Printemps, Tariho, septième ennéade de Barkios, an dix, onzième cycle.
La forêt n’avait pas tant subi de séquelles que cela. Certes, il manquait certains arbres dans le paysage, mais la verdure semblait reprendre peu à peu ses droits, le lierre et les champignons tentaient déjà l’escalade des souches mortes, les animaux avaient décidé de pointer à nouveau le bout de leurs museaux. Du point de vue de l’Anaeh et des elfes, le fiel malévolent de Lele ne serait qu’une ligne dans un livre d’Histoire, qui ne concernerait qu’un seul siècle, parmi tant d’autres étagères de bibliothèques bien remplies.
T’sisra enjambait les racines et les souches, observant le calme des alentours. Seuls quelques rongeurs un tant soit peu curieux épiaient la daedhel, tandis que les volatiles piaillant du haut de leurs branches ne lui accordait aucune attention.
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L’endroit a bien changé, et en si peu de temps… C’est à peine croyable. Se disait-elle avec un air circonspect.« Tête de Souche » sautillait sur place, visiblement très pressé. Il faisait signe à son invité de presser le pas. T’sisra opina du chef dans sa direction. Pour lui tout cela paraissait peut-être normal, mais c’était loin de l’être pour son cas. Elle pressa donc le pas, avançant sereinement. L’aventurière avait une confiance sans borne dans cet… Autochtone qu’elle n’aurait su qualifier. Après tout, il l’avait conduit dans un endroit sûr où elle avait pu panser ses plaies et se reposer. En effet, elle avait passé les derniers jours abritée au pied d’un arbre aussi imposant qu’impressionnant. Ses racines formaient une toute petite cavité dans laquelle la drow tenait à peine assise. C’était de toute manière bien assez pour pouvoir se reposer. Elle s’était nourri exclusivement de baies printanières, cueillies à même les arbustes qui bordaient un ruisseau à quelques pas de son abri. Et malgré tous ses efforts, la communication entre elle et « Tête de Souche » s’était soldée par un échec cuisant. Seuls les signes leur permettaient réellement d’échanger de très simples informations.
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J’arrive, j’arrive ! Insista-t-elle dans sa langue maternelle. Mais comment peux-tu te déplacer aussi vite en étant si petit ?Son guide pouvait parfois avoir l’air pataud, mais sa vitesse de déplacement défiait toute logique. Quand elle ripait sur une racine ou glissait sur un tas de feuilles, lui gambadait avec légèreté et d’un pas aussi leste que précis. Et pourtant, les forêts, elle y passait plus de temps qu’ailleurs. Et de nuit qui plus est. Cependant, ils étaient arrivés à destination. Elle reconnaissait l’endroit, impossible d’oublier ce qu’il y avait vu. En revanche, tout avait verdi. Ou presque, seul restait au centre de la clairière, ce cercle de quarante pieds de diamètre vierge de pousse verte. Mais, en son centre une fleur blanche de laquelle semblait se dégager une aura particulière. Des particules orangées s’échappaient du pistil et s’évaporaient quelques centimètres au-dessus.
Un sourire fin se dessinait sur le visage de T’sisra à mesure que son regard suivait « Tête de Souche », qui quant à lui, filait droit sur la fleur.
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Les racines sont les veines de notre monde, son cœur bat ici. En douter serait déjà se mentir. Constatait la nécromancienne avec amusement. « Tête de Souche » enfonça ses mains dans la terre meuble, devant cette étrange fleur. S’en suivit alors une chose que T’sisra n’aurait jamais cru voir. L’esprit agissait sur la nature avec une facilité déconcertante. Sous ses yeux, un arbre sortait de terre petit à petit. Si cela n’avait été qu’un simple arbre… Cependant, son tronc avait la forme d’un visage, un faciès qui ressemblait à celui de l’Ëala qui avait disparu lorsque Lele avait perdu le contrôle de son sort. D’autres fleurs blanches dont les pistils d’un étrange orange luminescent étaient apparus et trônaient fièrement au niveau du front.
T’sisra reculait à mesure l’arbre prenait de la hauteur, à la fois émerveillée et effrayée par la puissance des êtres de la forêt. En tous les cas, l’endroit était désormais majestueux. Cette sculpture naturelle dégageait une impression d’harmonie et de paix. Une fois son œuvre terminée, « Tête de Souche » se retourna, désignant sa création avec ce qui semblait être une certaine fierté.
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C’est… Impressionnant. Souffla T’sisra en se dirigeant vers une pierre pour s’accroupir devant. Vraiment.Une bonne heure et demie plus tard, la daedhel s’en retournait marcher pour les rives de l’Oliya, après avoir fait ses adieux à « Tête de Souche » qui était resté au centre de sa clairière. La daedhel y avait laissé un message en oliyan gravé dans la roche :
« Garde tes intentions pures car ici, le mal trépasse. »