Conversation avec sa future belle-fille [Pv Cécyllia d'Anoszia]

Dans le tourbillon des évènements, Tibéria n’avait plus beaucoup de temps pour elle. Après le banquet, elle avait convoqué les familles de Soltariel pour des négociations. Ensuite, ce fut la célébration du mariage de Sarina et de Sisyphe. Maintenant, c’était la dernière ligne droite avant son propre mariage et beaucoup de choses restaient à faire. Elle n’était pas impliquée autant dans le processus qu’elle le voudrait, mais elle pouvait encore mettre son grain de sel à l’occasion. Après tout, c’était son mariage et personne ne pourrait la contredire sur ce point. Néanmoins, quand l’envie lui prenait d’être plus au calme, Tibéria trouvait refuge dans la bibliothèque du domaine. Elle n’était pas aussi impressionnante que celle de son père, mais elle était respectable. Il était possible d’y trouver de nombreux ouvrages sur des sujets très variés. Plusieurs concernaient les généalogies des familles puissantes de la région. Elle trouva même un livre sur sa propre famille ce qui l’étonna grandement. Il y avait aussi de nombreuses chroniques historiques ainsi que des livres de géographie, de philosophies et de sciences. Après quelques recherches, elle constata qu’il n’y avait pas vraiment de livres de contes ou des romans. Comme Arichis était un homme très pragmatique, elle n’était pas tellement étonnée par cette constatation. Peu importe, c’était l’occasion pour la jeune femme de prendre le temps de s’instruire un peu plus sur la famille et sur l’histoire de la région.

Elle choisit donc un ouvrage particulièrement massif avec une solide reliure de cuir qu’elle posa sur une table. Elle tira ensuite un fauteuil pour être confortablement installée et commença à lire. Tibéria aimait lire. Elle pouvait passer des heures le nez plongé dans des chroniques anciennes à revivre en pensée les exploits légendaires d’hommes et de femmes depuis longtemps disparus. Ce n’était pas seulement un plaisir. Elle faisait ça pour assouvir sa soif de connaissance. Elle devait bientôt devenir duchesse de Soltariel. Tibéria devait absolument se montrer à la hauteur du titre. Pour elle, c’était important d’en savoir le plus possible sur l’histoire de la région. Elle avait déjà étudié tout cela, mais ce n’était jamais une perte de temps que de se rafraichir la mémoire. Puis, il y avait la famille de son fiancé. C’était aussi important pour elle d’en apprendre plus sur lui et ses ancêtres.

Évidemment, avec tout ce qui lui arrivait, il ne faut pas s’étonner si les pensées de Tibéria finissaient par se détourner de sa lecture pour s’égarer. Bien qu’elle soit heureuse de tout ce qui lui arrivait, Tibéria avait l’impression de ne pas avoir beaucoup de contrôle sur la situation. Arichis était toujours très calme et parfaitement maître de tout ce qui lui arrivait. Tibéria sentait ses nerfs beaucoup plus à fleur de peau. Elle repensait aux négociations qu’elle avait menées toute seule. Elle s’était prouvé ce jour-là qu’elle était capable de s’imposer et de faire entendre sa voix. Pour Tibéria c’était tout un accomplissement. Rarement dans sa vie elle avait été aussi fière d’elle et elle avait hâte de tout dire à Arichis. Elle était si impatiente de le faire qu’elle devait faire un gros effort pour ne pas simplement tout lui dire, mais elle voulait garder la surprise pour le soir de leur mariage en espérant que cela lui plaise. Elle ne voyait pas pourquoi il n’aimerait pas. C’était des appuis très importants qu’elle avait réunis. Sans ces appuis, elle pouvait toujours devenir duchesse, mais ces signatures rendaient la chose beaucoup plus légitime. Après tout, ces gens étaient de Soltariel. C’était normal qu’ils aient leur mot à dire sur l’identité du nouvel occupant du trône. C’est ainsi que ses pensées divaguèrent pendant un moment alors qu’elle fixait maintenant le ciel bleu par la grande fenêtre sans se rendre compte que quelqu’un venait d’entrer à son tour dans la bibliothèque.

Ces derniers jours à Velmonè avaient été chargé d’événements, d’émotion forte et d’agitation. Tellement d’agitation que pour une jeune fille préférant le calme et la tranquillité, cela en devenait épuisant. Le jardin dans lequel elle se réfugiait si souvent avait été pris d’assaut par les nombreux invités présent au Domaine familial, même son saule pleureur n’était plus son petit coin de paradis. Elle avait vécu tant de choses en si peu de temps que la jeune Cécyllia peinait à présent à faire le tri dans ses pensées et par les Cinq elle en avait grandement besoin. Entre sa demie sœur à Alonna, le remariage de son père, ses retrouvailles avec sa fratrie, sa maladie dont elle n’était pas encore tout à fait remise, le mariage de Sysiphe et tant d’autres choses, il était urgent qu’elle retrouve sa chère solitude.  Rien que quelques heures, pas longtemps, elle retournerait vite profiter de sa famille.
Et aussi surprenant que cela pouvait lui paraître, le seul lieu désert à Velmonè…. C’était la bibliothèque. C’était parfait, parfaitement parfait ! Au petit matin, après avoir avalé rapidement son déjeuner, la jeune fille s’était rendue dans cette pièce qu’elle affectionnait tout particulièrement. Elle n’était pas très grande mais il y avait tout de même de nombreuses étagères couvertes de livres plus épais les uns que les autres. Et dans un coin, près de l’une des fenêtres il y avait une petite échelle qui menait à « son perchoir ». Deux étagères collaient l’une à l’autre laissaient suffisamment de place pour qu’elle puisse s’installer là-haut. D’ailleurs, elle y venait si souvent que les coussins qu’elle avait montés lors de ses précédents passages, s’y trouvaient toujours, ainsi que la pile de livre qu’elle s’était mise de côté. Pendant plus d’une heure elle feuilleta un épais volume qui traitait des vents marins. A présent qu’elle avait été sur un bateau lors d’une longue traversée, ce genre d’information lui parlait davantage, d’autant que le capitaine et quelques hommes d’équipage l’avaient gentiment renseigné chaque fois qu’elle avait eu une question à leur poser.

Elle avait changé de livre, préférant se pencher à présent sur quelques légendes marines lorsque la porte s’ouvrit. Elle se pencha légèrement pour observer qui s’était aventuré dans son repaire et elle fut surprise de reconnaître la jeune fiancée de son père. Tibéria était plus jeune que Cornélia – s’était peut-être pour ça que son aînée montré si peu de sympathie à leur future belle-mère – elle aurait pu être l’une de ses sœurs. C’était donc d’autant plus surprenant de savoir qu’elle épouserait bientôt un homme de l’âge d’Arichis. Mais ce n’était pas  à elle d’en juger.
Sans faire le moindre bruit, Cécyllia l’observa alors qu’elle se mouvait entre les rayonnages. Son choix se porta sur un livre qu’elle venait de prendre sur l’étagère qui relaté l’histoire du Duché.

La jeune Anoszia reprit également sa lecture. Du moins… elle ne parvint à lire que quelques lignes. Etait-ce poli de se trouver à cet endroit, invisible, alors que la jeune femme devait se croire seule ? Mais apprécierait-elle de voir la benjamine  de sa future famille descendre des hautes étagères sur lesquelles elle aimait se cacher ? Elle n’avait jamais eu la moindre conversation avec Dame Tibéria et elle ignorait si celle-ci se serait montrée ravie par le comportement de sa belle-fille …
De toute façon, elle n’avait pas beaucoup de possibilité. Soit elle l’informait de sa présence, soit elle restait perchée là-haut sans bouger jusqu’à ce que la Dame se lasse de sa lecture. La deuxième possibilité étant la plus incertaine, Cécyllia finit par refermer le livre qu’elle tenait, de toute façon elle finirait bien par devoir affronter la jeune femme, peut-être que c’était tout aussi bien qu’elles ne soient que toutes les deux.
De là où elle se tenait il suffisait qu’elle se penche légèrement pour apercevoir la table à laquelle Tibéria s’était installée, face à la grande fenêtre. Après un avoir profondément respiré, Cécyllia accrocha son petit sourire à ses lèvres et elle se pencha.

« - Bonjour. Je ne voudrais pas que vous ayez l’impression que je vous espionne. Je suis là depuis une bonne heure… Voulez-vous que je vous laisse seule ? Je peux m’en aller si vous le désirez. »

Bizarremment, Cécyllia se sentait à l’abri si haut perché, non pas qu’elle redoutait la future femme de son père. Mais elle se sentait hors de portée et s’était un sentiment agréable pour une personne aussi timide et réservée qu’elle. [/i]

Tibéria n’avait pas du tout remarqué la présence d’une deuxième personne dans la bibliothèque. Il faut dire qu’elle n’était pas très grande et qu’il ne lui serait jamais venu à l’idée qu’il puisse y avoir quelqu’un de perché au-dessus d’elle. Tibéria continuait simplement sa lecture, laissant à l’occasion ses pensées vagabonder avant de revenir aux mots écrits sur le papier. Ça faisait près d’une heure qu’elle était ainsi lorsqu’elle entendit une voix s’élever juste au-dessus d’elle. Comme on pouvait s’y attendre, elle sursauta. Tibéria n’avait pas la moindre idée qu’il y avait quelqu’un avec elle.

— Bon sang!

Elle regarda autour d’elle avant de lever les yeux et croiser le regard d’une jeune fille. Malgré le choc de la surprise, Tibéria souriait.

— Vous m’avez fait peur! Je ne pensais pas du tout qu’il y avait quelqu’un avec moi dans cette bibliothèque.

Tibéria reconnu la jeune fille. C’était l’une des filles d’Arichis. Elle n’avait pas eu l’occasion de lui parler encore. En fait, elle n’avait parlé à aucun de ses enfants en tête à tête. Comme tout le monde avait un emploi du temps particulièrement chargé, c’était difficile de trouver un moment pour le faire et elle ne voulait surtout pas imposer sa présence en sachant qu’elle n’était pas tout à fait la bienvenue aux yeux de la fratrie.

— Vous êtes Cécyllia, n’est-ce pas? Vous ne me dérangez absolument pas. Je profitais d’un peu de temps libre pour lire. Je n’avais pas eu l’occasion d’explorer la bibliothèque. À vrai dire, je suis tombé dessus un peu par hasard.

La jeune femme fronça légèrement les sourcils, prenant un air soucieux.

— Mais peut-être que je vous dérange. Après tout, vous êtes chez vous ici et je ne voudrais surtout pas m’imposer. J’ai eu l’impression que ma présence ici n’était pas appréciée par tous vos frères et sœurs. Je peux le comprendre. La situation est particulière, incluant pour moi, croyez-le. Toutefois, si cela peut vous rassurer, je ne suis pas ici pour nuire à qui que ce soit et que je souhaite ardemment une bonne entente entre nous.

Tibéria voulait tellement que ça fonctionne. Peut-être que la jeune fille ne voulait pas entendre ce genre de discours, mais Tibéria se sentait le besoin de préciser ce genre de chose. Elle comprenait parfaitement que ça pouvait être troublant pour la jeune Anoszia de voir son père épouser une femme qui devait avoir à peu de chose près le même âge qu’elle. Pour Tibéria, c’était tout aussi troublant.

Comme il fallait s’y attendre, Dame Tibéria sursauta en découvrant la présence de la jeune Anoszia si haut perchée. Si elle avait été certaine de la réaction de la jeune femme, Cécyllia se serait permis de rire de ce moment, mais à présent, seul son fin sourire poli éclairait son visage pâle, tandis qu’elle hochait la tête alors qu’elle lui demandait si elle était bien la benjamine de la fratrie.

- Je suis vraiment désolée de vous avoir surprise… ce n’était pas mon intention croyez le bien.

Sentant qu’il n’y avait apparemment aucune tension entres elles, Cécyllia descendit lentement le long de l’échelle comme elle l’avait fait des milliers de fois. Et une fois sur le sol dur de la bibliothèque, elle prit quelques secondes pour défroisser sa robe et remettre un peu d’ordre dans sa coiffure. Elle n’était pas du genre coquette, mais elle tenait tous ces gestes de sa soeur qu’elle avait vu si souvent faire et qui la rendait si élégante. Si elle pouvait espérer avoir un jour la moitié de la grâce d’Azénor alors la dernière fille du Dragon s’estimerait chanceuse.

- Me déranger ? Oh, non bien sur que non. J’avais surtout peur de vous importuner vous. Et puis… vous serez bientôt chez vous ici.

Surprise par les paroles de la jeune femme, Cécyllia resta un moment indécise. Elle avait joint ses mains devant elle, signe qu’elle n’était pas très à l’aise. Intimidée même. Cette femme, bien qu’à peine plus âgée qu’elle, allait bientôt devenir sa belle-mère. L’épouse de son père… La situation était surprenante, difficile à accepter même parce qu’elle était soudaine et que le patriarche n’avait pas cru bon de préparer ses enfants à cette nouvelle, mais il faudrait de toute façon faire avec. Arichis d’Anoszia n’était pas connu pour faire machine arrière, s’il avait choisi d’épouser Tibéria de Soltariel, alors cette union aurait lieu.

- Vous savez...  je ne cherche pas à excuser mes frères et soeurs, mais notre Père ne nous a jamais parlé … de la possibilité qu’un jour il reprendrait une épouse. Il ne faut pas leur en vouloir, nous avons été surpris mais cela ne signifie pas que vous n’êtes pas la bienvenue ici. Je sais bien qu’il s’agit d’un mariage … arrangé, mais si par ce biais mon père peut être heureux alors, je serai heureuse aussi.

Disant cela, la jeune fille s’était rapprochée, jusqu’à s’asseoir sur l’une des chaises libres. Son regard plongea dans celui de Tibéria à qui elle adressa un nouveau sourire qu’elle voulait franc et rassurant.

- Si vous le souhaitez je peux vous faire visite le palais pour vous aider à vous familiariser avec les lieux et les gens. N’hésitez pas si vous avez besoin de la moindre chose, je vais probablement être enfermée entre ces murs jusqu’à mon propre mariage, alors la moindre distraction sera la bienvenue !

Malgré le ton léger qu’elle venait d’employer, Cécyllia éprouvait une vraie angoisse en voyant défiler les jours lentement, sachant pertinemment qu’à la fin du mois… toute sa vie serait à jamais transformée.

Oh, Cécyllia aurait très bien pu éclater de rire, Tibéria ne s’en serait pas formalisée. De toute façon, c’est toujours drôle de voir quelqu’un sursauter. C’est comme voir quelqu’un trébucher. On sait dans notre tête qu’il s’est peut-être fait mal, mais on ne peut pas s’empêcher de sourire. Le choc passé, la jeune fille descendit de l’échelle pour rejoindre Tibéria sur le plancher des vaches. La future duchesse en profita pour la regarder un peu plus attentivement. Sa robe était légèrement froissée et sa coiffure avait besoin d’être refaite. À côté d’elle, Tibéria avait l’air tiré à quatre épingles. Il faut dire qu’elle a toujours été très soucieuse de son apparence et elle avait l’impression que c’était plus important encore maintenant qu’elle était à la veille de devenir duchesse. Elle aime prendre du temps pour s’occuper de sa personne, mais parfois, elle aimerait que la pression soit moins forte et qu’elle puisse se laisser aller sans se soucier des qu’en-dira-t-on.

— Quand même… Ce n’est pas encore tout à fait officiel encore et puis vous serez toujours plus chez vous ici que moi…

Cécyllia semblait d’un naturel réserver et son inconfort était palpable. Tibéria lui sourit d’un air encourageant. Avec elle, la jeune fille ne devait pas avoir peur de parler à cœur ouvert. Elle était prête à essuyer les critiques. Elle était même d’avis qu’il valait mieux crever l’abcès dès le début pour guérir la plaie plutôt que de la laisser s’envenimer.

— Vous savez, si mon père avait fait la même chose, je crois que j’aurais été fâché également. Déjà, avec mon âge… je pourrais être sa fille! C’est la première pensée qui m’est venue à l’esprit lorsque ma tante Octavia m’a annoncé l’arrangement. Je me suis senti plus mal encore lorsque je vous ai vu. Votre père m’impressionnait, mais j’avais plus peur de vous encore. C’est normal que vous ayez des doutes également. Je crois que c’est un fait universel : tout le monde se méfie des belles-mères. Toutefois, je n’ai aucunement l’intention d’accaparer votre père. Vous avez tellement de chance de l’avoir encore. Mon père est mort lorsque j’avais 8 ans et ma mère ne s’est jamais remariée. Elle est morte récemment, laissant mes sœurs et moi sans parents à l’exception de notre tante qui nous a prises sous son aile. Je peux vous assurer une chose : vous trouverez en moi une alliée indéfectible. S’il y a certaines choses dont vous voulez parler, mais que vous n’avez pas nécessairement envie de partager avec votre père ou même vos sœurs, n’hésitez pas à venir me voir.

Tibéria espérait tellement gagner son approbation. Elle serait vraiment malheureuse si tous les enfants Anoszia venaient qu’à la détester. Pourtant, ce n’était pas de sa faute si Arichis avait organisé cette union! Elle admet toutefois que le patriarche aurait peut-être mieux fait de préparer le terrain convenablement. Ce n’était pas tant Tibéria qui avait surpris tout le monde, mais l’idée même d’un remariage. La jeune femme était pleine de bonnes volontés, mais ça ne suffisait pas toujours, malheureusement.

— Oh, ça serait avec plaisir. J’ai exploré un peu moi-même, mais je n’ai jamais vraiment osé m’aventurer très loin. Je me suis restreinte principalement au chemin qui mène de ma chambre au bain, puis la salle à manger et les jardins. Même les esclaves me regardent parfois comme si j’étais une étrange créature venue d’un autre monde. Elle gloussa de rire, amusée par ses propres propos. Vraiment? C’est une merveilleuse nouvelle! Qui est l’heureux élu? Il a beaucoup de chances, car vous êtes absolument ravissante.

Tibéria était sincère. Dès le départ, elle avait trouvé les filles d’Arichis absolument magnifique au point d’en être un peu jalouse…

Les premières paroles de Tibéria surprirent la jeune Anoszia. Comment cela ne pouvait pas être à “tout à fait officiel” ? Depuis le banquet c’était presque comme si le mariage avait été célébré. Son père n’était pas connu pour changer d’avis au dernier moment, s’il désirait ce mariage alors celui-ci aurait bien lieu. Et puis la Dame n’avait tout de même pas fait toute cette route pour une évènement “pas tout à fait officiel”! Mais la jeune Cécyllia ne releva pas ce point, se contentant de lâcher d’une voix proche du murmure.

- J’ai été ici chez moi pendant 15 ans… mais je vais bientôt découvrir un ...autre chez moi. Comme vous.

Faire référence à son futur mariage lui fit perdre le peu de couleur qu’elle avait aux joues mais un petit sourire étira ses lèvres, vaine tentative pour paraître heureuse devant sa future belle-mère.
La jeune femme était visiblement ravie d’avoir un peu de compagnie et elle lui parla alors librement. C’était une chose agréable, comme lorsque Cécyllia s’adressait à ses soeurs. Pas de retenue, pas de faux semblant.
Dans ses paroles elle devait sûrement évoquer l’accueil glacial de Cornélia… Sa soeur aînée était tellement différente… Jamais elle ne l’avait vu ainsi. Un verre à la main du matin jusqu’au soir avec un air mélancolique qui ne la quittait jamais. A quel moment avait-elle perdu sa chère soeur ? Elle lui faisait presque peur … à tel point qu’elle n’était jamais très à l’aise en sa présence, comme si elle ne savait plus comment lui parler.
Une ombre de tristesse planait sur le visage de la benjamine tandis qu’elle relevait les yeux vers Tibéria.

- Oh non… je ne suis pas fâchée. Surprise, juste. Mais pas fâchée. Comment pourrais-je l’être alors que je suis celle par la faute de qui il a perdu son épouse. Je vous remercie pour vos paroles et croyez bien que je ne serai jamais celle qui viendra vous faire enrager ou qui cherchera à vous peiner. Au contraire, je préfère m’efforcer à vous rendre la vie plus agréable sachant que mes frères et soeurs seront peut-être … un peu plus long à vous accueillir à bras ouvert !

La future épouse de son père ne s’était pas voilée la face concernant les réactions de la fratrie Anoszia et Cécyllia ne voulait surtout pas la rassurer à ce sujet. Si elle, elle acceptait facilement son arrivée dans la famille, ce ne serait pas le cas de tout le monde.
Alors que Tibéria acceptait sa proposition, Cécyllia quitta sa chaise et l’invita d’un signe de la main à en faire autant. Quelques pas dans les couloirs du palais lui ferait le plus grand bien après être restée perchée plus d’une heure en haut de son étagère. Sauf qu’elle se crispa aussitôt que son fiancé fut évoqué.

- Euh … je … je ne sais pas s’il est chanceux de m’avoir pour… épouse.. A vrai dire, je ne sais même pas à quoi il ressemble… je ne l’ai jamais rencontré. Il s’agit du Vicomte Aymeric de Berozia. Et je … hmm… je n’ai pas très envie d’en parler.Lissant le devant de sa robe nerveusement, Cécyllia fit quelques pas vers la porte, le temps de retrouver le courage d’accrocher un sourire à ses lèvres. - Si vous voulez je peux vous faire visiter l’aile réservée aux invités, c’est juste à côté et il y a une jolie vue sur les jardins.

C’était bien Tibéria ça. Il fallait que le mariage soit célébré pour que ce soit officiel à ses yeux. D’ici là, tout pouvait changer. Disons que les évènements récents l’avaient rendue plus méfiante et elle craignait un brutal revirement de situation qui la retournerait aussi vite à Thaar. On pouvait difficilement lui en vouloir. Néanmoins, la surprise dans le regard de Cécyllia lui fit croire qu’elle l’avait peut-être vexé bien que ce ne soit pas du tout son intention. Rapidement, la discussion changea de sujet, mais pas nécessairement pour le mieux. Tibéria nota surtout le : je suis celle par la faute de qui il a perdu son épouse. C’était des paroles très graves à prononcer. Tibéria ne connaissait pas les détails, mais elle se doutait de ce que la jeune fille voulait entendre par là : sa mère était morte en la mettant au monde. Elle pouvait comprendre le sentiment de culpabilité, mais comment pourrait-elle être responsable? Elle n’était qu’un petit bébé. C’était une chose assez courante d’entendre parler d’une femme morte en couche. Donner la vie comportait son lot de risques. Évidemment, c’était une chose que Tibéria craignait elle-même, mais elle préférait ne pas y penser. Sa propre mère avait survécu à quatre accouchements. Elle pourrait en faire autant. Néanmoins, elle aurait aimé pouvoir donner quelques paroles réconfortantes à la jeune fille pour qu’elle cesse de se tourmenter avec cela, mais elle savait que ce n’était pas à elle de le faire. Cécyllia pourrait très bien mal interpréter son geste et elle ne voulait pas que le début de leur relation soit entaché par cela. C’était surtout un sujet très délicat à traiter. Tibéria prenait la place de sa mère, mais elle n’avait pas l’intention d’agir en mère avec elle. Leur mince différence d’âge interdisait ce genre de chose. Toutefois, si elle pouvait devenir une confidente, alors Tibéria serait très heureuse. Dans l’immédiat, elle préféra éclipser le sujet.

— Je serais patiente. Je sais que ce n’est pas facile. Le temps fera son œuvre. Je n’ai pas l’intention de m’imposer dans vos vies plus que je ne le fais maintenant.

Le mariage à venir semblait être également un sujet délicat pour la très timide jeune fille. Il s’agissait du Vicomte Aymeric de Berozia. Évidemment, ce nom ne lui était pas inconnu, mais elle n’arrivait pas à se souvenir de son visage. Malgré tout, ça semblait être un bon mariage. Cécyllia ne tenait pas particulièrement à en parler. C’était toujours intimidant cette idée de devoir partager sa vie avec un homme qu’on ne connaissait pas du tout. Elle ne savait pas s’il allait lui plaire ou si elle allait finir par l’aimer. Pire encore, elle devait craindre de ne pas lui plaire alors qu’elle n’avait aucune raison de s’inquiéter pour ça. Elle était tout à fait ravissante en plus d’être certainement très intelligente.

— Très bien, je vous suis! En attendant, ne vous inquiétez pas. Tout ira très bien, j’en suis certaine!

Tibéria sourit d’un air encourageant avant de suivre la jeune fille.