Affublé de ses nouvelles fonctions, et désirant à tout prix faire bonne impression, le nouvel homme, qui s'appelait à présent Henri de Montecale, avait traversé le Langecin, passant par Cerulyse, afin de se rendre dans la châtellenie de Tall, afin de rendre visite à Guilhem de Tall, qui possédait Azalie dans son giron. Ayant fait le voyage en compagnie de sa famille, dont un père grincheux et rempli de colère à la suite de la transformation de son prénom, il arriva au castel seigneurial. Il avait toujours détesté les voyages à cheval, plus habitué à prendre la mer, et moins enclin à apprécier de monter avec une jambe de bois... Mais il fut heureux de descendre de celui-ci, accueilli au sein du château avec sobriété.
Guilhem de Tall, en effet, était un homme concret et peu enclin aux chichis que l'on faisait dans la plupart des cours péninsulaires. L'accueil fut donc sommaire, durant lequel le seigneur dîna aux côtés d'Henri, qui vit ses éloges lui faire autant d'effet que du feu sur de l'eau. Fort heureusement pour le nouveau gouverneur, la nièce de celui-ci semblait plus réceptive aux flatteries et aux belles paroles. Si le châtelain s'était montré peu enclin à la conversation, et d'une politesse plutôt sommaire, Marianne, en revanche, avait plaisamment rempli les blancs. Elle s'était d'ailleurs montré très curieuse à propos du sudiste, pour son origine et son caractère exotique, sans doute. Quoi qu'il en soit, la visite au seigneur fut des plus classiques, et après deux jours passés au château, l'homme à la jambe de bois s'en fut sur la route vers Azalie, où il devait encore rencontrer l'amiral Vellencour.
Sur le chemin pour la cité portuaire, il repassa par Cerulyse, où Fernand piqua une crise de nerf lorsqu'on l'appela pour la énième fois par ce prénom. Mais l'altercation passa comme une averse, et une fois arrivés en Azalie, les Montecale étaient plus calmes que jamais. En effet, revoir la riante petite cité portuaire leur rappelait un peu l'esprit suderon, et la nostalgie commençait à les envahir. Que de surprise d'ailleurs lorsque le père d'Henri trouva un expatrié soltaar s'étant reconverti dans le marché aux légumes. Les deux hommes bavardèrent tout un temps, alors que le nouveau gouverneur de la ville informait Fernand qu'il fallait qu'il aille au chevet de Rodrik Vellencour. Son père le laissa y aller tout seul, ses frères et leurs femmes restant à l'arrière. Pénétrant dans un manoir de la ville, celui censé abriter l'homme malade, il fut accueilli par des serviteurs, à qui il communiqua son identité.
Amené en face de l'amiral, qui se trouvait en bien piteux état assis dans son salon, Henri salua respectueusement son supérieur militaire.
"Mes respects, amiral Vellencour. Je suis Henri de Montecale, votre nouveau vice-amiral, et le nouveau gouverneur d'Azalie sur ordre du duc Oschide d'Anoszia. Je prie Néera que votre état s'améliore, messire, vous me semblez tirer triste mine en ces temps."
L'amiral eut une petite quinte de toux, avant de se renfoncer dans son siège et de rétorquer:
"Ma santé n'est pas aussi déclinante qu'elle en a l'air, messire de Montecale. Je suis encore capable de marcher, ce n'est donc pas encore trop grave, n'est-ce pas?"
Il s'arrêta un instant, toussant une nouvelle fois.
"Je ne sais trop que penser de cette soudaine promotion. A peine arrivé êtes-vous que le duc semble vous couvrir de fonctions. Vous êtes soit un homme d'exception, soit un très bon menteur. Mais dans les deux cas, vous avez réussi à impressionner le suzerain de Langehack. J'espère pour vous que vous saurez autant me..."
Une nouvelle quinte de toux éclata, avant qu'il ne reprenne, se raclant la gorge.
"J'espère que vous saurez autant me plaire qu'à son Altesse, disais-je."
Le gouverneur acquiesça de la tête, avant de répondre:
"Bien entendu, messire, je me montrerai digne. J'ai d'ailleurs beaucoup de recommandations à vous faire au sujet de la flotte langecine, et..."
"Du calme, messire de Montecale! Chaque chose en son temps. Vous venez d'arriver en ville, prenez d'abord un peu de temps pour enfiler le gant de vos nouvelles responsabilités de gouverneur. Et surtout, faites vous connaître de la populace. Vous savez, elle s'est montrée plutôt dubitative à l'annonce de votre venue. Prouvez leur que vous pouvez être un homme de confiance."
L'homme estropié sourit à l'homme malade.
"Bien sûr, mon amiral. Je pense que ce serait une sage décision. Si vous le souhaitez, je vous inviterai à dîner ce soir en ma nouvelle demeure de fonction, en compagnie de ma famille et de quelques dignitaires de la ville."
Rodrik de Vellencour sourit à son tour.
"Je vois que vous avez déjà enfilé partiellement ce gant, messire le gouverneur."