Ce soir-là, l’ambiance au sein de la taverne sans nom, pourtant affichant un écriteau « fermé » était surprenamment électrique. On célébrait aujourd’hui. L’Aile Blanche avait réussi un coup de plus et cela valait bien une bière ou deux. Çà et là, la une petite dizaine d’hommes riait de bon cœur, moquant le guet, et les quelques malheureux qui avaient tenté de se mettre en travers de leur chemin le matin même ou encore louant les exploits de la blonde assise sur le bar avec une petite moue satisfaite.
Quelques-uns déjà à moitié enivrés se lançaient dans le récit d’anecdotes invraisemblables, tandis que d’autres, crédules ou non, écoutaient dans des rires joyeux et des commentaires.
Parmi ce beau monde, il y avait aussi quelques autres un peu moins bavard, plus timides, buvant moins, parlant moins fort. Certain tentaient malgré tout de s'intégrer petit à petit mais quelques femmes, restées ensembles, s’échangeaient des regards surpris, hésitants, presque incrédules quant au sort qui leur serait désormais réservé. Beaucoup comme elles portaient encore les marques des fers qui leur brulaient la peau encore quelques heures en arrière.
-Tu raconte n’importe quoi ! Je parie dix souverains que t’y arrives pas ! Riait Viliam à l’intention d’un camarade de tablé qui se vantait de pouvoir toucher une cible à l’arrière de la salle, ce à une dizaine de mètres.
Torché comme t’es j’suis même pas sûr que t’arrive à te ficher quoi que ce soit de plus dans le ventre sans en foutre partout, alors toucher cette cible...Tu rêves.-Ah ouai ? Piqué au vif, l’autre s’était déjà emparé de quelques couteaux qui tremblait dans sa main. Tu
vas bien voir !-Dix souverains ! Il leva sa chope pour sceller le pari. Quinze
si tu touches le centre.Mais avant qu’il ne puisse observer le spectacle, l’une des demoiselles en retrait sembla finir par s’impatienter. Elle échangea quelque mots avec ses sœurs et se leva soudain. Elle s’approcha du bandit qu’elle avait identifié comme le chef, ou quasiment et lui tapota l’épaule.
-Dites. Fit-elle.
On peut parler ? A l’écart si c’est possible.-Heu, ouai. Ouai, bien sûr.Le chef de la petite bande haussa les épaules, cessa de se balancer sur sa chaise, ôta ses pieds du coin de la table sur lequel il était appuyé et fit mine de suivre la jeune femme, visiblement surpris mais coopératif quoi qu’un peu vacillant. Il y eut des rires, quelques regards surpris ou amusé et des commentaires sur l’état d’alcoolémie avancé du bandit et quant au fait qu’il tiendrait debout encore longtemps ou non, mais à la grande surprise de l’ancienne prostituée, aucune blague grasse ou déplacée. Pas de remarque quant au fait, qu’elle, une femme en tenue aussi légère que ne l’était sa robe bleue au décolleté plongeant, décidait de s’éloigner discrètement en compagnie d’un homme qu’elle connaissait à peine et qui avait visiblement un peu trop bu pour l’heure. A peine le semi-elfe avait-il fait mine de la suivre que les conversations avaient repris comme si de rien n’était. On entendit même un éclat de métal sonore et quelques jurons de loin.
-Un problème ?Viliam demanda une fois qu’ils furent dans un recoin un peu plus calme. Il frotta l’arrête de son nez.
Je t’avoue que j’ai trois pintes dans le nez…. Ou p’têtre un peu plus… Bref j’suis pas sûr d’être le plus lucide pour t’aider là.-Je me demandais juste ce qu’on allait devenir maintenant. Elle s’approcha un peu, un sourire qui parut étrange au bandit sur les lèvres.
-T’es sûre que tu veux parler de ça maintenant ? ça ne dépend que de vous. Viliam recula d’un pas.
Je crois que tes deux de tes amies ont déjà dit vouloir recommencer leur vie à zéro. Trois autres sont déjà reparties dans l’après-midi. On verra les comptes demain pour l’argent qu’on vous offre, aujourd’hui on célèbre. Il leva sa main comme s’il portait un toast imaginaire.
A la liberté…-Et les autres ? Elle posa une main sur son épaule, l’autre restant dans son dos et planta son regard pétillant dans celui de son interlocuteur s’en rapprochant d’une manière toute particulière et, malgré leur différence de taille, le poussant contre le mur.
Vous pourriez vous faire beaucoup d’argent grâce à nous. Volées ou pas nous sommes des produits de luxe. Elle souffla à son oreille en se hissant sur la pointe de ses pieds.
Imaginez…Abandonnant immédiatement toute gaité lorsqu’elle voulut l’embrasser, Viliam posa ses mains de part et d’autres des épaules de la jeune femme et la repoussa avec douceur mais fermeté.
-Doucement. Je ne mange pas de ce pain-là même bourré. Et j’ai fait une promesse à ton amie que je tiendrais. Si on vous a sorties de cette vie, ce n’est pas pour vous y replonger. C’est pas non plus pour profiter de vous.L’air de la femme changea du tout au tout, loin de se montrer déçue ou même honteuse, elle afficha un air satisfait. Un éclat métallique apparu soudain dans la seconde main de l’ancienne esclave et fit raidir le bandit avant que le couteau ne tombe tout simplement au sol.
-Parfait.-Attend t’allais essayer de me planter là ?!Sans faire mine du moindre remord, elle soutint son regard, fière et indomptable.
-Si tu étais revenu sur les paroles que tu as prononcé devant Yssabel alors oui, et tu serais certainement mort. Mes sœurs méritent autre chose que les fausses promesses. Son regard se mit à briller d’une lueur farouche.
On vient de gouter à la liberté. Personne ne nous le reprendra.-Et qu’est ce qui t’as fait changer d’avis au juste ? Je pourrait bien encore te mentir.-Un homme n’est jamais autant sincère que lorsqu’il est ivre et en position de force. Et ton regard...Elle lui offrit un sourire désolé.
J’en ai trop vu des comme ça.Sans plus s’expliquer elle fit demi-tour, pour rejoindre ses sœurs inquiètes et impatientes. Viliam mis quelques secondes avant de lui emboiter le pas, troublé. Il ne donna aucune réponse à ses camarades curieux. A la place il noya plutôt sa confusion dans l’alcool toute la nuit durant…au prix d’un lendemain des plus douloureux.