Le tournoi de Fort-Vareg [Gaël de Laval]

Onzième année du Onzième Cycle,
Huitième ennéade de Favriüs, premier mois d'automne,
Le premier jour

Une brume matinale épaisse avait envahi Fort-Vareg, petite forteresse dont le minuscule bourg faisait triste mine dans la grisaille de l'automne. Sentinelle du pays d'Euphémion dans le nord de la Sybrondie, Fort-Vareg avait depuis longtemps perdu de son lustre. Le Chapitre Ardent, un ordre de chevalerie établi là par Maciste quatre ans plus tôt pour récompense de leurs loyaux services lors de la Bataille du Gué aux Chevaliers, continuait d'entretenir le château et, de fait, lui évitait de tomber en poussière. La forteresse demeurait pour le moins austère et tranquille ; on ne s'imaginait pas si proche de la cité d'Euphémion, opulente et pleine de vie.

Ces jours-ci pourtant, le vieux bourg était loin d'être désert. La grand-rue - qui, en dépit de son nom, laissait à peine assez de place pour faire passer une charrette - dégueulait de monde. On circulait péniblement, le nez dans l'aisselle transpirante du voisin sous la torpeur de l'automne, les pieds s'arrachant péniblement à cette matière compacte de terre humide et de saleté qui maculait le sol. Ça criait dans tous les sens, ça s'insultait de tous les noms d'oiseaux possibles et imaginables - et l'imagination est fertile en Sybrondie, car on doute fortement de l'existence du braillard de foutre ou du pigeonneau à tête de gland. C'est qu'il avait fallu rapatrier de la viande et du pain ainsi que toutes sortes de bibelots inutiles, et que cette foule inhabituelle qui s'en venait à Fort-Vareg rameutait tout ce que le pays d'Euphémion comptait de marchands itinérants, attirés par cette clientèle comme des mouches sur une tartine de merde. Les plus sages se massaient plus volontiers dans les champs alentours, où un éphémère faubourg de tentes s'était formé, car seuls les chevaliers du Chapitre logeaient à la Commanderie.

Non loin de là, au beau milieu d'un champ, un vaste espace entouré de palissades et d'estrades de bois s'élevait dans l'herbe détrempée et la terre humide.
Ces jours-ci, Fort-Vareg accueillait un tournoi.

Une presse hétéroclite de petits seigneurs, de bourgeois venus d'Euphémion, de vagabonds de la lie de la Terre, d'artisans et de colporteurs se massait aux abords de la lice. Des relents de viande grillée et de crottin de cheval se mêlaient dans la lourde atmosphère automnale. Des chevaliers errants en quête de gloire jouaient des coudes pour atteindre le régisseur, tentant jusqu'à la dernière minute de s'inscrire aux joutes. La pluie se mit à tomber, déclenchant moult cris d'exaspération de toutes parts ; les tribunes étaient tout de même à ciel ouvert, et les amateurs de beau spectacle en furent pour leurs frais ; ils grelottaient déjà avant que débute le premier face à face.

Qu'à cela ne tienne, les chevaliers en lice restaient déterminés à arracher le prix, et les spectateurs à récupérer au moins leur mise. En dépit de cette organisation chaotique, et bien que le tournoi de Fort-Vareg fut un événement de modeste importance - ne visant qu'à distraire les chevaliers du Chapitre Ardent et à attirer les marchands qui s'acquittaient du précieux droit de passage, indispensable à l'entretien de la vieille bâtisse - quelques jouteurs de renom avaient fait le déplacement. L'un d'entre eux, cependant, devait davantage sa notoriété à sa filiation qu'à ses exploits : Melkhart di Maldi, frère de la comtesse de Sybrondil, fut le premier à s'avancer dans la lice sur son destrier solidement harnaché, accueilli par quelques applaudissements qu'il trouva un peu trop timides.

Clap! Clap! Clap!

La pluie n'aidait guère le public à chauffer l'ambiance, mais le jeune chevalier comptait bien faire grimper la température en triomphant de ses adversaires les uns après les autres. Melkhart fit le tour de la lice, le visage encore à découvert, ses cheveux trempés par la pluie lui collant aux joues tandis qu'il haranguait un public décidément amorphe.

« Aouh ! Aouh ! Aouh ! »

La harangue n'eut guère l'effet escompté.
« Ils font la sieste ici ; je m'en vais te me les réveiller, tu vas voir, lança Melkhart une fois qu'il eut regagné sa place et que Waël, son écuyer, lui tendait son heaume.
- Tactique habituelle ? demanda Waël, tandis que Melkhart enfilait son heaume et en fermait la visière d'un geste empressé.
- Tactique habituelle », approuva Melkhart en se saisissant de la lance que lui tendait l'écuyer.

Il referma ses doigt autour de la hampe de sa lance, soupesant celle-ci dans sa main, la tenant d'une poigne ferme et sûre. Elle était longue et dure, et il allait en faire des merveilles, comme d'habitude.

Bien qu'il ne discernât pas grand chose sous son heaume, Melkhart plissa les yeux pour distinguer au loin la silhouette de son premier adversaire. Le tournoi accueillait nombre de chevaliers novices, s'improvisant jouteurs alors qu'ils se servaient aussi mal de la lance que leur chibre. Mais Gaël de Laval, seigneur de Beaurivages, n'avait rien du traîne-patin standard. Si Melkhart ne l'avait jamais vu jouter, le nom ne lui était pas inconnu ; le garçon s'était illustré lors du Grand Tournoi de Serramire en terrassant, contre tous les pronostics, rien de moins que Roland de Dorour, un cador qui maniait la lance comme personne. Ah ! Comme Melkhart aurait voulu voit cela. Mais il allait se rattraper en jaugeant de lui-même la vraie valeur du Missédois. On verrait bien si son exploit n'avait été qu'un coup de chance ou s'il était capable de confirmer.

Voilà qui annonçait un beau spectacle en ouverture d'un tournoi pourtant si peu prometteur. Un adversaire à ma mesure, songea le Sybrond. Il flatta l'encolure de Balios, son destrier, lui murmurant quelques paroles apaisantes. Il espérait que l'animal se montrerait à la hauteur. Balios était un cheval puissant, mais il n'avait pas ce lien si particulier qu'avait su développer Melkhart avec Hannibal, sa précédente monture. Hannibal semblait toujours connaître à l'avance les intentions de son cavalier ; et il lui obéissait avec une confiance aveugle, courant au plus fort du danger sans peur, tant que le courage de son maître ne vacillait pas. Néera seule savait où était Hannibal à présent ; Melkhart ne l'avait jamais retrouvé après sa capture par les Hautvalois. Une perte qu'il ne digérait toujours pas.
Que Balios le porte jusqu'à la victoire aujourd'hui l'y aiderait peut-être.

Il éperonna sa monture et s'élança dans la lice, lance levée, l'œil vif, les sabots de Balios projetant de la terre humide dans son sillage. Le vent s'engouffrait dans les ouvertures de son heaume, lui fouettant les yeux, mais il continuait de fixer sa cible d'un regard déterminé. Au tout dernier moment, il abaissa sa lance, trompant la vigilance de son adversaire.

La lance de Melkhart se brisa sur le bouclier du seigneur de Beaurivages dans un craquement sinistre. Des copeaux, des éclats jaillirent de toutes parts ; le son résonna dans les oreilles de Melkhart, qui imaginait plus qu'il ne sentait l'odeur du bois coupé. Il poussa un cri de satisfaction, ravi d'avoir fait mouche, tandis que des applaudissements épars résonnaient dans les tribunes assaillies par la pluie.

Melkhart regagna sa place dans la lice et s'empara de la nouvelle lance que lui tendait son écuyer Waël. Il avait l'avantage, désormais ; mais la partie n'était pas encore gagnée.

Dés:

Damnation. Le choc sur son écu arracha un cri de rage et de douleur au Sybrond, qui ne dut qu'à un réflexe salutaire de ne pas être désarçonné. Il retrouva son assise alors que son cheval caracolait à l'autre bout de la lice, réalisant avec fatalisme que l'avance qu'il avait prise lors de la première manche s'était envolée. Il s'était copieusement manqué, ne parvenant même pas à toucher son adversaire.

« Lance », ordonna-t-il d'un ton impatient à Waël, et l'écuyer lui en tendit une nouvelle, récupérant celle que lui donnait Melkhart. Certes, celle-ci était intacte puisqu'il n'avait pas touché son adversaire, mais il ne disputerait pas la troisième manche avec une arme qui l'avait vu échouer.

La pluie s'intensifiait maintenant, changeant la terre de la lice en un champ de boue à peine praticable. Balios y enfonçait ses sabots, plein d'hésitation, mais Melkhart ne songeait nullement à abandonner. Il lui restait une manche pour envoyer le Missédois au tapis, et il comptait bien s'illustrer aujourd'hui.

Les chevaliers s'élancèrent de nouveau. La cavalcade de Balios semblait laborieuse, et Melkhart devait plisser les yeux pour distinguer la lice et ajuster sa lance dans la grisaille pluvieuse. Il vit dans doute un peu trop tard l'ombre informe de son adversaire ; jouant le tout pour le tout, il donna toute sa force dans sa frappe, au détriment de son équilibre.

Une volée de bois cassé fendit les airs ; le hennissement plaintif des chevaux résonna jusque dans les gradins, tandis que des cris de stupeur et d'effroi parcouraient les spectateurs. Les deux adversaires chutèrent comme un seul homme à bas de leurs montures respectives, achevant leur course les quatre fers en l'air dans la terre détrempée.

Aussi pathétique fut l'état de la lice et le moral des concurrents, la boue avait eu le mérite d'amortir leur chute. Melkhart se releva sans peine, plus frustré que blessé, bien qu'un peu hébété. Il savait comment les choses allaient se terminer, à présent. Les deux chevaliers n'avaient pu se départager ; la victoire se jouerait donc sur un assaut à pied, au bouclier et à l'épée, et le premier qui toucherait son adversaire serait déclaré vainqueur.

Voyons si tu manies la lame aussi bien que la lance, songea Melkhart en se mettant en place.

C'est déterminé qu'il s'avança à la rencontre de son adversaire pour cet ultime face à face. Dans les gradins, chacun retenait son souffle ; l'équilibre de cette rencontre et son issue incertaine avaient suscité l'intérêt des spectateurs, qui en oubliaient presque les désagréments du mauvais temps. Ce duel allait être une guerre, et la tension était telle qu'on croyait déjà assister à la finale du tournoi. Ce n'était pourtant que la première rencontre, mais celle-ci demeurerait, à coup sûr, dans les mémoires.

Dés:

Dés:

Le mauvais temps aidant, Gaël s'était gaufré en beauté alors que la lame émoussée du Sybrond faisait mouche. Sous une pluie battante, Melkhart di Maldi se tourna vers les gradins et leva épée et bouclier en poussant un cri de victoire. Il dégoulinait d'orgueil plus encore que de pluie ; il avait gagné ! Cela avait été particulièrement corsé, mais il était allé jusqu'au bout. Il savoura son moment de gloire en adressant une brève prière à Othar, alors que des trombes d'eau se déversaient sur son visage reconnaissant.

Il se retourna ensuite vers son adversaire et lui tendit une main amicale afin de l'aider à se relever. S'il était triste à voir, avec la boue qui maculait son visage et sa cuirasse, Gaël n'avait nullement démérité. Melkhart jugea bon de ne pas le chambrer, ce qu'il se serait permis avec un adversaire facile ; il leva bien haut la main du Missédois, et les deux hommes saluèrent le public ensemble. Ils ne récoltèrent que de discrets applaudissements, mais Melkhart préféra penser que le vacarme de la pluie couvrait les vivats de la foule. 

Là-dessus, les deux hommes quittèrent la lice et prirent des chemins opposés, tandis que d'autres compétiteurs se mettaient en place. Les joutes allaient se poursuivre tout au long de la journée ; les vainqueurs de la matinée s'affronteraient durant l'après-midi. Restait à espérer que le mauvais temps se dégagerait d'ici-là, mais au vu des nuages gris qui recouvraient le ciel, cela tenait du vœu pieux.

Waël guida Balios par la bride jusqu'aux écuries, puis accompagna Melkhart jusqu'au campement. Entre temps la pluie, sans totalement cesser, s'était faite plus fine ; mais les lieux étaient déjà copieusement inondés. Les tentes des chevaliers avaient été plantées pêle-mêle dans un champ, et la terre meuble chargée de pluie était si humide qu'elle vous engloutissait jusqu'au tibia. Melkhart craignit plus d'une fois d'y perdre l'une de ses bottes. Lorsqu'enfin ils eurent regagné sa tente, il ne fut pas fâché de pouvoir s'asseoir au sec et d'enlever ses vêtements trempés.

Il ignorait où était passé Certor, son sergent d'armes, mais il avait le sentiment qu'il le trouverait aisément s'il se mettait en quête de prostituées. Il ne s'en inquiéta nullement, n'ayant besoin, pour l'heure, ni de Certor, ni d'une pute.

« Elle marche toujours, la tactique habituelle, gloussa Waël, qui avait récupéré l'armure de Melkhart et entreprenait de la brosser.
- Oui, elle marche toujours. Sauf quand on perd.
- Ah, ça, c'est sûr !
- La brosse, s'agaça Melkhart en voyant comment s'y prenait l'écuyer. Dans l'autre sens. Tu vas rayer la cuirasse.
- Elle est déjà cabossée, ta cuirasse, Melkhart, depuis que tu t'es taulé l'aut' jour. S'rait sans doute temps que tu t'en trouve une autre.
- Fais quand même dans l'autre sens.
- Mais ça ne change absolument...
- Fais comme je te le demande, par Néera », soupira Melkhart.

Le tournoi de Fort-Vareg avait beau être une épreuve de seconde zone, Melkhart était quasiment certain d'être le seul chevalier dont l'écuyer remettait constamment les ordres en question. Waël ne parvenait jamais à comprendre qu'il avait ses petites manies et qu'il y tenait. Sans doute aurait-il été plus facile de les inculquer à un écuyer plus jeune.

Laissant Waël continuer son ouvrage, Melkhart enfila des habits propres et se couvrit d'un épais manteau couleur pourpre. Il ne jouterait que dans l'après-midi à présent, il avait donc le restant de la matinée à tuer. Il hésita à rejoindre les gradins pour prendre la mesure de ses prochains concurrents. Dans un grand tournoi, c'est sans doute ce qu'il aurait fait ; mais il avait l'arrogance de penser qu'il avait déjà accompli le plus difficile et qu'aller chercher le prix final ne serait qu'une promenade de santé.

Au lieu de quoi, il se mit à marcher dans le campement boueux et désert, se baladant entre les tentes, appréciant le calme qui y régnait loin de l'agitation de la lice.

Spoiler:

Pas rancunier, le bougre, songea Melkhart en dévisageant le Missédois qui sirotait son vin. Par ce temps capricieux et à cette heure encore matinale, ça pouvait surprendre, voire même donner un air franchement pochtron ; mais Gaël de Laval était trop propre sur lui pour laisser croire qu'il se biberonnait de picrate à longueur de journée. A défaut de victoire, le brave trinquait à sa propre défaite ; tout n'était-il pas prétexte à réjouissance ?

Le Sybrond se joignit donc de bon cœur à l'invitation. Il adressa un regard contrit à la cuirasse cabossée de son hôte, tout en songeant que la sienne n'était pas dans un bien meilleur état.

« Vous m'avez donné du fil à retordre tout à l'heure, concéda-t-il. C'était une belle joute. Je n'imaginais pas, dans ce tournoi de seconde zone, trouver un adversaire de votre trempe - l'homme qui triompha de la Lance de Dorour ! Voyez comme votre réputation vous précède. Dites-moi, Messire... comment était-ce ? Comment l'avez-vous vaincu ? ».

Melkhart buvait les paroles du jeune Missédois, comme si celui-ci s'apprêtait à lui révéler une technique imparable. Un espoir bien stupide ; si Gaël disposait d'une telle arme secrète, il n'aurait pas perdu aujourd'hui. En définitive, il ne lui révéla rien de plus que ce que tout chevalier sait déjà : son succès face à la Lance de Dorour était la conséquence d'un entraînement rigoureux, doublé d'une bonne dose de chance.

« La chance, tout comme l'entraînement, compte pour beaucoup dans le succès d'un chevalier, reconnut Melkhart. Mais il vous aura fallu également de l'audace pour parvenir à pousser votre avantage jusqu'au bout. C'est l'audace qui vous fit gagner ce jour-là, quand votre adversaire pécha par excès de prudence. Les contes et les chansons regorgent de chevaliers audacieux ; ils ne parlent jamais de chevaliers prudents. »

Ce faisant, Melkhart leva sa coupe de vin et trinqua avec le Missédois.

«  Si seulement nos vies pouvaient se borner à parfaire notre adresse à la lance et l'épée, sans devoir nous soucier d'un fief à diriger, d'une épouse à entretenir ou d'enfants à éduquer ! J'ai eu la chance d'échapper à tout ceci jusqu'à présent ; le jour où il me faudra renoncer à cette liberté, je serais le plus triste des hommes. »

Il était tout à fait possible que Gaël de Laval ne partage pas sa vision des choses, mais qu'importe. Melkhart ignorait si le Missédois était marié, d'ailleurs. Peut-être avait-il laissé chez lui sa rombière et ses mouflets pour aller courir les routes, et s'accorder un peu de bon temps.

A l'évocation de Linaëlle de Lancrais, Melkhart haussa un sourcil. Guère familier des conversations mondaines, il ignorait que son vis-à-vis avait eu de l'intérêt pour cette jeune femme. De la Lancrais, Melkhart en savait peu, à la vérité ; mais il avait tant entendu parler de ses parents, qui avaient été les ennemis de son frère Maciste. Linaëlle de Lancrais n'avait pas été chanceuse : sa mère Méliane avait probablement été la pire duchesse que Langehack ait jamais connu, et elle avait épousé en secondes noces un arriviste de première qui avait voulu faire la guerre à tout le royaume, avant de se défenestrer le jour où il jugea qu'il en avait fait assez. Il n'était pas surprenant que Linaëlle de Lancrais se soit retirée dans les ordres : elle portait en elle la faute de ses parents, et n'aurait guère pu espérer mieux d'une vie séculière que d'être la marionnette d'un seigneur opportuniste de la trempe de son beau-père.

« Les dieux nous préservent de tout ceci, Messire. D'ici là que nous devenions vieux et gras, j'espère pouvoir vous offrir votre revanche ; bien que je compte encore vous faire mordre la poussière. » Il sourit, les yeux rieurs, avant de finir sa coupe et de se lever. « Je dois vous laisser, à présent, Messire Gaël ; j'ai encore un tournoi à gagner, bien que mes prochains adversaires ne soient pas de votre trempe. Merci pour le vin. »

La démarche dégagée, il prit congé et reprit le chemin de son campement en arpentant la forêt de tentes. Il y retrouva son écuyer, lequel persistait à brosser sa cuirasse dans le mauvais sens. Il passa le reste de la matinée à échafauder de nouvelles stratégies en vue des prochaines joutes, mais, au bout du compte, aucune ne valait la bonne vieille "tactique habituelle", celle qui l'avait vu gagner ce matin, et qui, il n'en doutait pas, le verrait encore gagner tout au long de la compétition.

*  *

L'après-midi venue, le chevalier sybrond parada dans l'arène sur son fier destrier. Le soleil avait fait un timide retour, si bien que la foule, un peu moins amorphe, fit du Maldi son héros. L'entrée en lice de son adversaire ne changea nullement la donne ; c'était un vavasseur miteux de la presqu'île de Santazygore et que l'on nommait Augustin de La Moustardière. Il arborait une cuirasse dépourvue du moindre ornement, témoignant de sa basse extrace, si bien que la foule le jugea défait avant même que la joute ne commence.

Lorsque le signal fut donné, Melkhart brandit sa lance et jeta sa monture au galop, projetant des salves de poussière tout autour de lui. Il pouvait sentir la peur de son adversaire alors que ce dernier était de plus en plus proche ; La Moustardière n'avait même pas ajusté sa lance, et il était clair qu'il comptait l'employer à dévier l'attaque de Melkhart, adoptant une stratégie défensive. Ce dernier le comprit en un éclair, aussi décida-t-il de frapper fort et de surprendre son adversaire. Feignant de vouloir frapper à l'écu, Melkhart redressa sa lance dans les derniers instants pour porter une frappe au casque, espérant désarçonner son concurrent dès la première manche.

Sa forfanterie lui joua un bien vilain tour. Augustin de La Moustardière semblait avoir vu parfaitement clair dans son jeu ; avant même que Melkhart n'ait pu l'atteindre, le chevalier santazygorien fit preuve d'une surprenante adresse en allant frapper son écu ; déséquilibré, le Maldi vit dévier totalement la trajectoire de sa lance, ne rencontrant que du vide. L'élan de sa propre attaque le projeta sur le côté, tandis que son destrier poursuivait sa course. Melkhart tenta de se maintenir, mais il n'atteignit jamais l'autre côté de la lice ; il s'écroula dans la poussière, et il y demeura un moment, incrédule.

Il est nul, ce tournoi, pensa le jeune Sybrond, alors qu'il sentait le goût amer de la défaite lui envahir la bouche. A moins que ce ne soit son propre sang.

Dés: