[Domaine de Velmonè]Doux réveil ~ Azénor

Depuis combien de temps le banquet était-il terminé ? Une heure ? Trois ?  Certains jugeraient probablement leur réveil difficile, d’autres dormiraient probablement jusque tard dans l’après midi et certains encore n’avaient probablement pas encore terminé leur soirée. Ce n’était pas cette pensée qui avait tiré si tôt la plus jeune des Fleurs, des bras de Morphée. Oh non ! C’était une chose bien différente, bien plus excitante !

Elle s’était également permise de veiller tard et elle aurait probablement pu dormir plusieurs heures de plus. Mais non, elle n’y tenait plus à présent.

Les lèvres de la jeune fille s’étirèrent dans un large sourire. Toute sa famille était réunie au grand complet entre les murs du Palais. Ils étaient tous là ! Elle qui l’avait tant souhaité les ennéades précédant son voyage dans le Nord, elle peinait presque à croire que ce soit vrai. Oschide et Oscario, sa chère Cornélia, sa douce Azénor et Sysiphe et Lucrezia. Et pour combler un peu plus sa joie, le Patriarche était également présent. Tant d’Anoszia présent en même temps dans leur maison familiale s’était plus qu’elle n’aurait pu l’espérer.

Quittant d’un bond les draps froissés de son lit, Cécyllia se précipita vers la banquette devant sa fenêtre. Dessus se trouvait une robe de chambre taillée dans une étoffe de soie raffinée aux teintes bleutées. Elle l’enfila par dessus sa robe de nuit blanche tout en regardant à travers les vitres. Le soleil était à peine levé, il ne devait pas être très tôt et toute la maisonnée devait encore dormir. Mais elle n’y tenait pas. A présent qu’elle était réveillée, il fallait absolument qu’elle aille retrouver celle qu’elle n’avait que brièvement revue la veille et qui lui avait si cruellement manqué.


Quittant sa chambre à pas de velours, malgré son désir de courir et de sautiller, la benjamine se faufila dans les couloirs silencieux et vide, jusqu’à se retrouver devant la porte de sa soeur. L’idée de toquer à la porte ne lui était même pas venu, après tout, elle était certaine que sa soeur dormait encore… et seule. Ca aussi s’était certain… non ? Une vague hésitation retint la main de Cécyllia. Pff, bien sur qu’elle serait seule !

Poussant doucement la porte, Cécyllia se fraya un chemin dans la demie obscurité de la chambre qu’elle connaissait pas coeur. Elle grimpa alors doucement sur le lit, tira le drap pour se glisser dessous puis posa la tête sur le second oreille.


Azénor dormait encore. Évidemment, elle avait du veiller fort tard et elle aurait sûrement préférée faire une grasse matinée plutôt que d’être tirer de son sommeil si tôt par sa plus jeune soeur. Il était donc hors de question pour Cécyllia de la réveiller, elle voulait juste profiter de sa présence et attendre son réveil. Sauf que, les minutes s'égrainant, elle fut vite rattrapée par sa propre fatigue et ses paupières se fermèrent bientôt. Elle avait lutté quelques secondes, après tout elle était là pour profiter de sa soeur, pas pour roupiller dans un autre lit que le sien. Et en même temps… si elle fermait les yeux quelques secondes, juste quelques secondes, cela la reposerait un petit peu non ? Et elle ne manquerait pas le réveiller de sa soeur adorée…

Juste quelques secondes….

Quelques secondes plus tard… Bon d’accord, quelques minutes plus tard, les yeux de Cécyllia papillonnèrent légèrement avant de s’ouvrir. Une douce caresse l’avait tiré de son bref repos et à présent elle croisait le doux regard de sa chère Azénor. Y’avait-il dans ce monde plus merveilleuse sœur qu’elle ? Aussitôt un sourire se dessina sur ses lèvres. Elles avaient été si proches lorsqu’elles étaient toutes les deux demoiselles de compagnie auprès de l’ancienne Duchesse de Soltariel que ça si soudaine absence avait profondément peiné la benjamine des Anoszia. Les ennéades qui avaient précédé son départ dans le Nord avaient été grises, au point qu’elle en avait même inquiété sa tante… et son père.
Mais depuis la veille, elle avait retrouvé toute sa famille au grand complet et leur présence à tous lui faisait un bien fou. Bien que celle qui savait à chaque fois lui rendre le sourire se trouvait à présent en face d’elle.

« - Je ne voulais pas m’endormir… et encore moins te réveiller. J’ai cédé au plus facile mais je voulais tant t’avoir juste pour moi quelques instants. »

Parce que du temps, elles risquaient d’en manquer les jours à venir. Avec la préparation des mariages et les banquets qui ne manqueraient pas de se succéder, les deux Anoszia seraient probablement prises dans le tourbillon sans jamais trouver de temps à penser ensemble.
Penser au mariage de son père lui paraissait étrange. Elle ne s’était pas encore faite à l’idée qu’elle aurait bientôt une belle-mère qu’elle ne connaissait pratiquement que de nom. En revanche elle était heureuse pour Sysiphe qui semblait ravi sa propre union. Mais tous ces mariages lui rappelaient que le sien ne tarderait pas non plus. Son père lui avait confirmé qu’il aurait lieu à la fin du mois…. Et elle n’avait toujours pas rencontré son futur époux. N’est-ce pas étrange qu’il ne soit pas venu assister au banquet ? Son père n’aurait pas manqué de l’inviter… A moins qu’il ait été là et que personne n’ait pensé à le lui présenter.

« - Tous ces mariages … Un mois de fêtes quasiment ininterrompues s’annonce ici. Il sera loin le temps du calme et de la douce tranquillité que j’apprécie entre nos murs. »

Se redressant sur le lit, Cécyllia s’installa en tailleur face à sa sœur allongée. Les rayons du soleil s’immisçaient à présent à travers la fenêtre, baignant la pièce d’une clarté orangée. Ces moments qu’elle aimait tant…c’était peut-être les derniers qu’elle partageait ainsi avec sa sœur. Cette pensée lui serra le cœur, peignant un voile de tristesse sur son visage. Une quinte de toux la secoua alors et il lui fallut un petit moment pour se reprendre.

« - Par Néera, je ne suis pas faite pour les voyages… Mais d’ailleurs, raconte-moi les tiens, je veux tout savoir ! »

Son enthousiasme lui revint alors tandis qu’elle questionnait sa sœur les yeux brillants.

Les mots faussement sévères d’Azénor touchèrent la jeune fille. Sa soeur s’était évidemment inquiétée pour elle et à présent Cécyllia s’en voulait d’avoir infligée pareil tracas. Mais très vite sa soeur changea de ton et de sujet pour lui raconter ses folles aventures et aussitôt les yeux de la benjamine scintillèrent. Par les Dieux, se pouvait-il que la moitié de tout ce qu’elle racontait soit vrai ? Elle avait tant de mal à imaginer sa chère Azé, courir le monde, cheveux au vent, bravant la pluie et les distances… Et pourtant elle avait ce visage rayonnant qu’elle avait dû afficher elle même durant la traverser jusqu’à Alonna aux côtés de leur père.

- Tu as pris quelqu’un en otage ? Et tu étais au Tournoi de Serramire ? Ô, Azé si tu savais comme je suis heureuse de te voir ainsi. Tu es faite pour vivre ce genre de choses, pas pour vivre derrière les barreaux d’une cage dorée.

Si elle avait prononcé ses mots sans arrière pensée, elle ressentit l’écho de ce que cela signifiait pour elle. Azénor était tout ce qu’elle ne serait jamais. Un oiseau libre, heureux de voler haut et loin. Elle, elle était encore ce fragile oisillon, bien caché au fond de son nid. Elle rêvait de s’envoler, mais elle avait peur de sa propre faiblesse, peur d’être celle qui ne saurait tenir dignement sous le poids du nom qu’elle portait. Et elle craignait par dessus tout que son futur mariage n’étouffe cette flamme qu’elle avait senti brûler en elle alors qu’elle arpentait le pont du navire qui les avait transporté sur l’Olienne.

Levant sa main vers le visage d’Azénor, Cécyllia lui caressa affectueusement la joue avant de remettre une mèche de cheveux derrière son épaule.

- Ne te laisse jamais enfermée ma douce Azé. Parcours le monde de bout en bout, mais ne m’oublie pas.

Le regard de Cécyllia s’était légèrement assombrie, c’était fréquent depuis quelques temps. Si le voyage dans le Nord lui avait fait beaucoup de bien, son retour à Velmonè, le mariage de Sysiphe et de son père, les paroles effrayantes qu’elle avait entendu à propos d’un futur conflit… tout cela l’effrayait. Tentant de retrouver la joie de vivre qui la caractérisait en présence de sa soeur aînée, Cécyllia accrocha un sourire à ses lèvres tout en relevant les yeux vers Azénor.

- Tu as réellement pris en otage le fils d’un Seigneur du Médian ? Un léger rire amusé s’échappa de sa gorge tandis qu’elle essayait d’imaginer sa soeur dans une situation aussi rocambolesque.

Les mots d’Azénor l’auraient autrefois réconfortés, mais ce matin la jeune fille ne parvenait à dissiper ses sombres pensées. Elle n’avait évoqué son futur mariage avec personne d’autre que son père et Lucrezia et elle s’était évertuée à ne pas montrer à ces deux parents qu’elle était terrifiée par cette perspective. Mais là, elle était avec sa douce Azénor à qui elle n’avait jamais rien caché. Elle ne voulait pas l’inquiéter aussi hocha-t-elle la tête en tentant de lui sourire. Ce ne devait pas être très convainquant mais elle fut soulagée de voir que sa soeur poursuivait le récit de ses aventures. C’était si agréable de la voir ainsi, s’illuminer comme si chaque mot la faisait vibrer des souvenirs qu’elle avait conservé de son voyage. Pour rien au monde Cécyllia n’aurait voulu voir sa chère Azénor triste, elle aurait dû être toujours pareil qu’en cet instant : rayonnante.
Certes elle devait craindre de ne pas pouvoir repartir, mais pourquoi cela aurait-il été le cas ? Leur père l’avait laissé partir une fois, évidemment l’annonce de ses fiançailles et les festivités à venir exigés la présence de la Belle Anoszia mais cela ne voulait pas dire qu’elle devait cesser ses voyages.

« - Et tu repartiras très vite j’en suis sûre. Peut-être même trop vite pour mon pauvre cœur mais si je ne suis jamais en manque de tes lettres alors tout ira bien. »

Son aînée décida alors d’abord un sujet d’actualité. L’information était toute fraîche et elle avait réussi à prendre de court toute la fratrie réunie la veille. Et les réactions de chacun avaient été aussi diverses que variées. Azénor était la première à lui demander son avis sur Tibéria et donc sur le prochain mariage de leur père… Là encore la benjamine tiqua légèrement. Jamais elle n’aurait cru possible de voir son cher père prendre une nouvelle épouse. Elle ne savait pas comment réagir à cette nouvelle et par pur réflexe elle avait cherché chez ses frères et sœurs des pistes quant à l’attitude à adopter mais elle s’était perdue un peu plus.

« - Divertissant ! C’est le mot parfait, mais j’ai surtout eu l’impression que c’était à nos dépends hier soir... J’ai été enfermé dans ma chambre une ennéade entière, j’ai voyagé avec Père d’un bout à l’autre de la Péninsule…et à aucun moment il ne m’a parlé de ce mariage… As-tu revu Corny après son départ ? Elle avait l’air si … furieuse…Je n’ai échangé que quelques mots avec Tibéria durant le banquet, je ne sais pratiquement rien d’elle … je ne saurais te dire ce que j’en pense. Elle est à peine plus âgée que nous …et …et par Néera… te rends-tu compte de la différence d’âge !? »

Sa propre remarque aurait dû la faire rire, pourtant elle la renvoyait à présent à sa propre inquiétude. Se redressant d’un bond, Cécyllia fixa un point droit devant elle, réfléchissant à toute vitesse.

« - Par les  Cinq… quel âge a-t-il ? Je ne sais même pas s’il est … vieux ou jeune … est-ce que c’est possible d’épouser un homme plus jeune ? Non… non… ça ne doit pas l’être… Mais je ne connais que son nom… et rien de lui. Néera Toute Puissante… il déteste peut-être les livres … ou la mer… peut-être qu’il ronfle et qu’il est horriblement vulgaire… »

L’image qu’elle se faisait à présent de son fiancé, contrastait violemment avec celle du Vicomte qui lui avait tenu compagnie la veille pendant une partie de la soirée. Les craintes qu’elle refoulait depuis des jours avaient brutalement refait surface et à présent elle arpentait la chambre de sa sœur.

« - Oh… non, non non non et non… Comment fait-elle ? Comment Tibéria fait-elle pour rester si digne et si déterminée alors qu’elle épouse un homme bien plus âgé qu’elle … Père n'est pas réputé pour être un tendre, elle pourrait être terrifiée à l'idée de l'épouser pourtant elle a l'air tellement à l'aise...Azé… je suis incapable de faire pareil… Et toi, tu vas repartir… tu ne seras même pas là … Personne ne sera plus là … Même Lucrezia parle de suivre Sysiphe quelques temps… Je comprends… je suis la dernière … mon mariage importe peu… mais si vous n’êtes pas là pour me donner du courage… Je… je n’y arriverai jamais.»

Voilà. Trois secondes. C’était tout ce qu’il avait fallu pour que la plus jeune des Anoszia craque littéralement. Les larmes n’avaient pas tardé à inonder ses yeux vairons et à brouiller sa vue. Ce doux réveil n’était plus qu’un lointain souvenir maintenant qu’elle était secouée de sanglots.