Halte et Distance | Libre

Automne - 1er jour 4e ennéade de Barkios
9e année du XIe Cycle

Cela faisait déjà dix-sept jours qu'ils avaient quitté Eteniril. Dix-sept jours que leur petit groupe marchait vers la capitale et ils en avait encore pour au moins autant. Fenris, elle, Macabre et les deux gardes d'escortes de la petite. Halya avait d'ailleurs découvert avec surprise que la jeune mage était bel et bien adulte et non pas, comme elle le pensait, encore une enfant. Entre l'état de son corps, son comportement étrange et le fait qu'elle ne parle pas un mot d'elfique, le mystère entourant le personnage s'était rapidement intensifié... Pourtant la protectrice ne lui avait pas poser la moindre question. L'absence totale de curiosité ne lui avait même pas laissé imaginé la possibilité de se renseigner. Tout comme le désintérêt constant qu'elle affichait ne laissait que peu de place aux conversations de voyage. Muette la plus grande partie du temps, elle ne parlait que lorsqu'on l'interpelait ou lorsqu'elle avait quelque chose à dire. Le badinage habituel des compagnons de route était totalement absent de son esprit. Son attention était de plus en plus souvent attirée par les incessantes discussions des voix qu'elle percevait. Même la proximité de Fenris avait du mal à la tenir en alerte. Elle ne voulait pas le blesser, elle faisait donc en sorte de converser avec lui et d'être à sa disposition, mais ses allants n'avaient rien de naturels, elle en était consciente sans que cela ne l'inquiète outre-mesure.

Des Aigles qui étaient venus à Eteniril avec Neraën, seul Fenris avait été renvoyé à Alëandir pour faire un rapport au régent. Les autres étaient restés pour remplir leur mission : surveiller Neraën et faire en sorte qu'il ne soit un danger pour personne. Seul l'un d'eux ayant été recruté après Ellyrion, elle avait eu la possibilité de revoir de vieilles connaissance avant qu'ils ne quittent le camp. Les rencontré après quelques années de séparation avait été intéressant, mais elle n'en garderait pas un souvenir impérissable. A bien y réfléchir, elle ne gardait aucun souvenir impérissable... Même la nuit affreuse qu'ils avaient passés dans la Cité ne lui paraissait pas bien grave. Certes, elle se souvenait avoir été bouleversé par la mort du conseiller, mais cela n'allait pas beaucoup plus loin.

Ses armes et armures étaient restées au Palais d'Eteniril, ses amis Aigles lui avaient promis de faire en sorte qu'elles soient renvoyé à leur quartier général à Alëandir sans même qu'elle le leur demande. Maeghan était définitivement introuvable... Où plutôt, les Noss n'avaient pas voulus la rendre à l'Ardamiri. Une créature sauvage ne devait être asservie par personne, arguaient-ils.

Peut-être retrouverait-elle son cor d'ivoire avec ses autres affaires... En attendant, Randil et la Meute ne donnaient plus de nouvelle depuis près de trois jours. Elle avait essayé de passer un peu de temps avec eux, mais elle se mettait inutilement en danger, ne portant pas l'attention là ou elle devrait et ne comprenant pas les réaction de ces bêtes. Randil était venu la trouvé plusieurs fois à la tombé du jour, seul, l'entourant, la sentant, la touchant comme lorsqu'elle était blessée au cours de ses missions. Mais elle n'y trouvait aucun réconfort et voyait bien que le loup non plus n'en était nullement rassuré. Elle voyait aussi de plus en plus souvent le loup noir roder aux alentours. Peut-être qu'elle saurait un jour ce qu'il signifiait...

Un jour...

Mais certainement pas aujourd'hui.

Pour l'heure, elle était dans une chambre, à l'abri des murs de la Quatrième Saison et avait préféré faire porter ses amitiés au Conseil par les gardes de la cité. Prévenir de son passage était ce qu'il convenait de faire, mais ils ne restaient qu'une nuit et repartaient à l'aube, alors se déplacer en personne aurait été superflu. Ses mouvements moins alertes lui indiquant que son corps était fatigué, elle avait réussi à obtenir un bain pendant qu'on lui trouvait enfin des vêtements à sa taille. Bien qu'elle en ai trouvé qui lui allaient approximativement dans le camps d'Eteniril, elle n'était pas des plus facile à habiller et personne n'avait prévu de chaussures supplémentaires à sa taille...

Si le Voile avait eu un intérêt, c'était bien celui là : depuis l'exode, non seulement la plupart des elfes pouvaient jouir de demeures plus spacieuses, mais les voyageurs trouvaient toujours à se loger plus que correctement lorsqu'ils passaient d'une Cité à l'autre. Une importante caravane de vivres venait de partir vers le sud, aussi, pour les cinq voyageurs, deux petites maisons avaient été mis à disposition, si bien qu'ils pouvaient profité chacun d'une chambre.

Il y avait certains conforts à vivre dans un édifice de pierre au ras du sol. L'utilisation du feu sans crainte et la facilité absolue pour acheminer l'eau dans toues les demeures. Une baignoire en pierre était même présente dans la chambre, entre un paravent et un coin de mur. Après avoir entrouvert une fenêtre pour que l'humidité ne stagne pas, Halya s'était donc plongée dans l'eau chaude jusqu'au cou. La tête appuyée sur le rebord couvert d'un drap, on l'aurait dit prise d'une extrême lassitude, mais ce n'était même pas le cas. Elle attendait que ses muscles se dénouent.

La blessure sur son ventre avait été entièrement cicatrisé par le mage de la vie qui œuvrait au camp. Ses bleus, ses bosses et ses coupures avaient majoritairement disparus avec le temps. Ses cotes avaient été replacées et plus ou moins ressoudées également, bien qu'elles restes très fragiles. Quant à son poignet... Elle le tira jusqu'à ses yeux pour vérifier son état puisqu'elle le gardait habituellement bandé et immobilisé, l'eau ruisselant sur sa peau morbide. La cicatrice était laide. Encore rouge. L'articulation restait récalcitrante et bien que le mage se soit appliqué à retisser le réseau des nerfs, ce qui était le plus important d'après lui, elle pouvait distinctement sentir que les muscles n'étaient pas en place. Elle n'avait plus aucune force dans la main droite droite, des doigts peu agiles et une amplitude très faible, mais au moins elle avait encore une main et cela ne pourrait aller qu'en s'améliorant.

L'eau était presque froide lorsqu'elle s'extirpa du bassin pour passer des vêtements certes simples mais lavés de frais. En soulevant ses cheveux pour les dégagés de son col, elle inaperçue qu'ils prenaient décidément de la longueur. Depuis quand ne les avait-elle pas coupés... ? Un an ? Deux ? Ils étaient dans un triste état... Les réflexes enseignés par sa mère revinrent au galop. Elle les tressa rapidement d'une main habile tandis que ses yeux cherchaient de quoi se faire un lacet. La courte natte gorgée d'eau tombait lourdement sur sa nuque, marquant une auréole sur sa chemise grise alors qu'elle sortait de la pièce pour aller diné avec ses compagnons de route. Après ça, une bonne nuit de sommeil leur ferait le plus grand bien. De longues journées les attendaient de nouveau à l'aube.

HRP:

Voyager n'avait jamais semblé si long à Fenris. Il fallait dire que celui-ci n'avait rien de commun avec ce qu'il avait connu jusqu'à lors. Ce n'était pas un voyage d'agrément. Ils ne rendaient pas visite à un proche ou à un personnage politique. Ils n'allaient pas en mission et n'avaient donc pas à s'y préparer ni à en parler. L'ambiance n'était pas non plus des plus joviales...

Macabre se terrait dans un silence presque absolu, demandant régulière dans quelle direction se trouvait Eteniril pour épier la zone indiquée pendant quelques instants. On aurait dit qu'elle cherchait à voir quelqu'un apparaître... Elle n'attendait pas Hiradrilion, elle n'avait pas la naïveté de croire qu'il pourrait revenir parmi eux. Elle était très bien placée pour savoir ce qu'était la mort. Mais il semblait que la dernière personne à laquelle elle se raccrochait n'était autre que le Protecteur et elle souffrait de son absence. Fenris n'aurait su dire qu'elle perte l'affectait le plus... Celle de son garde et ami tombé au combat ou de Neraën resté pour tenter de sauver sa cité dans un acte désespéré qu'elle ne parvenait pas à comprendre.
Hira, lui, ne souffrait plus et sa disparition était irrémédiable. En cela, la chose était peut-être plus facile à vivre que de demeurer dans la crainte de perdre un autre proche. Tout du moins était-ce ainsi qu'il l'interprétait.

Mais ce qui inquiétait le plus le Tel'sorn, ce n'était pas l'état de la petite elfe que celui de sa compagne. Son corps avait été soigné par magie et elle ne semblait pas aller mieux. Au vu des blessures recensées par le mage de la vie, Halie n'aurait pas dû pouvoir marcher si longtemps, ni s'allonger sur le banc comme elle l'avait fait. Ses côtes seules auraient dû rendre le moindre mouvement des plus douloureux. Elle n'avait donc plus mal... Et le détachement dont elle semblait faire preuve, que ce soit pour ce qui l'entourait ou pour elle-même, ne laissait plus le moindre doute à Fenris depuis longtemps. L'âme de sa compagne ne s'était jamais tant détachée de son corps. C'en était à un point où elle ne remarquait presque plus le contact physique. Il avait pu le constater par lui-même.
A l'image d'Halie, le Tel'sorn ne parlait que peu mais pour des raisons bien différentes. Tout comme elle, il répondait aux questions qu'elle lui posait mais ne voulait pas rentrer dans les détails. Il remerciait sa bien aimée d'accepter de lui en dire plus sur ce qu'elle avait vécu quand lui peinait à évoquer sa propre histoire. Cet écart s'expliquait assez simplement : l'un des deux en était émotionnellement affecté tandis que l'autre semblait évoquer d'évènements qui ne le concernait pas ou plus. Malgré tout, il restait attentif à l'était moral de leurs compagnons de route, s'enquérant régulièrement de l'état de Macabre, essayant même de la faire parler, manger ou dormir, choses qu'elle ne faisait presque plus depuis son dernier voyage dans la cité.

La route était longue... Et la santé de la petite elfe ne put leur permettre d'aller plus vite. C'est pourquoi il leur avait fallu plus de deux ennéades pour rejoindre enfin la quatrième saison. Là, on leur avait attribué un logement : deux maisons composées de plusieurs chambres chacune. Il était hors de question de séparer la protégée de Tethien de ses gardes, aussi avaient-ils pris un demeure tandis qu'Halie et Fenris partageaient la seconde. Ils auraient pu prendre la même chambre mais n'en firent rien. En fait, la Protectrice était bien plus distante depuis leurs retrouvailles. Elle se forçait à s'intéresser à lui et c'était le minimum qu'elle s'imposait mais il peinait à reconnaître son comportement comme étant celui qu'elle lui avait toujours connu. Contrairement à lui, c'était une femme de contact, préférant l'action aux belles paroles. Il s'était déjà mis à son diapason, dans l'intimité, mais elle avait toujours éprouvé des difficultés à se montrer moins tactile en public. Elle avait besoin de cette relation physique, qu'il s'agisse d'une caresse, d'un baiser, d'une brève étreinte ou tout simplement de lui tenir la main. Après quelques jours de soupçons, il avait volontairement arrêté d'aller vers elle pour la laisser venir à lui et... rien. Alors, il avait semblé naturel de la laisser prendre une chambre séparée. De toute manière, si elle avait besoin de lui, il était juste à côté.

Fenris n'avait fait qu'une brève toilette, juste de quoi se sentir enfin propre. Puis il avait quitté la maison pour aller faire un tour en ville. Il n'avançait pas comme un simple visiteur, son pas étant assuré et son regard fixé vers la direction à suivre. Il se rendit au quartier général de la garde de la cité et demanda si une jument, plus précisément une jument mathandil, n'était pas arrivée aux portes de la cité il y avait au moins une ennéade de cela. Il ne fut guère surpris d'apprendre que c'était bien le cas mais il n'éprouva de soulagement que lorsqu'on le conduisit à elle. Inysiëis était folle de joie mais remarqua bien vite que son cavalier n'était pas pleinement à leurs retrouvailles. Le Tel'sorn était heureux de la revoir mais ne parvenait pas à s'en réjouir pleinement. Son amie le sentait trop préoccupé et son cœur en proie à la peine et à l'angoisse. Elle ne pouvait comprendre ce qu'il s'était passé durant leur absence mais vint malgré tout poser son chanfrein contre le torse de son ami bipède pour essayer de le réconforter. Fenris étreignit sa tête de ses bras, posant son front sur celui de l'animal avant de la relâcher après quelques instants. Il n'avait plus d'équipements pour elle mais, étant donné ce qu'il lui restait à lui, il n'en avait pas besoin. Il pourrait attendre d'être arrivé à destination pour lui trouver une nouvelle selle.

Finalement, ce fut accompagnée d'Inysiëis que le Tel'sorn rentra à la maison où il logeait et la lui montra. Ainsi, elle saurait où le trouver.

-Nous partons demain. Nous retournons à Alëandir. Un peu de paix nous y attend, nous ne serons pas renvoyés à Eteniril.

La jument posa à nouveau sa tête contre le cavalier qui la gratifia d'une caresse sur l'encolure. Puis il la laissa brouter, le ventre plus léger, pour rentrer voir où en était la Protectrice. Il trouva sa chambre vide. Sans doute était-elle déjà partie rejoindre les autres. Il fit donc de même.
Arrivé sur place, il entra, ferma la porte, et marqua un temps d'arrêt sur le perron. Ses trois compagnons étaient assis à table tandis que Macabre se tenait appuyée contre une fenêtre, regardant au loin. Portant son attention sur les deux hommes, Fenris émit une suggestion.

-Peut-être devriez-vous arrêté de lui dire où se trouve la cité...
-Nous y avons pensé. Répondit Seregon dans un soupir. Mais c'est pire si on ne lui répond pas.

Le Tel'sorn lui adressa un triste sourire. Pour l'heure, aucun des membres du groupe ne semblait capable de venir en aide à cette pauvre enfant. Il jeta un dernier regard sur la petite elfe puis vint s'asseoir en face d'Halie. S'attablant, il lui annonça la bonne nouvelle, sans vraiment semblé parfaitement réjoui.

-J'ai retrouvé Inysiëis. Comme je le pensais, elle est retourné à sa dernière escale. Elle broute près de notre maison.

En attendant le dernier retardataire, la conversation avait été lente, entrecoupée de dizaines de blancs. Pourtant elle n'avait pas été bien longue. Les habitants de Quatrième Saison avait parfaitement reçu les voyageurs qu'ils étaient en attendant. Rassemblés dans la salle à manger de la maison occupée par Macabre et ses gardes, la fine équipe avant largement de quoi se rassasier... surtout en comptant que ni Macabre ni Halya ne mangeaient grand chose.

Lorsque Fenris entra dans la pièce, la protectrice était une fois de plus plongée dans ses pensées, le regard posé sur le profile de Macabre. Plus les jours avançaient, moins elle comprenait le comportement de la petite elfe. Elle regardait sans cesse vers la Cité qu'ils avaient quitté en espérant quelque chose qui ne pouvait pas arriver. Le gouffre entre elle-deux était si grand qu'Halya n'avait pas essayé de l'en dissuader ou de lui parler une seule fois depuis leur départ. Pourtant elle se souvenait de l'allant presque maternel qu'elle avait ressentit alors qu'elles sortaient toutes deux des Ombres. Elle se souvenait s'être promis de faire ce qu'elle pouvait pour alléger un peu la douleur de cette enfant, car peu importait son âge, elle se comportait comme tel. Mais elle savait également qu'elle n'en avait pas la possibilité en l'état actuel des choses. Alors tout comme pour son compagnon, elle observait.

Enfin, ils étaient tous attablés et chacun pouvait pioché dans les plats qu'on leur avait préparé. Les goûts des Cités du nord différaient beaucoup de la cuisine d'Ardamir... enfin c'est ce qu'on disait et Halya devait le croire sur parole. Même Macabre vint s'asseoir avec ses compagnons de route, même si tous doutaient du fait qu'elle avale quoi que ce soit, et Fenris engagea la conversation sur un sujet inhabituellement léger qui eu au moins le bon ton de sortir un peu les deux gardes de leur marasme. Une bonne nouvelle, aussi petite leur paraissait-elle, restait une denrée rare et étonnamment efficace. D'un ton qu'elle aurait voulue enthousiaste, l'Ardamiri se fendit d'une réponse :

" C'est une excellente nouvelle. Je suis heureuse que tu aies put la retrouver. " Elle se força a prendre une  bouchée avant d'ajouter " D'ailleurs j'ai demandé un peu plus tôt et on nous prêtera des chevaux pour aller jusqu'à la Capitale. Cela devrait beaucoup nous facilité les choses compte tenu... "

... du fait qu'ils n'auraient plus à ménager autant Macabre puisqu'elle n'aurait plus à marcher. Elle avait faillit le dire mais s'était repris au dernier moment pour réorienter sa phrase sur une toute autre chute sans sourciller le moins du monde.

" ... du temps. "

Le froid s'avançait inhabituellement vite pour la saison, et il y avait fort à parier qu'ils auraient quelques soucis avec les bêtes sauvages prises de court sur le chemin.

Halya avait écouter l'échange de Fenris et de la jeune elfe avec un intérêt limité. Il n'y avait rien de vraiment nouveau dans tout cela. Elle était aussi enfantine dans son comportement et son apparence qu'elle pouvait être mature dans sa compréhension du monde. Forcément, tout le monde se laissait prendre par le premier facteur et oubliait le second.

Profitant du silence lourd, Halya se servit cependant en proportions raisonnable et mangea tout ce qu'elle avait prévu avec une vitesse qui attestait en elle-même de l'absence d'intérêt qu'elle avait pour le goût de ce qui glissait sur ses papilles. Puis elle ramassa une pomme d'une belle couleur verte avant de se lever sans vérifier si ses camarades avaient finit... avant de se rappeler qu'un mot pouvait être bienvenu dans ces cas là.

" Je suis fatiguée. Je vais essayer de dormir un peu. "

Elle repoussa sa chaise et longea la table vers l'entrée. Mais au moment de poser la main sur la poignée, elle se retourna, visant délibérément la petite elfe sans se soucier des autres ni même de

" Tu sais, Macabres si c'est pour Neraën que tu agis comme ça, sache que c'est d'un égoïsme absolu. Depuis que je le connais, si j'ai appris une chose sur lui, c'est qu'il place le bien être et la sécurité des siens au-dessus de tout. Il préfèrerait mourir que te voir souffrir à cause de lui. Qu'il meurt ou qu'il vive, en te complaisant dans ta douleur, sache que tu ne lui rends pas hommage. "

Et chercha le regard de la jeune femme durant quelques secondes, puis elle sortit. Elle avait parlé sur un ton factuel. Elle ne cherchait pas à mettre la petite mal à l'aise ou à la juger. Dans d'autres circonstances, elle l'aurait très certainement secouée jusqu'à ce qu'elle craque et se laisse allé à exprimer ses émotions au lieu d'être plongée continuellement dans une tristesse mélancolique. Jamais elle ne se serait permise d'être aussi violente dans ses mots. Mais en l’occurrence, elle trouvait juste que, si Macabre était autant attaché à lui, elle méritait de savoir de quoi il en retournait.

En quelques pas elle était de nouveau dans la maison dans laquelle se trouvait sa chambre du jour. Bien sûr, le coup de la fatigue était un mensonge éhonté. Elle ne souhaitait simplement pas s'attarder outre mesure si c'était pour partager un silence désagréable. N'ayant pas besoin de dormir tout de suite et n'ayant pas spécialement d'idées pour s'occuper à part les préparatifs de leur départ du lendemain, elle tira un fauteuil près d'une fenêtre et tendit l'oreille en mordant dans sa pomme.

Comme d'habitude, elle entendant les bruissements de l'extérieur. Sans intérêts. Et ceux de l'intérieur comme autant de voix l'appelaient de loin. Mais ce qu'elle cherchait à la limite de son audition, elle ne le trouvait pas. Elle pouvait toujours essayer. C'était comme la dernière bribe d'un espoir futile : se rappeler à quoi ressemblait la Symphonie.

Fenris regarda Halyalindë se lever, sans être vraiment surpris de la voir s'en aller. Néanmoins, son départ semblait quelque peu précipité. Tout du moins jusqu'à ce qu'elle prenne la parole pour prendre congé, ce à quoi Seregon lui répondit par un signe de tête. Son compagnon savait pertinemment qu'elle n'était pas fatiguée mais peu importait. Si elle avait besoin d'être seule...
Tandis qu'elle se dirigeait vers la porte, il reporta son attention sur son assiette qu'il vidait toujours sans grand appétit.

Et puis...

-Tu sais, Macabre...

Le Tel'sorn releva la tête dans la direction de sa compagne. Il fronçait légèrement les sourcils, ne parvenant pas à imaginer quelle serait sa démarche à venir. Elle ne parvenait pas à être tendre avec lui alors que pouvait-elle bien apporter à la petite elfe ? Mais un flot de paroles ne tarda pas à se déverser de ses lèvres et Fenris n'en crut pas ses oreilles. Tout était vrai dans ses mots mais certains termes employés étaient d'une dureté sans nom. Beaucoup trop pour les oreilles de quelqu'un d'aussi fragile. Beaucoup trop pour une enfant émotionnellement instable. La traiter d'égoïste, évoquer la mort de Neraën qu'elle ne redoutait déjà que trop, lui dire qu'elle se satisfaisait de son malheur et enfin lui faire comprendre qu'elle ne faisait pas honneur à son ami... Il tenta bien de l'arrêter lorsqu'elle entama sa dernière phrase mais il ne fit que mettre Halyalindë en pause.

Quand elle eut fini de déverser sa bile, la Protectrice se tourna vers lui et répondit enfin à sa protestation par : "Elle a le droit de savoir." Puis elle sortit sans qu'il ne cherche à la retenir. Elle avait eu tort d'agir ainsi mais ce n'était pas le moment de le lui faire remarquer, pas devant leurs compagnons de route. Alors il la regarda quitter la pièce et fermer la porte derrière elle. Le silence s'installa de nouveau, rapidement interrompu par un bruit si caractéristique. Fenris ferma les yeux : Halie avait tout gagné...
Il se tourna vers Macabre, retournée à sa fenêtre pendant le repas, tandis que Seregon allait à sa rencontre pour la réconforter et tenter de faire cesser ses larmes.

-Je suis désolé. Elle n'est pas dans son état normal.
-On s'en était douté. Répondit le vétéran, d'un ton sec.

Le Tel'sorn ne prit pas son agressivité pour lui car il savait qu'elle ne lui était pas destinée. Même sans la connaître, il semblait évident qu'une Protectrice ne pouvait être naturellement aussi détachée de ce qui l'entourait. Rien ne semblait éveiller son intérêt. Tout juste accordait-elle quelque attention à son compagnon qui ne s'en portait pourtant pas mieux. Bien sûr, ils avaient compris depuis un moment maintenant qu'elle n'allait pas bien mais leur priorité était leur protégée.

-Si c'est pour être aussi cinglante et froide, qu'elle évite de lui adresser la parole à l'avenir. Si vous ne le lui dites pas, je m'en chargerai.

Fenris hocha la tête. Ils étaient d'accord sur le principe. Halyalindë n'était pas en état de faire preuve de compassion. Jusqu'à la fin de leur voyage, il valait mieux qu'elle évite les contacts avec la petite elfe qui était tout simplement incapable de faire la part des choses.
Seregon et Olorin entourèrent la pauvre enfant au cœur meurtri et le cavalier se sentit bien vite de trop. Il abandonna donc son assiette inachevée pour laquelle il n'avait plus goût depuis longtemps et sortit à son tour. Il rejoignit lui aussi la maison qu'il partageait avec la Protectrice. La porte se ferma derrière lui sans grande discrétion mais sans se claquer non plus. Son premier réflexe fut de se rendre à la chambre d'Halie d'un pas vif mais, une fois devant, il renonça à frapper; gardant son poing suspendu en l'air. Il devait lui parler, mais pour lui dire quoi ? Il était lui-même agacé par l'attitude qu'elle avait eu tout en sachant qu'il ne ressentait pas là que sa propre émotion mais aussi celle des deux gardes. Et puis, était-elle seulement capable de comprendre ce qu'elle avait fait ? Cette conversation lui ferait sans doute plus de mal qu'autre chose. Ce serait aussi le cas pour Halyalindë si elle avait encore le moindre sentiment...
Finalement, après de longues secondes d'hésitation, il soupira après le pan de bois et se dirigea vers sa propre chambre.

Avec le temps, la pomme diminuait. Et toujours aucun signe de la symphonie. Assise dans le salon, une pièce à l'arrière de la maison qui n'avait par conséquent pas besoin d'être traversée pour monter à l'étage des chambres. Pensive, la tête contre le carreau, elle s'était simplement laissé allé à son néant intérieur sans avoir besoin de maintenir ces faux semblants qui la pesaient tant.

Le bruit de la porte lui fit relever la tête mais elle n'eut même pas le temps de se remettre sur pied que la silhouette de Fenris avait disparue à l'étage. Il marchait d'un pas vif, visiblement agité. Etait-il énervé parce qu'elle ne s'était pas arrêté de parler lorsqu'il le lui avait demandé ? Mais pourquoi ?

Elle resta là à se repasser précisément la scène. Macabre qui se laissait peu à peu mourir. Les deux gardes qui ne faisaient que la prendre en pitié. Fenris était d'un naturel bienveillant, il n'y avait donc rien d'étonnant à ce qu'il se mette au diapason des protecteur de la jeune mage. Mais il avait bien du entendre ce qu'elle lui avait dit. Ils ne pouvaient pas la garder au niveau d'une enfant alors qu'elle était tout a fait capable de comprendre lorsqu'elle s'en donnait la peine. C'était avilissant... et si Macabre ne faisait pas semblant de verser toutes ces larmes pour se faire dorloter, alors elle avait vraiment besoin d'un électrochoc pour arrêter de se conduire comme une petite princesse. Par respect pour le militaire, la Protectrice n'aimait pas l'idée de devoir raconter l'état de Macabre à Neraën un jour.

Et pourtant les faits étaient là. Fenris semblait agité et elle ne comprenait toujours pas pourquoi.

Après un rapide détour par le composte pour jeter son trognon, Halya monta l'escalier et se retrouva entre sa chambre et celle de Fenris. Soudain, elle se rendit compte de l'absurdité d'une telle constatation. Puis, très logiquement, elle en vint à la conclusion que son état n'était pas passé inaperçu, qu'importait ses efforts. Dommage.

Elle fit deux pas dans la direction de sa porte avant de s'immobiliser. Si elle arrivait si mal à donner le change et qu'elle ne faisait qu'énerver ses compagnons de routes, comme ce soir, alors il serait plus avantageux de savoir pourquoi.

Elle tourna les talons pour venir frapper quelques coups à la porte de Fenris tout en réfléchissant à la bonne façon de présenter les choses pour qu'elles soient claires. Quand le battant s'ouvrit, elle n'eut plus qu'à prononcer la tournure la plus sûre sur laquelle elle s'était arrêtée :

" J'étais en bas. Je t'ai vu rentré. Tu avais l'air agité. Je peux savoir pourquoi ?"

A peine arrivé dans sa chambre, Fenris se débarrassa de sa veste qu'il jeta négligemment sur la chaise se trouvant sur le chemin entre la porte et la fenêtre. Debout devant la vitre, il croisa les bras et observa Inyniëis en bas en train de se frotter la tête contre un tronc d'arbre à l'écorce épaisse. A son tour, il se repassa les paroles d'Halie en mémoire et la réaction des deux gardes. Puisil essaya de s'imaginer la journée du lendemain et la façon dont il allait pouvoir faire comprendre à la Protectrice pourquoi elle devrait changer d'attitude, et ce dans l'intérêt général. Il plongea si profondément dans ses réflexions qu'il n'entendit même pas quelqu'un monter les escaliers puis hésiter dans le couloir.
Les quelques coups frapper sur le bois le tirèrent finalement de ses pensées. Il crut reconnaître la façon de frapper d'Halyalindë mais il avait l'impression de ne plus être sûr de rien... Il s'avança jusqu'à la porte, n'arrivant pas à se décider sur qui il s'attendait à voir derrière. En découvrant sa compagne, il n'eut pas le temps de savoir s'il était surpris ou non. A peine eut-il le temps de se dire qu'il la croyait dans sa chambre qu'elle lui asséna trois courtes phrases suivies d'une question des plus directes.

Fenris soupira. Ses paroles étaient à l'image de son état, ce qui le désolait. Une fois de plus.
A présent, il n'avait plus vraiment le temps de réfléchir à la façon de s'y prendre pour qu'elle accepte le point de vue du groupe... Cependant, il devait lui faire savoir que lui ne lui en voulait pas.

-Ce n'est pas vraiment moi qui suit agacé. C'est une répercussion de la réaction de Seregon et Olorin.

Déjà, l'agitation en lui avait diminuée. Il savait que cela serait de toute manière inutile dans la situation présente, alors autant en faire l'économie. Cependant, puisqu'elle voulait crever l'abcès, autant que ce soit lui qui s'en charge. Certes, il était loin de connaître Macabre aussi bien que le vétéran des deux gardes qui veillait sur elle depuis une décennie mais il était davantage en mesure de comprendre ce qu'il se passait qu'Halie.

-Tu n'es parvenu qu'à la faire pleurer davantage. Tes mots étaient peut-être justes mais ils étaient également très durs. Trop pour qu'elle les intègre.

" J'ai l'impression qu'elle intègre très bien ce qu'elle veut. "

La réponse était venue d'elle même avec le vague étonnement que suscitait la réponse de Fenris. Mais après un instant de réflexion, tout cela lui paraissait on ne pouvait plus vain. Elle se rappelait de l'attachement qu'elle avait ressentit cette nuit là en comprenant que la petite avait vécu des moment très difficile lors de la mission et aurait préféré faire les choses correctement pour elle. Simplifier la transition. Elle avait bien l'impression que les trois hommes n'agissaient pas correctement envers elle, la laissant s'enfermer dans un état dépressif au lieu d'essayer de l'en sortir réellement. Mais Halya elle-même n'avait aucun enjeux suffisant pour s'accrocher à ce problème si on lui disait que son intervention était mal venue.

Assez perplexe devant ce qu'était sensé exprimer le regard du jeune Aigle, elle ajouta tout de même en levant une main, comme pour se désengager d'une discussion mal partie :

" Pardon. Je n'aurais pas du m'en mêler. Ce ne sont pas mes affaires et je n'interviendrai plus. "

Elle recula d'un pas, prête à regarder sa chambre. Elle avait ce qu'elle voulait savoir : il n'était pas énervé et c'était bien à cause de Macabre. Tout cela lui demandait tellement d'énergie... Paradoxal quand on savait qu'elle n'arrivait pas à se sentir fatiguée pour autant.

Le réflexion d'Halyalindë aurait pu choquer Fenris mais ce n'était qu'une preuve de plus que sa compagne ne prenait plus en compte la sphère émotionnelle dans son jugement. Elle n'était plus doté que de raison et son avis était impartial et sévère. Un juge parfait... Mais une Protectrice, certainement pas.

-Oui, elle est très intelligente et plus mature qu'il n'y paraît. Bien plus que moi sur certains sujets, j'en suis sûr. Mais si elle possède l'intellect d'une adulte, elle est plus encore qu'une enfant d'un point de vue émotionnel.

Macabre semblait capable d'entendre ce que bien des jeunes de son âge auraient du mal à assimiler sans en faire des cauchemars. Il avait pu le constater avec la mission qui avait été la sienne et les évènements qui y étaient survenus. Pourtant, sur les sujets qui la touchaient de près, le cavalier avait compris qu'il fallait y aller en douceur afin de temporiser ses réactions. Il y avait des choses qui, contrairement à ce que l'on aurait pu croire, ne l'affectaient absolument pas. Et d'autres, pourtant anodines, qui provoquaient des réactions qui semblaient disproportionnées. C'était le propre des enfants... L'apprentissage de la mesure juste et de l'équilibre entre raison et émotions.
Halie recula d'un pas. Elle avait compris le message mais pas la raison.

-Ce n'est pas que tu ne dois pas t'en mêler. Tu es la seule à avoir assisté à ses adieux avec Neraën et elle utilisé ses dernières forces pour te faire sortir de prison. Vous avez un lien et tu as ton rôle à jouer... Mais tu n'es pas en état de l'aider.

Voilà, il l'avait dit. Il avait évoqué à voix haute ce qu'elle n'avait jamais avoué alors que tout le monde savait. Il ne servait de toute manière à rien d'essayer de lui expliquer en long, en large et en travers le pourquoi du comment Macabre ne pouvait pas entendre ce qu'Halie lui avait dit. Elle ne pouvait de toute manière pas le comprendre. La seule chose qu'elle pouvait peut-être entendre, en revanche, était qu'elle n'était pas en possession de toutes ses capacités. Puisqu'elle ne ressentait plus rien, il savait qu'elle ne serait pas blessée par ses paroles. Pourtant, il en souffrait comme si c'était le cas. Peut-être même plus du fait qu'elle ne puisse avoir aucune émotion à cette idée. Dans ses yeux ne le lisait plus son ressenti face à ce qu'elle avait dit à la pauvre enfant mais uniquement sa souffrance face à l'état de santé plus que dégradé de sa compagne.

Non... Elle ne l'était visiblement pas.

Bien. Elle n'était définitivement pas capable de donner le chance.

Devant le visage blessé de Fenris, elle ne savait comment réagir. Il lui semblait clair que son compagnon n'avait aucune envie de rester à proximité. Elle même n'en avait pas plus l'intension. Avant de tourner les talons elle répondit simplement :

" Je comprends. Je dois voir le Doyen de l'Académie dès mon arrivée à Alëandir. "

Si elle savait déjà qu'il ne pourrait rien sur la durée, au moins pourrait-il peut-être stabiliser son état jusqu'à ce qu'elle atteigne Holimion, car s'il n'y avait qu'une seule chose qu'elle se refusait à dire à Fenris, c'était la limite de temps que lui avait donné Timerion le mois précédent.

Elle n'attendit pas davantage pour rentrer dans sa chambre et pour le reste du voyage, elle ignora totalement la présence de Macabre.

Fenris répondit à Halie par un simple signe de tête et la laissa s'éloigner. Il ferma la porte et laissa son front venir s'appuyer contre le bois.
Avec la neutralité dont elle faisait preuve, c'était comme si leur relation n'existait plus. Comme si elle avait mis fin à leur relation une seconde fois. Il savait que tel n'était pas le cas, ou tout du moins était-ce seulement le temps qu'elle soit guérie. En attendant, il recevait un coup de poignard dans le cœur à chacune de leurs interactions. Plus encore à présent qu'elle ne faisait même plus l'effort de paraître normale.

Après un petit moment, il retourna observer Inysiëis depuis sa fenêtre. Elle s'était un peu rapprochée. Suffisamment pour sentir sa peine. Lorsqu'une larme perla sur sa joue, la jument hennit. Il s'éloigna alors de lui-même afin de le plus être à la portée ses dons d'empathie. Elle n'avait pas à partager sa douleur. Encore moins au moment où cela l'affectait avec une telle intensité. Le Doyen pourrait faire en sorte que l'état d'Halie n'empire pas, tout du moins pendant un temps, mais il ne pouvait l'améliorer ou empêcher qu'il se dégrade plus encore. A présent, il se demandait même jusqu'à quel point il pouvait s'aggraver. Si son âme se détachait totalement de son corps, l'issue était plus qu'évidente...

Fenris passa sa soirée et une bonne partie de la nuit à ruminer ces sombres pensées. C'était le seul moment où il pourrait le faire avant leur arrivée à Alëandir. Pour le reste de leur voyage, il se montrait aussi égal à lui-même que possible, enfouissant son inquiétude pour sa compagne qui n'en aurait cure et préservant la pauvre Macabre qui souffrait déjà bien assez. Il tiendrait bon jusqu'à la Capitale où il pourrait se confier à son frère, Finwë. Certes, il apprendrait sa relation avec la Protectrice en même temps que son état de santé, mais il saurait prêter une oreille attentive à son cadet en proie aux tourments causés par Halyalindë et Hiradrilion.
D'ici-là, il souffrirait en silence.