La tante est mère de sureté | Irys & Ernest

Hiver - 6e jour de la 5e ennéade de Karfias
10e année du XIe Cycle
Palais de Missède

Cela faisait presque un mois que le sanctuaire d'Edelys avait été consacrée par la Haute prêtresse en personne. Un mois qu'elle était partie avec la lettre de paraphée par Ernest et Cécilie dans sa main fébrile. Alors qu'ils croyaient que le temps ne pourrait plus empiré, l'hiver avait réussi l'exploit de s'intensifier encore.

Les routes couvertes de neiges et truffées de congères ne pouvaient plus être déblayées, même avec toute la bonne volonté des marchands et des villageois. Si les chevaux passaient encore et que les hommes pouvaient espérer faire trois pas sans rester coincé, tout ce qui avait des roues était consigné à l'endroit exacte où il avait été déposé. Les cargaisons de bois attendus de la Brande s’entassaient en attendant de pouvoir être acheminés jusqu'à destination, privant Missède d'un salvateur chauffage durant plusieurs ennéades. Durant la cinquième ennéade, lors du pic de froid le plus difficile que la région ait eu à supporter durant toute la saison, la route d'or elle-même n'était plus du tout praticable. Des restrictions alimentaires légères furent mises en place malgré le fait que la crise paraissait encore loin pour parer à toute éventualité sur le long terme. Le Comte et la Comtesse savaient qu'ils ne pourraient constater l’ampleur des dégât qu'une fois l'hiver passé, lorsque les colporteurs pourraient à nouveau passer de village en village, mais en attendant, les mages venus pour le nouvel an, et quelques autres, attirés par la suite, furent mis à rude contribution pour pallier au mieux l'horreur de la situation.

En attendant,le jeune couple faisait son possible. Cécilie avait pris l'habitude de se rendre chaque ennéade au temples de Néera, de Kyria et de Tyra avec une escorte réduite au lieu de profiter de la chapelle du palais pour prier, mais surtout pour discuter avec les prêtres et les fidèles avec le moins de distance possible. Malgré ses devoirs, elle prenait le temps de passer quelques heures auprès des proches des victimes du grands froids, demandait des nouvelles des enfants de l'orphelinat, effectuait quelques dons au dispensaire et calmait, lorsqu'elle le pouvait les habitant qu'elle sentait au bord de la crise. La présence d'une Comtesse dans le quotidien des habitants de Missède avait quelque chose d'incongru alors qu'ils étaient habitués depuis bien des années à voir une succession d'hommes dirigeant seuls d'une poigne de fer plutôt que l'osmose d'un couple comtal.

Parmi tous les possibles qu'ils avaient explorés, les missives régulières que Cécilie réussissait à échanger avec sa tante n'était pas le moindre. Elle avait reçu des nouvelles de ses discussions avec tel ou tel Grand prêtre et des nouvelles du conclave en lui-même. Mais la dernière lettre était lus importante encore.

Depuis plusieurs jours, la première question que Cécilie posait à Rose pendant qu'Azula s'occupait de sa tenue était exactement la même " Ma tante est-elle arrivée ? ". Et à cela, on lui répondait invariablement non... Jusqu'à ce matin même.

Dans l’atmosphère fraiche de ses appartements, alors que Cécilie se levait pour permettre à Azula d'ajuster les lacets de sa robes nordienne bleue pâle ainsi que la chaînette qui lui ornait le front et empêchait à ses mèches folles de tomber sur son visage, la porte explosa littéralement, laissant passer une Rose échevelée qui était portant paisiblement sorti quelques minutes à peine avant cela.

" Sa Bienveillance est arrivée !
- C'est vrai ? ne put s'empêcher de demander la Comtesse, incrédule.
- Mais oui !
- Va prévenir Ernest ! Azula, conduit moi à elle. "

Si Cécilie comprit bien vite que la réponse était affirmative à l'engouement de son époux, elle le laissa quitter la pièce sans se froisser avant de demander d'une voix légère à la femme qui leur faisait l'honneur de sa présence : " Serait-ce déplacé de vous demander si le Conclave a émis des condition à notre accord ? J'ai eu quelques peine à lire par dessus l'épaule de mon mari... " Son sourire appuyait la joie qu'elle éprouvait à l'idée, non seulement de retrouver sa tante, mais également d'être amené à collaborer bien plus souvent avec elle.

" Vous serez plus à votre aise... " d'une main gracile, elle indiqua la place à côté d'elle sur la banquette pour inviter la Haute-Prêtresse à s'asseoir. " Dites-moi, avez vous déjà une idée de la date à laquelle vous voulez investir Edelys ? "

Pour toute réponse à sa tante qui venait de briser la glace, elle combla l'espace entre elle pour la serrer dans ses bras avec bonheur. Plus les jours avançaient, plus elle avait l'impression d'être en décalage avec les réactions des courtisans. Les intrications politiques devenaient de plus en plus complexes et confuses tant son mari prenait d'initiatives sans avoir le temps d'en parler avec elle. Ancenis, Diantra, Langehack, il virevoltait d'une idée à l'autre sans respirer un instant. Au moins avait-elle put participer à l'apaisement d'Edelys... Mais le fait que la Haute Prêtresse soit une connaissance la désignait, elle, comme une béquille fort utile. Alors que l'hiver invitait à se recentrer sur les soucis de ses propres terres, beaucoup semblaient vibrionner de problèmes en problèmes. Les murmures de l'annonce faites par la régence angoissaient les Langeciens, certains de voir la régence se tourner vers eux, l'arme à la main, une fois le Médian à genou.

Elle ne comprenait pas à quel point voir le nord se préparer pour une guerre en terrifiaient certains. Peut-être ne se rendaient-ils pas compte de la fragilité de son approvisionnement, de son moral et de ses forces après les guerres civiles d'Oesgard, les ravages drows, la guerre civile Ethernienne, et l'hiver alors que Missède avait acheté tant de blé à Serramire l'été dernier pour renflouer les greniers de Diantra en plus de l'aide substantiel que le marquisat avait offert à Oesgard pour éviter des morts massives. Elle n'osait imaginer l'état de l'arrière et l'idée de les voir faire durer une guerre de plus, si elle n'était pas impossible, lui semblait bien risqué pour des seigneurs un tant soit peut soucieux de leurs terres. Si on surnommait les Marquisats du Nord Bouclier de la Péninsule, ce n'était pas pour rien. Plus encore, elle avait confiance en Maélyne. Elle ne laisserait pas si facilement la guerre se tourner vers Langehack si la négociation était possible.

Alors entre deux missives, elle se contentait de faire ce qu'elle considérait comme le plus important : administrer Missède de façon à ce que le moins de gens possible ne souffre de la saison. Heureusement, après quelques ennéades à montrer leur utilité, les élémentalistes arrivés au nouvel an commençaient à entrer dans le quotidien malgré la méfiance et les quelques agressions. Mais une visite amicale était un luxe que Cécilie appréciait à sa juste valeur. " Vos visites me manque. J'ai hâte que le printemps revienne. Je pourrai reprendre plus facilement la route. "

Libérant sa tante, elle garda ses mains dans les siennes pour répondre à sa question. "Je pense qu'Ernest en sera enchanté. Il a passé beaucoup de temps avec ce jeune homme et l'a toujours envisagé pour un grand avenir. " et elle ajouta sur un ton un peu plus tendu qu'il n'aurait fallu " Il a de grands projets pour beaucoup de mondes. "

" Ce n'est ni ce que mes parents, ni ce que mes mentors m'ont appris. " murmura la jeune femme par devers elle avant se repousser ces mauvaises pensées d'un revers de main. Elle n'avait pas dit un mot mais elle se serait attendu à ce qu'une femme si dévouée comprenne mieux ce qu'elle entrevoyait dans ces allés et venus. Inconsciente du clin d’œil de sa cher tante qui, comme toutes les mère, semblait ne pas rater une occasion de faire la morale sur le moindre sous-entendu sans comprendre ce qu'il contenait. Elle fit plutôt contre mauvaise fortune joyeux sourire et reprit, heureuse de la demande qui lui était faite " Avec plaisir ma tante. Quand le printemps viendra à nos portes. Je serai de retour au cours de la première ennéade je pense. "

Ce bal à Soltariel lui ferait beaucoup de bien. Être invité n'était pas du tout la même chose que de devoir organiser tout cela et la légèreté qui s'en dégageait était bien différente. A cette pensée, son visage s'éclaira un peu plus sincèrement... Et elle se rappela aussi à l'occasion que son interlocutrice n'était pas forcément au courant de ses faits et gestes. " Je vais à Soltariel pour une fête de fin de l'hiver. Je compte bien en profiter pour rencontrer la duchesse et son mari. Ernest semble avoir déjà trouvé une oreille attentive là-bas. "

Elle pressa la main de la vieille femme entre ses doigts, sentant sa peau froide " Peut-être préféreriez-vous prendre un peu de repos pour me conter les dernières nouvelles autour d'un repas chaud ? Après quoi j'espère que vous me ferez l'honneur de célébrer les Vêpres dans le temple de la ville et de vous adresser aux démunis en ces temps difficiles. "