rang. Mais c'était toujours mieux que d'être laissé sur le port sans personne pour vous acceuillir. Et puis, les petits merdeux devaient bien un jour ou l'autre montrer de quoi ils étaient capables. Après tout, Ydril en avait tellement insulté Missède au cours des années qu'une de plus ou une de moins ne changerait pas grand chose.

Ce n'était qu'une raison de plus montrant à Viktor qu'il avait bien fait de se passer d'Ydril pour sa flotte et l'enclave d'Isgaard. Cela devait d’ailleurs titiller un peu l’orgueil des sudistes. Des ports et du commerce maritime qui leur était totalement fermé. Sans compter une flotte qui, si elle ne valait pas la leur, ne leur devait rien. Enfin, pour l'instant, elle ne valait pas la leur. Mais qui sait dans combien de temps les charpentiers de Missède en saurait assez pour fabriquer des navires qui rivaliseraient avec ceux d'Ydril. Nulle magie ne conférait aux Ydrilotes leurs supériorité pour les navires. Simplement l'expérience. Et c'était justement ce que les Missédiens étaient en train d'acquérir.

Pour le moment, Viktor se contentait d'observer la mise en scène.

Parce que tout ce qu'il voyait pour le moment n'était que cela. Une gigantesque parade pour le vexer, l'énerver et le déstabiliser avant la négociation. Il n'avait pas prit les Ydrilotes par surprise en arrivant dans leur port. Non, tout ici avait été méthodiquement prévu et calculer par les sudiste. Alors autant rester calme et profiter de cet affligeant spectacle.

Un jour ou l'autre de toute façon, les Ydrilotes devraient payer.

La question de savoir s'il était ou non rentré dans le giron de la couronne ne le surprit pas. Les Anoszia étaient passé maîtres dans l'art du léchage de cul. Son hôte souhaitait de toute évidence simplement comparer la taille de leurs langues et savoir s'il pourrait profiter d'un nettoyage du fondement par Viktor.

Quel vulgarité de nouveau riches.

« Je n'ai pas l'intention de m'opposer à la couronne si c'est là votre question. Pour le reste, des négociation sont en cour. Mais Diantra peu être assuré d'au moins ma neutralité si conflit il devait y avoir. »

Il n'en dirait pas plus et il n'y avait pas grand chose de plus à dire de toute façon.

L'entretient avec cet abrutis de Cléophas avait tourné court, mais la position de Viktor restait raisonnable. Il ne prendrait pas partit contre la couronne.

« Je pense qu'il est inutile de perdre notre temps. Vous savez parfaitement pourquoi je suis ici, dit calmement Viktor. »

Sinon, c'était un abrutis.

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Viktor observa tranquillement le marmot qui se trouvait en face de lui.

Il avait certainement l'impression d'être très puissant, très malin et qu'il était très difficile de lire en lui. Comme il était certainement convaincu qu'il était le véritable maître d'Ydril. Il était d'ailleurs assez surprenant que cette petite crevette soit encore en vie. Allez savoir. Son oncle devait certainement encore avoir besoin de lui pour asseoir son autorité. Sinon, il ne voyait pas pourquoi le gamin était encore capable de respirer. Enfin, les affaires d'Ydril importaient peu pour Viktor tant qu'elles ne concernait pas la Roseraie.

De plus, pour être tout à fait honnête, il préférait largement traiter avec ce gamin juste sortit des jupes de sa nourrice et certainement plus influençable que le vieux briscard de régent qui tenait véritablement les rênes d'Ydril. Il y avait fort à parier que ce joli minet commence à penser aux demoiselles avec autre chose que de la répulsion ou une grande interrogation. Sans doute aussi qu'il espérait un beau mariage avec une fille qui lui serait fidèle. Et au vu du conflit qui opposait Viktor à Aelalia, il ne serait guère difficile de faire passer la jeune femme pour le mal incarné aux yeux de ce gamin et de même lui donner l'impression qu'elle représentait tout ce qui pouvait être haïssable chez une femme.

C'était très manichéen, mais après tout, on parlait d'une personne qui avait ouvertement trompé son époux et enfanté des bâtards sans parlé du meurtre dudit époux et du frère de la belle qu'avait en son nom perpétré son amant.

Il était d'ailleurs plus que surprenant qu'une femme avec une telle réputation soit encore en place à la tête d'une seigneurie après la disparition de la protection que lui avait assuré le titre de putain du régent.

Mais tout cela n'était pas pour tout de suite.

« Je vous salut messire comte, dit tranquillement Viktor. Je suis heureux de voir votre cité resplendir ainsi après tout les fâcheux événements qui s'y sont déroulés. Le Langehack se porte à merveille et, les dieux en soient remerciés, nous aurons bientôt une nouvelle duchesse qui, je n'en doute pas, mettra un terme à cette période trouble qui a agité les terres ducales après la disparition de la regrettée Jeanne de Sephren. »

Une arriviste politique. Voilà ce qu'était en vérité cette gamine. Mais là n'était pas le sujet aujourd'hui. Il s'agissait de la Roseraie et du droit légitime de Kathleen et de leur enfant à naître.

« Messire, je me présente aujourd'hui pour demander votre justice. En effet, bien des années ont passé et durant tout ce temps, le bon droit de mon épouse est foulé par une intrigante. »

Pause dramatique.

« Voilà quelques temps, après avoir fait assassiner son frère aîné par le regretté Régent qu'elle avait corrompu de ses charmes, dame Aelalia de Gwidyr épousa le frère de mon épouse, le seigneur Gregoir de la Roseraie. Lui aussi périt de la main du Régent, manipulé par cette dame. J'ai avec moi la preuve que les enfants pour lesquels elle prétend exercer une régence de la Roseraie ne sont en rien les enfants du seigneurs Gregoir, mais des bâtards issus de divers dépravation de cette femme. »

Nouvelle pause dramatique, le temps que l'assemblée digère l'information.

La position d'Aelalia n'était pas aisée à défendre. Certes, elle avait des enfants, mais cela n'avait jamais empêché qu'une femme soit punie pour les crimes qu'elle avait put commettre.

« Messire comte, repris Viktor en se rapprochant un peu plus de son interlocuteur. Je suis ici moins en tant que baron de Missède qu'en tant que représentant de mon épouse. Kathleen de Missède est la sœur de feu messire Gregoir et la fille du précédent sir de la Roseraie. Cela fait d'elle la légitime héritière de cette terre. Messire comte, je n'en veux pas à la vie des enfants de dame Aelalia ni à la sienne. Mais au nom de mon épouse et de notre enfant à naître, je ne peux accepter l'injustice qui leur est faite plus longtemps. Ainsi, messire comte, je vous demande humblement de bien vouloir remettre la Roseraie à ses légitimes héritier au nom desquels je prêterais serment devant vous pour le domaine de la Roseraie. Prouvez à tous, messire comte, s'il en était encore besoin, que vous êtes un suzerain juste. »

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Pour quelque peu dérangeante qu’elles soient, les questions qu’avait pausées le comte d’Ydril étaient parfaitement légitimes et à prévoir. Après tout, si Viktor dressait un portrait aussi sombre de l’actuelle dame de la Roseraie, il était bien forcé de se dire qu’elles allaient arriver sur la table un jour ou l’autre. Simplement accuser de la sorte ne suffit pas. Il faut amener des témoignages et des preuves indiscutables de ce que l’on avance.

Hors, fort heureusement, des preuves il y en avait à foison.

Le baron de Missède fut en revanche quelque peu surpris par la seconde question. Il ne s’y attendait pas vraiment, bien qu’en y réfléchissant, la chose lui parut tout à fait logique. Il n’était pas le vassal du comte, ni même celui qui réclamait le droit. La prétention qu’il avait sur la Roseraie était portée par Kathleen. Il était logique de se demander pourquoi la jeune femme n’avait pas elle-même effectué le trajet pour venir défendre son droit sur la demeure de ses ancêtres.

La raison était simple et ne nécessitait pas particulièrement de preuves. Pas plus que celle de la parole de Viktor en tout cas. Et même si les relations entre Ydril et Missède avaient été plus que déplorable ces derniers temps à cause du litige de la Roseraie, il y avait peu de chances que le comte mette en doute les paroles d’un baron concernant son épouse.

« Messire comte, fit Viktor en prenant la parole, il serait en effet plus naturel et logique que se soit mon épouse qui vienne ici plaider sa cause. Mais sa situation ne le lui permet pas. Elle est récemment tombée enceinte et nous avons jugé qu’il valait mieux qu’elle n’entreprenne pas un voyage aussi long et aussi fatiguant dans son état afin de ne pas prendre de risques. C’est là la raison pour laquelle je me présente devant vous. »

Il n’était guère difficile de comprendre les risques dont parlait Viktor et la raison pour laquelle il avait prit de telles précautions. Malgré l’affection sincère entre les deux époux, Viktor restait sans descendance après plus de cinq années de mariage. Leur seul enfant, Armand, avait vécu moins de deux ans avant de s’éteindre sans raison. On comprenait aisément pourquoi Viktor avait tenu à se que son épouse reste à Missède, même si l’on n’avait pas connaissance des trois fausses couches qui avaient émaillées leurs années de mariage.

Estimant s’être justifié, Viktor revint à la première question du comte.

« Messire comte, j’ai amené avec moi plusieurs témoins des agissements de cette dame. Des serviteurs du domaine de Gwydir où elle vivait avant d’épouser Gregoir de la Roseraie. Témoins du meurtre du seigneur de Gwydir et des dépravations de cette femme. »

Cela était un bon début, mais largement insuffisant pour supporter les accusations que proférait le baron. Au fond, on se foutait de savoir si cette femme était une trainée. Le cœur du problème était la légitimité des enfants pour lesquels elle prétendait exercer une régence.

« J’ai également une lettre qui me fut adressée par Gregoir de la Roseraie avant qu’il n’aille chercher son épouse et ne soit tué par le Régent. Il dénonce l’inconduite de son épouse, mais aussi ses propres actes. Il admet avoir reconnu les enfants de dame Aelalia pour lui éviter la honte d’être une mère-fille par amour sincère pour la dame. Un amour qui ne lui apporta malheureusement nul amour en retour, mais un trou en terre. »

Disant cela, Viktor exhiba les feuillets de la lettre de Gregoir avant de les donner au clerc pour qu’il s’assure de ses dires et les confirmes à son maître. C’était là une pièce maîtresse de son argumentaire, mais mieux valait enfoncer le clou.

« Enfin, messire comte, je suis accompagné de l’ancien garde chasse de la Roseraie. Pendant son court mariage, Gregoir de la Roseraie a énormément fréquenté cet homme devenu son confident. Et c’est à lui qu’il a confié la tâche, lorsqu’il est partit affronter le Régent, de trancher la gorge des enfants si les choses venaient à mal tourner. Sans doute voulait-il punir son épouse de sa conduite quoi qu’il arrive. Bafoué et humilié, Gregoir de la Roseraie avait vu son amour pour cette femme devenir pure haine. »

Mais les enfants étaient vivants. Tout le monde savait cela. Le contraire aurait très largement simplifié cette querelle puisque la mort des enfants aurait retiré toute tentative de justification qu’Aelalia garde la Roseraie.

« Cet homme au dernier moment ne put se résoudre à frapper et prit la fuite pour venir en Missède. Il jugeait que les enfants n’avaient pas à payer de leur vie les actes de leur mère. »

C’était un jugement que Viktor partageait. Même s’il n’aurait aucun regret à apprendre la mort des enfants, il ne souhaitait pas non plus la provoquer. La tombe les rappellerait certainement bien assez tôt, comme ils l’avaient fait pour leur bâtard de père.

« Messire comte, vous m’avez demandé de vous fournir des preuves. Voici les preuves que j’avance pour attester du bon droit de mon épouse sur la Roseraie. »