[Mariage] Le Banquet

La cérémonie était terminée et les deux frères étaient maintenant mariés. De ce double mariage, le lien entre Serramire et Etherna s'était renforcé et l'absence du marquis d'Odélian n'était pas passé inaperçu. Cela avait déçu le Baron que le suzerain d'Etherna ne soit pas la, mais il ne voulait pas gâcher sa bonne humeur, il serait temps de connaitre le pourquoi ultérieurement, nul doute que Gaston avait une très bonne excuse. Tout le monde était sortit de la Cathédrale et c'est à pied qu'ils s'étaient rendus au château, s'exhibant à la populace et à ceux n'ayant pas pu entrer dans l'édifice religieux qui était plein à craquer. Les cris d'allégresse allaient bon train, chacun voulant féliciter les deux couples. Les éthernans aimaient beaucoup leur Baron, surtout avec les victoires qu'il avait accumulé et ceux de la capitale n'avait pas été touché par les bandes de brigands qui avaient écumé la baronnie.

Une fois dans la salle de réception du château, les invités purent voir trois tables en forme de U et plusieurs autres alignées les unes derrière les autres, faisant face à celles en U. La table en face était bien entendu celle des mariés et de la famille. Une fois assis, dos au mur, la table à la droite des couples était réservée aux vassaux et celle à gauche aux invités par titres. C'est donc sur celle-ci que l'on retrouva le Marquis de Serramire en tête vu son importance et l'absence de Gaston ainsi que le couple de la baronnie de Nelen, Enrico et Cécilie ou encore Blanche de Hautval. C'est également à cette table qu'avaient été installé la Haute Prêtresse de Néera et Nakor, même si leurs titres actuelles étaient autre qu'issue de la noblesse. Les tables faisant fasse à celles-ci étaient composées de la noblesse plus petite.

Chacun prenant sa place, Jérôme prenait un soin particulier d'Aline, toujours attentif à sa belle et à ses soucis de crise d'angoisse. Il espérait qu'elle soit aussi heureuse que lui à cet instant et qu'elle en oublie ses problèmes. Bientôt le repas fut servit et le vin, le meilleur, celui de Hautval, gardé spécialement pour l'occasion coula à flot, vidant les caves.

Thibaud ne fut point convié à la longue table réunissant la belle brochette de nobliaux. Un problème ? Pas de problème. Sa venue, déjà non désirée, était probablement la source d'un malaise considérable de la part de tous les peignes-culs qui crachaient sur l'Effroyable. Alors, se retrouver à la même table que les mariés et les personnalités importantes invitées eut été comme chercher des emmerdes au-delà du raisonnable. Au lieu de ça, il se trouva une petite place confortable aux côtés de quelques hommes du marquis de Serramire. Des grands gaillards, bâtis comme des bœufs qu'il ne valait mieux pas irriter. C'est pourtant bien l'un d'entre eux qui l'invita à venir s'asseoir, tout heureux qu'il était de recroiser la route de l'empaleur de Berthilde. Le gars, un vrai bœuf je vous dis ! L'attira par une poignée de main aussi virile que douloureuse et il se retrouva le cul sur le banc, prêt à descendre la première chope se trouvant en face de lui. Les quatre corniauds qu'il avait emmené l'imitèrent et la ripaille put enfin commencer ! dediou !

Plusieurs gars, flanqués dans un coin de la salle, balançaient des mélodies tantôt joyeuses, tantôt dépressives. Seulement, les notes de musique n'avaient encore nullement réussi à se faire plus fortes que le vacarme ambiant produit par les convives. C'est qu'on s'entendait presque plus parler dans cette foutue salle ! Pourtant, Thibaud arrivait à attirer l'attention de plusieurs hommes et femmes autour de lui. L'alcool ayant l'avantage (ou l'inconvéniant) d'être un véritable lubrifiant social, il s'en donna à cœur joie pour leur lançer quelques jolis calembours.

-Qu'est ce qui différencie un oesgardien mort d'un vivant ? demanda-t-il, pressé de dévoiler la réponse.
Tous se mirent à chercher et se risquèrent à lui répondre.
-L'un est sous terre, l'autre dessus ? émit un serramirois.
Il fit non de la tête et continua à sourire bêtement.
-Il n'y a aucune différence ? s'enquit un de ses gars.
-Cela pourrait, il leva sa chope dans la direction de celui qui s'était le plus approché de la réponse. Et bien, mes sieurs ! En sgardie, les morts bouffent les vivants et les vivants bouffent les morts !

Les rires recouvrirent bientôt les lieux et il se rendit compte que plusieurs regards s'étaient brusquement tournés vers lui. Sans gêne, il leva se verre vers eux et le but d'un seul trait.

-Bon appétit ! gueula-t-il en se rasseyant aussitôt et en regardant de nouveau ses voisins. Savez-vous comment asseoir quatre suderons sur une chaise ? Non ? Vous ne savez pas ? Et bien, vous n'avez qu'à retourner la chaise !

Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer.

Quelle ne fut pas sa surprise et surtout son déplaisir de se trouver à quelques places de l’archimage Nakor. Oh dès qu’elle avait mis les pieds dans cette salle, elle l’avait fusillé du regard et ses intentions assassines étaient parfaitement palpables. Il lui parle ; ELLE LE TUE ! Enfin, ce vieux refusait de mourir donc cela ne serait pas aussi facile qu'elle l'espérait.
Elle n’avait pas pris le temps de se changer pour montrer ô combien en tant que Duchesse, elle avait de quoi se payer plusieurs toilettes. Elle se foutait éperdument des commérages des Dames sur les chiffons et la dentelle.
Par les couilles d’Arcam qui avait bien pu faire ce foutu plan de tables totalement merdique ! Déjà pourquoi ne séjournait-elle pas à la droite du Marquis ? N’était-elle pas duchesse ! N’était-elle pas celle qui avait le plus haut rang ici ? Au lieu de cela, elle avait été installée entre sa prétendue sœur et son époux qui brillaient par leur absence et le couple nélenite.

« Alors la petite fleur est vexée car elle n’est pas en tête de file ? »

Elle aurait bien répondu un « Ta gueule SALE RACE » mais on l’aurait pris pour une folle. Et on n’allait pas non plus aggraver son cas.

« Ah toute cette colère… Toute cette haine, c’est rafraîchissant. »

Saisissant sa fourchette avec violence, elle la planta dans la viande. Les billes marines s’en allèrent quérir la silhouette du marquis de Serramire sur lequel elle appuyait un regard significatif avant de s’en détourner et de taper causette à Enrico et Cécilie. Elle était heureuse de les revoir. Naturellement.

« Bon, tout cela m’ennuie, je me casse. »

Tant mieux qu’il cesse de lui parler. Elle ne s’en portera que mieux. Bon malgré l’irrévérence – indélicatesse, impolitesse, irrespect, inconvenance, grossièreté – du plan de table et le fait de se retrouver en compagnie de personnes auxquels elle arracherait tant la jugulaire que le cœur – afin d’être certaine qu’ils crèvent bel et bien –, Blanche pouvait tout de même apprécier la compagnie de la baronne et du baron de Nelen et celle de la Haute-Prêtresse de Néera. Jérôme avait choisi le vin de ses terres ce qui caressait son égo. A ce titre, si ses caves étaient désormais vides, elles seraient bientôt à nouveau remplies. Oui, oui, oui, si Jérome de Clairssac ne la tenait sans doute plus en estime, la rancœur de la Dame du Val s’était petit à petit éteinte. Finalement, elle n’était pas si rancunière. Elle avait préparé de généreux cadeaux autant pour le couple baronnial que pour son frère et sa très chère et tendre amie, la Dame de Lourmel.
S’en tournant vers Cécilie de Laval, elle dit :

« Hm Dame Cécilie, il me semble que vous entretenez un lien avec Dame Maelyne si je ne m’abuse. Quel en est la nature ? Vous êtes invitée à ce mariage à ce titre. Dame Aline est-elle aussi votre amie ? »

Etrange avait été la surprise mais connaissant Jérôme, il aurait trouvé un moyen de la mettre à l'aise même si elle n'avait pas été la femme d'un baron... il n'en restait pas moins que sa place sur les longues tales de banquet avait drastiquement changée. Les nombreuses connaissances qu'elle avait dans le nord parmi les chevalier et la toute petite noblesse avaient fait place à des noms plus reluisants. Étant donné les voix qui l'entouraient, elle n'aurait su dire si c'était pour le mieux... Irys était non loin, certes, mais sinon cela se résumait à de nombreuses personne dont elle n'avait pas entendu beaucoup plus que quelques rumeurs... Et au Marquis de Serramire dont elle avait publiquement désapprouvé les actes lors du banquet de clôture du tournois de la nouvelle année.

Au moins aurait-elle l'occasion d'échanger avec de nouvelles personnes... Si quelqu'un s'adressait à elle car en cas contraire elle avait une capacité d'entrer en contacte assez limité... Et elle n'avait pas réellement envie de passer la soirée à parler à son époux désigné volontaire. Aussi écoutait-elle d'une oreille abstraite les plus grosses voix de l'assemblé qui couvraient la musique grelottante... Et même si son éducation aurait du s'en offusquer, elle dut fermement se retenir de rire en entendant les plaisanterie totalement incorrects d'un gaillard un peu plus loin.

Heureusement, l'attente ne fut pas longue, une voix qui lui était vaguement familière s'adressa à elle. Elle était presque sûr de l'avoir déjà rencontrée à Diantra mais ou exactement... et surtout : qui...

Tandis qu'elle cherchait dans sa mémoire, son visage serein et son éternel sourire avenant firent le reste, reconnaissante qu'elle était à cette femme pour avoir débuter une conversation qui ne tournerait pas autour de coiffure, de robe ou d'une quelconque autre chose qu'elle ne pouvait pas voir.

"C'est exacte, nous sommes cousines. Nous avons grandi ensemble et j'ai récemment été son intendante durant quelques mois." en ajoutant ces mots dans le Nord de la Péninsule, elle était certaine de faire l'objet de quolibets, que ce soit maintenant ou plus tard... Et que ce soit pour ce qu'une femme pouvait se targuer de connaître à la politique ou pour les rumeurs qui avaient finir par envahir Lourmel et ses alentours au sujet de ses nombreux amants et de ses étranges pouvoirs. Mais elle n'était clairement plus à ça près...
"Mais en réalité, je suis autant invitée par Maélyne que par les Clairssac. Des personnes de grande valeur malgré leurs déboires si vous voulez mon avis. Je suis heureuse qu'ils trouvent le temps de célébrer. Dans des temps si troubles, nous méritons tous une part de bonheur ne croyez-vous pas?"

Elle-même se demandait comment elle arrivait à être sincère en prononçant ces mots, mais pourtant elle l'était. Ses paroles, pleines de ce que bien des gens prenaient pour la naïveté d'une jeune femme, suscitèrent quelques réactions mais une question lui brulait encore les lèvres et l'embêtait au plus haut point.

"Veuillez me pardonnez, je ne pose pas cette question pour vous être désagréable, mais je n'arrive pas à reconnaitre votre voix... J'ai l'impression que nous nous somme déjà croisées à Diantra, mais votre nom m'échappe, je suis navrée..."

Assise aux côtés de Guillaume à la tête d’une table comportant pas mal d’invités. Maélyne jura intérieurement de ne pas avoir plus insisté sur l’intimité du mariage qu’elle souhaitait. La Dame aurait dû s’acharner pour pouvoir se marier un autre jour que celui du Baron qui lui, nécessitait forcément l’invitation de bien plus de têtes.

Son regard parcouru l’assemblée, elle était inconsciemment à la recherche d’un homme. Le soulagement vint ensuite s’emparer de Maélyne lorsqu’elle se rendit compte de l’absence de Roderik. Néanmoins, ce sentiment fut vite balayé par une déception. Il était certain que sa venue venait jeter un froid sur cette journée qui se devait d’être belle mais sa présence procurait toujours à Maélyne une certaine gaîté qu’elle ne pouvait nier.

La jeune mariée fut alors subitement arrachée à ses pensées lorsqu’elle sentit la main de Guillaume venir agripper la sienne, l’emportant avec lui pour la forcer de se lever. Quelques minutes pour que les deux hommes du jour prononcent un discours puis vint l’heure de se sustenter.

La Dame regarda son assiette garnie de bonne viande, de patates trempées dans du jus bien gras et de quelques légumes croquant puis son regard se posa sur les autres plats disposées sur les tables. Il y avait de quoi se faire exploser la panse mais Maélyne avait perdu l’appétit. Elle chercha ensuite Cécilie parmi les invités, souhaitant se rendre auprès d’elle et trouver en sa compagnie un quelconque réconfort. Mais celle-ci semblait occupée à entretenir une discussion avec Blanche.

La Dame soupira, reportant ainsi sa discussion avec sa cousine à plus tard. Néanmoins, elle ne les lâcha pas du regard, se demandant ce que les deux femmes pouvaient bien se raconter.

« Intendante ? Et vous n’avez pas trouvé quelques récalcitrants ? Mes respects. »

La mentalité du Nord était particulière. Si elle pouvait jouir d’un certain pouvoir en tant que femme dans le médian, qu’elle avait affirmé et consolidé à force d’année, les Dames du Marquisat de Serramire ne pouvaient pas en dire autant. Elle était d’ailleurs, particulièrement impressionnée par Maélyne qui avait su s’affranchir des considérations archaïques des hommes du Nord malgré son abdication en tant que Marquise. Bref les Nordiens étaient de coincés-du-cul arriérés.

Les prochaines paroles de la Dame de Laval n’eurent que pour répondant un sourire qu’elle ne vit pas, ce qui laissa un petit moment de blanc, à ce titre. A dire vrai, Blanche n’avait pas été invité par Jérôme de Clairssac, elle tenait sa place uniquement de Maélyne et était venue uniquement pour elle. Sa relation avec Jérôme fut autrefois orageuse. Et maintenant, elle stagnait dans une immobilité proche de l’indifférence.
En fait, non ! Elle allait lui répondre, ce que tout le monde pensait tout bas. Blanche tira sans aucune élégance sa chaise, cathèdre ou tout autre siège pour se rapprocher. Elle se pencha vers Cécilie chuchota.

« Le bonheur ne nous est pas autorisé, à nous les nobles. »


Jérôme était sans doute l’un des rares à avoir épouser une femme qu’il aimait.

Oh merde, elle est aveugle, pensa-t-elle. Cela lui était totalement sorti de l’esprit. Au moins, c’était le fait qu’elle la considérait comme une personne normale et non pas comme ces gens-là qui la trouverait faible. D’ailleurs, Blanche fut quelque peu décontenancée. Elle s’en voulait de ne pas avoir fait plus attention à ce détail.

« C’est moi qui m’excuse… Vraiment. J’étais présente lors de votre mariage. Je suis Blanche d’Ancenis, Baronne de Hautval, Duchesse du Médian… Enfin de l’hypothétique Duché du Médian que vous ne reconnaissez sans doute pas… N’est-ce pas sire Enrico ? »


Les yeux se braquaient sur le Baron de Nelen à qui elle offrait un sourire démesurément railleur.
Mais bon, elle souffla bien vite ce malaise volontairement introduit par une phrase plus guillerette.

« Croyez-vous qu’il serait fort impoli d’arracher Dame Maelyne à son époux ? Histoire de discuter un peu entre femmes. »

« Le bonheur ne nous est pas autorisé, à nous les nobles. »

Cécilie blêmit malgré elle, sa main tremblant légèrement comme si elle était prise d'un soudain malaise. Mais elle réussi tant bien que mal à porter la cuillère à ses lèvres pour éviter de perdre totalement le contrôle... Le minuscule morceau de pomme de terre qu'elle avait réussi à pêcher sans mettre les mains dans le plat - au sens propre - lui retourna l'estomac mais elle tint bon. Ou pour ne pas perdre plus encore la face. C'était pour essayer de camoufler la révulsion qu'avait provoquer chez elle les quelques mots de la duchesse qu'elle avait jeter précipitamment sa dernière question. Et c'était toujours pour ne pas commencer à trembler de tous ses membres qu'elle lui répondit, amicale malgré sa voix légèrement blanche.

" Mon père s'intéresse à l'état de la Ligue, ma Dame. Même si je dois avouer que bien des points de son fonctionnement me restent difficile à saisir, vos titres sont loin d'être inconnus en Missède, n'ayez crainte."

Pas de pitié pour son mari. Aucune. Quel joli couple.
Mais déjà une proposition venait lui faire espérer un peu plus de gaité... Néera l'en préserve. Rien qu'un peu de temps pour arrêter de sentir son propre sang couler dans ses veine aussi douloureusement que du plomb fondu.

Son sourire et sa voix étaient aussi rayonnant que possible lorsqu'elle répondit.

"Impoli ou non, je pense que c'est une excellente idée!"