[Ethin]Comices et maçonnerie

Printemps - 1er jour 1ere ennéade de Favrius
10e année du XIe Cycle

Le voyage avait été court. Presque trop court pour Cécilie qui n'avait qu'une envie mitigée de se trouver là après sa dernière entrevue avec Ernest... Même deux ennéades pus tard, elle n'avait pas digérer le mensonge qu'il avait gardé entre eux et l'angoisse d'un poignard affûté lui pétrissait les entrailles. Elle aurait nettement préféré rester à Missède pour commencer des recherches, assurer ses arrières et garder à l’œil cette histoire d’inondations potentielles. L'idée tournait dans son esprit depuis son départ. Au moins, elle aurait quelques réponses en se rendant en personne à Ethin et puis cela ferait du bien à Colombe.

Pour lui changer les idées du peu de nouvelles que leur mère avait envoyé depuis Lourmel ces derniers temps et de l'enfermement de leur père, Cécilie l'avait faite venir à Missède quelques jours, projetant de l’emmener à Ethin pour qu'elle rencontre ses belles sœurs et profite des fêtes de la journée. Égale à elle-même, même si Cécilie sentait l'exagération dans sa voix, la jeune fille restait lumineuse et optimiste. Elle avait même réussit à faire oublier un peu à sa sœur ses problèmes du jour et n'arrêta pas de parler, de leur départ à leur arrivée. Jocelyn d'Heucville et son maître, le Capitaine Bayard s'étaient joint à l'escorte de la Comtesse pour garantir sa sécurité et s'entretenaient de bon cœur avec la jeune rivegeoise, laissant à la plus âgée un peu de temps pour se perdre dans ses propres pensées et profiter de l'air frais.

La matiné touchait à son terme lorsque la compagnie posa pied à terre devant le château d'Ethin. Irène, la soeur aînée d'Ernest, les reçu avec les honneurs et sembla enchantée de faire la connaissance de Colombe, mais un léger détail fit levé l'un des sourcils de Cécilie.

«  Il n'a pas envoyé de nouvelles ?
- Non. Nous n'avons rien reçu depuis quatre jours. Aux dernières nouvelles il devait arriver hier soir. »

Quelques heures de différence n'avaient rien d'alarmant. S'il n'avait pu partir la veille à cause d'un problème, il arriverait en début d'après-midi, ou un messager arriverait à sa place pour prévenir de son absence. Le Capitaine des vertueux ayant décliné l'invitation pour s'entretenir avec son écuyer, la table du déjeuné se trouva donc être entièrement féminine. D'Ethin et de Laval mangeant côte à côte. La doyenne observait les invités en chien de faïence mais mis à part ça, l’ambiance était plutôt bonne. A la fin du repas, Colombe avait même réussi à attendrir quelque peu le cœur de la vieille matrone.

L'après-midi se déroulait peu à peu, mais aucune nouvelles d'Ernest. On finit par envoyer un message à Diantra pour avoir des informations mais il était clair que rien ne serait reçu avant le soir. Irène proposa donc aux visiteuses de profiter des comices à ses côtés. Colombe en était ravie. Cécilie déclina, demandant plutôt à être conduite à la guilde des maçons du Rocher. Des gaillards sûrs d'eux et de leurs compétences. Des experts qui pouvaient se permettre d'être rustre tant leur talent étaient utiles. Mais lorsque Cécilie commença a expliquer plus en détail ce pourquoi elle était là, des yeux se mirent à briller et des coins de lèvres à se relever.

Le Maître de guilde gratta la fossette de son menton, en observant la visiteuse, l'épaule appuyée contre l'un des piliers de la salle.
« Vous avez connaissance de nos prix habituels ?
- En effets, mais pour un chantier de cette ampleur, vous travaillerez en coopération avec la corporation des bâtisseurs de Missède, vous serez donc payez en commun. »

La somme était considérable mais bien moins que ce à quoi s'attendait le bougre. Prêt de moitié moins en fait... Les coins de ses lèvres descendirent cette fois-ci. Cécilie pouvait sentir fluctuer son humeur directement vie la souffle de cet homme... qui par ailleurs devait être aussi large que Jindanor quoi que bien moins haut.

« Vous y gagnerez cependant plus que de l'or. Les aménagements seront étudiés pour passer les siècles et l'intégralité de vos noms y seront inscrits.
- Oui... certainement, enfin c'est pas vraiment là que les passants pourront l'admirer. » sourit-il en ricanant devant le sourire mesurée de la jeune femme. Il était visible qu'elle était plus une diplomate qu'une travailleuse... Rien d'étonnant pour une aveugle de toute façon. « Nous avons besoin de vivre. 
- Et je pense que pouvoir vous revendiquer officiellement en tant que corporation de mage-artisans au lieu de garder profil bas, comme c'est le cas depuis dix ans, devrait vous permettre de vivre bien mieux. »

Elle n'avait pas perdu son sourire paisible... Armant en resta scié. Il était au courant que la Comtesse avait officiellement fait appel à des mages pour passer l'hiver mais il s'agissait de conditions évidentes. Là, elle sous-entendait quelque chose de bien différent. Mais pour ce que valait un sous-entendu...

« Parlez franc, votre Grandeur. Vous proposez de réhabiliter le statut des mages en Missède ?
- Combien êtes-vous actuellement ?
- … Cinq mais je suis le seul a pouvoir vraiment transmettre notre façon de faire. Les autres sont de simples maçons » Lâcha l'homme trapu avec une morgue qui cachait mal à quel point le départ des autres avait du être difficile à vivre. « Ceux qui avaient des familles ont préférés quitter la corporation après le Voile ou après l'explosion de l'Arcanum. Même ici, sauf votre respect, les jets de merde, c'étaient les bons jours.
- Vous m'en voyez navrée. »

Cette fois, il s'assit pour de bon à la table, versant deux verres de vins et plaçant l'un d'eux dans la main frêle de la comtesse. Lorsque sa grosse pogne s'empara des doigts fins, il senti un mouvement de recule et un frisson de sa part. Et bah... Elle était à fleur de peau la Comtesse. Il s'excusa tout de même, la laissant continuer.

« Je sais que cela ne se fera pas en un jour, mais j'aimerai en effet permettre aux mages de vivre en paix en Missède. Je sais que la totalité de ceux qui sont venus pour l'hiver ne pourront pas rester ici en toute sécurité mais vous y avez toute votre place et vous pourriez définir le point de départ idéal. J'aimerai un Conseiller à ma cours pour représenter les problèmes spécifiques aux mages et vous serriez tout indiqué si vous veniez à Missède.
- Nous ne quitterons pas notre ville d'origine. Moi moins que tout autre.
- Alors je peux vous promettre quelques chevaliers pour assurer votre protection pendant la transition.
- Alors vous êtes sérieuse... » Il secoua la tête en souriant.
« C'est si difficile à croire ?
- Bah, sauf votre respect toujours. Vu la réputation que la magie vous a déjà donné, vous êtes sûre de vouloir prendre le risque ?
- Ceux qui le souhaitent trouvent toujours une bonne raison de faire courir des rumeurs. Ce n'est justement pas maintenant que je vais m'arrêter. Pas alors que vous pourriez à ce point améliorer la vie quotidienne des gens de Missède. Bien sûr, si nos relations avec Soltariel et la couronne continuent à s'améliorer, nous encouragerons les seigneurs locaux à débloquer les fonds pour faire les mêmes infrastructures. C'est l'assurance de travaux lucratifs durant bien des années et d'une réputation populaire utile et même indispensable. Cela permettrait à votre corporation de véritablement établir sa légitimité en tant que mage. Cela ne justifie-il pas un premier travail à prix cassés ? »

Seul le silence s'étendit un long moment. Seuls les crépitements de l'âtre craquelaient l'atmosphère. Cachant l'appréhension qui commençait à monter, Cécilie prit une gorgée de vin.  Elle jouait l'une de ses meilleures cartes avec cette idée. Sur le long terme, cela pourrait lancer beaucoup de chose. Mais si elle prenait la parole maintenant, elle risquait de se faire happer le bras là ou elle n'aurait pu donner qu'un doigts. Son expression ne bougeait pas mais son cœur battait à grands coups, quand enfin...

« ça me paraît honnête... »

L'homme réprima un gros rire en entendant le soupire de soulagement de la jeune femme.

« Je peux compter sur votre présence à Missède à la fin de l'ennéade ?
- Vous pouvez. Je contacterai la corporation des bâtisseurs dès demain. Nous aurons les plans d'ici la fin du mois.
- Vous serait-il possible de procéder à une sécurisation de la Fine pour éviter les inondations de fin de printemps et commencer à vous occuper des sous-sols cette année dans ce cas ?
- Nous sommes trop peu nombreux. Il faudrait que nous embauchions... » Belle tentative, cependant, la réponse, loin de la rallonge pécuniaire qu'il attendait fut aussi surprenante que tentante.
« Deux des mages qui ont travaillés au renforcement de Missède cet hiver sont des mages de la terre et plutôt doués de ce que je sais. Leur apprendre les méthodes de maçonnerie devrait être bien moins long que d'apprendre la magie à un maçon... »

Un rire rocailleux et une toux pétroleuse se firent échos. Les verres furent remplis à nouveau et ils échangèrent une poignée de main qui laissa pensif le gaillard. Les fins doigts blancs s'étaient attardés quelques secondes dans sa pogne caleuse, comme si son contact lui était agréable. Une fois qu'elle fut partie cependant, le souvenir s'évanouit rapidement. Il avait désormais bien des choses à préparer...