[Où le cœur et l'esprit peuvent mener...]En l'absence des êtres chers... [Solo]

La nuit tombait de nouveau sur la forêt. Mais cette fois, pas de mission, pas de bataille, rien à l'horizon. Simplement la vie habituelle d'un camp de rebelles se remettant de la veille.
Les morts avaient été transportés à l'écart afin de ne pas porter atteinte au moral des blessés et des biens portants. Pouvait aller les veiller qui voulait, l'accès n'était pas restreint. Dans l'infirmerie aménagée, il n'y avait plus d'urgence. Les cas les plus vitaux avaient été soignés par magie tandis que les autres blessés graves avaient reçus des soins de base afin d'attendre le lendemain, lorsque les mages auraient retrouvé suffisamment d'énergie pour les soigner à leur tour. Quant aux blessures légères, pansements et cataplasmes avaient fait l'affaire.

Seregon faisait partie de la deuxième catégorie. Il avait une sévère entaille entre le coude et l'épaule droite. Plusieurs points de sutures, un onguent cicatrisant et un bandage avaient été appliqués. Désormais, il attendait que le prochain jour vienne, tenant le coup grâce à quelques anti-douleurs. Il pouvait bouger et, pourtant, il n'avait pas quitté l'infirmerie. Il avait d'abord tenu compagnie au corps d'Hiradrilion, honorant son ami comme on le ferait lors d'une veillée funèbre, priant Tyra pour son âme et promettant de veiller sur Laliëmerel pour lui. Avant qu'il ne soit emmené, il l'avait rendu un peu plus présentable, essayant de faire disparaître les traces de son séjour dans la terre sur sa peau et ses vêtements. Puis Olorin avait ramené Macabre inconsciente et l'avait couchée près de lui. Sur le moment, Seregon ne s'était pas affolé en voyant son état. Que Neraën n'ait pas voulu la suivre ne le surprenait pas vraiment et il s'attendait à ce qu'elle ait totalement épuisée ses réserves de magie dans cette énième infiltration de la cité. Elle utilisait les ombres plusieurs heures par jour, certes, mais pas de façon aussi intense. D'habitude, elle faisait des allers et retours entre les deux mondes et elle voyageait toujours seule. Cette fois, elle n'avait pas arrêté de toute la nuit, guidant des groupes entiers dans les méandres des ténèbres, allant même jusqu'à les transporter elle-même pour leur éviter de marcher ou tout simplement de gagner du temps.

Désormais, les deux gardes de Tethien étaient inquiets. Macabre était connu pour récupérer très rapidement. Après quelques heures, ils avaient pensé que, peut-être, ses besoins étaient exceptionnellement plus importants ce jour-là. Elle n'était pas seulement épuisée physiquement, elle l'était aussi magiquement et émotionnellement. Ils n'avaient encore jamais eu le cas et ne pouvaient estimer réellement le temps qui lui serait nécessaire pour être de nouveau pleinement requinquée. Ainsi, les heures avaient continué de s'écouler, progressant au même rythme que leur crainte. Finalement, lorsque le ciel devint noir au-dehors, cela sembla réveiller les inquiétudes de tous ceux qui s'étaient à un moment ou à un autre souciés de l'état de santé de la jeune elfe.
Le soigneur revint auprès d'elle et l'examina. Son pouls était lent mais toujours dans la normale. Elle ne réagissait ni à la voix, ni au toucher. On alla même jusqu'à lui pincer le bras et lui faire respirer une décoction malodorante, comme si cela pouvait avoir un quelconque effet sur Macabre... Lorsque le soigneur ne sut plus que faire, il voulut tenter une dernière chose et fit chercher l'un des tuteurs de Neraën.
Maître Tylraen fut celui qui répondit à l'appel. Il avait fait partie de la même mission qu'elle, ils se connaissaient donc un tant soit peu. Il semblait être le plus apte à agir sur elle.

S'agenouillant près de l'enfant, il posa une main sur son front et ferma les yeux. Il se concentra, cherchant la conscience de Macabre afin de savoir où elle était et ce qui l'empêchait de refaire surface.

-Elle est tout près. Rien ne l'empêche de revenir à elle, elle n'en a tout simplement pas la volonté... Elle est si triste... Je n'ai jamais vu un tel désarrois chez quelqu'un d'aussi jeune.

-Pouvez-vous la ramener ? Demanda Olorin, loin d'être rassuré par les paroles du mage.

-Sa volonté est forte. Répondit le mage, y trouvant comme un empêchement pour accéder à la requête du jeune garde.

Seregon eut une sourire amusé et pourtant dépourvu de joie. Cette réflexion ressemblait bien à la petite elfe. Non pas qu'elle ait un mauvais caractère mais elle avait sa manière de penser et il leur était souvent difficile de lui faire connaître autre chose. Et, bien au delà de cela, sans cette force qui était la sienne, elle n'aurait sans doute pas survécu aux traitements qui lui avaient été infligés au Puy. Alors oui, cela l'amusait car ces paroles étaient d'une telle évidence pour lui que c'en était risible...

-Mais je peux essayer. Ajouta Tylraen.

Se faisant, il chercha une position plus confortable et apposa à nouveau les mains sur Macabre. Il en aurait peut-être pour un petit moment. Autour de lui, un silence religieux s'était instauré. Si personne ne connaissait vraiment cette enfant, tous en avait entendu parler désormais. Ce que l'on prenait pour sa fragilité associé à son âge apparent en avait touché plus d'un et son sort ne laissait personne indifférent. Il était hors de question de déranger Maître Tylraen tandis qu'il se concentrait.

La nuit. L'ombre. Le noir. Les ténèbres. C'était tout ce que Macabre connaissait, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne. Et c'était tout ce qui l'entourait. A genoux au milieu du vide, sa tête était baissé et ses yeux fermés. Sur ses joues, ses larmes s'étaient figées. L'une d'elles était prête à tomber mais elle restait statique. Le petite elfe elle-même ne bougeait plus. A peine pouvait-on distinguer sa poitrine se soulever dans une respiration minimaliste.
Dans cette dimension de l'esprit où tout était vide et inerte, on ne distinguait qu'elle, vêtue de sa robe blanche. Elle ne pensait à rien. Souffrait sans plus se rappeler de quoi. Deux noms demeuraient pourtant dans ses pensées. Bien présents mais jamais prononcés. Comme une chose que l'on ne pouvait oublier mais que l'on voulait garder loin de soi. Deux personnes qui lui tenaient à cœur mais dont le souvenir était douloureux. Trop pour qu'elle se pense capable de le supporter.

Ce vide, c'était une partie de son cœur où elle était venu se réfugier. Elle était venu y chercher quelque chose... Mais, au lieu d'y trouver ce qu'elle cherchait, elle était tombé sur ce néant et s'était laissé tombé au sol. Depuis, elle n'avait plus bougé. Si, à l'extérieur, des heures s'étaient écoulées, elle avait l'impression que c'était une éternité. Cela aurait pu lui importer si elle avait été capable de se rendre compte du temps qui passe. Elle n'avait pas bougé et n'en ressentait pas le besoin. Son corps était reposé mais elle se sentait épuisée. Son corps avait faim mais elle n'avait pas d'appétit. Elle était sourde à tous les bruits environnants, ne percevant que le silence qui habitait cet endroit. Elle pouvait rester là jusqu'à la fin des temps, celui ne lui importait plus. Cet endroit aurait dû être plein de vie, comblé par la présence d'Hiradrilion, voisine de celle de Neraën. Mais les deux lieux ne formaient plus qu'un et brillaient par l'absence total de ces deux êtres. Elle était minuscule au milieu de leur absence...

Et puis, après une éternité de plus, une lueur apparut au loin dans le noir. Un point blanc qui venait faiblement éclairer son visage. Macabre releva la tête avec lenteur. Sous ses yeux rouges, la lueur devint lumière avant de commencer à s'étendre. Le point devint un rond. Le rond s'agrandit puis se déforma, prenant peu à peu la forme d'une silhouette. Autour d'elle, le noir se mua en gris. Un gris anthracite au début, et de plus en plus clair ensuite. Progressivement, les contours de la lumière se précisèrent et la petite elfe se redressa. Est-ce que c'était... ?
L'homme qui se dessinait devant elle avait une carrure reconnaissable. Des contrastes apparurent au sein même de la forme, lui donnant des reliefs. Ses vêtements...
Macabre se mit debout tandis qu'elle était de plus en plus sûre de ce qu'elle voyait. Des cheveux se dessinèrent. Longs et blonds, contournant deux oreilles pointues. Les contours du visage apparurent. La mâchoire, le menton, le front, les sourcils, le nez. Et, finalement, les yeux. Ses yeux d'un bleu aussi profond que l'océan.

Le vide grisâtre s'orna soudainement de blanc et la petite elfe se mit à courir. Elle s'élança dans la direction de Neraën. C'était lui. C'était bien lui. Elle le voyait. Elle le sentait. Elle sentait sa présence. Plus elle s'approchait, plus son cœur vibrait en retrouvant cette sensation de l'avoir près d'elle.
Il était là.

************

Macabre ouvrit soudainement les yeux.
Autour d'elle, le blanc avait disparu.
C'était sombre, lugubre, humide et froid. Sa cave ? Non, c'était bien plus naturel, bien plus propre.

Plusieurs personnes étaient présentes et elle parcourut chaque visage pour retrouver celui qu'elle était venu chercher. Elle vit d'abord Seregon. Une de ses mains était posée sur son épaule pour interrompre son mouvement et l'empêcher de se relever trop brusquement. A côté se trouvait Olorin qui arborait un regard qu'elle ne lui connaissait pas. A ses pieds, un inconnu qu'elle aurait pu identifier comme étant un soigneur si seulement elle avait voulu prendre la peine de savoir qui il était. Puis elle remarqua le mage Tylraën tout près d'elle. L'apercevant et constatant l'absence de Neraën, elle comprit ce qu'il s'était passé. Son regard commença alors à se brouiller de larmes tandis qu'elle cherchait une dernière fois à apercevoir son ami parmi les visages qui l'entouraient mais elle se rendit rapidement compte que c'était vain. Alors elle laissa ses larmes se déverser sur ses joues et le sol tandis qu'elle se blottissait sur le côté en position fœtale. Ils venaient de la tirer d'un monde où elle ne ressentait plus totalement la souffrance et où elle aurait pu attendre indéfiniment. Un monde où elle ne souffrait plus de la mort d'Hiradrilion et de l'absence de Neraën accompagné de la menace qu'il subisse le même sort...
Pourquoi ne l'avaient-ils pas laissée là où elle était ?...

Alors qu'elle laissait s'échapper toutes les larmes que son corps pouvaient contenir, la plupart de ceux qui étaient venus s'assurer que la petite elfe se réveillerait bien se retirèrent, le cœur plus lourd qu'à leur arrivée. Seuls restèrent à son chevet les deux gardes de Tethien et le soigneur. Cet espace vide dans son cœur que Melendil venait de ranimer s'était éteint.
Mais le maître de l'esprit n'avait pas manqué de remarquer que, là où deux personnes habitaient auparavant son cœur, la présence d'un seul avait su le combler...